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jeudi, 13 juin 2013

Stamboul

tovaritch

(Istanbul, musique de Cantemir par Jordi Savall ; photo de Tovaritch par Sara, années 1970)

Je t'imagine heureuse dans cette ville ottomane, buvant les sensations, les images, les textures, les visages qui s'offrent à toi. Avec, peut-être, cette sensation de liberté que les villes étrangères savent donner quand elles ne font pas trop peur. Ton visage a un grand pouvoir sur moi, il me suffit de l'imaginer pour que mon souffle devienne plus charnel, plus concret, plus présent. Tu ne ressembles à personne et c'est pour cela que j'ai déjà l'impression de t'avoir croisée quelque part. Ou peut-être que tu rassembles plusieurs visages d'une vie oubliée et que c'est ce qui me donne l'idée que tu ne ressembles à aucun être déjà connu. Dans les pans de ville étranges où j'ai marché près de toi, dans les morceaux d'appartement où j'ai cotoyé ton coeur, j'ai su que nous étions étrangères. C'est là qu'intervient la rencontre, ce pont que l'on franchit pour toucher l'inconnue. Deux matières, deux textures, deux lumières ; une aquarelle et une peinture à l'huile ; la pierre blanche et la pierre grise ; le froid bleu et le froid blanc ; le chaud orange et le chaud rouge. La voix qui verse, la voix qui tonne. Le sourire qui invite, le sourire qui dévoile. Le rire qui retient, le rire qui répand. L'aveu trop court, l'aveu trop long. Comment faire rimer ces deux chansons ? Ne rien faire, elles vont rimer sans qu'on les guide, elles se cherchent et se trouvent au milieu du refrain, elles s'interrogent et se répondent, elles se sondent et se palpent entre deux instants perdus, elles s'invitent, se nouent et se dénouent, sans souci, dans la fraîcheur d'un été qui se veut inédit.

Qui es-tu ? Chut... Le temps dira quel est ton nom dans mon coeur.

mercredi, 12 juin 2013

Traverser vers l'autre rive (faire confiance au sentier).

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Merci à Sara et Tieri.

mardi, 11 juin 2013

Attirer les foules ou bercer les solitaires

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lundi, 10 juin 2013

Pactes

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Hier

Je ne vous avais rien dit de mes doutes. Nous avions ces désirs et j'ai signé ces pactes que vous approuviez de grand coeur. Vous n'aimiez rien tant que sentir le vent de l'aventure s'engouffrer dans cet avenir que nous vous dessinions. Vous disiez oui à tout ce qui sentait l'étrange beauté d'un monde à peine éclos, qu'on devinait immense, intarissable.

 

Ce soir

Ce qui m'ennuie, ce n'est pas les reproches extérieurs que j'ai pu énoncer à votre endroit. Ce qui m'ennuie le plus, c'est d'avoir arrangé la vérité, joué un rôle pour contrer ma vulnérabilité, caché certains faits, modifié d'autres, bref, d'avoir menti, sans jamais dire de chose réellement fausse (Ô suprême habileté) en compagnie d'un être que j'aime et nomme «mon amie». Ce qui m'ennuie c'est d'être incapable d'assumer certaines vérités de ce que je vis pour des raisons éminemment sociales - honte, culpabilité.

 

Demain

Demain je voudrais vous avoir à nouveau près de moi, face au temps qui nous dévore inexorablement. Vous, et moi.

Mélancolie

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Gothique, soror dolorosa, tes frères-amants en longues robes rouges, bleues, beiges, te suivent, alertes, tandis que parmi nous tu choisis ta victime bien-aimée. Pourquoi moi ? Pourquoi nous ? Le cou tourné vers le côté vivant du monde, nous te fuyons comme la peste.

Je n'ai pas besoin de ta froideur, je n'ai pas envie du désespoir que tu déverses aux veilles des anniversaires. Va t'en chanter tes romantiques déprimes au milieu des arbres morts.

Tu ressembles à la soeur des aurores ternes, celle qui marche en tenant sur son bras le drap des nuits amères. Je te fuis sans cesse, tu me poursuis de tes assiduités. Tu voudrais que j'entre dans ta danse et m'emporter sur tes rives désolées. Tu m'y enseignerais le goût des baisers aux salives noires, des caresses glacées, des dialogues sans résolution. J'y laisserais ma peau et mes rêves déjà chagrins.

«Lâche-moi, car l'aurore est levée».

samedi, 08 juin 2013

1

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«Cet organe intérieur est le sens d'intuition pour le monde transcendental ; et avant que ce sens d'intuition soit ouvert en nous, nous ne pouvons avoir aucune objectivité de vérité plus élevée.

... Dans l'ouverture de ce sensorium spirituel est le mystère du nouvel homme, le mystère de la renaissance et de l'union la plus intime de l'homme avec Dieu».

D'Eckhartshausen, La Nuée sur le Sanctuaire, p.10

vendredi, 07 juin 2013

Standards

standards, meursault


à Christine, qui hait les standards, en souvenir d'une conversation tenue sous un érable.


Je fais face à mes limitations.

Des phrases syntaxiquement pauvres entrecoupées d’onomatopées ou de vulgarités tentent de signifier ce que ma grammaire défaillante peine à exprimer.

J'appose sur mon corps des fringues à moitié bien choisies, à moitié repassées, qui s'allient assez mal à mes chaussures.

D'obscurs efforts visent, parfois à embrasser une œuvre qui ne verra sans doute jamais le jour, parfois à tenter d'attraper dans mon escarcelle de quoi combler un découvert qui s'est creusé.

Je squatte un lieu qui s'enfuit.

Mon esprit ressemble à une masse informe traversée çà et là par de brillants soleils qui n'éclairent que l'Inutile.

J'erre dans des zones de solitudes dont je sors pour donner deux ou trois coups d'éclats où l'onde de choc tient lieu de vérité, et le sourire rouge tient lieu de chaleur, dans une petite société qui s'en passerait.

Changer ? Il faudrait augmenter mes standards.

 

(Billets à venir : Standards II ; Standards III ; Standards IV).

 

Navré d'avoir dérangé une si belle soirée
Je suis venu avant tout pour te demander
Non pas de revenir, seul'ment de n'pas sourire
Sourire, ne pas sourire

jeudi, 06 juin 2013

La tisane à la recherche

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Ce soir, j'ai préparé une tisane, me suis assise dans le fauteuil le plus confortable de mon bureau, dont j'ai éteint toutes les lumières pour ne laisser que la lueur tremblante de la bougie. Dehors, il faisait encore jour.

J'ai écouté Proust lu par des inconnus : Du côté de chez Swann. Par la fenêtre, je pouvais voir tomber le jour lentement. De temps en temps, je fermais les yeux. La nuit se fit complète, bientôt il ne resta plus que la bougie pour produire de la lumière, orange et chaude et chancelante.

Ce fut une soirée infiniment calme, dont je me rappellerai toujours.

AudioProust

 

mercredi, 05 juin 2013

Semailles d'un fou

Alexandre Grothendieck, récoltes et semailles

Un des plus grands mathématiciens du XX°siècle vit caché dans le Vaucluse. Il s'appelle Alexandre Grothendieck et voici un extrait de ses imposants bizarroïdes mémoire, qui circulent sur Internet. 


Jusqu’en l’année 1970 : j’avais vis-à-vis de mes élèves une disponibilité pratiquement illimitée. (note 22).

Quand le temps était mûr et chaque fois alors que cela pouvait être utile, je passais avec l’un ou l’autre des journées entières s’il le fallait, à travailler telles questions qui n’étaient pas au point, ou à revoir ensemble les états successifs de la rédaction de leur travail. Tel que j’ai vécu ces séances de travail, il ne me semble pas que j’y aie jamais joué le rôle de"directeur" prenant des décisions, mais que c’était chaque fois une recherche commune, où les discussions se faisaient d’égal à égal, jusqu’à satisfaction complète de l’un comme de l’autre.

L’élève apportait un investissement d’énergie considérable, sans commune mesure bien-sûr à celui que j’étais appelé à apporter moi-même, qui avais par contre une plus grande expérience, et parfois un flair plus exercé. La chose cependant qui me paraît la plus essentielle pour la qualité de toute recherche, qu’elle soit intellectuelle ou autre, n’est aucunement question d’expérience. C’est l’exigence vis-à-vis de soi-même. L’exigence dont je veux parler est d’essence délicate, elle n’est pas de l’ordre d’une conformité scrupuleuse avec des normes quelles qu’elles soient, de rigueur ou autres. Elle consiste en une attention extrême à quelque chose de délicat à l’intérieur de nous-mêmes, qui échappe à toute norme et à toute mesure. Cette chose délicate, c’est l’absence ou la présence d’une compréhension de la chose examinée. Plus exactement, l’attention dont je veux parler est une attention à la qualité de compréhension présente à chaque moment, depuis la cacophonie d’un empilement hétéroclite de notions et d’énoncés (hypothétiques ou connus), jusqu’à la satisfaction totale, l’harmonie achevée d’une compréhension parfaite. La profondeur d’une recherche, que son aboutissement soit une compréhension fragmentaire ou totale, est dans la qualité de cette attention. Une telle attention n’apparaît pas comme résultat d’un précepte qu’on suivrait, d’une intention délibérée de "faire gaffe", d’être attentif – elle naît spontanément, il me semble, de la passion de connaître, elle est un des signes qui distinguent la pulsion de connaissance de ses contrefaçons égotiques. Cette attention est aussi parfois appelée "rigueur". C’est une rigueur intérieure, indépendante des canons de rigueur qui peuvent prévaloir à un moment déterminé dans une discipline (disons) déterminée.

Et si j’ai pu, peut-être, malgré tout, transmettre à mes élèves quelque chose d’un plus grand prix qu’un langage et un savoir-faire, c’est sans doute cette exigence, cette attention, cette rigueur - sinon dans la relation à autrui et à soi-mêmes (alors qu’à ce niveau elle me faisait défaut autant qu’à quiconque), du moins dans le travail mathématique (note 23). C’est là, certes, une chose bien modeste, mais peut-être, malgré tout, mieux que rien.

Alexandre Grothendieck

Extrait de son autobiographie psychomathématique de presque 1000 pages Récoltes et Semailles

 

NOTES

NOTE 22

Même après 1970, quand mon intérêt pour les maths est devenu sporadique et marginal dans ma vie, je ne crois pas qu’il y ait eu d’occasion où je me sois récusé, quand un élève faisait appel à moi pour travailler avec lui. Je peux même dire qu’à part deux ou trois cas, l’intérêt de mes élèves d’après 1970 pour le travail qu’ils faisaient était loin en deçà de mon propre intérêt pour leur sujet, même en les périodes où je ne me préoccupais guère de maths que les jours où je mettais les pieds à la Fac. Aussi le genre de disponibilité que j’avais à mes élèves d’avant 1970, et l’extrême exigence dans le travail qui en était un signe principal, n’auraient-ils eu aucun sens vis-à-vis de la plupart de mes élèves ultérieurs, qui faisaient des maths sans conviction, comme par un continuel effort qu’ils auraient dû faire sur eux-mêmes...

 

NOTE 23

L’Enfant et le maître

Le terme "transmettre" ici ne correspond pas vraiment à la réalité des choses, qui me rappelle à une attitude plus modeste.

Cette rigueur n’est pas une chose qu’on puisse transmettre, mais tout au plus réveiller ou encourager, alors qu’elle est ignorée ou découragée depuis le plus jeune âge, par l’entourage familial aussi bien que par l’école et l’université. Aussi loin que je puisse me rappeler, cette rigueur a été présente dans mes quêtes, celles de nature intellectuelle tout au moins, et je ne pense pas qu’elle m’ait été transmise par mes parents, et encore moins par des maîtres, à l’école ou parmi mes aînés mathématiciens. Elle me semble faire partie des attributs de l’innocence, et par là, des choses qui sont dévolues à chacun à la naissance. Cette innocence très tôt "en voit des vertes et des pas mûres", qui font qu’elle est obligée de plonger plus ou moins profond, et que souvent il n’en apparaît plus guère trace dans le restant de la vie. Chez moi, pour des raisons que je n’ai pas songé encore à sonder, une certaine innocence a survécu au niveau relativement anodin de la curiosité intellectuelle, alors que partout ailleurs elle a plongé profond, ni vu, ni connu! comme chez tout le monde. Peut-être le secret, ou plutôt le mystère, de "l’enseignement" au plein sens du terme, est de retrouver le contact avec cette innocence en apparence disparue. Mais il n’est pas question de retrouver ce contact en l’élève, s’il n’est déjà d’abord présent ou retrouvé dans la personne de l’enseignant lui-même. Et ce qui est"transmis" alors par l’enseignant à l’élève n’est nullement cette rigueur ou cette innocence (innées en l’un et l’autre), mais un respect, une revalorisation tacite pour cette chose communément rejetée.

Alexandre Grothendieck sur AlmaSoror

Sur Alexandre Grothendieck

 

 

 

mardi, 04 juin 2013

Le Temps, l'Ennui, la Mort

Alfred de Vigny, Blaise Pascal, Jean-jacques Rousseau

3 extraits sur le Passage du Temps, une photo de Sara, une musique de Biosphere

 

Ainsi s'écoule toute la vie ; on cherche le repos en combattant quelques obstacles et si on les a surmontés le repos devient insupportable par l'ennui qu'il engendre. Il en faut sortir et mendier le tumulte ; car ou l'on pense aux misères qu'on a ou à celles qui nous menacent. Et quand on se verrait même à l'abri de toutes parts, l'ennui de son autorité privée ne laisserait pas de sortir du fond du coeur où il a ses racines naturelles, et de remplir l'esprit de son venin.

Ainsi l'homme est si malheureux qu'il s'ennuierait même sans cause d'ennui par l'état propre de sa complexion. Et il est si vain qu'étant plein de mille choses essentielles d'ennui, la moindre chose comme un billard et une balle qu'il pousse suffisent pour le divertir.

Blaise Pascal - Pensées (Divertissement, IX, 168)

 

Plus je vais, plus je m'aperçois que la seule chose essentielle pour les hommes, c'est de tuer le temps. Dans cette vie dont nous chantons la brièveté sur tous les tons, notre plus grand ennemi, c'est le temps, dont nous avons toujours trop. A peine avons-nous un bonheur, ou l'amour, ou la gloire, ou la science, ou l'émotion d'un spectacle, ou celle d'une lecture, qu'il nous faut passer à un autre. Car que faire ? C'est là le grand mot.

Alfred de Vigny - Journal d'un poète

 

L'étude d'un vieillard, s'il lui en reste encore à faire, est uniquement d'apprendre à mourir, et c'est précisément cela qu'on fait le moins à mon âge ; on y pense à tout, hormis à cela. Tous les vieillards tiennent plus à la vie que les enfants, et en sortent de plus mauvaise grâce que les jeunes gens. C'est que, tous leurs travaux ayant été pour cette même vie, ils voient à sa fin qu'ils ont perdu leurs peines. Tous leurs soins, tous leurs biens, tous les fruits de leurs laborieuses veilles, ils quittent tout quand ils s'en vont. Ils n'ont songé à rien acquérir durant leur vie qu'ils pussent emporter à leur mort.

Jean Jacques Rousseau - Rêveries du promeneur solitaire (Troisième Promenade)

 

Lire sur AlmaSoror,

A propos d'ennui et de la quête lascive d'un bonheur inaccessible :

Le désillusionné (sur Abderramane III)

 

à propos de Vigny :

Deux portraits de Vigny

Vigny aux temps électros

Loges d'antan

Le dédain sur la bouche

Les poètes maudits

Le temps de Vigny : Chatterton

lundi, 03 juin 2013

Lammermoor

Bourges, Marais, Sara, Lucie, Lammermoor, Walter Scott, Hélène Lammermoor, château hanté, revenants, gothique, Ecosse

Hélène,

Tu cherches Lucie à Lammermoor et ne la trouves pas. Lucie est morte il y a si longtemps. Il ne doit rien rester de ses restes précieux, au fond de la tombe que tant de neiges ont recouvertes, durant tant d'hivers.

Que voudrais-tu lui dire ? N'y a-t-il pas d'autres femmes, d'autres soeurs à aimer dans les froids soirs de novembre, quand le vent claque contre les volets des campagnes de l'Ecosse ? Tu marches en quête d'un fantôme qui n'a plus rien à te dire. Ses oreilles n'existent plus pour écouter tes plaintes et tes rêves. Seule l'écorce des arbres pluriséculaires t'entendent. Ils sont les témoins d'une époque dans laquelle tu ne te promèneras jamais.

Les grilles des châteaux délaissés sont mangées par la rouille, tu y accroches tes mains fébriles. Le feuillage des charmilles est mort depuis longtemps. Partout où tu portes tes pas, le mystère et l'absence t'attendent.

Lucie t'aurait comprise ; Lucie t'aurait aimée ; Lucie t'aurait emportée au pays des coeurs qui ne peuvent se désunir.

Lucie t'aurait peut-être sauvée. Mais la camionnette aux gyrophares roule à travers les routes serpentines du pays des revenants, et si tu ne te jettes pas dans le fleuve qui passe en bas de la vallée, les hommes en blanc t'arracheront à ton dernier voyage.

 

Lire aussi, sur AlmaSoror :

Black Agnès

Leise flehen meine Lieder 
Durch die Nacht zu dir...

dimanche, 02 juin 2013

Blue Buoy

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Attablés au café du Blue Buoy, boulevard de Vaugirard, en l'an 2000 : toi, un kawa ; moi, une kilkenny. Et peut-être un air de bach remixé par un DJ vietnamien dont je savais le nom. Un homme qui passe comme tous les jeudi soir, les serveurs chorégraphiant le service de l'happy hour, les cigarettes qui enfument le bar. Lumières bleues, lumières jaunes nous encerclent et les vapeurs de l'alcool, les volutes de fumée, les velléités des esprits défaillants nous enfoncent dans la descente clinaménique de la voie inconsciente. Peut-être est-ce pour cela que cette scène, si banale, m'est restée jusqu'à m'apparaître aujourd'hui comme surréelle.
Or, c'est cette scène exactement reconstituée, à un détail près, que j'ai eu la stupeur de reconnaître dans ton film, au fond de ce cinéma miteux où je m'étais décidée à aller le voir, dix mois après sa sortie. Mais toi, tu te souvenais de nos dialogues - que j'avais oubliés -, et je les ai reconnus, assaillie par cette peur caractéristique qu'on éprouve au cours d'un cauchemar, à moitié conscient de l'irréel de la situation, et pourtant y croyant manifestement. Tu t'es donc fié à la magie de cette scène sans contenu spécial, pour créer un autre monde, dans une autre dimension.
Proust expliqua ce phénomène : «Voyez-vous, je crois que ce n'est guère qu'aux souvenirs involontaires que l'artiste devrait demander la matière première de son oeuvre. D'abord, précisément parce qu'ils sont involontaires, qu'ils se forment d'eux-mêmes, attirés par la ressemblance d'une minute identique, ils sont seuls une griffe d'authenticité. Puis ils nous rapportent les choses dans un exact dosage de mémoire et d'oubli. Et enfin, comme ils nous font goûter la même sensation dans une circonstance tout autre, ils la libèrent de toute contingence, ils nous en donnent l'essence extra-temporelle, celle qui est justement le contenu du beau style, cette vérité générale et nécessaire que la beauté du style seule traduit».
Tu vis donc à Berlin, cela ne puis m'étonner de toi. Neukölln te va comme un gant.
Tu ne pourrais sûrement pas deviner à quel point j'ai changé.

La Dolce Vita

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Tout commence dans un rayon de soleil. Une tache rouge glisse sur le macadam scintillant, s'approche, se pose juste à côté de Venexiana.

La portière s'ouvre, Venexiana pénètre dans la berline. La tache s'éloigne, seul le soleil reste au milieu du grand silence.

Les routes de France s'offrent aux roues de la berline qui file vers une ville du centre, cernée par un fleuve et une rivière. Peu d'autos fendent l'air de si bon matin, et les heures passent comme deux ou trois étoiles filantes.

L'arrivée au bout du monde a lieu calmement. Place Saint-Quelqu'un, on dépose la voiture et rejoint des amis, tout un monde marche jusqu'aux bords de la Loire où fromages, meursault, champagne et gâteaux seront dégustés dans la quiétude de cet après-midi qui n'a jamais de fin.

Mais la fin se décide ; à quelques kilomètres, le château attend ses hôtes. Il les accueille dignement, pour un apéritif dans la rosée du soir des prairies alentour, avant de s'enfermer dans la grande salle où cheminées et chandeliers illuminent de leurs flammes les visages en vacances. Certains se sont connus il y a longtemps, ils se reconnaissent et se sourient mondainement, sans dévoiler les souvenirs.

Pourquoi parler du refuge de la nuit, de la fraîcheur du lendemain ? C'est inutile, bien que la tâche rouge retournera déposer Venexiana à son point de départ.