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dimanche, 02 juin 2013

Blue Buoy

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Attablés au café du Blue Buoy, boulevard de Vaugirard, en l'an 2000 : toi, un kawa ; moi, une kilkenny. Et peut-être un air de bach remixé par un DJ vietnamien dont je savais le nom. Un homme qui passe comme tous les jeudi soir, les serveurs chorégraphiant le service de l'happy hour, les cigarettes qui enfument le bar. Lumières bleues, lumières jaunes nous encerclent et les vapeurs de l'alcool, les volutes de fumée, les velléités des esprits défaillants nous enfoncent dans la descente clinaménique de la voie inconsciente. Peut-être est-ce pour cela que cette scène, si banale, m'est restée jusqu'à m'apparaître aujourd'hui comme surréelle.
Or, c'est cette scène exactement reconstituée, à un détail près, que j'ai eu la stupeur de reconnaître dans ton film, au fond de ce cinéma miteux où je m'étais décidée à aller le voir, dix mois après sa sortie. Mais toi, tu te souvenais de nos dialogues - que j'avais oubliés -, et je les ai reconnus, assaillie par cette peur caractéristique qu'on éprouve au cours d'un cauchemar, à moitié conscient de l'irréel de la situation, et pourtant y croyant manifestement. Tu t'es donc fié à la magie de cette scène sans contenu spécial, pour créer un autre monde, dans une autre dimension.
Proust expliqua ce phénomène : «Voyez-vous, je crois que ce n'est guère qu'aux souvenirs involontaires que l'artiste devrait demander la matière première de son oeuvre. D'abord, précisément parce qu'ils sont involontaires, qu'ils se forment d'eux-mêmes, attirés par la ressemblance d'une minute identique, ils sont seuls une griffe d'authenticité. Puis ils nous rapportent les choses dans un exact dosage de mémoire et d'oubli. Et enfin, comme ils nous font goûter la même sensation dans une circonstance tout autre, ils la libèrent de toute contingence, ils nous en donnent l'essence extra-temporelle, celle qui est justement le contenu du beau style, cette vérité générale et nécessaire que la beauté du style seule traduit».
Tu vis donc à Berlin, cela ne puis m'étonner de toi. Neukölln te va comme un gant.
Tu ne pourrais sûrement pas deviner à quel point j'ai changé.

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