samedi, 25 août 2018
(noir du ciel, blanc de la voie lactée)
J'aimerais vivre à une époque sans ordinateur, sans béton, sans pantalons en jean ni sweatshirt, sans crématoriums.
Mon père fut le premier de sa lignée depuis des siècles et des siècles à ne pas descendre dans la tombe. Il est vrai aussi qu'il fut le premier à divorcer et à se remarier, c'est d'ailleurs cette nouvelle femme qui a imposé l'incinération. Briser la tradition de la lignée, pourquoi ? Pour quoi ? Pour suivre la mode, pour éclater une famille, pour se dissoudre dans l'oubli ? Totale coupure. Pourvu que ce ne soit qu'une parenthèse, une erreur, un cul-de-sac isolée dans la lignée.
Je cherche à retrouver le chemin de la tradition, mais le passé ne revient jamais. Il faut réinventer l'enchantement des héritages spirituels, des découvertes naturelles, des saisons.
Dans les films d'Ozu, qu'on peut aller regarder au Louxor en ce moment, j'admire qu'il exige la vérité, sans l'endurcir. La vérité catastrophique des guerres perdues, de la domination culturelle américaine, des modernités castratrices du sens.
J'aimerais vivre à une époque où l'on ne tond pas les pelouses, ni ne souffle les feuilles mortes. Des prairies et des tapis de feuilles rousses, des nuits réelles au-dessus de nos têtes (noir du ciel, blanc de la voie lactée), la possibilité de croire en demain.
Hors nos terres
La testostérone du jardinage (sur les souffleurs à feuilles mortes)
Eloge du pissenlit (ou la catastrophique mode de la pelouse tondue)
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samedi, 18 août 2018
La mort de Bismarck racontée par Bülow
« Fin juillet le bruit se répandit d'une aggravation inquiétante de l'état de santé du prince. Le 30 juillet, à 11h du soir, il entrait dans l'éternité. Une dame, amie de lui et de sa famille, qui assista à ses derniers moments, m'a raconté que, dans son délire, le prince de Bismarck avait nommé la Serbie, la Russie et l'Angleterre, crié à plusieurs reprises : « Au secours ! Au secours ! » et gémi : « Mais, hélas, l'Allemagne, l'Allemagne, l'Allemagne ! » Les anciens avaient raison de croire qu'en une dernière vision les dieux montrent au mortel le malheur imminent, les périls prochains. Quand le fondateur de l'Empire, mourant, cria : « Hélas ! L'Allemagne ! Au secours ! » et nomma successivement la Serbie, la Russie, l'Angleterre, vit-il se dresser à ses yeux les écueils, contre lesquels sa création se brisa vingt ans plus tard ? Le dernier mot perceptible de Bismarck fut : « La raison d’État. » À Sainte-Hélène, les pensées de Napoléon mourant planaient sur le champ de bataille : « Tête de l'armée », furent ses dernières paroles. Les derniers sentiments, les derniers vœux et soucis du prince de Bismarck allèrent à l’État, qu'il avait servi comme pas un ».
Extrait des Mémoires du Prince Chancelier von Bülow,
Tome des années 1897-1902.
Traduction (trop rapide ?) de Paul Roques et Henri Bloch
Bernhard von Bülow avait déjà égayé nos insomnies blogales :
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mardi, 14 août 2018
Jeux d'enfants
Dans vos petites mains, je lis l’espoir du Nord, je lis l’espoir du Sud, je lis notre avenir. Vous marchez en pensant, courez dans le jardin, sautez sur le ruisseau avec les chiens. Dans notre salon brut, résonne la kora qu’un ami africain nous offrit autrefois. C’est lui qui nous apprit, par ses mots profonds et purs, qu’il faut s’aimer soi-même pour tendre la main à celui qui viendra. Il est mort maintenant et son corps repose dans un cimetière fleuri à Lomé, tout là-bas. Dans vos cheveux châtains et blonds, je passe mes longs doigts et je prie pour qu’un jour vous deveniez parents, et je prie pour que ce jour le pays soit redevenu lui-même. Je vois un champ d’étoiles sur un pré de glaïeuls, là où aujourd’hui des barres d’immeubles abritent ceux qui veulent vous cracher dessus, à cause de vos grands yeux plein de ciel, à cause de la douleur de leurs pères.
J’espère que la vie de vous éloignera pas trop l’un de l’autre, j’espère que l’amour toujours sera plus fort que les rancœurs indicibles. Je vois la lune éclairer de blanc les rides de vos visages devenus vieux. Maintenant vous dormez, tout-petits, essoufflés et ravis, en ce jour estival vous n’avez pas compris la peur qui nous assaille quand résonnent les cris des racailles de l’autre côté de la route. Vous n’avez pas compris l’urgence dans les yeux de votre mère quand elle plante les semences de l’an prochain ; vous n’avez pas compris la pression dans les yeux de votre père qui érige le bardage isolant pour l’hiver. Vous avez ri avec votre tante qui faisait semblant de croire à vos jeux. Je vois demain ou après-demain les rires du soulagement, je vois les hêtres qui s’alignent et se saluent jusqu’à l’océan, éternel, incertain.
Sur AlmaSoror :
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lundi, 13 août 2018
Des coucougnettes au Mont-Blanc
Je suggère à toute personne désirant se distraire de lire cette formidable entrevue entre le maire de Saint-Gervais, commune qui a le bonheur de comprendre le majestueux sommet du Mont-Blanc, et le journal Lyon-Capitale.
Le maire de Saint-Gervais en guerre contre les faux-culs
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samedi, 11 août 2018
Fraîches étaient les forêts de hêtres du Taunus
Sur AlmaSoror, déjà, nous avions cité le chancelier de Bülow, né fils d'un diplomate danois et devenu chancelier allemand dans ce coin d'Europe où les frontières des pays semblent toujours en suspension entre deux décisions.
C'était dans cet article : Quatre gros livres près de la bouteille d'Armagnac. Il y parlait de la France multireligieuse de l'orée du XXème siècle, où imam, rabin, évêque et pasteur chantaient ensemble l'hymne patriote. Il y évoquait la douce ville allemande de Nüremberg, vierge encore des procès ultérieurs.
Voici un autre extrait de ses passionnants Mémoires, une simple description d'un paysage de son enfance dorée, cultivée et sage.
« Une des raisons pour lesquelles les visites à Rumpenheim me plaisaient, c'est qu'on traversait une contrée charmante. Le Main, belle rivière de la Franconie, n'est pas, comme le Rhin, illustre par la légende, il n'a pas coûté autant de sang, il n'a pas joué un pareil rôle historique, mais son cours tranquille le rend cher à tous ceux qui comme moi ont vécu sur ses bords aimables. Je ne connais guère de contrée plus propre à éveiller le sens des beautés naturelles, que les environs de Francfort. Le Taunus, avec ses pentes douces et ses sommets arrondis, en est assez éloigné pour ne pas paraître banal par l'accoutumance et garde ainsi des séductions toujours nouvelles. J'ai vu, depuis, le Tyrol et les Carpathes, les montagnes d'Italie et de Grèce, et surtout les Alpes de Suisse, mais aucune cime n'a autant occupé mon imagination que le Feldberg avec sa pierre de Brunhilde et que l'abrupt Altkönig, dont le sommet est entouré d'un mur de pierre érigé, dit-on, par les Germains. Combien fraîches étaient les forêts de hêtres du Taunus, combien splendide la vue qu'on avait de là-haut sur la vaste plaine, les nombreux et riches villages, les hauteurs lointaines et bleues. Souvent nous nous rendions au petit bois de Francfort, situé près de la ville, dans lequel Bismarck lui aussi aimait se promener avec sa femme et ses trois enfants. Nous allions au pavillon de chasse ou au moulin. Par un beau dimanche de Pâques mon père nous conduisit jusqu'à cette pierre où l'on dit que Goethe composa la scène de la Promenade de Pâques, dans laquelle nous voyons Faust se reposer avec son famulus Wagner, contempler dans le divin rayonnement du soir le monde paisible à ses pieds, et s'abandonner à une rêverie nostalgique et exaltante :
Quand au-dessus de nos têtes, perdue dans l'espace bleu,
L'alouette lance son chant sonore,
Quand sur les hauteurs abruptes couvertes de pins
L'aigle plane, les ailes toutes grandes,
Et que, par-dessus les plaines, par-dessus les mers,
La grue vole à tire d'ailes au pays natal ».
Chancelier Prince von Bülow, Mémoires - Tome des années 1849-1896 (traduction de Henri Bloch et Paul Roques)
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vendredi, 10 août 2018
Ma couturière chérie
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mardi, 07 août 2018
Pulvis et umbra sumus
damna tamen celeres reparant caelestia lunae :
nos ubi decidimus,
quo pius Aeneas, quo dives Tullus et Ancus,
pulvis et umbra sumus.
Horace, ode septième du livre IV
(du moins les dommages que cause le ciel, les lunes rapides les réparent-elles ;
mais nous, une fois descendus où est Énée le pieux, où sont les opulents Tullus et Ancus,
nous ne sommes plus que poussière et ombre).
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lundi, 06 août 2018
Vaincus en apparence
Qui chantera la litanie des meurtres dont les hommes politiques ne parlent pas ? Qui criera sa colère quand les médias font preuve, soudain, d'une retenue inhabituelle ? Les sites internet très méchants, peut-être. Ou les rockeurs infréquentables. Je croise, deux ou trois fois par semaine, des jeunes gens assez polis, assez étranges.
Je les ai repérés depuis que je suis arrivée dans cette ville, ces jeunes en bande, tatoués, aux cheveux courts, avec des blousons l'hiver et des chemises à manches courtes l'été. Quelquefois, une ou deux filles les accompagnent (la caissière du Carrefour Market, l'apprentie coiffeuse de l'avenue Blonde).
Ils écoutent Vae Victis et Burzum. Ils mangent des raclettes à l'arrière d'une camionnette, sur le parking des Pins. Méfiance ou tendresse, c'est selon, voilà ce qu'ils inspirent aux passantes, aux passants. Jamais de jalousie, malgré un certain honneur, une certaine beauté.
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dimanche, 05 août 2018
Mère Vendée
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mercredi, 01 août 2018
Portrait d'été
Tu disais des poèmes aux quatre saisons. Tu n'es plus. Il faut bien que quelqu'un te succède à cette valse de mots.
Alors voici, après Le vieux majordome, le poème de l'hiver 2017 ;
après Fazil, le poème du printemps 2017 ;
après Dans la chambrée, le poème de l'été 2017 ;
après Silentium, le poème de l'automne 2017, ;
après Héroïne, le poème de l'hiver 2018 ;
après Tbilissi, le poème du printemps 2018
Portrait d'été, poème de l'été 2018
Comme l'autoportrait du maître de Frankfort,
modèle indépassé,
tu songeais sous ton chapeau, à côté de ta bien-aimée.
Vous fuyiez la chaleur au fond des grandes pièces noires
au bout des longs couloirs de la demeure d'été.
Comme la chanson triste de Tessa la belle,
mélodie surannée,
tu regardais la mort éclore au bord de l'Erdre.
Tu regardais la mort naître tout doucement
Sur les traits de ta bien-aimée.
Comme la fin tragique d'un film de Tarr Bela,
silhouettes grises dans la brume,
Tu dessinais la ligne de son nez jusqu'à sa poitrine de ton regard noyé.
Elle souriait dans l'obscurité, sur la bergère tapissée,
sous le portrait d'ancêtre en habit d'amiral.
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