Jeux d'enfants (mardi, 14 août 2018)
Dans vos petites mains, je lis l’espoir du Nord, je lis l’espoir du Sud, je lis notre avenir. Vous marchez en pensant, courez dans le jardin, sautez sur le ruisseau avec les chiens. Dans notre salon brut, résonne la kora qu’un ami africain nous offrit autrefois. C’est lui qui nous apprit, par ses mots profonds et purs, qu’il faut s’aimer soi-même pour tendre la main à celui qui viendra. Il est mort maintenant et son corps repose dans un cimetière fleuri à Lomé, tout là-bas. Dans vos cheveux châtains et blonds, je passe mes longs doigts et je prie pour qu’un jour vous deveniez parents, et je prie pour que ce jour le pays soit redevenu lui-même. Je vois un champ d’étoiles sur un pré de glaïeuls, là où aujourd’hui des barres d’immeubles abritent ceux qui veulent vous cracher dessus, à cause de vos grands yeux plein de ciel, à cause de la douleur de leurs pères.
J’espère que la vie de vous éloignera pas trop l’un de l’autre, j’espère que l’amour toujours sera plus fort que les rancœurs indicibles. Je vois la lune éclairer de blanc les rides de vos visages devenus vieux. Maintenant vous dormez, tout-petits, essoufflés et ravis, en ce jour estival vous n’avez pas compris la peur qui nous assaille quand résonnent les cris des racailles de l’autre côté de la route. Vous n’avez pas compris l’urgence dans les yeux de votre mère quand elle plante les semences de l’an prochain ; vous n’avez pas compris la pression dans les yeux de votre père qui érige le bardage isolant pour l’hiver. Vous avez ri avec votre tante qui faisait semblant de croire à vos jeux. Je vois demain ou après-demain les rires du soulagement, je vois les hêtres qui s’alignent et se saluent jusqu’à l’océan, éternel, incertain.
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