Fraîches étaient les forêts de hêtres du Taunus (samedi, 11 août 2018)
Sur AlmaSoror, déjà, nous avions cité le chancelier de Bülow, né fils d'un diplomate danois et devenu chancelier allemand dans ce coin d'Europe où les frontières des pays semblent toujours en suspension entre deux décisions.
C'était dans cet article : Quatre gros livres près de la bouteille d'Armagnac. Il y parlait de la France multireligieuse de l'orée du XXème siècle, où imam, rabin, évêque et pasteur chantaient ensemble l'hymne patriote. Il y évoquait la douce ville allemande de Nüremberg, vierge encore des procès ultérieurs.
Voici un autre extrait de ses passionnants Mémoires, une simple description d'un paysage de son enfance dorée, cultivée et sage.
« Une des raisons pour lesquelles les visites à Rumpenheim me plaisaient, c'est qu'on traversait une contrée charmante. Le Main, belle rivière de la Franconie, n'est pas, comme le Rhin, illustre par la légende, il n'a pas coûté autant de sang, il n'a pas joué un pareil rôle historique, mais son cours tranquille le rend cher à tous ceux qui comme moi ont vécu sur ses bords aimables. Je ne connais guère de contrée plus propre à éveiller le sens des beautés naturelles, que les environs de Francfort. Le Taunus, avec ses pentes douces et ses sommets arrondis, en est assez éloigné pour ne pas paraître banal par l'accoutumance et garde ainsi des séductions toujours nouvelles. J'ai vu, depuis, le Tyrol et les Carpathes, les montagnes d'Italie et de Grèce, et surtout les Alpes de Suisse, mais aucune cime n'a autant occupé mon imagination que le Feldberg avec sa pierre de Brunhilde et que l'abrupt Altkönig, dont le sommet est entouré d'un mur de pierre érigé, dit-on, par les Germains. Combien fraîches étaient les forêts de hêtres du Taunus, combien splendide la vue qu'on avait de là-haut sur la vaste plaine, les nombreux et riches villages, les hauteurs lointaines et bleues. Souvent nous nous rendions au petit bois de Francfort, situé près de la ville, dans lequel Bismarck lui aussi aimait se promener avec sa femme et ses trois enfants. Nous allions au pavillon de chasse ou au moulin. Par un beau dimanche de Pâques mon père nous conduisit jusqu'à cette pierre où l'on dit que Goethe composa la scène de la Promenade de Pâques, dans laquelle nous voyons Faust se reposer avec son famulus Wagner, contempler dans le divin rayonnement du soir le monde paisible à ses pieds, et s'abandonner à une rêverie nostalgique et exaltante :
Quand au-dessus de nos têtes, perdue dans l'espace bleu,
L'alouette lance son chant sonore,
Quand sur les hauteurs abruptes couvertes de pins
L'aigle plane, les ailes toutes grandes,
Et que, par-dessus les plaines, par-dessus les mers,
La grue vole à tire d'ailes au pays natal ».
Chancelier Prince von Bülow, Mémoires - Tome des années 1849-1896 (traduction de Henri Bloch et Paul Roques)
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