Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 06 avril 2019

Où est la maison ?

_DSC7719.JPG
Phot Sara

Les maisons, ces lieux où l'on se sent chez soi quand le soir tombe, les maisons se perdent avec le temps, les vicissitudes de l'âge et de l'argent. Les familles, ces maisons aux recoins poussiéreux et secrets, s'accroissent et se délitent, se réunissent et s'éparpillent, pour n'être presque plus, avec le temps, les vicissitudes du cœur et de l'argent. Les livres même, tombent en quenouilles, mais on leur pardonne leur vieillesse et leurs ruines, leurs violences et leurs imperfections. Les livres demeurent, peut-être. Maisons perdues, familles éclatées, rêves pleins de joie devenus matins de gueules de bois, il fallait construire une vraie maison, une maison dont les membres sont des livres, une maison aux piliers éternels.

 

Les maisons des terres d'AlmaSoror :

La maison du fleuve

Nostalgie à l'Armagnac

Le ménage moderne

Le flot urbain

Hameaux-tombeaux, quelles tristesses ont clos tes derniers yeux-fenêtres ?

Les grillons

Les rues d'une ville de l'Ouest

L'equinoxe d'automne, l'existence d'un cahier

Le petit Lanstier

Peine de coeur

Entre deux sentiments

1999

La première porte de garage

Dernier voyage en Amérique

Aranjuez

Ta demeure

Ta lettre

Duo pour ouvrir un exode

Les gens bien

Sagesse des vélos de nuit

Chronoposologie des Orteaux

In Tlicuililt, poème nahuatl

Un petit bout de liberté, par Calélira

Entasser un nombre maximal d'êtres humains

La parole attendue

Dans la chambrée

La chambre obscure

La tourelle du hibou

L'homme et la brique

Bâtir en terrain non convoité

mardi, 07 janvier 2014

Deuil d'une illusion

 Oui, certains d'entre nous ont été exaltés dans des trains qui filaient sur des rails. Oui, le train ressemble à la liberté (il fait moins peur que l'avion), il nous emporte, son bruit nous berce, nous rêvons par la fenêtre, peut-être que quelquefois nous allumons un ordinateur vierge et que l'écriture qui coule diffère de tout ce que nos doigts avaient composé jusqu'alors.

Mais au cours d'un certain voyage, j'ai lu un article dans un livre sans intérêt sur un homme nommé Max d'Ollone, un musicien qui composa quelques opéras, tels Jean, le Retour, L’Étrangère. Sur le plan technique, il rédigea un ouvrage intitulé Le langage musical. Il vécut entre 1875 et 1959.

Au cours d'un autre voyage, j'ai découvert la Déclaration d'indépendance du Cyberespace, écrite à Davos par John Perry Barlow en 1996. Elle commence ainsi :

« Gouvernements du monde industriel, géants fatigués de chair et d'acier, je viens du cyberespace, nouvelle demeure de l'esprit. Au nom de l'avenir, je vous demande, à vous qui êtes du passé, de nous laisser tranquilles. Vous n'êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n'avez aucun droit de souveraineté sur nos lieux de rencontre.

Nous n'avons pas de gouvernement élu et nous ne sommes pas près d'en avoir un, aussi je m'adresse à vous avec la seule autorité que donne la liberté elle-même lorsqu'elle s'exprime. Je déclare que l'espace social global que nous construisons est indépendant, par nature, de la tyrannie que vous cherchez à nous imposer. Vous n'avez pas le droit moral de nous donner des ordres et vous ne disposez d'aucun moyen de contrainte que nous ayons de vraies raisons de craindre.

Les gouvernements tirent leur pouvoir légitime du consentement des gouvernés. Vous ne nous l'avez pas demandé et nous ne vous l'avons pas donné. Vous n'avez pas été conviés ».

Just a perfect day, chantait Lou Reed, et c'est parfois vrai des jours où nous prenons le train. Mais pourquoi ai-je les larmes aux yeux en écrivant ces lignes ? Parce que j'ai trente-cinq ans, comme je pourrais en avoir seize ou quatre-vingt-douze. La vie dépasse mon entendement. Mon propre être m'est hermétique : qu'y comprends-je ?

Un crooner de notre époque chante dans des micros :

Par les escalators s'en vont les voyageurs
Pâles Conquistadors aux premières lueurs

Je n'ai jamais aimé l'entrée des villes, car j'ai vécu à l'époque du béton, de la ferraille et des graffitis sans élégance. Quand les trains entrent en ville, c'est la laideur du monde qui se rappelle à notre trop bon souvenir.

Je m'en vais bien avant l'heure
Je m'en vais bien avant de te trahir...

C'est une chanson entendue dans un supermarché breton qui revient – c'était à Saint-Brieuc et je hantais la ville sur les traces d'une vieille famille de l'Ouest : des tantes catholiques entrées dans des couvents car dernières d'une trop longue fratrie ou devenues veuves. Je portais des blue-jeans et des chandails à col roulé sur les traces de ces femmes en longues robes bleu-marine.

Je m'en vais en te voyant sourire.

Plus l’État est puissant, plus la famille décline ; mais si l’État décline, la famille se déploie. Plus la tradition est respectée, plus la pensée est libre. Mais s'il n'y a plus ni homme, ni femme, ni jeune, ni vieux, ni monogamie, ni armée, ni prières, alors la pensée devient surveillée par les tours de contrôle et les sentinelles du Palais de l'Administration.

Je n'ai aimé que toi. Je t'embrasse jusqu'à en mourir.

Oh, tu me crois amère ; tu lis dans mes yeux l'aigre des dépit des enfants qui ont cru, des adolescents qui découvrent, des adultes qui renoncent. Tu me crois démunie, tu me crois triste, tu lis mes phrases et tu dis : son cœur saigne le fiel.

Le fiel ? Non, toi qui me lis, toi qui m'écoutes et que je ne connais pas, toi dont j'ignore la présence, toi qui me juge, j'ai laissé mon fiel couler jusqu'à la fin de la plaie, dans une vieille église du septième arrondissement de Paris. Et depuis, crois-moi, le chant des oiseaux me suffit.

C'était dans un dernier train, ç’aurait pu être le dernier train du monde, mais c'était le dernier train du jour. Il faisait nuit. J'imaginais par les vitres noires des chiens et des loups dans des forêts noires, j'imaginais le vieil ours d'Europe, brun avec sa bosse sur le cou. Le poème d'un vieux prêtre breton parti au Québec et la musique d'un gentil guitariste d'origine grecque frappaient les tambours de mes organes, tiraient les cordes de mes tripes. Le tango était beau, le souffle profond, la nuit rapide, le train ultime.

C'était le grand retour des Sortilèges

 

jeudi, 12 septembre 2013

Ange - de l'abandon des chiens

 SAM_3694.JPG

Les abandons de chiens ne sont pas rares et se ressemblent. Le chiot grandit parmi des êtres humains ; il apprend à aimer ces êtres bizarres qui se tiennent debout sur leurs pattes arrière. Un jour, les humains énervés par une bêtise décident d’en finir avec cet aboyeur gênant. Ils le portent à un refuge ou l’attachent à un arbre sur le bord de la route. Le cœur du chien s’emplit de tristesse.

La suite de l’histoire est incertaine. Certains chiens passent toute leur vie dans un chenil. D’autres sont tués. D’autres rencontrent de nouveaux humains qui essaient de les consoler.

Ce chien-là s’appelait Ange. Au bord d’une route, le père l’avait attaché à un poteau électrique, pendant que la mère distrayait les enfants pour qu’ils ne se s’aperçoivent de rien. La voiture était repartie en trombe, et Ange était resté attaché.

Pendant trente jours et trente nuits, les enfants demandèrent où leur ami avait disparu. On leur dit qu’il s’était enfui parce qu’il était tombé amoureux. Mais ils ne le crurent pas. On leur dit qu’il avait trouvé un copain. Mais ils ne le crurent pas. On leur dit que s’ils continuaient à demander, ils recevraient une bonne torgnole.

Ils le crurent.

Après avoir hurlé jusqu’au fond de la nuit, Ange s’écroula de fatigue au pied du poteau, dans le froid de la nuit automnale. Il s’endormit.

Au petit matin, il réussit à détacher la laisse du poteau. Il était seul, au bord de la route déserte : aucun humain, aucune bête ne passait aux alentours. Il s’élança en courant sur la route.

Il partit dans la direction qu’avait prit la voiture de sa famille bien aimée. Son corps, son cœur et son esprit s’accrochaient à cette idée : retrouver ses humains. Peu importait si leur cruauté lui donnait une douleur insupportable.

A bout de souffle, le corps meurtri, il courut sur le bord de l’autoroute depuis l’aube jusqu’au soir.

Au bout de cette course effrénée, il aperçut quelque chose de magnifique dans le ciel lointain. C’était le soleil, qui voulait se coucher, et s’installait confortablement sur l’horizon. Une tâche rouge traversa l’astre fatigué, comme un sourire, et Ange crut que le soleil l'invitait à venir dormir auprès de lui. Ému, il reprit une dernière fois son souffle, et courut vers ce grand frère jaune. L’horizon ressemblait à un lit, douillet et moelleux. Ange se dépêchait, et songeait que lorsqu’il serait au creux de ce lit, tout au bout du ciel, il pourrait boire un peu d’océan et manger des nuages. Il courut de plus en plus vite, chargé d’espoir.

Quand il vit qu’un grand chien attendait dans le soleil, et frétillait de la queue en le voyant venir, prêt à jouer, il sentit une joie chaude envahir son cœur. Cela lui donna des ailes, à lui qui courait depuis l’aube.

Heureux, dans un dernier élan, Ange plongea dans le soleil.

 

samedi, 10 septembre 2011

Familles, fières de vos mensonges

 

Aux oncles et tantes, aux grands-parents, à leurs curés, à ceux qui nous ont saboté notre jeunesse.

chez tante Marthe.jpg

Vous avez renoncé à vos rêves, à vos corps, à vos promesses ;

l'adolescence au tombeau, vous marchez à côté de vos chaussures cirées

Vous donnez des jugements, des petites phrases qui tuent et que vous croyez bonnes ;

vous n'avez pas eu le courage de la révolte que vous sentiez poindre, alors vous avez revêtu l'aube qu'on vous tendait, vous avez enfilé la cravate, la jupe longue, vous avez fermé la porte des départs.

Ceux qui vivent et ceux qui se détruisent vous font également peur. Vous chassez leurs images et méprisez leurs rires comme leurs larmes

vous jugez selon le monde fermé de votre esprit et vous appelez cela vivre selon Dieu ou bien vivre selon le Bien, et ceux qui ne vous ressemblent pas, vous les haïssez et leur imputez tous les crimes du monde.

Votre morale est un écran de fumée. C'est la lâcheté qui l'édifie en vous. D'autres vivent leurs choix selon la morale des dieux, dans leur faiblesse ils invoquent le courage et sautent le pas spirituel, mais vous ne pouvez pas le voir, vous ne reconnaissez pas leur vertu à cheval entre la fragilité et la liberté ; vous ne voyez que vos agissements conformes aux ordres de vos chefs, et vous ignorez toute qualité chez ceux qui agissent en vérité. Les bêtes vous paraissent inférieures à vous mêmes, les enfants vous paraissent coupables et seuls ceux qui courbent la tête trouvent grâce à vos yeux.

 

Les mères fières de leurs fils scouts marins
et de leur implication paroissiale,
à 15 ans leurs fils les haïssent et se vengent sur des filles qui ne leur ressembleront jamais,
immondes fils qui deviendront raides comme le chêne et lâche comme le roseau,
dignes héritiers d'un monde mort où les gestes sont conformes, les idées, confinées dans la mesure, et les cœurs, absents.

 

Les pères avancent, sérieux dans leurs habits d'hommes responsables. Ils suivent les règles et lorsque les chaînes disparaissent, le temps d'un instant, de deux heures ou de deux mois, ils se débondent. Puis le joug réapparaît ; la tête s'incline à nouveau ; ils adhèrent à un monde mort, aux idées d'hier, et se croient novateurs. Leur responsabilité tient par la colonne vertébrale extérieure : leur échine, aussi souple que leur uniforme est raide, se courbe sous les ordres d'en haut et leurs ordres vengeurs vers le bas témoignent de l'horreur hiérarchique du pouvoir. La structure de leur monde leur convient ; ils ont opté pour un bonheur prévu et quand l'image d'un ancien rêve trouble leur vue, ils détournent le regard.

 

Edith de CL, 29 septembre 2011, fini à 20h59

mardi, 25 novembre 2008

Lettre d'amour de droite

Chère Grand-Mère,

 

Si le remords avait du poids, cette lettre pèserait lourd. Depuis des années que je ne suis pas revenue vous voir, vous devez vous sentir seule, abandonnée.

Cela fait quatre ans que vous n’avez reçu de mes nouvelles. Suis-je une petite fille indigne ? Oui.

Pourtant, je n’ai cessé de penser à vous et de vous aimer.

L’impossibilité de vivre parmi les nôtres m’a poussée loin de notre monde, Grand-Mère. J’ai bien trahi vos enseignements, j’ai trahi nos idées. Ai-je eu le choix ?

Dans une bande dessinée de Hugo Pratt, quelques minutes avant de passer devant le peloton d’exécution,
le marin allemand Slutter dit: « Les Anglais me fusillent parce que j’ai obéi aux ordres de mon commandant, et les Allemands m’auraient fusillé si je ne leur avait pas obéi ».

Ces soldats allemands ou français de la deuxième guerre mondiale étaient cernés. Quoi qu’ils fassent, malgré leur abnégation et tout leur courage, ils étaient des traîtres. C’étaient des hommes traqués.

Ceux qui sont comme moi sont traqués par une marque qui se trouve à l’intérieur d’eux-mêmes. Où qu’ils aillent, ils seront toujours rejetés parce qu’aucune place ne leur est réservée : ils font peur.

Voilà pourquoi je suis partie.

Je suis descendue à Paris.

J’ai vécu à Paris puis à Berlin, puis à Zurich, et à nouveau à Paris. J’ai connu des gens très différents : des gens de gauche.

J’ai aimé certains d’entre eux, j’ai appris des choses. Mais souvent, j’ai été terrassée par leur nullité. Ces gens croient qu’ils inventent la liberté lorsqu’ils foulent à leurs pieds deux mille ans de culture chrétienne et européenne. Ils pensent inventer le monde lorsqu’ils crachent des mauvaises phrases dans des livres, des films ou des disques qui ne voient le jour que parce qu’ils baignent dans cet argent qu’ils disent détester.
Ils confondent tout ce qu’ils n’aiment pas dans un sac pratique et idiot, qu’ils appellent « bourgeoisie ». Riches, ils se veulent pauvres. Méprisants, ils se veulent populistes. Snobs, ils se croient populaires. Antipatriotiques et antireligieux, ils croient sauver le corps et l’esprit des gens. Ils haïssent le catholicisme, la tradition, qu’ils ne connaissent pas. Ils en parlent avec autant de bêtise qu’un catholique de droite parle des luttes communistes ou féministes : l’ignorance nous tuera tous.

La solitude que j’ai éprouvée parmi eux, je l’avais éprouvée aussi parmi mes cousins et aux scouts. Je l’avais éprouvée toute ma prime jeunesse, dans notre monde à nous, Grand-Mère. Comment pourriez-vous l’ignorer ?

Vous saviez mon secret. Vous ne m’en avez jamais parlé. Vous saviez que j’étais morte pour la seule vie que notre milieu me réservait. Mais vous ne disiez rien, et parfois vous me regardiez pleurer en tremblant. Votre chagrin était réel ; votre amour était réel. Mais vous n’aviez rien à me proposer, rien d’autre qu’un renoncement à tout bonheur, à tout espoir.

J’ai vécu ainsi parmi ces amis de gauche, sans Dieu, sans foi, qui ne savaient rien de ce que je pensais vraiment, à qui je ne pouvais parler de vous parce qu’ils vous auraient méconnue. Ils sont universitaires, professeurs, journalistes, artistes, avocats, et ils sont misérables. Vides de culture et vides de religion, ils ne connaissent que la gloire d’être de leur temps et passent leurs journées à oublier qu’ils vont mourir un jour. Mais au fond, dans n'importe quel univers, le même petit nombre de gens recèle cette grandeur d’âme –même s’ils n’y croient pas, à cette âme-, qui relève le malheureux et embellit le gris des jours. Quelles que soient leurs idées, leurs croyances, ce sont des anges. Il ne faut pas leur dire qu’ils sont des anges parce qu’ils ne comprendraient pas. Il faut juste les laisser être des anges et tenter de leur rendre un peu de la fraternité qu’ils vous offrent. Parmi ceux-là, j’ai trouvé des oreilles et j’ai dit mon secret. J’ai été tolérée, ce qui ne me serait pas arrivé chez nous, Grand-Mère. Vous savez bien. Parmi mes frères et sœurs hermaphrodites, il y a beaucoup de gens que je n’aime pas ; il y en a quelques uns qui auraient voulu comme moi vivre selon les valeurs qu’ils ont reçues dans leur berceau. Mais leur particularité les a privés d’une telle vie où la famille, la religion et le travail de la terre rythme le temps.

Je suis revenue vivre à la maison de Rébusseyt, au bord de la Marne, où vous veniez chaque été. Je vis seule dans cette grande maison et je pense à vous chaque jour.

Vous avez été ma seule amie. Vous êtes la personne humaine qui m’a aimée et nourrie. Ma vie aura passé mieux grâce à vous.

Adieu Grand-Mère. Si vous me répondez, nous nous reverrons peut-être. Je sais que vous serez heureuse si
je finis ma lettre avec les plus beaux mots du monde : Ave Maria, gratia plena, dominus tecum…
Je vous salue Marie pleine de grâce, le seigneur est avec vous.

Benedicta tu in mulieribus et benedictus fructus ventris tui Iesus. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus le fruit de vos entrailles est béni. Sancta Maria, mater Dei, ora pro nobis peccatoribus nunc et in hora mortis nostrae… Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pêcheurs, maintenant et à l’heure de notre mort… Vos lèvres auront prié en lisant ma prière. Nous sommes ensemble, Grand-Mère chérie. Dans les bras de Dieu.

 

Esther Mar