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jeudi, 29 mai 2014

Chaque jour que Dieu fait

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Mais comment, mais comment, mais comment vivre ?

Je précise d'emblée que j'ai de la chance, pas à me plaindre, etc.

Je le précise, d'abord parce que c'est vrai : je marche, j'entends, je vois, certaines personnes m'aiment, je mange à ma faim, je bois à ma soif (et parfois plus), je vois la lumière du jour et j'ai où crécher entre deux villes, l'une océanique, l'autre métropolitique. Last but not least, j'ai la chance de recevoir des visites d'amis inconnus, frères-soeurs lointains, sur le blog d'AlmaSoror.

Je le précise en outre parce qu'il m'est arrivé plusieurs fois de me faire remettre à ma place (ah ah ah ! ma place ! laquelle donc ?) par des gens sérieux, qui, comme ils disent, "ont des responsabilités".

Par une fin d'après-midi du mois de février, à Beaune, dans un bâtiment situé avenue du Parc, non loin du square de la Bouzaise, on m'a expliqué que je ne pouvais rien juger de la vie et du monde puisque je n'avais pas d'enfants. Seuls ceux qui ont des enfants savent ce que c'est que de vivre. Ainsi que ceux, me précisa-t-on, qui ont des handicaps. Ah ! bon.

Je n'ai ni enfant, ni handicap (j'ai bien deux fils imaginaires, Hugues et Dylan, et des handicaps réels au fond de mon âme, mais tout cela ne compte pas pour la mesure objective des responsabilités et de la connaissance de la vie réelle), je n'ai donc pas voix au chapitre sérieux.

Néanmoins, j'existe, je persiste à ressentir, éprouver, faire des choix, aimer la marmaille bien réelle  qui gravite autour de moi, et faire de temps à autre des coups de blues (que j'arrive peu à peu à esthétiser, à rendre de plus en plus romantiques, et donc, plus appréciables, moins douloureux). Comme donc j'ai des désirs d'expression personnelle et des pensées sur le monde, je me donne voix au chapitre, quitte à ce qu'il soit arraché du grand livre sérieux de la vie.

Oui, car, j'ai beau crouler sous des cascades de chance et de bonne fortune et être dénuée de toute forme de responsabilité, reste qu'un matin sur trois, au fond d'un trou invisible (bien qu'apparemment installée sur une chaise), je m'interroge : mais comment donc pourrais-je vivre ? Je cherche à éliminer ou surmonter ou transmuter cette sorte de bourrasque de déprime qui me tombe dessus tous les quatre matins et qui, parfois, met plusieurs heures à se dissiper. Dans ces moments là, c'est comme s'il m'était impossible de vivre.

Je scrute alors le ciel et me demande comment est-ce possible que j'arrive à ne pas vivre légèrement sous une si belle couche atmosphérique, un firmament infini, capable à d'autres moments de me transporter de bonheur. Soljenitsyne m'interpelle :

Voilà, en somme, la liberté, l'unique liberté, mais aussi la plus précieuse, dont nous prive la prison: pouvoir respirer ainsi, pouvoir respirer dans un endroit comme celui-ci. Aucune nourriture terrestre, aucun vin, aucun baiser de femme, même, n'est pour moi plus doux que cet air ivre de floraison, d'humidité, de fraîcheur.
Peu importe que ceci ne soit qu'un minuscule jardin, resserré entre les cages à fauves de maisons de quatre étages.
Je cesse d'entendre les pétarades des motocylettes, les vociférations des postes de radio, les crachements des haut-parleurs. Tant qu'on peut encore respirer, après la pluie, sous un pommier, on peut encore vivre! 

Le clocher de Kaliazine

Et c'est vrai qu'on peut vivre sous un bout de branche de pommier dans une courette après la petite bruine, on le peut.

Mais je me souviens d'un après-midi dans le jardin du 13, boulevard du Montparnasse. Un homme, un ami cher, était assis sous le cerisier en fleurs d'un assez grand jardin, au printemps. Il n'avait pas plu depuis quelques jours. Sa tête fermée, ses membres crispés, il attendait on ne savait quoi. Il était comme enfermé à l'intérieur de lui-même ; sa tête était une prison dont il ne pouvait s'évader, et aucun de nous n'était jamais parvenu à le sortir d'un état pareil. Il fallait attendre qu'il s'en sorte tout seul, ou que les barreaux de la prison interne cèdent d'eux-mêmes, sous la pression. Du reste, nous avions tous plus ou moins peur de lui, lui qui à d'autres moments se montrait si charmant. Face à cette image d'un homme libre en cage, j'avais mis en doute la phrase de Soljenitsyne.

Je l'ai à nouveau mise en doute il y a quelques jours, ici-même, face à un autre visage, une autre histoire, une autre souffrance dans un bel appartement où rien ne laissait présager le malheur.

J'entends les gens responsables et sérieux m'annoncer que, tonnerre de Brest ! Si ces gens souffrent, c'est qu'ils sont riches et trop gâtés par la vie !

Ces braves défenseurs d'un peuple laborieux, miséreux et plein de joie, n'ont semble-t-il jamais connu la moindre famille sans-le-sou. On y trouve, autant que chez les riches, des dépressifs, des désespérés, des ultrasensibles, des pervers, des loufoques, des fantaisistes, des paresseux, des exaltés, des mystiques et des maniaques.

Non, vraiment, cette douleur de la cage interne est proprement humaine, ou en tout cas universellement humaine (car le malheur moral n'est pas inconnu des autres espèces animales, et particulièrement lorsqu'elles sont arrachées à leur terrain de vie sauvage).

Bref, comment vivre ? Comment vivre sans en crever ?

Si j'écoute les questions qu'on me pose et me repose sans cesse, si je tente de mener ma vie selon ce qui semble parler aux foules intelligentes et sensées, il faut, dès à présent, que je me confectionne une vie au plus proche des cases prévues par l'Insee. Foyer fiscal, catégorie socio-professionnelle, type d'emploi, pacs ou mariage, au fond, c'est comme si, une fois ma définition sociale trouvée, tout serait accompli.

- Tout est accompli, c'est une des sept dernières phrases que le Christ prononça sur la croix - qu'on traduit encore par : tout est consommé.

Il avait dit encore : "j'ai soif", et les lyncheurs lui avaient alors proposé du vinaigre à boire.

Mes amis, j'ai connu ou tout au moins j'ai touché, à certains moments, la perfection Insee au sein de ma propre vie, et je lui ai trouvé un arrière-goût de vinaigre.

Beaucoup de personnes m'interrogent, m'assommant de questions visant à me faire cracher des informations sur mon état-civil, ma profession, mon habitation, afin de cerner, au mieux, l'état de ma vie privée et celui de mon compte bancaire. Je ne sais que répondre. La vérité ? Elle ne les satisfait pas. Les questions rebondissent, des précisions sont exigées. Du baratin ? Il ne me satisfait pas, et même, il m'épuise. "Je m'intéresse à toi", m'explique-t-on. A moi ? Mais non, ce n'est pas moi. Moi, ce n'est pas cela.

Alors, en retour je vous ai interrogés, ceux d'entre vous que je connais le mieux, je vous ai demandé si vous aviez, vous aussi, à certains moments, des attaques dévorantes, des monstres invisibles avalant sans pitié l'amour de vivre.

Aucun de vous, diplômés, sans diplômes, bien payés, au chômage, aventureux, casaniers, drôles, déprimants, sportifs, habitués des hamacs, renommés, inconnus, boute-en-train, discrets, habillés avec une élégance raffinée, engoncés dans des chandails sales, idéologues, louvoyeurs, aucun de vous, ne me répondit clairement par OUI ou par NON.

Aucun de vous ne me répondit : oui, j'ai de très grosses baisses de moral durant lesquelles j'ai envie de me jeter par la fenêtre ou de me taper contre les murs.

Mais aucun de vous ne me répondit : de quoi parles-tu donc ? Je ne vois pas ce que tu veux dire. Le moral ? Oh, ça va ça vient, mais quel est le problème ?

En revanche, presque chacun d'entre vous m'expliqua qu'il fallait certaines conditions pour ne pas que tout s'écroule : travailler ; être en vacances ; prendre tel somnifère ou tel médicament ; partir le weekend ; un massage par semaine ; l'alcool ; l'argent ; les fringues ; le sexe ; la prière ; le regard des autres le samedi soir ; que le portable sonne au moins deux fois dans la soirée ; la connexion à un réseau social en ligne, ou, au contraire, la déconnexion totale sous peine d'écroulement moral ; une publication par an ; courir ; nager ; une psychanalyse ; un chat ; la voile.

(Seuls certains restèrent silencieux, scrutant mon regard, ne me répondant pas, attendant je ne sais quoi. L'un d'eux me remercia plusieurs fois au cours de la semaine suivante pour ce café très chaleureux à la gare du Nord).

Les mêmes phrases sans fard ni phare, revenaient. "Je ne pourrais pas vivre sans..." ; "quand je n'ai plus cela, mon existence est vide" ; "Si je ne fais pas cela je succombe".

Qu'est-ce que vivre, et qu'est-ce que succomber ? Pourquoi vivre et comment ne pas tomber ? Où tombe-t-on quand on tombe ?

Je repensais à l'expérience intérieure, qui consiste à ouvrir les portes de la perception et faire connaissance avec les sensations qu'offre l'instant présent.

Dès que je m'éloigne de cette expérience intérieure, de ma propre vision du monde, de mon rêve intérieur, j'agis sous la pression sociale en vue de me rapprocher des cases Insee et je me sens envahie par la nullité de la vie quotidienne administrée. Car dans ce monde très organisé et complètement chaotique (excusez l'oxymore facile), suivre les règles revient, soit à dominer ses semblables en s'extirpant de l'esclavage du métro-boulot-dodo (par un métro transformé en voiture de luxe, un boulot au temps variable, aux longs déjeuners dans de bons restaurants payés par l'entreprise ou par le ministère, un dodo dans un bel appartement confortable et, souvent, dans des villas de plaisance), soit à les rejoindre dans ce métro-boulot-dodo chronophage sans respiration, épuisants pour la santé et, de ce fait, difficile à conjuguer avec une certaine joie de vivre. Ce métro-boulot-dodo qui maintient les têtes sous l'eau et ne les laisse respirer que pour qu'elles soient encore assez vivantes pour replonger.

A tout prendre, je préfère la première solution, l'extirpation par le haut. La concurrence est rude, l'amélioration progressive des conditions de vie est difficile à obtenir, on peut tout au moins, si l'on ne part pas trop plombé, s'en rapprocher par des tactiques d'ambition, la persévérance, la mise en œuvre de stratégies sociales bien pensées. Cela demande de l'énergie et j'obtiendrai d'un tel effort, peut-être plus de plaisirs, sûrement plus de confort - mais pas plus de bonheur (j'ai gardé en bouche le goût de vinaigre).

Je me souviens que je suis née pour un laps de temps infiniment court, que je vais mourir un jour. J'ai des rêves et des crises de désespoir, et quelquefois, je me demande s'ils ne sont pas les deux faces d'une même pièce d'or. Une pièce d'or qui ne s'échangerait pas sur le marché de l'or, parce que c'est un or trop pur pour être mesuré sur des balances.

Pourtant, en dehors des clous, comme un oiseau sur la branche, suis-je prête à me demander, chaque jour que Dieu fait : "mais comment, mais comment, mais comment vivre ?"

Y suis-je vraiment prête ?

 

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dimanche, 10 février 2013

Ces bêtes qu’on abat : Que faire ?

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


 

Que faire ?

 

Dans les élevages intensifs et concentrationnaires, une tenue réglementaire est indispensable : combinaison propre, bottes passées dans un bac à pédiluve pour détruire tout microbe, charlotte pour les cheveux. Il est même des lieux d’élevage où une pancarte mentionne l’interdiction à toute personne d’entrer, hormis le propriétaire, les salariés, ou les services vétérinaires. Ces mesures sont prises pour éviter toute contamination par des microbes provenant de l’extérieur. Le milieu est aseptisé. L’argument avancé est le souci sanitaire et notre sécurité alimentaire. Mais la face cachée est la misère animale. Les conditions d’élevages déplorables, la sélection génétique ont rendu les animaux si faibles, que même la poussière est à combattre. Les animaux, machines à viande, sont si fragiles, par manque d’immunité naturelle, qu’ils attrapent n’importe quelle maladie.

 

Ici, l’élevage ne consiste pas à mener à l’âge adulte, mais à faire grossir, à développer de la chair, à faire de la viande. L’animal n’est rien d’autre qu’une chose à produire de la viande. Les éleveurs raisonnent en GMQ (Gain Moyen Quotidien), ce qui correspond à la prise de poids en grammes par jour. Par exemple, pour un jeune porc qui va entrer en phase d’engraissement, et qui est maintenu en bâtiment dans le noir complet, sur un sol en caillebotis, s’il a un poids de 36,89 kg à sa date d’entrée, et s’il en ressort pour l’abattoir avec un poids moyen de 123 kilos, l’éleveur déterminera le GMQ de 916 grammes atteint par jour. Ce GMQ est très maîtrisé. La nourriture est programmée et donnée en conséquence, en contrôlant l’IC (l’Indice de Consommation), c’est-à-dire la quantité d’aliment nécessaire pour que l’animal grossisse d’un kilogramme. La prise de poids est maîtrisée par la seule alimentation dans un contexte d’élevage où l’animal n’a aucune activité physique. Il est inutile de donner trop d’aliment, même si l’animal a encore faim, car il y a un seuil à partir duquel l’aliment se transformerait en graisse et non en viande ; or ce qui est valorisé en « poids carcasse » à l’abattoir, c’est la viande. Sur le site Web d’un éleveur porcin, on peut lire que « le but de l'élevage porcin est de produire à moindre coût et dans les meilleures conditions possibles des porcs charcutiers d'environ 110 Kg de poids vif destinés à l'abattoir et à la transformation en charcuterie ». Voilà qui a le mérite d’être clair. Ce qui pousse également l’éleveur à obtenir un porc sans gras, c’est l’indice exigé par les abatteurs / transformateurs : le TVM (Taux de Viandes Maigres). L’abatteur / transformateur a un cahier des charges qui répond à un certain système de transformation et de résultat de produits finis. L’animal, surtout le porc, n’est qu’une chose, une sorte de matière première prise dans un processus de transformation en produits finis et standardisés.

 

Pour l’élevage des taurillons, les éleveurs maîtrisent assez bien le GMQ et l’IC. Les animaux sont élevés en groupes dans des étables. Ils sont parqués dans des cases, suivant leur âge et leur stade de développement. On ne mélangera pas les jeunes et les moins jeunes, la quantité de nourriture n’est pas la même. Les taurillons en cases sont rigoureusement suivis quant à leur GMQ. Ce sont des bêtes à viande. Ils doivent produire du muscle le plus vite possible, mais l’inactivité ne doit pas favoriser la prise de graisse. C’est pourquoi leur aliment est là aussi rationné. Si les taurillons se dépensaient en se déplaçant dans le pré, ils consommeraient leur nourriture pour la transformer en énergie, et donc perdraient en GMQ. Il faudrait alors leur donner plus à manger pour avoir la même chose. Leur seul bien-être qui leur soit accordé, sans être toutefois une obligation réglementaire, c’est la garniture de paille de leur lieu de vie, à la place du caillebotis qui était utilisé couramment.

 

Ce n’est certes pas toujours facile pour les éleveurs. Ils raisonnent en termes de coût et de recette, ce sont des gestionnaires, des chefs d’entreprises. Suivant le coût de l’aliment, le cours des viandes, le classement de la carcasse à l’abattoir, tel revenu sera obtenu. Les éleveurs payent leurs charges, leurs factures, puis il leur reste une part de bénéfice ou pas.

 

Les porcs charcutiers dans les élevages intensifs ont la vie pénible, contrairement à ceux élevés en bio, en plein air, ou en élevage fermier. Leur activité se limite à… l’engraissement dans des centres d’engraissement. Ils sont engraissés dans des bâtiments fermés, aseptisés, sans lumière, trop souvent dans le noir, sans activité possible. Des méthodes d’élevage pourtant validées par l’INRA (Institut National de Recherche Agroalimentaire) et l’ITP (Institut Technique du Porc). Mieux vaut une croissance d’un animal élevé sur paille, à la lumière du jour, ou en plein air. En élevage intensif, n’ayant aucune activité et étant stressés par le surnombre, les porcs ont la queue coupée afin d’éviter les morsures mutuelles. Ils n’ont en effet que cette occupation : se mordre, ce qui indique leur mal-être. Ce n’est pas la blessure douloureuse en tant que telle qui pose problème au producteur, mais le risque d’infection, la nécrose qui pourrait entraîner la perte financière de l’animal, et la saisie en abattoir. Dans de telles conditions de survie, les animaux sont littéralement gavés d’antibiotiques. En production porcine, les antibiotiques sont utilisés pour traiter des animaux malades, mais le plus souvent pour prévenir des maladies ou pour favoriser la croissance des porcs et améliorer l’indice de conversion alimentaire. Mais la mortalité est malgré tout importante. Chaque fois que je visitais des élevages de porcs, je voyais quelques porcs morts mis à l’écart. Alors que récemment lors de la visite d’un élevage bio de porcs en Mayenne, je n’ai vu aucun cadavre. Ni même dans l’élevage alternatif où j’étais en stage pendant plusieurs semaines. Les porcs étaient élevés sur de la paille, en bâtiments ouverts, laissant la lumière du jour, l’air et le vent y circuler. Durant mon stage, aucun animal n’est mort, aucune truie n’est tombée malade ni ne s’est blessée, excepté les quelques porcelets mort-nés ou trop chétifs pour survivre. J’ai pu constater la différence entre l’état physique de porcs élevés dans de bonnes conditions et celui de porcs élevés de manière intensive. L’œil est plus vif, l’animal plus vigoureux ; les porcs sont moins craintifs, ce sont des animaux qui respirent la vie. Alors qu’en élevage intensif, ils ont peur de l’homme, l’œil est triste, une ambiance mortuaire émane de ces élevages. Les jeunes cochons y passent environ un mois en sevrage et trois mois en engraissement. S’ils devaient y passer plus de temps, je pense qu’ils y mourraient au fur et à mesure. Malheureusement pour eux, comme pour les volailles en intensif, l’abattoir est une délivrance, la fin de leur misérable vie.

 

Les porcs ont une triste existence, notamment dans le grand Ouest et surtout en Bretagne, qui est spécialisée dans l’élevage intensif et concentrationnaire. Ces formes d’élevage sont légales, puisque la loi ne les interdit pas. Ils bénéficient d’une sorte de bienveillance de la part des autorités que sont nos gouvernements successifs, les services vétérinaires, et même les différents vétérinaires des groupements ou coopératives des producteurs. Le Comité scientifique de la commission européenne s’est pourtant clairement prononcé : « l’élevage intensif des porcs est préjudiciable à leur bien-être ». D’un seul coup d’œil, je pouvais dire, en le voyant à l’abattoir, de quel type d’élevage provenait le porc : d’un système intensif en bâtiment clos ou d’un élevage en plein air. Les tueurs me disaient préférer abattre les porcs d’élevage intensif : plus fragiles, ils sont plus faciles à abattre que les autres. J’ai moi-même élevé des porcs dans mon adolescence, et je connais bien les animaux. Je me préoccupais déjà de leur bien-être, alors que je ne savais même ce qu’était la protection animale. Lors d’une conférence en Alsace, un vétérinaire disait que les truies et les porcs étaient bien traités dans ce genre d’élevage industriel. Je l’ai interrompu, car il avait eu le culot de dire que les animaux bénéficiaient même d’une ventilation ! J’ai pu expliquer à l’assemblée ce qu’était en réalité un élevage intensif pour porcs, et que bénéficier de ventilation n’était pas un signe de bonne volonté du producteur pour favoriser un mieux-être, mais une nécessité : il faut réguler la température dans un milieu confiné. Cela apportait également un peu d’oxygène dans un environnement irrespirable. En effet, le lisier colle aux pattes des cochons, le sol en caillebotis laisse passer les urines et les déjections dans des bacs de récupération, où elles macèrent…

 

Des millions de porcs sont passés et passent encore dans ces systèmes d’élevage, pour finir dans nos assiettes. Lors de la crise de la vache folle, qui avait porté à la connaissance des journalistes ce type d’élevage, un producteur avait répondu que lui ne mangeait pas la viande de ses propres porcs, ce qui avait valu un dessin dans la presse. L’éleveur disait : « Je ne suis pas fou, je ne mange pas les porcs que je produis ! ». Comment notre corps transforme-t-il un produit issu d’animaux ayant souffert toute leur vie ? Si lors de l’ingestion, il ne semble pas y avoir de mal en apparence, n’y en a t-il pas sous une autre forme ?

 

Si le consommateur n’a aucune idée de ce que sont ces élevages industriels, comment peut-il prendre conscience du problème ? Si vous visitiez un élevage de poules pondeuses en batteries, et si le producteur vous offrait des œufs à la sortie, voire une poule à manger, vous n’y toucheriez pas, car vous seriez dégoûté. En Alsace, un éleveur de porcs sur paille organise des journées portes ouvertes au public. Comme il n’a rien à cacher, il laisse les gens venir voir son élevage, et cela toute l’année s’il y a des demandes. En réaction, la filière intensive de porcs avait organisé également une porte ouverte, mais en appelant cela la « Fête du cochon ». Les portes étaient effectivement ouvertes, mais dans certains endroits, l’on ne pouvait même pas dépasser le seuil de la porte. Notamment en maternité et dans la partie des truies gestantes. Alors que chez le précédent, les enfants pouvaient caresser les animaux. Dans l’élevage industriel, certes, le public a pu voir des salles très propres, des cases et des sols très propres, tant le moindre excrément avait été enlevé. Tout avait été nettoyé à l’eau pulvérisée à haute pression, mais pas un brin de paille à l’horizon. Les animaux reposaient sur des sols ajourés pour laisser passer les excréments et les urines. Ces sols ne sont pas adaptés aux onglons des cochons, ce qui leur pose des problèmes d’aplomb ; parfois les onglons restent coincés dans les rayures du caillebotis. De plus la paille présente un intérêt écologique car lorsqu’elle est répandue dans les champs, elle permet une transformation lente des déjections sans polluer le sol, les nappes phréatiques, et les rivières par le ruissellement des eaux.

 

Les truies étaient immobilisées dans des stalles, cages en fer où elles ne pouvaient que se lever ou se coucher. Au final, les gens étaient en fait consternés de voir qu’on pouvait détenir des animaux dans de telles conditions. Pour couronner le tout, lors de cette fameuse porte ouverte de l’élevage intensif, un masquant d’odeur avait été répandu partout pour cacher l’irrespirable odeur d’ammoniaque.

 

Si vous voulez vraiment faire quelque chose pour les animaux dits de boucherie, le mieux est de ne plus les manger. De ne plus acheter de viande en pensant aux 3 millions d’animaux abattus par jour en France. C’est le plus beau cadeau que l’on puisse faire aux animaux. Certes, c’est un peu radical, mais c’est une solution pacifique. Si vous pensez ne pas pouvoir vous passer de la viande, dans ce cas, choisissez bien vos produits, car le plus grand responsable n’est pas forcément le producteur en élevage intensif, le producteur de foie gras qui cloisonne les canards dans de minuscules cages, ou les abattoirs où des dérives sont parfois exercées. Non, le premier responsable est le consommateur qui achète les produits qui en découlent. Si vous ne pouvez pas faire autrement que d’acheter de la viande à bas prix issue d’élevage intensif, je dirais que d’une part nous ne sommes pas obligés d’acheter de la viande, et d’autre part, au lieu de choisir deux ou trois poulets pas chers, n’en achetez qu’un « label Rouge » ou « Bio ». Certainement, cela a un coût dissuasif pour nombre de personnes, mais il n’est pas indispensable de manger beaucoup de viande, puisque l’on peut s’en passer totalement. Le nombre croissant de végétariens le prouve ! Préférez au moins les produits d’élevage plein air, les produits bio, ceux d’élevages alternatifs. Mais je conçois que pour s’y retrouver, il faut s’armer de patience, lire les étiquettes, s’intéresser de près aux produits, à leur provenance, et déjouer les pièges marketing qui induisent en erreur les consommateurs avec la bénédiction des pouvoirs publiques. Par exemple, une marque alsacienne d’œufs affiche en grand dans les magasins commercialisant leurs œufs : « R…, les œufs de la poule qui cavale ». En effet, quelques œufs plein air sont vendus, mais la plupart sont issus de poules élevées au sol dans des bâtiments fermés où elles sont regroupées par millier. On ne peut pas dire qu’elles cavalent, mais elles peuvent se déplacer. Ce terme, « cavaler », induit le consommateur en erreur par une image erronée. Pour mieux le désinformer, on ne voit pas une seule poule sur la photo, mais juste un grand pré vert. Pour ne pas être dans l’illégalité complète, il n’y a pas de poules dans le pré vert. De toute façon, il n’y a pas vraiment de tromperie puisqu’il n’est pas dit que les poules sont élevées dans le pré de l’image qui est sur la boîte. Les appellations « œufs bien de chez nous » ne veulent non plus rien dire sur la qualité de vie des poules, tout comme « œufs datés du jour de ponte », « poules nourries aux céréales » (de toute façon la farine animale est interdite), « œufs aux oméga trois »…. Tout cela n’est qu’allégations marketing ! Si vous voulez être certains de votre choix pour favoriser le bien-être des animaux et ne pas participer indirectement à leur mal-être, les mentions « Bio » ou « Label Rouge », « Plein air » garantissent le respect de l’animal, surtout en agriculture biologique.

Ne vous laissez pas non plus endormir par les grandes instances qui vous noient dans des termes rassurants, comme ceux que j’ai pu trouver sur le site Web du Ministère de l’Agriculture : « …Chaque professionnel est responsable des produits qu’il met sur le marché et il doit en garantir la sécurité sanitaire. Il doit respecter la réglementation en vigueur. Cette réglementation, européenne et française, permet d’assurer un niveau élevé de protection du consommateur tout en intégrant notre patrimoine gastronomique. Elle prend en compte la sécurité sanitaire de l’alimentation humaine et animale, la santé et le bien-être des animaux, la santé des plantes et la protection de l’environnement. Il dispose d’outils comme la traçabilité, les auto-contrôles et les démarches qualité pour sécuriser ses  activités et produire sain et sûr ». Ou encore :« Sur le terrain, le Ministère de l’Agriculture et de la Pêche s’appuie sur deux réseaux pour contrôler l’application de la réglementation :

– les DDSV, chargées de la santé et de la protection animale, de la qualité et de la sécurité sanitaire des aliments ;

– les SRPV, chargés de la… »

 

Ou encore : « Santé et protection animales, 194 600 inspections, relatives à la santé animale 20 733 contrôles de protection animale, 2,3 millions de bovins testés à l’abattoir (ESB), 2,8 millions de bovins contrôlés et 9 000 contrôles pour l’identification et la traçabilité, 8 000 animaux contrôlés à l’importation ». Ces informations sont disponibles sur le site. En quoi tous ces propos indiquent-ils que les animaux bénéficient de quoi que ce soit puisque les contrôles effectués au nom de la protection animale par ces instances ne conduisent pas à mettre en question les élevages industriels et ne mettent pas non plus fin aux infractions qui ont toujours cours dans les abattoirs ?

 

Nous ne voyons pas sur le site du Centre d’Information des Viandes (CIV) d’images de cages de batteries pour les poules, de cochons dans le noir en centre d’engraissement, de castration à vif des porcelets, des truies confinées qui sont dans l’impossibilité de se retourner, de bouger librement dans des stalles métalliques… Et pourtant c’est une réalité quotidienne et majoritairement pratiquée. Il est dit, par contre, concernant le bien-être des animaux en élevage que « La manipulation, les soins et le transport des animaux sont les actes quotidiens de l’élevage. L’éleveur veille sur le bien-être de ses animaux car il connaît leurs comportements naturels ». Ah bon ? Quant on sait que la majeure partie des élevages notamment en volailles et en porcs sont des élevages intensifs et industriels, que veut dire « il connaît leurs comportements naturels »,  alors que les animaux sont confinés dans un environnement artificiel ? Ce genre d’éleveurs se préoccupe tellement du bien-être de ses animaux qu’ils attendent qu’une réglementation européenne les oblige à un aménagement en faveur des animaux. Prenons l’exemple de l’élevage des veaux de boucherie, qui sont en fait le rebut des vaches laitières, car pour produire du lait, il faut que les vaches donnent naissance à un veau. Ce dernier, si c’est un mâle, ne pouvant pas produire de lait, est envoyé en centre d’engraissement pour cinq à six mois, puis à l’abattoir. Sur le site du CIV, on essaye de nous montrer un exemple de prise en compte du bien-être des veaux de boucherie, la préoccupation des éleveurs, nous dit-on, alors qu’ils ne font qu’appliquer la réglementation ! Je cite : « Depuis 1998, en accord avec la réglementation européenne, pour permettre le contact entre eux, les veaux ne sont plus élevés dans des boxes individuels. Ils évoluent en groupe, dans des bâtiments qui doivent être spacieux, bien éclairés et aérés, leur permettant de s'ébattre, courir, se coucher librement, en un mot d'exprimer leur comportement naturel ». Cette réglementation n’est effective que depuis le 1er janvier 2007 pour toutes les exploitations. Les veaux étaient élevés dans des cases individuelles si étroites qu’ils ne pouvaient pas bouger. Ils étaient même parfois attachés par une chaîne au niveau du cou, voire la tête entravée entre deux barreaux. Lors de la visite d’un élevage que j’ai faite en Bretagne, un veau s’est écroulé de faiblesse. En ma présence, l’éleveur lui a fait une injection (une sorte de petit remontant, m’a t-il dit). Beaucoup de ces veaux étaient anémiés en raison de l’alimentation qui leur était donnée pour obtenir une viande blanche. La directive européenne a obligé les éleveurs à donner une autre alimentation, notamment fibreuse, en lieu et place d’une alimentation liquide (poudre de lait mixé avec de l’eau). Dans de bonnes conditions d’élevage, dès deux semaines, les veaux commencent naturellement à consommer des aliments solides pour que se mette en place un développement normal du rumen. Ceci n’était pas possible avant cette directive pour les élevages de veaux en intensif. Les éleveurs s’en sont-ils préoccupés ? Non. La vérité est que les améliorations apportées sont le fruit des efforts des associations de protection des animaux, comme la PMAF (Protection Mondiale des Animaux de Ferme), qui ont milité pour faire interdire ce type d’élevage monstrueux. Lorsque j’avais visité en 2000, un abattoir qui n’abattait que des veaux provenant d’élevages en batterie, pas moins de sept cadavres avaient été mis à l’écart près de l’aire de lavage des camions. Un autre veau gisait mort en bas du quai de déchargement. Certes ces petites bêtes étaient mortes pendant les transports. Cependant ce ne n’étaient pas les transports qui les avaient tuées puisque les veaux n’avaient parcouru que de très courtes distances. De surcroît, il n’était que 8 heures du matin, la journée d’abattage se terminant à 15 heures, la mortalité durant le transport était plutôt énorme ! Là encore, se posait le même problème qu’avec les coches dont j’ai déjà parlé. La responsable qui m’avait fait visiter l’abattoir m’indiqua que les éleveurs ne faisaient pas intervenir de vétérinaires lorsqu’un veau tombait malade en élevage, et qu’ils l’envoyaient à l’abattoir seulement si un lot entier était prévu pour l’abattage. Elle ajouta que beaucoup de veaux agonisaient dans les élevages, et qu’au lieu de les envoyer en abattage d’urgence, il fallait souvent en achever sur le quai de déchargement de l’abattoir. Tous les consommateurs ayant acheté des escalopes de « veau blanc » ont participé sans le savoir à cette forme d’exploitation animale.

 

Pour les truies, c’est également une réglementation européenne qui a mis fin à l’attache qui les sanglait au sol, sous le ventre. Les sangles s’incrustaient dans la chair des truies. Avant l’interdiction, ça ne semblait pas déranger beaucoup d’éleveurs.

 

Méfiez-vous de ce genre d’affirmations : elles ont pour but le maintien économique par la viabilité des produits carnés, quel que soit le mode de production. En effet, trop de consommateurs sont devenus méfiants et il y a de plus en plus de végétariens. Par exemple, dans un manifeste que l’on trouve sur le site du CIV, il est demandé, et c’est presque un appel au secours (je cite) « que soit réaffirmée la place légitime des produits d’origine animale : la viande et le lait dans notre alimentation et donc la nécessité de l’élevage qui a toujours contribué au développement de nos sociétés ». En d’autres termes, il faudrait lutter contre le choix du végétarisme ou du végétalisme et contre le militantisme qui peut en découler, car il peut faire du tort aux filières. Une crainte est affichée, c’est un peu normal, car il y a beaucoup plus de personnes qui mangent moins de viande, et de plus en plus de végétariens.

 

On trouve sur ce même site (dans le dossier « bien-être animal ») des propos du même acabit concernant le respect des animaux dans les abattoirs. Je ne dirai ici rien de plus ; je me suis assez exprimé à ce sujet tout au long de ce livre. Mais on entend, là encore, le sempiternel refrain sur la professionnalisation des acteurs très soucieux et des contrôles rigoureux des services vétérinaires en matière de protection animale est de nature à nous laisser penser que tout va bien.

 

Notons que, selon le CIV, « l’obligation de protection et de bientraitance qui pèse sur l’homme envers les animaux vise à assurer leur bien-être dont les critères doivent encore faire l’objet d’évaluations et d’investigations scientifiques qu’il convient d’encourager ». D’abord, il est dit que les éleveurs connaissent et savent ce dont ont besoin les animaux, donc qu’ils s’en soucient, et maintenant, il est dit qu’il ne devrait être concédé du bien-être animal qu’après évaluations et investigations scientifiques. C’est-à-dire que vous voyez bien que votre tapisserie d’appartement est à refaire, mais vous allez d’abord solliciter une expertise scientifique ! Faut-il comprendre que si vous vous trouviez dans un ascenseur enfermé avec cinq personnes pendant plusieurs semaines, il faudrait faire une expertise scientifique pour savoir si cela est préjudiciable à votre bien-être ? Cette volonté de subordonner les mesures de bien-être à l’expertise ne vise-t-elle pas à freiner la demande sociale impulsée par des associations de protection animale dans ce domaine ? Pourtant, l’avis des vétérinaires de la Commission Européenne concluait, en janvier 1991, que « la conduite des porcs dans l'isolement social, et notamment l'utilisation de systèmes de stalles individuelles pour les truies, sont la cause de graves problèmes portant atteinte au bien-être des animaux […]  L'élevage des porcs sur des sols artificiels, et notamment l'utilisation de caillebotis intégral, portent atteinte au bien-être des animaux ». Ne sont-ils pas des scientifiques ?

Si les éleveurs en élevage intensif se préoccupaient vraiment du bien-être de leurs animaux, une telle commission n’aurait pas besoin d’intervenir.

 

Le plus facile, pour commencer, est d’effectuer le bon choix lorsque vous achetez des œufs. Les œufs vendus sur les marchés et dans les commerces doivent comporter sur la coquille un code permettant une traçabilité. Après la mention FR, suit une série de chiffres. C’est le premier numéro qui nous intéresse. En voici donc le décodage :

 

Code « 0 » : oeufs de poules élevées en plein air issus de l'agriculture biologique.
Code « 1 » :oeufs de poules élevées en plein air.
Code « 2 » : oeufs de poules élevées au sol.
Code « 3 » :oeufs de poules élevées en cage.

 

À vous de bien choisir, en pensant au 200 millions de poules pondeuses élevées en cage de batterie dans l’Union européenne en privilégiant les codes 0 et 1 !

 

vendredi, 01 février 2013

Ode à Saint Kevin

 our lady of knock shrine, saint kevin of gloucester

Our Lady of Knock Shrine, Irlande


(Dans la rubrique d'AlmaSoror intitulée :"Jeune littérature",

nous publierons des oeuvres de tout jeunes gens de moins de quinze ans

Voici un poème de Gaëlle le Joube).

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« Kevin, prince irlandais qui vainquis ta naissance,

La violence du monde et la peur du silence,

Quel oiseau n’a trouvé dans tes mains arrondies

Un endroit où nicher, où nourrir ses petits ?

 

Vagabond descendu de ton riche village

Pour vivre dans les grottes et chanter sur les plages,

Quel cochon n’a trouvé blotti contre ton sein

Un cœur pour sa douleur, un abri pour les siens ?

 

Kevin, ton ombre en croix, charriant la boue des fleuves,

Hante les abattoirs, erre dans les prisons,

Caresse les douleurs des êtres qu'y s'y meuvent,

Et leur verse un amour qui défie la raison.»

 

Gaëlle le Joube

 

lundi, 14 janvier 2013

Une Marche humaine (un texte de 2007)

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Les conditions d’existence des animaux sont très dégradées depuis que l’homme a pris les commandes de toute la surface terrestre. La manière de les traiter fait débat, et les tenants de tous les camps se battent à coup d’arguments biologiques, philosophiques, religieux. Pour chacun, il s’agit de prouver la véritable place de l’homme et les droits que cette place lui confère.

Faut-il alors se persuader, comme dans la Ferme des animaux de George Orwell, que « tous les animaux sont égaux, mais il y a des animaux plus égaux que d’autres » ? Ou penser, avec Marguerite Yourcenar, que « La protection de l’animal, c’est au fond le même combat que la protection de l’homme » ?

 

La procession des voix pour les sans voix

« Je continuerais à me nourrir de manière végétarienne même si le monde entier commençait à manger de la viande. Cela est mon opposition à l’ère atomique, la famine, la cruauté - nous devons lutter contre. Mon premier pas est le végétarisme et je pense que c’est un grand pas ». Isaac Bashevis Singer

Une procession aura lieu le 24 du mois de mars de l’année 2007. Elle partira à deux heures de l’après-midi de la place du Panthéon.

Des êtres humains se rassembleront pour demander à ce que leur dignité humaine soit respectée, et qu’on ne massacre plus en leur nom.

La cause animale est une très vieille cause, mais elle n’a jamais fait l’objet de grands débats publics dans nos sociétés, ou bien ces débats ont sombré dans l’oubli. Elle est parfois couverte de ridicule, comme si la cause animale était une passion enfantine. Pourtant, comme le disait Emile Zola, « la cause des animaux passe avant le souci de me ridiculiser ».

La nature animale ou les individus animaux

Il y a plusieurs façons de vouloir protéger les animaux. Deux grandes tendances se dégagent du paysage varié de la réflexion sur la condition animale en terre humaine.

La première est globale : les associations de défense de la nature représentent ce courant : on y défend les loups parce qu’ils font partie de la nature. Il s’agit de préserver la diversité des espaces et la capacité de la terre d’accueillir la vie sauvage.

La seconde est fondée sur le respect de l’être animal. Il représente un « humanisme élargi ». Ainsi, les fondations qui prônent cette vision ne défendront pas une politique visant à réintégrer des ours dans une région, parce que cette politique privilégie le groupe des ours au détriment des individus qui seront sacrifiés (transports, adaptation...) à la cause du groupe. Cette fraternité-là envers les animaux leur reconnaît une identité de « personne ».

Mais ces deux tendances, globale et individuelle, sont souvent appelées à soutenir les mêmes causes.

Une fraternité élargie

« Très jeune j’ai renoncé à manger de la viande et le temps viendra où les hommes regarderont les meurtriers d’animaux avec les mêmes yeux que les meurtriers d’êtres humains ».Léonard de Vinci

Une des premières réactions qui nuit à la défense des animaux consiste à penser que leur protection se ferait sur le dos d’êtres humains. Ce n’est pas le cas ; la plupart des associations se situent dans une ligne résolument humaniste. De grands philanthropes ont soutenu la cause des bêtes, tel le médecin Albert Schweitzer, l’astrophysicien Hubert Reeves, ou encore le Mahatma Gandhi, qui disait : "Je hais la vivisection de toute mon âme. Toutes les découvertes scientifiques entachées du sang des innocents sont pour moi sans valeur."

De façon moins soucieuse et plus cruelle, on reproche aux défenseurs des animaux de faire montre d’une sensiblerie niaise, faible. Mais l’aventurier Mark Twain, qui prit des risques de toutes sortes au cours de sa vie, prit aussi celui du « ridicule » : "Peu m’importe que la vivisection ait ou non permis d’obtenir des résultats utiles pour l’homme. La souffrance qu’elle inflige à des animaux non consentants est le fondement même et la justification pour moi suffisante de mon aversion, un point c’est tout."

Assimilation et opposition de l’animal et de l’homme

Quelle propagande nous a construit ces croyances auxquelles nous nous accrochons comme à une bouée de sauvetage ? Celle qui oppose à l’Art, la nécessité ; celle qui oppose à l’affection, l’instinct ; celle qui oppose à la pensée verbale, le néant ; et celle qui oppose à la souffrance humaine, l’insensibilité animale ?

Nous avons déjà bien montré que nous sommes capables des pires atrocités, sur nous-mêmes, les hommes, sur les bêtes et sur la nature. Il nous reste à témoigner de nos aspirations à la liberté, à la beauté de la nature, au pacifisme de l’Art et au respect de la vie.

S’il faut absolument s’extraire du monde animal, plutôt que par l’assassinat et l’exploitation massifs, optons pour l’attitude fraternelle de celui qui a les moyens de maîtriser ses propres besoins et peut tendre une main amie.

La fête sanglante

Mais pour cela, il faut d’abord contempler le monde tel qu’il est au risque de le voir plus horrible que ce que l’on voulait imaginer. Comme l’écrit Florence Burgat, « lever le silence qui entoure ce massacre trouble impardonnablement une fête qui en passe par le sacrifice animal. Mais notre luxe le plus profond tient surtout dans la douleur tonitruante d’animaux dont nous avons manqué la rencontre, et qui, au fond de leur cachot, attendent quelque chose que nous ne leur donnons pas ».

Déserte est la nuit de l’homme abstrait.
Raoul Vaneigem

Le 24 mars 2007, à Paris, des humains rassemblés défileront silencieusement par solidarité envers ceux qui n’ont point la parole.

Car de nos jours où tout est bétonné, enserré, mécanisé, qu’il soit homme ou bête, désert est le jour de l’animal concret.

 

Edith de CL

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jeudi, 05 janvier 2012

Persona grata

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"Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche,
ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir".
Aimé Césaire

Visage

Tous ces individus ne se ressemblent qu'en apparence. Chacun de ces milliards de milliards d'êtres est une personne pourvue d'un visage. Les traits de ce visage le différencient des autres pour l'éternité : magie individuelle qui distingue chacun d'entre eux des autres membres de leur espèce.

Liberté
Face au drame de la vie, chacun d'eux fait des choix, avec une grande part d'instinct, et la petite part de libre-arbitre qui fait la signature d'une existence unique. Face au drame qu'est la vie, chacun d'eux réagit d'une manière différente, et la somme de ses choix s'appelle sa biographie. Mais aucun d'eux n'écrit les biographies autrement que par l'accomplissement de l'acte dans l'instant, dans l'instant qu'ils épousent de leurs forces vitales.

Désir
Beaucoup d'entre eux font preuve d'un grand amour de la vie, d'un grand amour des autres. Au creux du cœur, au creux du corps de chacun d'eux s'agrippe une volonté de vivre dans un espace déployé, aux côtés de leurs enfants et de leurs proches, dans le déroulé quotidien des luttes, des joies, des cruautés et des peines de l'existence et de leur peuple.

Angoisse
Ils connaissent l'enthousiasme des courses dans le vent, la sensualité des paresses au soleil et le découragement après trop de jours sans lueur. Ils savent attendre les bonnes nouvelles. Ils savent qu'elles ne viennent pas toujours.
Ils connaissent la douleur de l'amour, la douleur de la solitude. Ils jaugent la violence et les ennemis, la possibilité d'une amitié.
Ils savent la liberté du geste qu'on pose, l'inquiétude face à l'ennemi, l'émotion de sa propre faiblesse.
Ils vibrent au miracle de la rencontre, s'aigrissent dans la déception de l'incompréhension. Hier, le mal-être au sein du groupe ; aujourd'hui, l'arrogance de dominer.

Douleur

En vérité, chaque visage est marqué par la vie fulgurante et fragile, par la mort qui s'approche et menace. Il y a la lutte pour sa dignité au risque de la mort, ou bien, le renoncement à son honneur pour moins de coups sur l'échine, plus de bouffe dans l'écuelle.
Que de partage ! Et puis des éloignements, des retrouvailles en cris de joies... Et parfois, comme un acte ultime – de désespoir ou de raison ?- le suicide.

Qui sont ces gens ?
Les autres : les animaux des autres espèces que la nôtre.

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Edith de CL

Avec des photographies de Sara


Autres articles d'AlmaSoror pour une fraternité transanimale :

Pour Laïka

Pour un sanglier mort au combat

Pourquoi pas d'alcool de salamandre

Terra libra

Poules des usines, des chansons

Ouvrir l'an 2010

In memoriam Gange

Rock antispéciste

Requiem pour la liberté

Vous n'avez faim que de bêtes...

Cas de conscience

Libérez l'anima

Il était une fois l'animal

Que faire de nos forces ?

Les oiseaux de Buffon

Une marche humaine


samedi, 27 février 2010

la phrase qui ouvrit l'année 2010

 

 

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Image Science and Analysis Laboratory, NASA-Johnson Space Center.
 
 

"Les animaux ont beaucoup de grandeur. Dans leur silence intérieur,
ils sont animés par de grands sentiments".

 

Sara, Premier janvier 2010

 

mercredi, 05 août 2009

Errants des mégapoles d'Europe

 

 

 

 

Lorsqu’on traduit les droits de l’homme dans les langues qui ne possèdent pas les mots de la philosophie grecque et chrétienne, les articles sont ramenés à leur plus simple expression. Chacun peut aller où il veut… chacun peut avoir une maison… L’ironie du grand texte nous prend à la gorge : en son nom, nous jetâmes sur la Serbie, sur l’Irak, des bombes. Mais dans nos cités, n’est-ce pas l’inégalité qui plonge les gens dans la misère et l’oppression qui les laisse sans ressource ?

Le roman des jungles urbaines

Comme les figures célèbres des romans - Jean Valjean, Oliver Twist et Rémi sans famille, Gervaise et les filles de De Quincey -, les peuples de l’abîme vivent dans l’inframonde de la cité, se disputent ses restes, se réchauffent loin du soleil social.
Mais, exaltés dans la fiction, on les conspue dans le réel. On force les enfants à finir le poulet, puis les berce avec l’histoire d’une gentille petite poule ; de même, on les écarte de cet homme aux habits miteux qui empeste sur le macadam, pour leur conter, avec des larmes dans la voix, l’histoire de Jean Valjean.
Il faut pourtant poser des yeux ouverts sur notre monde. Dans les rues des villes, des hères survivent au milieu de la grande consommation. Pour les humains brisés par les travaux, l’isolement et le manque, il n’y a pas de recours. Au XXème siècle, nous vîmes éclore des architectures qui parquaient les êtres dans des tours laides, vite insalubres, aux portes des villes. Mais voilà que fleurissent de nouveaux nomadismes.

Les gueux

Qui sont ces êtres qui, lorsque nous tirons les verrous sur la chaleur de notre foyer, continuent de hanter la nuit de la ville ?
Le paria vit hors du monde social ; il l’accepte, bien qu’il en souffre : c’est une condition de sa dignité morale. Il ne veut pas de la vie cadrée, sans choix, sans vérité, que le monde lui propose. L’exclu s’est trouvé déshérité, socialement, matériellement, financièrement. Il n’attise pas la pitié de la société ; il l’indiffère, ne correspondant ni à ses héros, ni à ses protégés. On assiste le défavorisé avec condescendance ; il en souffre, ou bien il est complaisant.
Ainsi la figure de l’exclu est double : celui qui refuse notre monde ; celui qui n’y accède pas. La société pose, comme condition pour donner l’asile à un être humain, qu’il accepte le contrat qu’elle lui propose. Mais ce contrat n’est-il pas biaisé, entre une énorme société organisée et l’individu qui naît en son sein ?

L’espace, la lumière et le mouvement

Où peuvent vivre les gueux, avec leurs chiens et leurs bagages, sans déranger l’ordre économique et social ? La rue n’est pas libre. Tout l’espace du monde est sous contrôle. Où vivre, où déployer son corps, où cueillir sa nourriture ? Des courageux se battent pour le droit des animaux à vivre leur animalité dans un monde dévoré par le « progrès ». Etendons cette lutte aux humains : qu’ils puissent aussi vivre leur animalité – le déploiement libre de leur corps et de leur cœur dans un espace ouvert.
La liberté de circuler, la liberté de vivre sous un toit, supposent mille papiers en règle. Les champs, les forêts, les océans ne sont plus libres.
Que signifie une liberté qui ne serait qu’un concept, un droit différé, un droit administré ? L’homme face à l’univers n’existe plus : il n’y a plus que l’homme face à la société et la société face à l’univers.

« Comment cela s'appelle-t-il, quand le jour se lève comme aujourd'hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l'air pourtant se respire, et qu'on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s'entretuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
- Demande au mendiant. Il le sait ».
- Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s'appelle l'Aurore ».
Jean Giraudoux, Electre

Sur les routes d’Europe

Quel est le sens d’une culture qui s’oppose à la nature ? Quelle est l’essence d’une liberté qui oppresse les désirs des hommes ? Qu’est-ce qu’une économie qui broie l’individu ? Les errants d’Europe interrogent le fond des droits que nous prônons, des devoirs que nous exigeons. Une Europe suradministrée, surcontrôlée, où les droits théoriques se traduisent par des procédures administratives, ne peut être un rêve – ne peut être un phare. A l’aurore de notre avenir commun, ne choisissons pas une survie matérielle réglée pour les obéissants, tandis que les autres sont relégués aux mondes d’outre-société.
Que le visionnaire et le pragmatique triomphent de l’idéaliste, du fataliste et du procédurier. Le rêve européen ne doit pas être administratif et gestionnaire. Il doit avoir aussi ses routes libres…

Edith de Cornulier-Lucinière, Les Sables d’Olonne, Juillet 2006

 

 

mercredi, 13 mai 2009

Vous n'avez faim que de bêtes innocentes et douces...

Fragments

La rubrique Fragments offre des morceaux de textes classiques, connus ou inconnus, qu'il est heureux de relire.

Vous n'avez faim que des bêtes innocentes et douces…

Plutarque,
cité dans Emile ou de l'éducation
de Jean-Jacques Rousseau

 

"Mais vous, hommes cruels, qui vous force à verser du sang ? Voyez quelle affluence de biens vous environne! combien de fruits vous produit la terre! que de richesses vous donnent les champs et les vignes! que d'animaux vous offrent leur lait pour vous nourrir et leur toison pour vous habiller! Que leur demandez-vous de plus ? et quelle rage vous porte à commettre tant de meurtres, rassasiés de biens et regorgeant de vivres ? Pourquoi mentez-vous contre votre mère en l'accusant de ne pouvoir vous nourrir ? Pourquoi péchez-vous contre Cérès, inventrice des saintes lois, et contre le gracieux Bacchus, consolateur des hommes ? comme si leurs dons prodigués ne suffisaient pas à la conservation du genre humain! Comment avez-vous le cœur de mêler avec leurs doux fruits des ossements sur vos tables, et de manger avec le lait le sang des bêtes qui vous le donnent ? Les panthères et les lions, que vous appelez bêtes féroces, suivent leur instinct par force, et tuent les autres animaux pour vivre. Mais vous, cent fois plus féroces qu'elles, vous combattez l'instinct sans nécessité, pour vous livrer à vos cruels délices. Les animaux que vous mangez ne sont pas ceux qui mangent les autres : vous ne les mangez pas, ces animaux carnassiers, vous les imitez ; vous n'avez faim que des bêtes innocentes et douces qui ne font de mal à personne, qui s'attachent à vous, qui vous servent, et que vous dévorez pour prix de leurs services.

O meurtrier contre nature! si tu t'obstines à soutenir qu'elle t'a fait pour dévorer tes semblables, des êtres de chair et d'os, sensibles et vivants comme toi, étouffe donc l'horreur qu'elle t'inspire pour ces affreux repas ; tue les animaux toi-même, je dis de tes propres mains, sans ferrements, sans coutelas ; déchire-les avec tes ongles, comme font les lions et les ours ; mords ce bœuf et le mets en pièces ; enfonce tes griffes dans sa peau ; mange cet agneau tout vif, dévore ses chairs toutes chaudes, bois son âme avec son sang. Tu frémis! tu n'oses sentir palpiter sous ta dent une chair vivante! Homme pitoyable! tu commences par tuer l'animal, et puis tu le manges, comme pour le faire mourir deux fois. Ce n'est pas assez : la chair morte te répugne encore, tes entrailles ne peuvent la supporter ; il la faut transformer par le feu, la bouillir, la rôtir, l'assaisonner de drogues qui la déguisent : il te faut des charcutiers, des cuisiniers, des rôtisseurs, des gens pour t'ôter l'horreur du meurtre et t'habiller des corps morts, afin que le sens du goût, trompé par ces déguisements, ne rejette point ce qui lui est étrange, et savoure avec plaisir des cadavres dont l'oeil même eût eu peine à souffrir l'aspect."

 

mercredi, 24 décembre 2008

Laïka

 

Avant de s’aventurer lui-même dans l’espace, l’homme a envoyé des sous-hommes : des animaux.

 

Laïka n’est pas le seul animal à avoir été envoyé dans l’espace. Mais elle, on l’avait baptisée et on connaissait son nom.

 

Le 3 novembre 1957, elle est partie dans sa fusée soviétique Spoutnik 2. Elle est sans doute morte quelques heures après, de panique et de chaleur. Mais l’expérience prouva qu’on pouvait survivre en apesanteur.

 

Elle portait une combinaison dans une très étroite cabine ; des chaînes l’empêchaient de faire trop de mouvements. Aucun dispositif n’avait été prévu pour son retour : elle était donc vouée à la mort. Ses réactions physiques étaient surveillées de loin. On peut encore écouter son cœur battre au Memorial Museum of Cosmautics et sur des sites Internet.

 

La question de l’utilisation de l’animal par la science est si simple qu’elle pourrait être drôle.

Ils nous ressemblent assez pour servir de modèles, de brouillons, de cobayes ; ils nous ressemblent assez pour être sacrifiés à notre place. Mais ils nous dissemblent trop pour que nous nous en inquiétions.

Quelle honnêteté intellectuelle y a-t-il à, d’un côté, invoquer la ressemblance entre l’animal et l’homme pour justifier scientifiquement une expérience, et, de l’autre côté, évoquer la dissemblance pour justifier éthiquement la douleur et la maltraitance qu’impliquent ces expériences ?

 

Le scientifique Oleg Gazenco, qui a participé à l’envoi de Laïka dans l’espace, a dit : "Plus le temps passe, plus je suis désolé à son sujet. Nous n'aurions pas dû le faire... Nous n'avons pas appris suffisamment de cette mission pour justifier la mort de la chienne."

 

La phrase du scientifique oscille. Faire souffrir utilement un animal est acceptable ; faire souffrir inutilement un animal ne l’est pas. Le plus curieux est sans doute que l’utilité (et donc la moralité) pouvant être calculée après la mission scientifique, en fonction des résultats. C'est-à-dire que, quelque soit son action sur l’animal, un scientifique saura au moment des conclusions de l’expérience s’il a été quelqu’un de bien ou un salaud.

Mais l’éthique, n’est-ce pas justement faire passer le respect de l’autre avant l’utilité qu’on peut en tirer ?

 

Il parait qu’ « ils ne ressentent pas l’affection, ils ne souffrent pas comme nous ».

Haleter, se déshydrater, hurler au secours, se convulser dans la solitude d’une cabine, révèle pourtant une certaine indigence sentimentale des êtres humains.