lundi, 24 août 2009
Soirs d'exil
phot Sara
Venez sous cette lampe amie et près du feu.
Parlez-moi du Berri, de la mousse câline,
De l' étang lumineux sur qui le jonc s'incline,
Paupière de velours où brille un regard bleu.
Je vous dirai l'ardeur de nos Juillets en feu,
Les vignes d'Août saignant à flots sur la colline,
Et, quand le vent le tord d'une étreinte féline,
Le grand pin qui nous parle avec la voix d'un dieu.
Au dehors, c'est la nuit, l'hiver, Paris hostile;
L'heure morne s'égoutte aux beffrois de la ville:
Évoquons la patrie et le passé charmant!
Un mirage en nos yeux met sa lueur qui tremble,
Et nous rêvons, muets, avec le sentiment
D'être moins exilés quand nous sommes ensemble.
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mercredi, 12 août 2009
Un amas confus de maisons ...
Paris au XVIIème siècle...
Phot Sara
Un amas confus de maisons
Des crottes dans toutes les rues
Ponts, églises, palais, prisons
Boutiques bien ou mal pourvues
Force gens noirs, blancs, roux, grisons
Des prudes, des filles perdues,
Des meurtres et des trahisons
Des gens de plume aux mains crochues
Maint poudré qui n'a pas d'argent
Maint filou qui craint le sergent
Maint fanfaron qui toujours tremble,
Pages, laquais, voleurs de nuit,
Carrosses, chevaux et grand bruit
Voilà Paris que vous en semble ?
Paul SCARRON
(1610-1660)
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vendredi, 07 août 2009
J'arrive où je suis étranger
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière
D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C'est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus
Peu a peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps
C'est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu'on corroie
C'est long d'être un homme une chose
C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux
O mer amère ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
A l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Louis Aragon
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mercredi, 05 août 2009
Errants des mégapoles d'Europe
Lorsqu’on traduit les droits de l’homme dans les langues qui ne possèdent pas les mots de la philosophie grecque et chrétienne, les articles sont ramenés à leur plus simple expression. Chacun peut aller où il veut… chacun peut avoir une maison… L’ironie du grand texte nous prend à la gorge : en son nom, nous jetâmes sur la Serbie, sur l’Irak, des bombes. Mais dans nos cités, n’est-ce pas l’inégalité qui plonge les gens dans la misère et l’oppression qui les laisse sans ressource ?
Le roman des jungles urbaines
Comme les figures célèbres des romans - Jean Valjean, Oliver Twist et Rémi sans famille, Gervaise et les filles de De Quincey -, les peuples de l’abîme vivent dans l’inframonde de la cité, se disputent ses restes, se réchauffent loin du soleil social.
Mais, exaltés dans la fiction, on les conspue dans le réel. On force les enfants à finir le poulet, puis les berce avec l’histoire d’une gentille petite poule ; de même, on les écarte de cet homme aux habits miteux qui empeste sur le macadam, pour leur conter, avec des larmes dans la voix, l’histoire de Jean Valjean.
Il faut pourtant poser des yeux ouverts sur notre monde. Dans les rues des villes, des hères survivent au milieu de la grande consommation. Pour les humains brisés par les travaux, l’isolement et le manque, il n’y a pas de recours. Au XXème siècle, nous vîmes éclore des architectures qui parquaient les êtres dans des tours laides, vite insalubres, aux portes des villes. Mais voilà que fleurissent de nouveaux nomadismes.
Les gueux
Qui sont ces êtres qui, lorsque nous tirons les verrous sur la chaleur de notre foyer, continuent de hanter la nuit de la ville ?
Le paria vit hors du monde social ; il l’accepte, bien qu’il en souffre : c’est une condition de sa dignité morale. Il ne veut pas de la vie cadrée, sans choix, sans vérité, que le monde lui propose. L’exclu s’est trouvé déshérité, socialement, matériellement, financièrement. Il n’attise pas la pitié de la société ; il l’indiffère, ne correspondant ni à ses héros, ni à ses protégés. On assiste le défavorisé avec condescendance ; il en souffre, ou bien il est complaisant.
Ainsi la figure de l’exclu est double : celui qui refuse notre monde ; celui qui n’y accède pas. La société pose, comme condition pour donner l’asile à un être humain, qu’il accepte le contrat qu’elle lui propose. Mais ce contrat n’est-il pas biaisé, entre une énorme société organisée et l’individu qui naît en son sein ?
L’espace, la lumière et le mouvement
Où peuvent vivre les gueux, avec leurs chiens et leurs bagages, sans déranger l’ordre économique et social ? La rue n’est pas libre. Tout l’espace du monde est sous contrôle. Où vivre, où déployer son corps, où cueillir sa nourriture ? Des courageux se battent pour le droit des animaux à vivre leur animalité dans un monde dévoré par le « progrès ». Etendons cette lutte aux humains : qu’ils puissent aussi vivre leur animalité – le déploiement libre de leur corps et de leur cœur dans un espace ouvert.
La liberté de circuler, la liberté de vivre sous un toit, supposent mille papiers en règle. Les champs, les forêts, les océans ne sont plus libres.
Que signifie une liberté qui ne serait qu’un concept, un droit différé, un droit administré ? L’homme face à l’univers n’existe plus : il n’y a plus que l’homme face à la société et la société face à l’univers.
« Comment cela s'appelle-t-il, quand le jour se lève comme aujourd'hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l'air pourtant se respire, et qu'on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s'entretuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
- Demande au mendiant. Il le sait ».
- Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s'appelle l'Aurore ».
Jean Giraudoux, Electre
Sur les routes d’Europe
Quel est le sens d’une culture qui s’oppose à la nature ? Quelle est l’essence d’une liberté qui oppresse les désirs des hommes ? Qu’est-ce qu’une économie qui broie l’individu ? Les errants d’Europe interrogent le fond des droits que nous prônons, des devoirs que nous exigeons. Une Europe suradministrée, surcontrôlée, où les droits théoriques se traduisent par des procédures administratives, ne peut être un rêve – ne peut être un phare. A l’aurore de notre avenir commun, ne choisissons pas une survie matérielle réglée pour les obéissants, tandis que les autres sont relégués aux mondes d’outre-société.
Que le visionnaire et le pragmatique triomphent de l’idéaliste, du fataliste et du procédurier. Le rêve européen ne doit pas être administratif et gestionnaire. Il doit avoir aussi ses routes libres…
Edith de Cornulier-Lucinière, Les Sables d’Olonne, Juillet 2006
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mercredi, 29 juillet 2009
Psaume
Tu me scrutes, Seigneur, et tu sais !
Tu sais quand je m'assois, quand je me lève ;
de très loin, tu pénètres mes pensées.
Que je marche ou me repose, tu le vois,
tous mes chemins te sont familiers.
Avant qu'un mot ne parvienne à mes lèvres,
déjà, Seigneur, tu le sais.
Tu me devances et tu me poursuis, tu m'enserres,
tu as mis la main sur moi.
Savoir prodigieux qui me dépasse,
hauteur que je ne puisse atteindre !
Où donc aller, loin de ton souffle ?
Où m'enfuir, loin de ta face ?
J'avais dit « les ténèbres m'écrasent »
mais la nuit devient lumière autour de moi.
Même la ténèbre pour toi n'est pas ténèbre,
et la nuit comme le jour est lumière !
C'est toi qui as créé mes reins,
qui m'as tissé dans le sein de ma mère.
Je reconnais devant toi le prodige,
l'être étonnant que je suis :
étonnantes sont tes oeuvres
toute mon âme le sait.
Mes os n'étaient pas cachés pour toi
quand j'étais faonné dans le secret,
modelé aux entrailles de la terre.
J'étais encore inachevé, tu me voyais ;
sur ton livre, tous mes jours étaient inscrits,
recensés avant qu'un seul ne soit !
Que tes pensées sont pour moi difficiles,
Dieu, que leur somme est imposante !
Je les compte : plus nombreuses que le sable !
Je m'éveille : je suis encore avec toi.
Scrute-moi, mon Dieu, tu sauras ma pensée
éprouve-moi, tu connaîtras mon coeur.
Vois si je prends le chemin des idoles,
et conduis-moi sur le chemin d'éternité.
(Tu étais là, mon Dieu, mendiant de moi
tu étais là, discret, tu m'attendais,
tu étais là, et tu m'aimais)
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jeudi, 25 juin 2009
Ô Sanglier, Mystérieux résistant mort au combat
Hommage
Cet hommage à nos étoiles des temps proches et lointains veut saluer des êtres dont le souffle, la vision,
la parole nous aident à vivre et à penser.
Mystérieux résistant mort au combat
Saint-Amand-Les-Eaux
Dimanche 18 janvier 2004, à 16 heures : un sanglier pénètre par inadvertance dans l'hôpital situé en centre-ville.
Il défonce une porte vitrée et fait quelques dégâts dans le jardin arboré de l'hôpital.
Les pompiers appelés à la rescousse tentent de neutraliser le sanglier à l'aide de seringues hypodermiques - en vain : selon les spécialistes, son épaisse enveloppe de graisse hivernale le protège trop bien.
Dans la soirée, le député-maire communiste de la ville, Alain Bocquet, décide d'en finir avec l'animal. Il appelle les chasseurs - en vain : malgré une caméra thermique, le sanglier n'a jamais pu être repéré.
Minuit : la chasse se transforme en battue avec quatre chiens et une vingtaine de rabatteurs. En vain.
2 heures du matin : la traque prend fin. On estime que la bête a regagné la forêt.
Lundi 19 janvier 2004 au matin : il faut se rendre à l'évidence, le sanglier est toujours là.
10 heures : Un chasseur l'abat.
(source : yahoo actualités du lundi 19 janvier 2004, 17h39)
« De profundis clamavi ad te, Domine ;
Domine, exaudi vocem meam. Fiant aures tuae intendentes in vocem orationis meae.
Si iniquitates observaveris, Domine ; Domine, quis sustinebit ? Quia apud te propitiatio est ; et proper nomen tuum sustinui te, Domine.
Sustinuit anima mea in verbo tuo ; speravit anima mea in Domino. A vigilia matutina usque in noctem speret Israel in Domino.
Quia apud Dominum misericordia est, et copiosa apud eum redemptio, Et ipse rediment Israel ab omnibus iniquitatibus eorum”.
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lundi, 15 juin 2009
Lettre à Giorgione
Hommage
Cet hommage à nos étoiles des temps proches et lointains veut saluer des êtres dont le souffle, la vision,
la parole nous aident à vivre et à penser.
Giorgione, mystérieux peintre…
par Sara
1477 : Naissance de Giorgio Barbarelli à Castelfranco, pas très loin de Venise.
1510 : Mort de Giogio Barbarelli, dit Giorgione, de la peste en qu'il avait contracté en embrassant une dernière fois sa maîtresse qui était en train d'en mourir.
Observer : la qualité de la lumière de ses peintures et les thèmes mystérieux qu'il a traité, renonçant aux sujets traditionnels, antiques ou religieux.
A savoir :
Il ne signait pas ses œuvres
Seules quelques toiles peuvent lui être attribué avec certitude.
Certaines qu'il n'a pu achevées avant de mourir ont certainement être reprises et terminées par ses élèves, le Titien et Sebastiano del Piombo
Cher Giorgio,
C'était à Venise, dans les tout premiers jours août de l'année 1991. J'avais laissé mes trois enfants, les mains remplies de framboises, sur les marches qui donnaient sur le Canal et j'étais rentrée seule dans la Galleria dell'Accademia. Je n'étais pas rassurée. Je vis dans une époque de contrôle social des uns sur les autres que tu n'as pas connu. Laisser des enfants jouer seuls au bord de l'eau peut conduire sinon en prison du moins à se voir priver du droit de vivre avec eux. Mais visiter un musée les ennuyait trop et je les comprenais. Nos musées sont des temples où vous, peintres de l'ancien temps, sont des divinités que nous venons pieusement adorer. Nous vivons de choses mortes. Mais l'enfance a besoin de vivre. Je les laissai là et entrai … Je traversais lentement les salles de la Galleria dell'Accademia les unes après les autres dans une religieuse extase. J'avais conscience d'être au cœur même de l'Italie de la Renaissance, j'en goûtais chaque parcelle. J'essayais d'économiser mes forces car traverser ces musées à pas lents est un chemin de croix. Des groupes de gens défilent. On s'arrête devant chaque tableau, on se penche en une sorte de génuflexion vers l'étiquette qui indique le titre du tableau et le nom de son auteur. Et l'on passe au suivant. C'est épuisant. Mais je sais que je ne verrai jamais aucune de ces peintures si je me ne soumets pas à cette procession. Moi, individu lambda, je n'ai pas droit à une disposition privée de la peinture de Titien, du Caravage, … J'ai payé mon billet d'entrée et je circule, ayant payé pour voir.
Et puis il y eut l'apparition.
Je me suis approchée le cœur battant vers ce tableau : l'extrême finesse, la tranquille solitude, l'atmosphère retenue, que se passait-il là-bas ? Ce n'est que plusieurs minutes plus tard que je découvrais ton nom "Giorgione". Je n'avais jamais entendu parler de toi.
Je regardais de tous côtés pour voir d'autres toiles de toi. J' aperçus le portrait d'une vieille femme. Même facture étonnante, même finesse, même intensité. Aucune autre peinture.
Ce n'est qu'après mon retour à Paris que j'ai découvert qui tu étais, ton existence si courte, tes amours, la peste.
Au Louvre, Je reconnu ta main dans le "dîner champêtre" du Titien. Peu m'importe que les "spécialistes" l'attribuent au Titien.
Quand je découvris qu'une exposition allait avoir lieu de six ou sept peintures de ta maigre production à Venise, je pleurais de déception car je ne pouvais faire un séjour là-bas. C'est ma fille qui m'a entraînée. Elle m'a offert le voyage : nous sommes parties en train de nuit ce mois de janvier 2003. Après une mauvaise nuit durant laquelle nous avons appris que des migrants sans papiers avaient été ramassés par les douaniers et renvoyés dans leur patrie, nous sommes allés boire un café sur les Zaterre en attendant l'ouverture du musée.
Quelques œuvres étaient là. Nous y sommes restées longtemps, méditatives, presque seules, conscientes de voir là rassemblées des œuvres étranges, silencieuses, intenses que nous ne reverrions peut-être jamais.
Le ciel gris d'hiver, une pluie fine accompagnèrent notre promenade dans la ville en attendant le train qui allait nous ramener de nuit à Paris.
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vendredi, 01 mai 2009
Eloge de la mémoire
Fragment
La rubrique Fragments offre des morceaux de textes classiques, connus ou inconnus, qu'il est heureux de relire.
Eloge de la mémoire
François de Chateaubriand, 1768-1848
Mémoires d'outre-tombe, 1849
&
Luis Buñuel, 1900-1983
Mon dernier soupir, 1986
(co-écrit avec Jean-Claude Carrière)
Buñuel, ouvrent leurs biographies
par un éloge de la mémoire.
« Une chose m'humilie : la mémoire est souvent la qualité de la sottise ; elle appartient généralement aux esprits lourds, qu'elle rend plus pesants par le bagage dont elle les surcharge. Et néanmoins, sans la mémoire, que serions-nous ? Nous oublierions nos amitiés, nos amours, nos plaisirs, nos affaires ; le génie ne pourrait rassembler ses idées ; le coeur le plus affectueux perdrait sa tendresse, s'il ne s’en souvenait plus ; notre existence se réduirait aux moments successifs d'un présent qui s'écoule sans cesse ; il n'y aurait plus de passé. Ô misère de nous ! notre vie est si vaine qu'elle n'est qu'un reflet de notre mémoire ».
François de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe
C’est aussi après avoir opposé les récitations par cœur, si méprisées, de sa vie d’écolier et l’amnésie de vieillesse de sa mère, que Luis Buñuel redonne à la mémoire son rôle sentimental et biographique.
« La mémoire est perpétuellement envahie par l'imagination et la rêverie, et comme il existe une tentation de croire à la réalité de l'imaginaire, nous finissons par faire de notre mensonge une vérité. Ce qui d'ailleurs présente une importance relative, puisqu'ils sont aussi
vécus, aussi personnellement l'un que l'autre.
Dans ce livre semi-biographique, où il m’arrivera de m’égarer comme dans un roman picaresque, de me laisser aller au charme irrésistible du récit qu’on n’attendait pas, quelques faux souvenirs subsistent peut-être encore, malgré ma vigilance. Je le répète, je n’en offre qu’une très légère importance.
Je suis composé de mes erreurs et de mes doutes, comme de mes certitudes. N’étant pas historien, je ne me suis aidé d’aucune note, d’aucun livre, et le portrait que je propose est de toute façon le mien, avec mes affirmations, mes hésitations, mes répétitions, mes lacunes, avec mes vérités et mes mensonges, pour le dire en un mot : ma mémoire ».
Luis Buñuel, Mon dernier soupir
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mercredi, 15 avril 2009
de la supériorité des athéniens sur les spartiates
Fragment
La rubrique Fragment offre des morceaux de textes classiques, connus ou inconnus, qu'il est heureux de relire.
Les Corinthiens reprochent aux Lacédémoniens (habitants de Sparte) de ne pas les défendre contre les Athéniens. Ils comparent la passivité de Sparte à l'esprit d'entreprise d'Athènes. C'était il y a deux mille cinq cents ans.
Thucydide
La Guerre du Péloponnèse
Traduction de Denis Roussel
"Entre eux et vous, quel contraste ! Vous ne vous ressemblez en rien. Ils sont novateurs, prompts à concevoir, prompts à réaliser ce qu'ils ont décidé. Vous ne songez, vous, qu'à maintenir l'état des choses existant. Jamais il ne vous vient une idée neuve et, au moment d'agir, vous manquez même à l'indispensable. Leur audace dépasse leurs moyens ; ils risquent plus que de raison et, dans les moments critiques, ils gardent bon espoir. Chez vous, les entreprises restent en deçà des moyens ; vous vous défiez même des plus sûrs avis de la raison et, aux heures de péril, vous pensez n'en jamais sortir. Ils se plaisent dans l'action comme vous dans les atermoiements. Ils partent volontiers pour les pays étrangers, tandis que vous tenez par-dessus tout à rester chez vous. Ils comptent, en partant, accroître leurs possessions. Vous craignez de compromettre par de telles expéditions jusqu'à vos biens acquis. S'ils l'emportent sur l'ennemi, le plus qu'ils peuvent, ils poussent leur avantage, et, en cas d'échec, ils cèdent le moins de terrain possible. En outre, si l'Athénien sait, plus que tout autre, faire don de sa personne à la patrie, nul ne sait aussi bien que lui conserver, en se dépensant pour elle, toutes les ressources de son jugement propre. Quand ces gens n'atteignent pas l'objectif qu'ils s'étaient fixé, ils ont l'impression qu'on les dépouille de ce qui leur appartient, et, si une expédition vient à leur rapporter quelque avantage, c'est pour eux un résultat médiocre en comparaison de ce qui leur reste à faire. S'ils viennent à échouer dans quelque tentative, c'est pour eux un manque à gagner qu'ils compensent par de nouvelles espérances. La rapidité avec laquelle ils entreprennent ce qu'ils ont décidé fait de ce peuple un cas unique : chaque fois qu'ils forment un dessein, l'espérance et la possession pour eux ne font qu'un. Pour arriver à tout cela, ils peinent leur vie durant dans les travaux et les périls. Ils profitent fort peu de leurs possessions, occupés qu'ils sont à acquérir toujours. Les jours de fête, pour eux, sont ceux où ils font ce qu'ils ont à faire et les loisirs de l'inaction leur sont plus pénibles que le tracas des affaires. Bref, on pourrait justement caractériser les Athéniens par une formule et dire qu'il est dans leur nature de ne pas rester en repos et de n'en pas laisser aux autres."
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mardi, 17 mars 2009
SOS virtuel
Nous présentons :
une requête de notre correspondante Sara à l'entité "Wanadoo" ;
un proverbe malgache adapté à la modernité,
et un texte de Charles de Montesquieu sur la fulgurance des communications modernes.
Charles de Montesquieu (1689-1755) s’effrayait de la rapidité fulgurante des communications modernes. Calmons-nous donc lorsque, fâché, fatigué, le réseau n’atteint plus notre ordinateur.
Cher Monsieur, chère Madame,
Je vous fais part du problème curieux que je rencontre avec ma ligne Internet, le numéro de téléphone qui va avec cette ligne Internet et mon fixe classique : les deux lignes se mélangent ; quand je reçois un appel, les deux téléphones sonnent. Or, ils sont sensés correspondrent à des lignes séparées. C'est très bizarre.
Par ailleurs - ou bien totalement liée (puisque les deux choses sont concomitantes) - la ligne Internet ne marche plus sur un des ordinateurs familiaux.
J'avoue que le problème me dépasse. Je n'arrive probablement pas bien à vous donner les bonnes informations puisque je ne réussis pas à comprendre ce qui se passe.
Un exemple : je peux théoriquement - du moins je pouvais jusqu'à une période récente - appeler un numéro de "portable"de ma ligne liée à un internet. Ce téléphone me refuse ce service, comme s'il se prenait soudain pour ma ligne fixe, depuis laquelle - effectivement - il n'est pas possible d'appeler un "portable". Pour qui se prend ma ligne fixe ?
Je vous remercie de bien vouloir dénouer cet écheveau et vous prie de croire en mes salutations les meilleures
Sara n’a à ce jour pas reçu de réponse de l’assistance Wanadoo. Nous lui adressons tout notre soutien.
Aza ketraka, fa halavoan-dehilahy manongalika.
Ne vous découragez pas, car un homme ne tombe que sur ses bras et sur ses jambes.
Proverbe malgache
« L’invention des postes fait que les nouvelles volent et arrivent de toutes parts.
Comme les grandes entreprises ne peuvent se faire sans argent, et que, depuis l’invention des lettres de change, les négociants en sont les maîtres, leurs affaires sont très souvent liées avec les secrets de l’Etat ; et ils ne négligent rien pour les pénétrer. (…)
L’invention de l’imprimerie, qui a mis les livres dans les mains de tout le monde ; celle de la gravure, qui a rendu les cartes géographiques si communes, enfin l’établissement des papiers politiques, font assez connoître à chacun les intérêts généraux pour pouvoir plus aisément être éclairci sur les faits secrets.
Les conspirations dans l’état sont devenues difficiles parce que, depuis l’invention des postes, tous les secrets particuliers sont dans le pouvoir du public."
De la grandeur des Romains et de leur décadence, Charles de Montesquieu
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mardi, 10 février 2009
Lucrèce et le clinamen
De rerum natura
Un extrait suivi d'une traduction
D'où vient la liberté que nous avons sur notre propre vie ?
Du mouvement des atomes, qui dévient de leur course, arrêtant ainsi le cours automatique du destin pour donner naissance au libre arbitre.
Inspirée d'Epicure, la pensée poétique de Lucrèce, qui veut prouver notre liberté, est une grande révolution intellectuelle et scientifique.
Denique si semper motus conectitur omnis,
et vetere exoritur semper novus ordine certo,
nec declinando faciunt primordia motus
principium quoddam quod fati foedera rumpat,
ex infinito ne causam causa sequatur,
libera per terras unde haec animantibus exstat,
unde est haec, inquam, fatis avolsa voluntas,
per quam progredimur quo ducit quemque voluptas,
declinamus item motus nec tempore certo
nec regione loci certa, sed ubi ipsa tulit mens ?
« Si toujours tous les mouvements sont solidaires, si toujours un mouvement nouveau naît d’un plus ancien suivant un ordre inflexible, si par leur déclinaison les atomes ne prennent pas l’initiative d’un mouvement qui rompe les lois du destin pour empêcher la succession indéfinie des causes, d’où vient cette liberté accordée sur terre à tout ce qui respire, d’où vient, dis-je, cette volonté arrachée aux destins, qui nous fait aller partout où le plaisir entraîne chacun de nous, et, comme les atomes, nous permet de changer de direction, sans être déterminés par le temps ni par le lieu, mais suivant le gré de notre esprit lui-même ? »
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dimanche, 01 février 2009
Le trafic à la muette
Quelquefois, le silence suffit. C'est ce que montrent ces trois textes issus de l'Antiquité et du Moyen âge. Ils prouvent qu'une belle intégrité suffit pour qu'une économie se développe harmonieusement. L'or, ce beau métal, est traité avec toute la dignité qu'il mérite.
5° siècle avant J.C.
Hérodote, historien grec, raconte comment les Carthaginois échangeaient des marchandises contre de l'or.
"Il y a au-delà des colonnes d'Hercule un pays qu'habitent des hommes. Lorsque les Carthaginois arrivent chez ces peuplades, ils déchargent leurs marchandises, les rangent le long du rivage, puis remontent à bord et allument des feux pour faire de la fumée. Lorsque les indigènes voient la fumée, ils viennent sur le bord de la mer, placent de l'or vis-à-vis des marchandises et s'éloignent.
Les Carthaginois débarquent alors et vont se rendre compte si l'or leur semble égal au prix des marchandises, ils le prennent et s'en vont, sinon ils remontent à bord et attendent. Alors les Indigènes reviennent, ajoutent de l'or à celui qu'ils ont mis, jusqu'à ce qu'ils soient d'accord. Ni les uns, ni les autres ne sont malhonnêtes. Les Carthaginois ne touchent pas à l'or, tant qu'il ne leur paraît pas payer leurs marchandises, et les Indigènes ne touchent pas aux marchandises avant que les Carthaginois n'aient pris l'or." (Texte trouvé dans les "notes" de Joseph Bourilly, publiées par E. Laoust en 1932)
7° siècle après J.C.
Plus précis, Yacout, chroniqueur arabe, décrit les transactions des marchands maghrébins contre la poudre d'or et nomme le pays : Bambouk (c'est-à-dire le Sénégal) :
"Les marchands maugrebins arrivés à proximité du Sénégal annoncent leur arrivée par des battements de tambour. "Les Noirs des pays aurifères… dès qu'ils entendaient le son du tambour, sortaient de leurs cachettes et attendaient sans bouger à une certaine distance ; les commerçants déballaient leurs marchandises ; …puis tous s'éloignaient… Les Noirs s'approchaient alors… et disposaient une quantité déterminée de poudre d'or, puis se retiraient… Les marchands revenaient ensuite et chacun prenait ce qu'il trouvait d'or à côté de son tas de marchandises : ils s'en retournaient en battant du tambour pour annoncer leur départ, laissant les marchandises." (Selon E. F. Gautier, "Le passé de l'Afrique du Nord, les siècles obscurs", chez Payot en 1937)
Ce commerce muet devait se pratiquer aussi à l'est, vers l'Ethiopie, selon l'historien Joseph Ki-Zerbo qui le raconte dans son "Histoire de l'Afrique noire" (Hatier, 1978)
6° Siècle après J.C.
Un marchand grec, Cosme "qui avait beaucoup bourlingué" écrivit un livre intitulé "La cosmographie chrétienne pour réfuter les théories sacrilèges et païennes sur la rotondité de la terre" Il décrit, rapporte Joseph Ki-Zerbo, "des caravanes armées jusqu'aux dents qui, tous les deux ans, conduisaient des centaines de marchands chez les Sasou du Sud-Ethiopien, avec du bétail, des barres de sel ou du fer, etc Arrivés sur place, ils disposaient par lots, sel, fer, morceaux de viande, et pratiquaient le commerce muet qui leur permettait de ramener des produits du sud consistant surtout en pépites d'or."
Ce commerce est donc attesté par des auteurs d'époques et d'origines diverses qui n'ont pu, disent les historiens, connaîtrent les écrits des uns et des autres. Ces textes m'ont donné l'envie de proposer une nouvelle rubrique à ma rédactrice en chef sur le thème de l'économie, moi qui n'y connais rien.
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mardi, 27 janvier 2009
Napoléon
Napoléon
Lire :
1) Mémoires d'outre-tombe, par François-René de Chateaubriand (texte de l'édiition originale 1849), présenté par Pierre Clarac, le Livre de Poche, 1973.
2) La Guerre et la Paix, par Léon Tolstoï (publié en 1878), traduction par Elisabeth Guertic, éditions Fernand Hazan, 1950, 2vol. + étui.
3) Guerre et Paix, film de Serge Bondartchouk réalisé en quatre parties entre 1965 et 1967, projeté pour la première fois en France enaoût 2004, dans son intégralité lors du festival annuel "Cinéma et Littérature russes", au cinéma L'Arlequin, rue de Rennes à Paris.
4) Le site www.napoleonicsociety.com
François de Chateaubriand consacre plus de 200 pages de ses Mémoires d'outre-tombe à Napoléon. Il décrit celui-ci comme un homme qui a su rétablir l'ordre après le bain de sang de la "Terreur". Mais il le déclare un homme de l'ancien régime, démocrate par opportunisme et seulement pour un temps. Il est à la fois admirateur de son "génie" et refroidi par ses crimes. "Je n'ai jamais salué la parole ou le boulet" dit-il et en effet, comme Victor Hugo, il s'est vite éloigné de Napoléon.
Léon Tolstoï écrit en six ans le roman La Guerre et la Paix qui met en scène deux familles d'aristocrates russes au moment où Napoléon envahit l'Europe et se heurte à l'Empereur Alexandre. Le héros, le prince André Bolkonsky, est lui aussi un admirateur de Napoléon jusqu'à la bataille d'Austerlitz où il est blessé : "Comment n'ai-je pas vu ce haut ciel plus tôt ? Et comme je suis heureux de le connaître enfin. Oui ! tout est vanité, tout est mensonge, hormis ce ciel infini." Son point de vue change alors sur Napoléon.
Le film Guerre et Paix tiré du roman et réalisé avec les moyens exceptionnels que l'ancienne URSS avait mis à la disposition du réalisateur Serge Bondartchouk dans les années soixante est l'occasion de magnifier le peuple russe. Le réalisateur fait un montage percutant de certaines scènes, comme celle-ci : la comtesse Rostov devient folle de douleur quand elle apprend la mort de son fils. Après un "cut" brutal sur cette scène bouleversante, l'image d'après montre Napoléon marchant de profil de gauche à droite, inéluctable, indifférent, apportant la guerre et la mort.
À ces deux auteurs du XIX° siècle, Chateaubriand et Tolstoï, qui expriment tour à tour admiration et horreur pour Napoléon, montrant l'ambivalence des sentiments, l'hésitation du cœur et de l'esprit, s'oppose la certitude des passionnés de l'aventure de Napoléon.
Le site des fervents de Napoléon justifie l'assassinat du Duc d'Enghien – kidnappé à l’étranger et fusillé dans les fossés de Vincennes après un procès expédié dans la nuit - et soutient que le procès fait à Napoléon serait une machination indigne. Car Napoléon serait « un homme de paix »…Sur ce site, peu convaincant, le président, dénonce une histoire officielle hostile à Napoléon. D'autres sites existent qui exaltent l'empereur. La plupart, plus raisonnables, et que le lecteur trouvera facilement sur Internet, se contentent de faire des recherches et des reconstitutions historiques comme l' « Institut Napoléon ».
Pourquoi des hommes du début du XXI° siècle ont-ils besoin de s'enthousiasmer pour un mégalomane, même de génie, qui a entraîné dans la guerre des millions de jeunes gens les arrachant à leur famille et les promettant à des morts horribles ? Nous les humains, sommes-nous réellement amateurs de guerres ?
Peut-être serait-il utile de se poser cette question sérieusement à l'heure où les guerres éclatent partout - dans l'oubli des guerres du XX° siècle -, et où des hommes, des femmes, des enfants, des jeunes gens sont horriblement blessés, souffrent, meurent. Tandis que les chefs de guerre se lèvent toujours plus nombreux, toujours plus excités, et - il ne faut pas l'oublier - de plus en plus éloignés, physiquement, du champ de bataille.
Faut-il relire la "Servitude volontaire" de La Boétie ?
Sara
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jeudi, 15 janvier 2009
Un voyage féodal
1) Vie de saint Louis par Jean de Joinville (XIII° siècle), Classique Garnier, 1995.
2) Histoire de l'Afrique noire par Joseph Ki-Zerbo (XX° siècle), éditions Hatier, 1978.
3) Abbrégé chronologique ou extrait de l'histoire de France par le Sr De Mezeray (XVII° siècle), historiographe de France, Tome I (et suivants pour ceux qui les trouvent), 1698.
Un seigneur champenois du début du XIII siècle, Jean de Joinville, accompagne le roi saint Louis dans ses croisades pour délivrer le tombeau du Christ. Il en fait la chronique dans son livre, "Vie de saint Louis".
Au milieu du XX° siècle, un historien africain, Joseph Ki-Zerbo (né en Haute-Volta et agrégé d'histoire en France en 1956) sillonne l'Afrique de part en part à la recherche de récits anciens qui dorment dans les bibliothèques, et de traditions orales qu'il recueille auprès de conteurs, de sages… Il écrit une monumentale "Histoire de l'Afrique noire".
La lecture quasi simultanée de ces deux livres entraîne le lecteur dans un incroyable voyage dans le temps du moyen âge, en compagnie des contemporains de cette époque très agitée. Joinville raconte "sa guerre" aux côtés de saint Louis. Joseph Ki-Zerbo cite des voyageurs arabes ou musulmans. Le lecteur compare les dates. Que se passait-il dans telle région d'Afrique noire au moment des Croisades ? Quels regards les uns portaient-ils sur les autres ? Qui étaient ces "seigneurs" européens, ces sultans musulmans, ces rois prêtres noirs qui se ressemblent étonnement, sinon dans les mœurs, du moins dans leur comportement de fauves, de prédateurs, de guerriers : c'est l'époque des grands féodaux. Ils se reconnaissent entre eux, se combattent avec violence, mais ils se respectent. Les fils des rois noirs tués sont élevés à la cour de celui qui les a vaincus. Le cri "cousin du roi" suffit pour que les sarrasins gardent Joinville en vie.
Le troisième livre est plus difficile d'accès : seuls des libraires spécialisés ou bien des sites Internet de livres anciens permettent de le trouver : c'est l'"Abrégé Chronologique ou extrait de l'Histoire de France", de Mezeray. Je n'ai trouvé que le tome I. C'est le livre d'histoire du XVII° siècle. Il retrace la chronologie des rois de France depuis Faramond (418).
Voilà un livre qui se lit avec stupeur et crainte car il décrit l'extrême violence de ces époques. Il fut écrit pour tenter de donner un sens à l'histoire de la royauté française, d'en montrer la cohérence. Il a un autre intérêt, partagé avec le livre de Joinville : c'est celui d'introduire le lecteur dans le système compliqué de la féodalité européenne.
Enfin, ces lectures éclairent du poids de l'histoire les guerres contemporaines du Proche-Orient : cette partie de l'Afrique est devenue chrétienne (II°, IV° siècles) quand l'Empire romain déclinant, s'est converti. Les vieilles religions de l'Antiquité ont alors disparu. Et, très vite après sa naissance au VII° siècle en Arabie, l'Islam envahit toute cette région qui devient musulmane, sauf l’Éthiopie et quelques foyers de résistance, copte en particulier.
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jeudi, 25 décembre 2008
Les Italiennes
Cette chronique se propose d'offrir au lecteur un choix de livres et de films lui permettant des voyages dans le temps, dans l'espace ou dans les idées grâce à un principe simple : lire simultanément des livres aux points de vue différents, d'époques variées, avec comme objectif de construire son propre regard sur le monde.
Les Italiennes
et Florence
par Stendhal (1826),
Gallimard Folio, 1987.
par Jean-François
Revel (1958),éditions
René Julliard, 1958.
sur l'Italie
par DH Lawrence
(écrit en 1916),
traduit de l'anglais
par André Belamich,
Gallimard, 1954.
Le voyage en Italie est une tradition. J'ai voulu le faire, moi aussi. Mais le temps m'a manqué. Je me suis résolue à voyager autour de ma chambre grâce aux récits de quelques écrivains.
J'ai bien sûr choisi dans ma bibliothèque Rome, Naples et Florence de Stendhal dont je gardais un bon souvenir. Puis Pour l'Italie de Jean François Revel dont je me souvenais de quelques phrases à l'emporte-pièce. Mais je n'ai pu choisir parmi les trois livres relatant les voyages méditerranéens de D. H. Lawrence : Sardaigne et Méditerranée, Promenades étrusques et Crépuscule sur l'Italie. Ce sont mes préférés.
À la lecture de ces trois auteurs, le sentiment qui domine est celui-ci : pour ces trois hommes, leur intérêt pour l'Italie s'efface à certains moments devant le sort fait aux Italiennes. Sur deux siècles, les contraintes qui pèsent sur elles s'aggravent en sens inverse de la libération des mœurs. De légères au début du XIX° siècle, les Italiennes deviennent des êtres affolés de leur destinée au milieu du XX° siècle. Du début à la fin, l'humain de sexe masculin est l'alpha et l'oméga de leur vie, la condition de leur existence.
Dans son récit Rome, Naples et Florence, Stendhal désire rompre avec les écrivains qui l'ont précédé et qui, dit-il, ne décrivent que des ruines. C'est la société italienne qu'il veut peindre, mais pas n'importe quelle société, celle des bourgeois, celle de la bourgeoisie montante.
Il note alors que "Le ridicule, pour une jolie femme en ce pays-ci, c'est de ne pas avoir de tendre engagement…On dit, en haussant les épaules : "è una sciocca" (c'est une oie), et les jeunes gens la laissent se morfondre sur sa banquette". Une Italienne, selon lui, se doit d’être légère. Sans cette condition, tous la fuient.
Un siècle et demi plus tard, Jean François Revel réside quelque temps en Italie et écrit, en 1958, Pour l'Italie. La situation des femmes ne s'est pas améliorée. Son héroïne explique qu'une femme qui n'est pas mariée n'existe pas. À l'attention tendre et étonnée de Stendhal devant cette même condition féminine, succède la brutalité et la vulgarité des propos de Jean François Revel sur les rapports des femmes italiennes avec les hommes, son mépris arrogant pour leur personne ("Une Italienne est toujours jalouse d'une cour que vous devriez lui faire en vain, et qu'elle sous-entend que vous lui faites, même quand vous ne jetez jamais les yeux sur elle").
Le laid, le souffrant DH Lawrence fait preuve, au contraire d'une grande sensibilité aux conditions de vie des êtres humains qu'il rencontre en ce début du XX° siècle. Ce sont les hommes autant que les femmes qu'il décrit. Comme les deux autres écrivains, il décrit cette même contrainte qui sévit sur les esprits et sur les corps, ces relations difficiles entre hommes et femmes. Il s'en émeut. Loin de les mépriser ou de porter des jugements durs sur eux, il les comprend, il analyse leur âme, il a confiance en leur possible rédemption. Il les respecte.
Au lecteur déconfit par les relations humaines, il reste, de ces cinq livres, les paysages, les musées et les ruines. On s'y promène finalement avec délices.
Sara
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