Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 11 octobre 2009

26 mars 1962

 

Rue-d-Isly-1.jpg

 

 

mercredi, 26 août 2009

Ave Imperator ! Morituri te salutant !

 

sara par la fenêtre+mousse.jpg
Sara par Edith CL

 

 

« S'il faut donner son sang, Allez donner le vôtre, Vous êtes bon apôtre, Monsieur le président »
Boris Vian

« Du combat, seuls les lâches s'écartent »
Homère

Dans l’Antiquité, puis au Moyen-Âge, les chefs étaient au premier rang dans les batailles. Peu à peu, les dirigeants apprirent à faire la guerre sans risquer leur vie.
Lors de la campagne française en Russie, le prince russe, Bagration, finissait certaines batailles au corps à corps… Dans le camp d’en face, l’empereur Napoléon restait en retrait du champ de bataille. Il risquait beaucoup moins sa vie que ses prédécesseurs ; mais les canons sifflaient sur sa tête et il pouvait à tout moment exploser avec sa longue-vue. Pourtant, il fuit en cachette la Russie, pour rejoindre Paris, où il reprit sa vie de palais pendant que ses soldats mouraient de faim, de froid et de fatigue dans la neige russe. Il ouvrait ainsi une ère très agréable aux chefs : celle où leurs décisions ne les engageaient plus à mourir.

Certaines scènes appartiennent à nos époques, comme celle d’un chef des armées qui dirige les opérations depuis sa maison de campagne, n’ayant aucune expérience matérielle, physique et psychologique de ce qu’il prône. Il nous paraîtrait aberrant que Messieurs les présidents de la république des Etats-Unis d’Amérique, d’Israël, du Liban, soient en train de se battre aux côtés de leurs soldats, de lâcher eux-mêmes les bombes sur les villes et sur les populations.
Saint-Exupéry écrivait : « La guerre, ce n’est pas l’acceptation du risque. Ce n’est pas l’acceptation du combat. C’est, à certaines heures, pour le combattant, l’acceptation pure et simple de la mort ». Cette parole est vraie pour ceux qui font la guerre ; elle ne l’est pas pour ceux qui la décident, ni pour ceux qui la votent à l’Assemblée, ni pour le chef des armées. Pour eux, il ne s’agit pas de l’acceptation de leur propre mort, mais de celle des autres.
La répartition des rôles et des métiers a ses utilités, ses justifications, certes.
Mais le sacrifice de la vie des autres n’exige pas le même engagement personnel que l’acceptation de sa propre mort… L’observation des hommes et des animaux nous rappelle assez comme l’horreur de la mort et l’amour irrationnel de la vie sont répandus ; la gloire de ceux qui décident la guerre, et la mort de ceux qui la font, laissent rêveur.
Comme les chefs d’Etat, la plupart des citoyens ne connaissent pas la guerre réelle, directe, celle qui fait irruption dans la vie pour balayer toutes les choses aimées. Que signifie « intervenir en Afghanistan, en Irak, en Serbie », pour un citoyen dont le rapport à la guerre se réduit à regarder une télévision ? La perte de soldats français en Afghanistan ne faisait pas même l’objet d’une ligne dans les grands journaux français. Le peuple français ne s’intéressait pas aux conséquences des décisions prises en son nom, puisqu’il n’était pas en danger.
« Se faire tuer » est le métier du soldat ; les citoyens des nombreux Etats engagés en Serbie pouvaient approuver de concert les interventions meurtrières sans réfléchir outre mesure. S’ils avaient été concernés par la mort, sans doute la défense guerrière des droits de l’homme aurait paru moins alléchante, plus discutable.

A la barbarie des chefs sanguinaires des despotismes d’antan, succède l’indifférence des technocrates décisionnaires. Dès lors, comment penser la guerre ? Faut-il la refuser complètement ? Ou, considérant qu’elle est inéluctable, faut-il l’organiser ?
Lorsqu’on compte les morts au combat, comment accepter que le chef des armées ne déplore pas la moindre foulure, ni même une tâche de boue sur ses costumes ?
Quelle est la valeur d’une décision qui met la mort en jeu, quand le décisionnaire sait que lui et les gens qu’il aime seront totalement épargnés ? Dans quelle mesure des chefs d’Etat et des ministres, désolidarisés, dans les faits, de ceux qui mourront d’appliquer leurs décisions, peuvent-il les représenter officiellement ?
Quelle considération donner à des décisions prises par des hommes protégés, sacrifiant, au nom des droits de l’homme ou au nom d’autres idéaux paisibles, la vie d’autres hommes ? Y a-t-il une légitimité à voter la mort des autres, même au nom des idéaux les plus élevés, quand soi-même on ne s’engage pas dans la bataille ? La réponse à ces questions abyssales oscille entre la vie et la mort.

Edith de Cornulier-Lucinière, Paris

 

 

lundi, 27 juillet 2009

Ma rencontre avec Anne-Pierre Lallande, chrétien, anarchiste, antispéciste

 katharina flunch-barrows,anne-pierre lallande,kyra portage,edith de cornulier,antispécisme,féminisme,anarchisme,catholicisme,buenos aires,paris

Phot Sara

 

Par Katharina Flunch-Barrows

Anne-Pierre avait de longs jeans qui pendaient autour de ses longues jambes et il flottait dans des chemises blanches, bleues, vertes, toutes délavées. Il avait une voix légère comme celle d’un oiseau et rassurante comme certaines voix des hommes. Il avait des cheveux blonds un peu ondulés qui voletaient autour de son visage, dans le vent du matin. Il parlait peu ; il parlait bien. Il mangeait peu ; il mangeait bien. Il aimait peu ; il aimait dans l'abnégation de lui-même.
C’était Edith qui me l’avait présenté. Elle me présentait les hommes qu’elle aimait parce qu’elle ne savait que faire avec eux. Elle sentait cette proximité, et en même temps une immense barrière qui lui interdisait de se rapprocher d’eux. C’eut été trop dangereux. Je parlais déjà bien français et j’étais heureuse de pouvoir échanger des idées avec cet homme beau, ou plutôt aimable et frais, charmant et secret. 

J’ai tout découvert peu à peu, au fur et à mesure que nos relations s’approfondissaient : la croix autour du cou ; son chien Jumbo-Roi ; le vieux manoir de son amie Esther, où il allait se ressourcer et faire courir son chien. Et les vieux livres des anarchistes d’alors et d’antan. Raoul Vaneigem et La Boétie ; Bakounine et Tolstoï ; Victor Serge et Pic de la Mirandole. Il y avait aussi, dans sa bibliothèque, Giordano Bruno et les Cahiers antispécistes, James Douglas Morrison et Sainte Thérèse d’Avila.
Il avait aimé Catherine de Sienne et avait cessé de manger lors de longues séances d’adoration de la sainte. Il avait allumé des cierges dans des églises et brûlé des affiches dans les rues de la révolte. Il avait couru dans les manifs et mangé dans les camps de gauche et dans les camps de droite. Il avait vécu et senti beaucoup de choses et il en était revenu profondément triste. Quelque chose n’allait pas, mais son sourire tendre, teinté d’humour, plus rassurant que rassuré, nous berçait et empêchait, par une paresse toute confortable, toute égoïste, de s’intéresser au fond du cœur d’Anne-Pierre. On croyait l’aimer : c’était qu’on était content qu’il nous aime.
Bien sûr, beaucoup de regrets surgissent, en cascade, navrants, navrés. Je ne suis pas la seule : perdre quelqu’un, c’est se rendre compte, bien souvent, de tout ce que l’on n’a pas su dire ; de tout ce que l’on s’est retenu de donner. Un voile de pudeur métallique empêche ceux qui s’aiment de se le dire, surtout si leur amour n’est pas d’une forme reconnue. Hors la vie amoureuse et la vie de famille, quel est le statut de l’amour ? Et pourtant n’est –ce pas l’amour, ces tendresses et ces souffrances que l’on ressent pour ceux qu’on croise, et qu’on recroise, auxquels on pense et qui, un jour, partent et ne reviennent plus. Ils n’existent plus. Ils ont disparu. Le monde continue sans eux et ils ne reviennent qu’en images lointaines peupler les cerveaux de ceux qu’ils ont aimé. 

Anne-Pierre, anarchiste, catholique, antispéciste, féministe, et si modéré au fond. Modéré, pas par lâcheté, mais par une connaissance trop parfaite de trop d’univers trop différents. Ma vie, au moins, aura été changée par ta présence, par ce que tu étais. Je ne suis sûrement pas la seule. Je ne regrette pas que Jumbo-Roi soit parti avec toi (qui t’aurait remplacé auprès de lui ?) Et il me reste le ciel et les oiseaux, les nuages et la lumière du boulevard dans le matin, pour rêver de toi et te parler tout bas. 

 

Katharina F-B, lundi 27 juillet 2009, après un dîner de crêpes et bière à Buenos Aires, in mémoriam.

 

Traduit de l’espagnol argentin par Edith CL et Kyra Portage

 

 

Para ti

 

 

Cosmos 2.jpg
Phot Sara

 

 

Je m’adresse à vous, mon Dieu

Car vous seul donnez

Ce qu’on ne peut obtenir que de soi.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste.

Donnez-moi ce que l’on ne vous demande jamais.

Je ne vous demande pas la richesse,

Ni le succès, ni peut-être même la santé.

Tout ça, mon Dieu, on vous le demande tellement

Que vous ne devez plus en avoir.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste,

Donnez-moi ce que l’on vous refuse.

Je veux l’insécurité et l’inquiétude.

Je veux la tourmente et la bagarre,

Et que vous me les donniez, mon Dieu, 

Définitivement.

Que je sois sûr de les avoir toujours

Car je n’aurai pas toujours le courage

De vous les demander.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste,

Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas.

Mais donnez-moi aussi le courage

Et la force, et la foi.

Car vous seul donnez

Ce que l’on ne peut obtenir que de soi.

 

 

André Zirnheld

dimanche, 05 juillet 2009

Ne me quitte pas, ma langue

kiko.jpg

 

 

Ne me quitte pas
Je t'inventerai
Des mots insensés
Que tu comprendras

Je suis assise à ma table de travail et mon regard flotte autour de moi. J’écris une lettre électronique à un ami.

Je tente de décrire ce que je vois en quechua, et bute contre l’absence de mots : absence de mots pour décrire les objets qui m’entourent, les matériaux dont ils sont faits. Absence de mots.

Au-delà de l’absence de mots, la différence entre les modes de pensée : combien de temps et de travail faudrait-il pour traduire la couverture d’un magazine économique ou culturel urbain en quechua ? Hélas, le contraire n’est pas vrai : il est plus facile d’expliquer l’intraduisible en français qu’en quechua. Parce que, de par l’ampleur ou la petitesse de leur influence culturelle, les champs que ces langues englobent, sont sans commune mesure : l’une est confinée à un monde coupé du monde, l’autre fait le monde.

Mes doigts tapotent au hasard sur le clavier de mon ordinateur et je cherche maintenant à écrire en tahitien. Mais, si les obstacles sont différents, le problème demeure.

Où sont passées ces langues ? Elles sont restées là-bas, très loin.

Je te parlerai
De ces amants-là
Qui ont vu deux fois
Leurs cœurs s'embraser

Un pincement au cœur, je me souviens de conversations entre citadins péruviens en quechua : des paysans andins, qui parlent quechua quotidiennement, ne pouvaient pas comprendre le sens de ce qui se disait : le quechua « moderne » et le quechua « traditionnel » sont deux langues qui s’éloignent l’une de l’autre et ne se comprennent plus. La première est trop envahie par l’espagnol pour tenir, et la seconde est trop loin de l’espagnol pour tenir.

Lors de mes devoirs de tahitien, j’employais des mots présents dans le lexique franco-tahitien : ma professeur, tahitienne, me demandait ce que j’avais voulu dire : ce mot n’existe pas ! puis je lui montrai le dictionnaire et elle levait les yeux au ciel, soupirant sur toutes ces inventions vaines de l’académie tahitienne.

Je te raconterai
L'histoire de ce roi
Mort de n'avoir pas
Pu te rencontrer

Peut-on moderniser une langue et la façon de l’employer sans détruire la pensée dont elle témoigne ?

Quand j’écrivais des poèmes en tahitien avec mon amie tahitienne, elle rougissait souvent et voulait revenir au français, me disait qu’elle avait honte de penser de telles choses dans sa langue : la pensée moderne, qui laisse l’individu seul face à une multitude de choix et d’idées qui ne s’insèrent pas dans une tapisserie culturelle unie, fait presque peur exprimée dans ces langues, comme une transgression.

On a vu souvent
Rejaillir le feu
D'un ancien volcan
Qu'on croyait trop vieux

Les locuteurs abandonnent leur langue en venant à la ville : ce n’est pas seulement par attirance pour la modernité ou par honte de leurs origines, mais parce que leur langue n’épouse plus leur réalité quotidienne. Le radicalisme qui consiste à plaquer la pensée et les concepts de la langue dominante sur la langue traditionnelle la tue sans doute autant que de l’abandonner.

Il est paraît-il
Des terres brûlées
Donnant plus de blé
Qu'un meilleur avril

Sauver les langues… Mais si elles ne sont pas portées par une réalité quotidienne riche et fluide, comme nos langues vivantes, ou si elles ne représentent pas une lumière collective, un idéal – comme l’hébreu -, comment pourrait-on aller contre le sens du vent, des marées, du temps ?

Et quand vient le soir
Pour qu'un ciel flamboie
Le rouge et le noir
Ne s'épousent-ils pas
Ne me quitte pas

Peut-être que sauver ces langues, c’est accepter de voir qu’elles n’ont pas accompagné un changement, et continuer à dire des choses mortes… Cela les ferait peut-être revivre…

Ne me quitte pas

Ne me quitte pas… Mais qui pleure, qui parle ? La langue au locuteur, ou le locuteur à la langue ?

 

 E CL

lundi, 25 mai 2009

Black Agnès

Quand AlmaSoror rend hommage à nos étoiles des temps proches et lointains,
quand AlmaSoror salue des êtres dont le souffle, la vision, la parole nous aident à vivre et à penser.

Etrange coïncidence autour d'une appellation : Black Agnès

Le surnom Black Agnes (Noire Agnès, ou Agnès la Noire) correspond à deux héroïnes, l'une historique devenue légende, l'autre, légende peut-être historique. La première Black Agnes est une femme qui vécut à au XIVème siècle en Ecosse. Son souvenir est associé au courage et à la jeunesse, entre Antigone et Jeanne d'Arc.

L'autre Black Agnes est une statue habitée par une très jeune fille qui vécut vers à Baltimore, il y a longtemps. Sa mémoire erre dans les limbes de l'horreur et de la tendresse, qui sont les atours tristes de l'adolescence.

Black Agnes I est courageuse ; Black Agnes II est vengeresse. Black Agnes I est arrogante ; Black Agnes II est exaltée. Black Agnes I est victorieuse nonchalante ; Black Agnes II est victime cruelle...

Intéressons-nous à leurs vies et rêvons à leurs secrets, en attendant, peut-être, que fasse irruption dans la mémoire anglo-saxonne une Black Agnes III.

 

Black Agnes I

 

Sir Walter Scott dit d'elle : "From the record of Scottish heroes, none can presume to erase her."

Epouse de Patrick Dunbar, comtesse de Moray, elle devait son surnom à ses cheveux très noirs. Elle était seule dans son château d'Ecosse, en 1338, au milieu des guerres anglo-écossaises. Entourée d'une poignée d'hommes et de ses servantes, elle refusa de se rendre lorsque les Anglais, menés par le Comte de Salisbury William Montague, assiégèrent son château.

Le siège dura six mois. Pendant six mois, Black Agnes nargua l'armée qui l'assiégeait, envoyant ses servantes, habillées richement, nettoyer les traces de la guerre sur les remparts. Elle ne céda à aucun chantage : quand on fit mine d'assassiner son frère aux portes du château, elle parut se réjouir, expliquant aux Anglais qu'elle hériterait avec joie de ses titres et de sa fortune. Joués par cette ruse, ne voulant pas satisfaire leur ennemie, ils laissèrent son frère en vie ! Elle reçut un appui extérieur au moment où, les vivres arrivant à leurs fins, on crut qu'elle devrait se rendre.

Le Comte de Salisbury, un des plus grands guerriers anglais, finit par abandonner la bataille et repartit avec ses troupes.

 

Black Agnes II

 

Une statue de Baltimore s'appelle Black Agnes. Black Agnes représente un personnage sans doute féminin, vêtu d'une longue robe, en position assise.

Des jeunes filles pétries de mystère et de malsain chuchotent tard dans la nuit à propos d'une certaine statue du cimetière : on dit qu'à minuit, les yeux de Black Agnes deviennent rouges et fixent intensément au loin. Car elle est habitée par l'esprit d'une femme morte de chagrin, après une infidélité de son fiancé, il y a très longtemps. Elle veut se venger de la femme qui en fut la cause.

Exaltée, téméraire, une jeune fille se porte volontaire pour aller passer la nuit dans le cimetière, auprès de Black Agnes. Ses amies, excitées et effrayées, tentent en vain de l'en empêcher. Le soir où l'adolescente a prévu de tenir son pari, ses amies l'accompagnent aux grilles majestueuses du jardin funèbre. Elles laissent l'héroïne s'engouffrer seule dans les allées et s'en vont se réfugier dans la maison de l'une d'entre elles. Dès l'aube, elles attendent, impatientes, le retour de leur amie. Mais celle-ci ne revient pas.

A la fin de la matinée, les jeunes filles mortes d'inquiétude se mettent en marche vers le cimetière.

Au fond des allées de tombes, sur les genoux de la statue de pierre, elle git, assassinée. Black Agnes s'est enfin vengée.

Plusieurs versions de la légende urbaine et sépulcrale de la jeune fille et du cimetière sont racontées dans différents endroits des Etats-Unis. Cette histoire faisait peut-être déjà frissonner l'Europe moyen-âgeuse.

Aujourd'hui, Black Agnes ne repose plus dans le cimetière de Baltimore : les autorités de la ville ont dû la déplacer plusieurs fois pour échapper aux messes noires et aux rituels morbides que les adolescents perpétraient, de nuit, à son chevet.

 

mardi, 10 mars 2009

Les litanies de la bonne mort

Les litanies de la bonne mort, prière traditionnelle

Scala_36_Oies_Henry.jpg
phot Sara

 

Seigneur Jésus, Dieu de bonté, Père de miséricorde, je me présente devant vous avec un cœur humilié, contrit et repentant. Je vous recommande ma dernière heure et ce qui doit la suivre.

Quand mes pieds immobiles m'avertiront que ma course en ce monde est près de finir,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi,

quand mes mains engourdies et tremblantes ne pourront plus presser le crucifix contre mon cœur et que, malgré moi, elles le laisseront tomber sur mon lit de souffrances,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand mes yeux, voilés et troublés par l'effroi d'une mort imminente, porteront vers vous leurs regards vagues et expirants,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand mes lèvres tremblantes et froides prononceront pour la dernière fois votre adorable nom,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand mes joues pâles et livides inspireront aux assistants la compassion et la terreur ; que mes cheveux, baignés des sueurs de l'agonie, se dresseront sur ma tête, annonçant ma fin prochaine,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand mes oreilles, près de se fermer à jamais aux discours des hommes, s'ouvriront pour entendre de votre bouche la sentence irrévocable qui fixera mon sort pour l'éternité,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand mon imagination, agitée par des fantômes effrayants et terribles, sera plongée dans les tristesses mortelles et que mon esprit, troublé par le souvenir de mes iniquités et par la crainte de votre justice, luttera contre l'Ange des ténèbres qui voudra me dérober la vue consolante de vos miséricordes et me jeter dans le désespoir,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand je verserai mes dernières larmes, symptômes de ma dissolution prochaine, recevez-les, ô mon Jésus, en sacrifice d'expiation, afin que je meure comme une victime de pénitence ; et, dans ce terrible moment,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand j'aurai perdu l'usage de tous les sens, que le monde entier aura disparu pour moi, et que je gémirai dans les angoisses de la dernière agonie et les affres de la mort,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand les derniers soupirs de mon cœur presseront mon âme de sortir de mon corps, acceptez-les comme venant d'une sainte impatience d'aller à vous; et alors,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

quand au dernier instant mon âme se détachant de mon corps, sortira pour toujours de ce monde, et laissera mon corps pâle, glacé et sans vie, acceptez la destruction de tout mon être comme un hommage que je veux offrir dès aujourd'hui à votre Majesté divine ; et, à cette heure suprême,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi

enfin, quand mon âme paraîtra devant vous, et qu'elle verra, pour la première fois, la splendeur immortelle de votre divine Majesté, ne la rejetez pas de votre présence, mais daignez me recevoir dans le sein de vos miséricordes, afin que je chante éternellement vos louanges ; et, en ce moment solennel,

Miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi.

 

lundi, 02 mars 2009

Les yeux, les tombeaux, l'esclave

michel ange,l'esclave,musée du louvre,sully prudhomme,les yeux

 

L'esclave

Michel Ange

(Louvre)

photo de Sara

 

Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Des yeux sans nombre ont vu l'aurore ;
Ils dorment au fond des tombeaux,
Et le soleil se lève encore.

Les nuits, plus douces que les jours,
Ont enchanté des yeux sans nombre ;
Les étoiles brillent toujours,
Et les yeux se sont remplis d'ombre.

Oh ! qu'ils aient perdu le regard,
Non, non cela n'est pas possible !
Ils se sont tournés quelque part
Vers ce qu'on nomme l'invisible ;

Et comme les astres penchants
Nous quittent, mais au ciel demeurent,
Les prunelles ont leurs couchants,
Mais il n'est pas vrai qu'elles meurent.

Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Ouverts à quelque immense aurore,
De l'autre côté des tombeaux,
Les yeux qu'on ferme voient encore.

 

(Sully Prudhomme 1839-1907)

 

jeudi, 18 décembre 2008

Les brisés de l'école

Les brisés de l’école

 

Aux nuls. Aux ratés. Aux rêveurs.

 

16.jpgphot Isabelle Ferrier

 

Quoi de plus indestructible que la certitude intérieure des profs d’avoir raison dans leurs jugements ?

Les nuls en classe, les imbéciles, les lents, les « dans la lune » forment la horde des méjugés qui n’ont aucune défense puisque, le système étant juste et formel, ils sont objectivement mauvais.

 

Comment peut-on noter ?

Comment peut-on croire que l’on fait autre chose que de servir un système qui privilégie un certain type de gens pour mieux léser les autres ?

 

Pour ceux qui ont réussi, moyennement ou très bien, la nullité scolaire des autres est incompréhensible. Le parcours qualifié de « normal » leur a paru si évident !

Un ami me raconte que les professeurs disaient à ses parents qu’il était bon travailleur mais manquait d’intelligence et n’irait jamais loin.

Une amie me raconte sa révolte lorsque en classe (en France) de CM1, elle découvrit la signification scolaire du mot « choix ». Choisir la bonne réponse consistait à trouver la bonne réponse. Un tel dévoiement d’un mot qui représentait la liberté la plongea dans un abattement stupéfait.

Une amie qui visite les classes me raconte comme les profs disent de leurs élèves « ils n’ont pas d’imagination ». Mais l’imagination, pour ces profs, n’est qu’une discipline scolaire. Pour un imaginatif, ce qu’ils appellent imagination n’est qu’un exercice scolaire de plus.

Les mots invention, imagination, choix, art, créativité sont dévoyés par l’école : ce sont des mots scolarisés. Il vaudrait mieux qu’elle renonce à les utiliser. Ainsi que les mots « intelligence, raisonnement, argumentation, culture ». Car elle n’a rien à voir avec cela.

 

L’école est un système de mesure. Certains esprits ne comprennent pas les chemins de réussite au sein de ce système de mesure. Alors, qu’ils connaissent par cœur l’œuvre de Byron, qu’ils consacrent leur vie libre à l’étude de et qu’ils lisent Thucydide avec passion ne leur apportera rien au regard de la scolarité ni de la vie sociale. Ils sont des savants non agrées.

Quant à ceux que rien n’intéresse mais qui comprennent le système de mesure scolaire, ils peuvent étudier dans les plus grandes écoles, emporter tous les concours, et les grandes voies de la réussite sociale leur sont ouvertes, quelle que soit leur réelle culture et la profondeur de leur intelligence. Ils sont des savants agréés par l’Etat.

 

« Tu n’en feras jamais d’autres ». « Peut mieux faire ».

 

Faut-il espérer un changement ? Assez désespéré, je pense que tout système de sélection est pervers et minant pour certains.

Impossible de vouloir retourner dans un monde où la sélection se fait par la force physique, par la naissance…

Aux professeurs, faut-il préférer l’armée de psychologues, assistants sociaux, pédopsychiatres et éducateurs qui bâtissent ensemble l’Empire psychologique qui nous colonise de son idéologie insaisissable un peu plus chaque jour ?

Non. La régulation sociale par un Ordre psychologique dominant n’est pas meilleure.

 

Sachons simplement que les nuls, les ratés, les minables, les bons, les intelligents, les adaptés changent de camp en fonction des instruments de mesure de la société.

 

 

Axel RANDERS