mercredi, 30 avril 2014
Intrigues de couloir
Ce jour-ci, au détour d'une fatigue ou d'un verre de vin (qui sait quel fut l'élément déclencheur), il se laissa aller à participer à des intrigues de couloir. Lui qui, d'ordinaire, s'abstenait de comploter en chuchotant dans des recoins entre deux réunions où l'on faisait semblant de bien s'entendre, lui qui partait vite le soir vers la station de métro, lui qui gardait pour lui-même les errances et les amertumes de ses affects, voilà qu'il médisait à voix basse au cours d'un déjeuner, voilà que, quelques heures plus tard, il murmurait avec d'autres, et ce sur le dos d'un autre, choisi en commun pour être dévoré sur l'autel de la bonne entente au Travail.
En prononçant ses paroles, en laissant savamment entendre qu'il ne disait pas tout par grandeur d'âme, en montrant des airs bons, des airs désolés, en hochant la tête, bref, en descendant l'escalier de la mesquinerie, il savait dans un coin de son coeur qu'il le regretterait plus tard.
Plus tard, c'est-à-dire dans la solitude de son bain moussant le soir même, ou au creux d'une insomnie, ou lorsqu'il se regarderait dans la glace le lendemain matin.
Mais ce fut, une semaine plus tard, au théâtre des Champs-Elysées que le remord tira la sonnette d'alarme dans son coeur, alors que la voix de basse déclamait l'aria de la Calomnie du facétieux Rossini. La calomnie est comme une brise...
En sortant du théâtre, il n'accompagna pas ses compagnons de sortie au Bar des Deux Théâtres ; il avait rendez-vous avec lui même.
La ligne 9 (Pont-de-Sèvres - Mairie de Montreuil) le ramena chez lui. Il sourit en songeant qu'il avait été éduqué à un bout de la ligne, autour du village d'Auteuil, et qu'il consommait aujourd'hui les fruits, tendres et amers selon les domaines, de son éducation, à l'autre bout de la ligne, à la station qui portait le nom du doux agneau de la Révolution : Robespierre.
C'est loin d'Auteuil, face à Robespierre qu'il fit plus ample connaissance avec son remord. Bientôt, il le congédia, car il sentit que ce remord, en grossissant, l'éloignait de lui-même en lui offrant une chappe de culpabilité certes lourde, mais qui le dédouanerait d'une introspection véritable.
Le remords partit par la fenêtre.
Sur le balcon où les plantes vertes frissonnaient dans la pénombre froide de minuit, il dialogua avec lui-même.
- Pourquoi as-tu participé à ces intrigues de couloir ?
- J'étais fatigué. J'avais bu un verre de vin au déjeuner. Je n'étais pas sûr d'obtenir mon augmentation (je n'osais pas la demander).
- Que cherchais-tu ?
- Rien de précis. Rien de clair.
- Qu'éprouvais-tu ?
- J'éprouvais la vengeance. Je médisais sur un homme qui, à certaines périodes de l'an dernier, m'a envoyé des piques au cours de réunions.
- C'était donc la vengeance, plus que le verre de vin ou la fatigue ?
- Je connaissais un certain plaisir de ne pas être celui qu'on rejette.
- Tu te sentais plus haut de le rabaisser ?
- Je cherchais la reconnaissance de mes interlocuteurs, je cherchais une plus grande intronisation dans le groupe.
- Tu voulais être accepté, non seulement toléré ?
- Et je me désolidarisais d'un faible, je me désolidarisais de celui qui se détache imperceptiblement du sommet.
- Tu as obtenu satisfaction ?
- J'avais honte, car les autres voyaient que j'étais capable de trahir.
- Eux aussi trahissaient.
- J'avais honte quand même.
Lorsqu'il entra dans son lit aux couettes bleues et blanches, il réfléchissait aux moyens de déambuler dans ce monde en en tirant son parti, sans nuire à d'autres, ni même à ceux qui lui avaient nui. La morale et la générosité ne l'intéressaient pas spécialement. Ce qui lui importait, c'était de ne plus jamais ressentir ce sentiment délité de lui-même, cette conscience désagréable d'avoir trempé son coeur dans la mesquinerie.
Il trouvait infiniment plus esthétique de se comporter avec une certaine classe.
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lundi, 28 avril 2014
Horreo
Extrait de l'introduction du livre trouvé sur l'étagère de la chambre d'ami de Renaud, à Montreuil-sous-Bois (quel bois ?), un dimanche d'avril :
«Susciter des passions et des émotions a toujours représenté la finalité de l'art. On se souvient du passage de la Poétique d'Artistote évoquant la Catharsis : effet de "la purgation des passions" produite sur le spectateur et qui suscite en lui crainte et pitié.
La catharsis propre au cinéma d'horreur serait alors destinée à révéler l'horreur en nous, celle que nous craignons de subir et celle que nous cauchemardons ou rêvons inconsciemment d'infliger aux autres, et qui sont peut-être les mêmes. Est-ce bien là la raison ou la cause qui expliquent que certains d'entre nous, nombreux, jouissent de ce spectacle sans merci ? Et est-ce pour ces mêmes raisons que certains le rejettent, ne voulant rien savoir de cet abominable qui nous habite ?
Il y a certainement d'autres raisons qui n'excluent pas la précédente, mais viennent s'y ajouter.
En effet, le cinéma d'horreur est devenu un genre, avec ses codes qui nous le rendent familier (code, en ce qui concerne les morts-vivants, si talentueusement résumés en 20 minutes dans le premier film d'horreur portugais I'll see you in my dreams), et ses niveaux de discours. Il a ses adeptes, et à l'instar du western ou du film de guerre, il est devenu une institution.
Ces niveaux de discours et différentes dimensions font que la vision d'un film d'horreur ne se contente pas d'être un simple défouloir où la haine de l'autre, le chaos dont la loi est l'extermination de son prochain, se libère enfin. Les lectures politiques, éthiques, et les dimensions comiques aussi bien qu'esthétiques, la multiplicité des genres qu'il peut intégrer en font en effet un cinéma riche et propice à la réflexion».
Olivia Chevalier-Chandeigne
In La philosophie du cinéma d'horreur - Effroi, éthique et beauté
Editions Ellipses
Collection culture Pop
2014
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dimanche, 27 avril 2014
La ballade de la balade
L'AlmaSoror blog est une très longue balade peuplée de voix qui disent et chantent des ballades. C'est la ballade de la balade, en quelque sorte, c'est pourquoi elle nous est insaisissable. Peu importe, au fond, si ce long soliloque n'a pas de fond. Puisque nous sommes vivants – et vertébrés – il nous faut bien créer – et manger. Puisque nous sommes entrain d'exister, nous voudrions tenter d'être noirs et blancs le jour, et en couleurs la nuit. Et même si c'est raté, c'est bien ainsi. L'imperfection du monde féconde. L'imperfection de soi creuse les tombes de nos rêveries de soldats. J'ai eu assez d'enfance pour conjurer tous les silences ; assez d'air pour que mes cheveux se tiennent cois à la vue terrifiée de vos trompe l’œil ; trop d'aveux masqués pour vous faire confiance. Je t'aime, toi qui t'approche quelquefois dans ma solitude, et puis qui fuit quand tu me vois ainsi, trop fardée, pas assez prête. Quand tu viendras réellement me chercher, ma ballade sera-t-elle inachevée ?
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samedi, 26 avril 2014
Désintoxication & revigoration
Nous dînions, nous conversions, j'avais cuisiné une salade de légumes et une ratatouille de fruits ; certains buvaient de l'OVNI, d'autres de la troussepinette, d'autres encore du jus d'ananas, et je ne sais pourquoi nous tombâmes les conventions pour parler de cœurs à cœurs, ce soir là. Je dis ce soir là mais il ne tombait pas, le soir, c'était un jours d'été, il y a quelques années, et j'étais époustouflée par le chant des cigales, moi qui ne connaissais que celui des grillons. Depuis, j'ai entendu de nouveaux chants d'insectes et j'ai appris à ne plus préférer celui des cigales à celui des grillons.
La question qui nous occupa fut de chercher à identifier les sentiments qui pourrissaient nos vies. D'aucuns parlaient de l'envie, d'autres de la honte, d'autres encore de la haine de soi et elle, que j'avais détestée sans raison les jours précédents, avoua sa perpétuelle terreur du silence et de l’inaction. Je disais alors aux convives, moi, je suis dépitée. C'était un mot que je découvrais dans ma propre bouche et qui me paraissait définir la tonalité de ma vie quotidienne.
Depuis, j'ai éprouvé de nouveaux mots et j'ai appris à mieux nommer ceux qui conviennent aux attitudes de mon âme. J'ai identifié les trois sentiments qui me rendent malheureuse et pèsent sur mon moral et ma vie de tous les jours. Je les suppute responsables de 80% de mon malheur (statisticiens, admirez ma science intuitive). Il s'agit, en premier lieu, de l'insatisfaction chronique ; en second lieu de la comparaison avec les autres ; en troisième lieu du découragement. J'aurais pu citer le sentiment de culpabilité, mon plus vieux compagnon, ou encore l'inquiétude constante, ma meilleure ennemie, ou bien encore le sentiment de l'horreur face aux misères du monde ressassées par mon mental, mais cette triade évoque des états qui sont à la fois plus profonds et plus féconds – c'est à dire plus difficile à extraire ou éliminer, et moins polluants, moins vains. Restons en donc aux trois érinyes de ma vie quotidienne.
L'insatisfaction m'attaque aux moments où rien de grave n'a lieu. Dès lors, privée de tout drame, mon cœur s'attache à trouver tout ce qui manque dans ma vie, tout ce qui pourrait pourrir la tranquillité de l'instant présent. La comparaison (sociale, surtout) ne reste jamais en reste. Elle débarque à ce moment pour appuyer l'insatisfaction, lui donner la réplique. Est-ce à ce moment que survient le découragement ? Quelquefois, oui. Pas toujours. Il lui arrive de venir en catimini s'installer quelque part au creux de moi, et grandir, grossir jusqu'à organiser un abattement total de l'être. Plus rien n'a de sens, l'espoir disparaît de mon champ de vision. Le passé se teinte de noir et l'avenir se charge du pire. « Malheureux ! S'écriait Mercedes. si je croyais que Dieu m'eût donné le libre arbitre, que me resterait-il donc pour me sauver du désespoir ! » C'est à ce moment là que je commence à croire mon libre-arbitre : pour me juger coupable, et me condamner à perpétuité.
Ce soir là, qui n'était pas un soir, mais un jour qui ne finissait pas, avait éclos un cheminement qui se poursuivit longtemps après, qui se poursuit toujours. Nous mangions, buvions, causions et partagions nos expériences intérieures douloureuses, nos espérances parfois vives, parfois faibles, instances de vérité qui faisaient effraction comme des cambrioleuses au milieu d'une mondanité, fées venues d'un monde fantastique apporter une touche d'irréel à ce paysage de Provence, et le rendre inoubliable à jamais pour chacun d'entre nous (du moins je le crois). Mais nous ne percevions pas de possibilité d'inverser le décor de nos mondes intérieurs. Ce n'est que bien après que j'eus l'idée de traquer sans relâche ces trois funestes sentiments et de les remplacer par trois attitudes, de gré ou de force. Je ne demande pas la permission à mon cœur. Je lui impose de se laisser expurger de l'insatisfaction, de la comparaison et du découragement, de se laisser remplir par trois attitudes qui les chassent, remplacent, les rend caduques. À l'insatisfaction je substitue la quête spirituelle, et chaque manque matériel, affectif, moral, je le transforme en quête de son équivalent immatériel, universel, spirituel. À l'insatisfaction matérielle je substitue la faim spirituelle, car « l'âme, à la différence du corps, se nourrit de sa faim » (Gustave Thibon). À l'insatisfaction affective je substitue l'amour de Dieu (ce puits sans fonds, cette inexistence qui emplit tout ce qui est vide!) et le don de soi, sans rien attendre. Et à l'insatisfaction psychologique et morale, je substitue la prière, cette action invisible, intangible et immobile. « La prière s'adresse à la magnanimité des ténèbres : la prière regarde le mystère avec les yeux même de l'Ombre, et, devant la fixité puissante de ce regard suppliant, on sent un désarmement possible de l'inconnu » (Victor Hugo).
Face à la comparaison, moins de hauteur, plus de technique. Moins de renoncements, plus de mise en mouvement. Pour conjurer la comparaison avec les autres, celle qui m'enrage, je pratique le développement personnel. Tout ce qui me paraît inférieur chez moi, en moi, dans ma vie, je l'inscris sur une feuille de route, et développe des plans quinquennaux pour y remédier. Domaine par domaine, j'aligne les actions à prendre, les formations à suivre, les améliorations à apporter à petites touches à ma vie. Aucune comparaison avec autrui ne doit passer sans que je l'analyse, que j'en décrypte ce qui me fait défaut et que je mette en branle un chemin vers le progrès.
Quant au découragement, ce grand drapeau noir planté en mat dans mon cerveau, il n'est pas beaucoup de moyen de le vaincre. Face à la désespérance, je me souviens d'Ibn Séoud adolescent dans le désert. Son père, le clan abandonnait l'espoir. La famille d'Arabie rendait l'âme et renonçait à tout. Il était ridicule et inepte de croire à quoi que ce soit d'autres qu'à l'extinction de toute espérance. Alors Ibn Séoud se mettait en prière pour attendre la délivrance ou la mort, et à l'aube, les cavaliers venaient porteurs du drapeau blanc flottant à la lumière.
Jour après jour, sans relâche, exterminer les trois Érinyes et installer à la place, la quête spirituelle, le développement personnel et l'attente du jour envers et contre tout. Alors plus rien ne me fait peur, ni la mort, ni l'échec, ni l'usure, car ils n'existent plus dans ma vie.
A lire sur AlmaSoror :
Souffle et drogues autogénérées : le psychédélisme au naturel
Schubert vu par Halbreich sur une pochette de vinyle
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vendredi, 25 avril 2014
Capitaine Corbeau Noir
Rien que le bleu. Et le désir de nager vers le sud avant l'aube».
Tieri Briet
Archiviste en littératures de combat, à Observatoire des dissidences
Phrase obtenue par effraction. Pardon.
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jeudi, 24 avril 2014
Eh, l'oisillon
Affirme tranquillement ta personnalité et ton œuvre ;
chasse de ta vie les personnes qui te nient, te rabaissent, t'ignorent, t'humilient, te combattent, te détestent, t'en veulent.
Soutiens ce qui t'aide à être toi-même, aime ceux qui t'aident à devenir mieux.
Si le monde extérieur présente des normes mesurables auxquelles tu fais attention à t'adapter pour y survivre, ces normes n'influent pas sur l'appréciation que tu as de toi et de ta réussite, des autres et de leur trajectoire.
Car tu dois déterminer les accomplissements intérieurs et extérieurs qui te rendent fier de toi et en paix avec ton âge et la vie, selon les critères de ton propre cœur, le jugement de ton propre esprit.
Désormais, que ton cœur se tourne vers les personnes capables de juger d'après leur cœur et leur liberté : ce sont eux que tu choisis comme amis, et dont tu veux être l'ami digne.
Fidèle à ta propre vision du monde, tu acceptes sans broncher, comme un aléa normal et supportable de la vie, les solitudes, difficultés, fragilités, incompréhensions qui résultent des choix libres et fermes.
Celui qui ne rajeunit pas vieillit. Exerce-toi à supporter, et même aimer la jeunesse des autres ; cela consiste à accepter et même vouloir une certaine insécurité, sœur de l'aventure, et une certaine insouciance, sœur de l'exaltation. Accepte de mourir comme un jeune généreux et donne ta fougue et tes biens au monde, car on n'arrive pas au paradis avec les poches pleines.
Ne t'interroge pas sur la validité de la liberté, sur l'utilité de ton destin. Un combat mené n'est jamais perdu. Et, parfois, combattre, c'est déjà gagner.
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mercredi, 23 avril 2014
Sébastianisme et légende noire
Ceci est un blog intime, où je laisse déborder les flots cascadeurs de mon âme tourbillonnante. Adeptes de scories étalées au grand jour et de salaces épisodes nocturnes, vous venez et revenez sans cesse lire l'histoire de mon coeur dans ces pages poussiéreuses.
J'ai l'air d'avoir tout dit, mais je n'ai pas encore dit ce qui doit être dit.
Je confesse éprouver quelque fascination pour le sébastianisme et la légende noire. Je l'avoue : si j'étais portugaise, je le serais sébastianiste, et j'attendrais le Prince Endormi, le Prince Caché, tout au fond de mon cœur. En dépit du bon sens et de ma confiance dans le progrès rationnel, je saurais, au tréfonds de mon être, que Dom Sébastien est vivant et qu'il reviendra.
Je n'oublie pas qu'à l'Espagne, au cours d'une année de douleur et d'amour, j'ai volé une portion d'huile essentielle de sa Leyenda negra.
Les pays morts ressusciteront. Les anciennes puissances renaîtront de leurs cendres. Phénix, tu m'appelles !
Voilà, mes amis, le fond de mon âme. Elle est noire comme la lune aux rayons glacés qui réchauffent plus que tous les soleils. Sachez, et surtout, ne dites rien à personne, ne me dites rien à moi. Ne m'en parlez jamais. Qui sait la violence des mots quand ils dévoilent ce qui devait être tu ?
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lundi, 21 avril 2014
Soliloque
AlmaSoror présente un film d'art brut filmé dans l'asile d'Apsyaï (Nukutepipi). C'est la cinéaste Sara qui réalisa le film sur un scénario et des dialogues d’Édith de CL.
COPYRIGHT Natiolone Productions, 02 lirva 4102.
Double-avertissement :
Pour des raisons de sécurité psychique, le film est interdit aux moins de 100 ans.
Attention ! La vue de ce film après avoir ingéré de l'alcool de salamandre peut provoquer des effets désirables.
Œuvres filmiques à voir sur AlmaSoror :
Cayola (Inclus : Chants de poussière et Labrador dans la ville océan)
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dimanche, 20 avril 2014
Les extraits de lumière au MuPop de Montluçon
Pris d'un téléphone portable au MuPop de Montluçon par Sara, les Extraits de lumière dévoilent en quelques plans l'étonnante scénographie du "Musée des musiques qui vous font vibrer". Montluçon abrite un musée génial et fascinant des musiques populaires depuis les flûtes traditionnelles du monde jusqu'à la salle des machines ; musique apache, baroque, rock, toutes les musiques populaires, c'est-à-dire non savantes, y tiennent place.
Voyez par ici le site du MuPop
Et par là le site de Sara
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samedi, 19 avril 2014
Charte du Mandé, Discours de Seattle, pièce de la mort d'Athahualpa : des "faux"
Comment prouver la supériorité morale des victimes
La charte du Mandé
En 1970, des chercheurs africains "découvrent" La Charte du Mandé", censée dater du XIII° siècle et préfigurer la déclaration des droits de l'Homme. Cette charte aurait été transmise oralement, mais, selon wikipedia, son existence "n'est pas sérieusement mise en doute". Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle n'est pas non plus sérieusement prouvée. J'ai cherché des éléments pour donner foi à ce beau texte, qui parle si bien à nos cœurs, mais il semble que, quelle soit la splendeur et l'ancienneté de la civilisation malienne, rien ne nous permet d'affirmer que cette charte ait existé avant les années 1970.
« Une vie n’est pas plus ancienne ni plus respectable qu’une autre vie, de même qu’une autre vie n’est pas supérieure à une autre vie ...La guerre ne détruira plus jamais de village pour y prélever des esclaves; c’est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche de son semblable pour aller le vendre; personne ne sera non plus battu au Mandé, a fortiori mis à mort, parce qu’il est fils d’esclave... Chacun est libre de ses actes, dans le respect des interdits des lois de sa Patrie.»
Le texte de Seattle
À la même époque, un beau texte "amérindien" tire les larmes des cœurs bons : ...Cependant, nous allons considérer votre offre, car nous savons que si nous ne vendons pas, l'homme blanc va venir avec ses fusils et va prendre notre terre.
Mais peut-on acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? Étrange idée pour nous !
Si nous ne sommes pas propriétaires de la fraîcheur de l'air, ni du miroitement de l'eau, comment pouvez-vous nous l'acheter ? ...
Ce magnifique texte qui nous rappelle la beauté du monde indien et la méchanceté du nôtre, est un faux, établi par un universitaire Nord-américain.
La mort d'Atahuallpa
Enfin, dans la Vision des vaincus, qui relate comment la conquête espagnole fut vécue par les indigènes du Pérou et de Bolivie, l'universitaire Nathan Wachtel fonde toute son argumentation sur une pièce de théâtre écrite par un Inca. Hélas, ce texte anachronique, qui date des années 60, a été écrit par un militant communiste. César Itier l'a démontré dans son texte : Vision de los vencidos o fascificasion ? Datacion y autoria de la Tragedia de la muerte de Atahualpa. (Vision des vaincus ou falsification? ? Datation et autorité du drame La mort d'Atahualpa).
(Résumé de l'article de César Itier : À travers une analyse philologique et textuelle, cet article montre que la Tragédie de la mort d’Atahuallpa, oeuvre dramatique quechua publiée par l’écrivain bolivien Jesús Lara en 1957, n’a pas été composée par un indigène au XVIe siècle, comme l’affirmait Lara et comme l’ont cru quelques auteurs après lui, mais qu’elle a été entièrement écrite par Lara lui-même qui voulait prouver que les Incas avaient développé une grande littérature, dont l’héritage subsistaiten Bolivie. Sont identifiées ici les principales sources utilisées par l’auteur pour forger sa fausse tragédie incaïque).
Trois textes douteux, trois causes justes
Ces textes visent à prouver que les populations opprimées par des Européens qui les trouvaient primitives étaient en fait plus élevées et développées qu'eux.
Or, est-il besoin d'exhiber du néant de telles "preuves" dont l'évidence s'effrite dès lors qu'on tente de les appréhender ? La violence de ces Européens en Afrique noire, en Amérique du Nord et du Sud, suffit à démontrer qu'ils étaient des barbares, des destructeurs de civilisations.
C'est être encore imbibé de "valeurs occidentales" que de créer de toutes pièces des preuves visant à établir la supériorité des vaincus selon les critères des vainqueurs ! Et, comme chaque fois que l'on tente de se mettre au niveau de celui qui nous écrase, au lieu de prouver notre valeur (pourtant bien réelle), on se ridiculise.
L'interminable libération intellectuelle
L'Afrique du Songhaï n'a pas besoin de tenter de prouver que "la charte du Mandé" est antérieure à la "Magna Carta" anglaise, pour qu'éclate la beauté de sa civilisation, la cruauté de ceux (Marocains et Européens) qui l'ont fracassée.
Les Indiens de l'actuelle Bolivie n'ont pas besoin d'une pièce de théâtre soi-disant inca, en fait d'inspiration communiste du XX°siècle, pour qu'éclatent le savoir-faire inca (les ponts incas portent aujourd'hui des camions et tiennent mieux que ceux que construisent des ingénieurs du XX°siècle), la grandeur de cette civilisation, de sa langue, de ses rites.
Les amérindiens du Nord n'ont certainement pas besoin de beaux poèmes "néo-indiens" écrit par un WASP pour que retentissent les larmes de leurs ancêtres immenses et la honte des exterminateurs encore en place sur leurs terres.
Et s'il est une colonisation réussie,
Et s'il est une colonisation réussie, c'est bien la colonisation intellectuelle qui a instauré dans les cerveaux du monde entier que l'écrit est supérieur à l'oral, que la déclaration des droits de l'homme est ce que l'esprit humain peut produire de plus grand...
La décolonisation mentale devrait commencer par renoncer à ressembler à celui qui nous a violé.
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La torture des hérétiques
Toutes les fois que le Crimen majestatis reparaît dans l'Histoire,
la Torture reparaît avec lui.
J'ai mangé un sandwich, bu du jus de grenade, et reviens au livre d'Alec Mellor consacré à la Torture. Je recopie pour les visiteurs d'AlmaSoror l'introduction au chapitre sur l'Inquisition.
L'auteur, Alec Mellor, avocat d'origine britannique, semble avoir été un de ces personnages mystérieux et éclectiques qui éclairent ceux dont ils croisent les chemins, sans jamais être assez compréhensibles pour devenir des modèles ou des chefs de files. Trop subtils et originaux pour que le sociotaxonome leur mette une étiquette, ils passent en ce monde en accomplissant un labeur que personne ne leur demande et qui porte des fruits invisibles, mais sûrs et féconds.
Je ne sais pas grand chose de Mellor, et ce que j'en sais augmente encore mon indécision : il était catholique et royaliste, mais devint l'avocat et l'historiens des francs-maçons, qu'il appela "nos frères séparés" avant de rejoindre une Loge. Homme de droite, il défendit de nombreux communistes durant la guerre et il ne mettait pas son métier d'avocat au service de ses idées, mais oubliait ses idées pour servir ce métier. Il écrivit des ouvrages étonnants, j'en possède deux, que j'ai lus. La Torture - son histoire, son abolition, sa réapparition au XX°siècle, et Le problème des guérisseurs. Je suis en quête de ses autres ouvrages : une histoire de la franc-maçonnerie, une histoire de l'anticléricalisme français, enfin un livre sur la fabuleuse aventure du téléphone. Si ces ouvrages sont aussi intéressants que ceux que j'ai eu l'heur de lire, alors de riches heures m'attendent.
Alec Mellor n'est pas impartial, mais il est honnête ; il n'est pas exhaustif, mais il est érudit, clair et inspiré. Il guide sa pensée de façon responsable et la coule dans une phrase qui ne manque pas d'allure dans son efficace simplicité.
L'inquisition est l'institution la plus incomprise de l'Histoire. Vilipendé par Voltaire et par les Encyclopédistes, le seul nom d'Inquisition est devenu, depuis lors, le cheval de bataille de la Libre-Pensée contre l'Église ; toute une littérature spéciale est là pour l'attester.
À l'inverse, certains catholiques ont jugé nécessaire à leur foi de réhabiliter d'authentiques atrocités, comme si l'Église avait eu besoin de leurs mensonges.
Il serait hors de propos, dans le cadre restreint d'une étude sur la Torture, de traiter un sujet de pareille ampleur. D'immenses travaux lui ont été consacrés ; leur bibliographie serait aussi longue, à elle seule, que ce chapitre.
Notre but se limite à situer l'Inquisition historiquement, à marquer la place qui lui revient dans l'histoire de la Torture, et surtout à vérifier notre thèse fondamentale : toutes les fois que le Crimen majestatis reparaît dans l'Histoire, la Torture reparaît avec lui.
Au XIII°siècle, c'est le masque théologique, que le Crimen majestatis revêt, et la véritable explication de la torture des hérétiques est là.
Le nom complet de l'Inquisition est : Inquisition de la perversité hérétique (inquisition haereticae pravitatis).
Qu'est-ce donc qu'une hérésie ?
Dans sa savante introduction au Manuel de l'Inquisiteur de Bernard Gui (Bernard Gui, 1261-1331, fut l'un des plus célèbres inquisiteurs du Moyen Âge), M.G. MOLLAT en donne la définition traditionnelle : "l'hérésie est un crime de "lèse-majesté divine" qui consiste dans le rejet conscient d'un dogme ou dans la ferme adhésion à une secte dont les doctrines ont été condamnées par l'Église comme contraires à la foi".
Il est à peine besoin de souligner combien il est nécessaire, ici, de répudier nos idées modernes. Pour les hommes du XIII°siècle, héritiers d'une longue tradition, l'unité de foi et l'ordre social sont une seule et même chose, et ce grandiose idéal n'était mis en doute par personne. L'idée d'une paisible co-existence entre fidèles et hérétiques dans le cadre de la société laïque était impensable, et les hommes du Moyen Âge eussent été singulièrement étonnés s'ils avaient pu prévoir un monde où les chefs de l'Église et les ministres hérétiques admettent de paraître ensemble publiquement à l'occasion de cérémonies temporelles ou de manifestations charitables.
L'unité sociale ainsi comprise est d'ailleurs l'idéal des hérétiques eux-mêmes. Ce que veulent ces derniers n'est pas la liberté de pensée religieuse, mais bien une chrétienté fondée sur leurs propres bases, en un mot une société une et hétérodoxe, ce qui ne peut que supposer la subversion préalable de l'ordre ancien et la destruction de l'Église, au besoin par la force (La question a été lumineusement exposée par Bossuet, dans sa Politique tirée de l'écriture sainte).
Donner dès lors un statut aux hérétiques eût paru un non-sens et la seule existence des hérétiques posait une série de problèmes.
C'était d'abord pour l'Église une problème dogmatique dont la multiplicité incroyable de conciles suffit à donner une idée.
C'était pour le peuple fidèle un problème de conscience.
C'était, enfin, pour l'État un problème de législation.
À vrai dire, la question du traitement des hérétiques était loin, au XIII°siècle, d'être neuve ; elle remontait aux empereurs d'Occident.
Mais ce ne fut pas avant le XIII°siècle qu'on eut l'idée de créer une inquisition, puis de rechercher les hérétiques au moyen de la Torture.
Pourquoi ?
Tel est le problème, et ce n'est pas le résoudre que de constater qu'à cette époque, le progrès des hérésies, notamment du catharisme, fit juger nécessaire une répression plus grave, car il y eut des hérésies dès les origines de l'Église (St Jean nous fait déjà connaître dans l'Apocalypse l'existence des Nicolaïtes).
La situation des hérétiques avant l'institution de l'Inquisition mérite d'être retracée, même sommairement, afin de souligner que l'introduction, en cette matière, de la Torture, fut, au XIII°siècle, une véritable révolution.
Sous les empereurs d'Occident, la Torture n'est employée en aucun cas, dans la répression des hérésies. L'Église use, d'une part, de ses peines propres, les peines spirituelles, dont le type est l'excommunication. L'État prévoit parfois la peine capitale (C. Theod. XVI,7,5,1), plus souvent l'amende (C. Théod. XVI,5,51-52-54,4), la confiscation (C.Theod. XVI, 6,4) ou la déportation (ibid, 5,63).
Au Moyen Âge, les peines temporelles iront en s'aggravant et la peine habituelle, du moins, pour les relaps, sera celle du Feu, qui n'est autre chose que l'adoption par la justice d'un mode de mise à mort où la fameuse "psychologie des foules" a laissé sa marque. L'historien américain Lea (Histoire de l'Inquisition) écrit justement : "Ce n'est pas la loi positive qui a inauguré l'atroce pratique de brûler vifs les hérétiques. Le Législateur n'a fait qu'adopter une forme de vengeance ou se complaisait naturellement à cette époque la férocité populaire".
L'origine historique du Bûcher n'est autre, en effet, que le lynchage par le feu.
Pour le peuple, les hérétiques sont une espèce haïe et redoutée, un danger de nature à provoquer la punition divine contre quiconque les tolère. Parti d'en bas, le mouvement gagna les princes, qui légalisèrent la pratique du bûcher.
Il serait trop long et hors de propos de retracer tous les jalons de ces deux étapes. Quelques exemples suffiront.
Guibert de Nogent raconte qu'en 1114, à Soissons, l'évêque dut emprisonner des Manichéens pour les protéger de la fureur populaire. (Il s'agit, bien entendu, des néo-manichéens ou Cathares, répandus surtout dans le midi de la France). Il alla de là à Beauvais consulter ses collègues réunis en concile, accompagné de Guibert lui-même.
En son absence, la populace hurlante arracha les hérétiques de la prison, et "craignant la mollesse cléricale", dressa incontinent un bûcher où on les brûla tous. ("Fidelis interim populus, clericalem vernes mollitiem, concurrit ad ergastulam, rapit, et subjecto eis extra urbem igne pariter concremavit").
Une émeute pire encore éclata en 1135 à Liège, où, cette fois, le clergé réussit à sauver les prisonniers à temps.
Les chroniqueurs en citent bien d'autres. C'est en présence de ces troubles graves que le pouvoir séculier prit l'initiative de sévir et de parer à l'insuffisance des peines purement spirituelles par les supplices.
Déjà Robert Le Pieux condamna au feu treize hérétiques.
Guillaume, comte de Poitiers et d'Aquitaine se fit un véritable renom de rigueur. Henri III, empereur, sévit en 1052 contre les Manichéens. Le roi d'Angleterre Henri, rapporte le chroniqueur anglais Guillaume de Newbridge, fit arrêter, marquer d'un fer rouge au front, et exposer publiquement des hérétiques flamands venus demander refuge en Angleterre ; cependant Henri II avait fait voter les Statuts de Clarendon soumettant l'Église d'Angleterre à la juridiction royale d'où son fameux conflit avec Thomas Beckett, archevêque de Canterbury, et était entré en lutte ouverte contre le pape Alexandre III, qui alla jusqu'à l'excommunier.
Ce zèle des princes n'était d'ailleurs pas toujours dépourvu de considérations sordidement temporelles ; dans l'affaire des Templiers, non seulement l'Églises n'eut pas l'initiative des poursuites, mais encore Philippe le Bel jugea bon (ou ses légistes lui firent juger bon) d'obtenir de la Sorbonne une consultation sur le point de savoir si le pouvoir laïc pouvait engager de lui-même des poursuites en matière de foi ! (Nous possédons le texte intégral de cette insolite consultation, en date du 25 mars 1308. La faculté de théologie répond négativement à la question posée par le roi, mais en entourant sa réponse de réserves qui trahissent un embarras significatif, et en s'excusant du long retard mis à répondre.
Il convient d'ailleurs de noter que si les templiers subirent la torture, ce ne fut pas à proprement parler comme hérétiques, mais - selon l'accusation - comme sacrilèges et sodomites. L'Église n'avait pas porté plainte, d'où l'étrange question de Philippe le Bel).
Toute l'histoire des XI° et XII°siècles est pleine de récits de ce genre, mais la Torture en est absente, et Saint-Thomas d'Aquin qui écrit sous Saint Louis, c'est-à-dire à l'époque où elle commence à s'établir, est en retard sur les canonistes, car il admet et recommande, comme toute la théologie morale de son temps, l'extermination des hérétiques, nulle part il ne parle de la Torture, fut-ce à propos des cas licites de flagellation, comme l'eût comporté cependant le sujet. (St Thomas, Summa theol. De Fide. Quaestio XI art 3 "Utrum haeretici sont tolerandi" à propos des relaps. On sait que la liturgie du Sacre comportait, au nombre des quatre serments prêtés par le roi, celui d'"exterminer les hérétiques dénoncés par l'Église").
La Torture des hérétiques est contraire à la tradition canonique. "Verbis melius quam verberibus res agenda est", écrivait, dès son temps, Lactance.
Le plus grand canoniste du Moyen Âge, Gratien, prohibe la torture en ces termes incisifs : "Confessio ergo in talibus non extorqueri debet, sed potius sponte profiteri. Pessimum est enim de suspicione aut extorta, confessionne quemquam judicare".
Nous verrons plus loin l'admirable lettre du grand pape Nicolas Ier aux Bulgares ; c'est une condamnation nette de la Torture en elle-même, et qui tire son autorité de ce qu'elle émane du Siège apostolique dans un document particulièrement solennel.
Fournier observe avec raison que le juge d'Église qui eût admis la torture eût encouru ipso facto une irrégularité canonique (Ecclesia abhorret a sanguine) et cite à ce sujet des textes irrécusables (IN Fournier, Les officialités au Moyen Âge).
Frédéric Barberousse, dans ses fameuses constitutions de 1220 à 1239 ne parle pas de la Torture, et se borne à prescrire comme mode ordinaire d'enquête en matière d'hérésie la purgation canonique, en accord avec le décret du pape Lucius III.
On peut même observer que la Torture ne fut pas appliquée par l'Inquisition elle-même, à ses débuts.
La date fatidique où les choses devaient changer est celle de 1252, année où Innocent IV promulgua la bulle "ad extirpenda", et il n'est que strictement juste de noter que l'Église avait été précédée par la législation laïque, en l'occurrence par le même Frédéric Barberousse, qui, par une singulière inconséquence avec lui-même, ordonne la mise à la question dans son code véronais (1228) et dans ses Constitutions siciliennes (1231).
IN Alec MELLOR
La Torture - Son histoire. Son abolition. Sa réapparition au XX°ème siècle.
Préface de REMY.
Editions des Horizons Littéraires
Notes d'AlmaSoror :
Les chroniqueurs qui relatent de tels faits (tant les lynchages populaires que les "rigueurs" des dirigeants, sont, entre autres, Guibert de Nogent, Raoul Glaber, Haganon de Chartres, Adhémar de Chabannes, Guillaume de Newbridge. On peut consulter en outre le Corpus documentorum inquisitions haereticae pravitatis neerlandicae.
Notons la jolie expression par laquelle on voulait dire torture : mise à la question. En français moderne, nous pouvons traduire par interrogatoire.
AlmaSoror avait déjà mentionné et cité le chroniqueur passionnant, parfois si rigide, parfois si émouvant, Guibert de Nogent :
Une éducation en l'an mille quelque chose
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vendredi, 18 avril 2014
Le crime de lèse-majesté
C'est à partir de ce moment que le Crimen magestatis va changer peu à peu de caractère et devenir un des pires fléaux de l'Histoire humaine.
La petite ville de province lézarde au soleil, mais je me suis enfermée dans ce cagibi que n'atteint pas la lumière du jour. Pourquoi donc ? Il faut que je médite cet enfermement imposé, que je trouve la porte de sortie.
J'ai près de moi ce livre étonnant du mystérieux Alec Mellor. Dédicacé à mon arrière-grand-oncle d'une main leste, il s'intitule La torture, et la thèse de l'auteur est la suivante : dans l'histoire, la pratique de la torture et le crime de lèse-majesté sont concomitants. Bien sûr, le crime de "lèse-majesté" ne porte pas toujours son nom ; en outre, la majesté n'est pas forcément royale. Inventé par les Romains, le crimen majestatis signifie crime d'Etat ou crime politique. Alec Mellor démontre assez savamment et judicieusement cette corrélation qu'il retrouve à travers les siècles et même les millénaires.
Voici donc un extrait du livre La torture : Son histoire. Son abolition. Sa réapparition au XX°siècle, d'Alec Mellor, avocat à la Cour de Paris, publié en 1949 par Les Horizons Littéraires.
Chapitre II La torture dans le monde romain
2 La torture de l'homme libre
C Le "Crimen Majestatis". La préfiguration du Totalitarisme moderne.
La langue juridique moderne désigne sous l'expression de "Crimen majestatis imminutae", et par abréviation de "crime majestatis" le Crime d'Etat, ou, si l'on préfère, le crime politique.
Punir l'atteinte contre la sûreté de l'Etat comme un crime n'a rien, en soi, de spécifiquement romain, et ce souci est commun à tous les législateurs.
Cette préoccupation est normale et elle est morale.
Elle ne conduit en rien à pratiquer la Torture, du moins aussi longtemps que l'Etat ne sort pas de son vrai rôle, qui est la sauvegarde commune.
Mais les choses prennent un tout autre tour quand, débordant sa mission primitive, l'Etat entend organiser le bonheur universel par décrets, veut tout envahir, puis tout asservir.
On parle aujourd'hui d'Etats totalitaires.
L'expression est neuve, la chose, ancienne.
Dans son principe, l'Etat totalitaire n'est rien d'autre que celui décrit sous le terme de gouvernement despotique par les anciens philosophes politiques, d'Aristote à Montesquieu, en passant par Polybe et par Bossuet, dans la théorie traditionnelle des trois formes de Gouvernement.
Dans un semblable Etat, la conception du crime politique se modèle sur l'idéal politique même. Elle ne peut être qu'indéfiniment extensible, et la punition sans limites.
Incrimination et Répression deviennent totalitaires comme l'Etat et, dès lors, la Torture a, dans les institutions, une place prédésignée.
Un rapide aperçu historique de ce que fut, à Rome, le Crime politique, illustre bien cette loi.
Un texte fondamental concernant la matière est la très célèbre Lex Julia majestatis (DIG. XVIII,4), attribuée tantôt à César, tantôt à Auguste. Singulier destin que celui de cette loi dont la date demeure mystérieuse, alors qu'elle marque le point où vient d'aboutir toute l'évolution antérieure du droit et celui d'où s'élanceront de formidables développements futurs !…
Sous la République, le concept de Crime politique apparaît comme réparti, si l'on peut dire, sur deux notions bien distinctes : celle de Perduellio et celle de Crimen majestatis.
Perduellio vient du préfixe Per (à tort) et de duellum (guerre).
Le Perduellio est, étymologiquement, le mauvais guerrier, c'est-à-dire l'Ennemi (car le Peuple romain ne fait, par hypothèse, que des guerres justes), non toutefois l'ennemi étranger, l'hostis, mais celui de l'intérieur, le Traître.
La répression du Crime politique ainsi entendu n'est pas autre chose que le droit de tuer l'ennemi.
Denys d'Halicarnasse parle d'une loi légendaire de Romulus sur les traîtres (II, 10,-III, 30).
Les XII Tables punissent de mort quiconque aura excité l'ennemi ou lui aura livré un citoyen (DIG, XLVIII,4,3).
La physionomie du délit est toute militaire. (Dans les lois de la période républicaine, ce caractère est des plus nets ; toutes sont des textes de circonstances, faites contre des généraux vaincus ou prévaricateurs. Telles sont la loi Marmilia (110 av JC) ; votée après la guerre contre Jugurtha, la loi Varia (91 av JC) contre les espions, la loi Appuleia (103 av JC) ; dont il est question dans le fameux scandale de l'or de Toulouse (CIC. De Orat. passim et de nat.deor. III,30,74) et le procès de C. Norbanus en 95 (CIC. De Orat. XXI,89). Nous n'entrerons pas dans la question procédurale des Duoviri perduellionis, qui sont une véritable énigme historique, d'ailleurs sans intérêt pour l'histoire de la Torture).
"Le mot Majestas, écrit Mommsen, a également une étymologie transparente. Il désigne une situation élevée, cette prééminence dont l'inférieur doit tenir compte, non pas un pouvoir supérieur mais un prestige plus grand. - Cette seconde acceptation technique du mot apparaît de la manière la plus nette, à propos des pactes internationaux, conclus entre Rome et les Etats souverains en droit, mais subordonnés en fait, dans la formule : "Majestatem Populi romani comité colunto" : ils doivent "rendre avec courtoisie à la haute dignité du Peuple romain les honneurs qui lui sont dus".
Le terme est entré dans la langue pénale par suite, semble-t-il, du statut juridique des tribuns de la Plèbe. Cette dernière est, on le sait, à l'origine, en dehors du Populus romans. Ses chefs ne sont pas magistrats. Le plébiscite n'est pas lex publica (Il en sera ainsi jusqu'à la loi Hortensia - 286 av JC). Comment, d!s lors, les entourer d'une protection juridique ?
La notion de perduellio était propre à la Cité patricienne, donc inutilisable (L'expression de majestas n'est d'ailleurs pas restreinte à la majesté des tribuns ; c'est ainsi que les lois Varia et Appuleia sont qualifiées de majestatis, mais la majesté qu'elles protègent est celle du peuple romain).
La solution fut trouvée dans le droit religieux, le FAS, lequel était commun aux Ordres, et permit de reconnaître au Tribunat une légitimité de secours : la sacrosancta potestas. Un passage du Pro Tullio de Cicéron le montre : "Legem antiquam de legibus sacratis, quad jubeat impune iccidi eum qui tribunum Plebis pulsaverit".
On put, dès lors, poursuivre et punir le crime "amoindrissement de la majesté tribunitienne" (Crimen imminutae majestatis tribunicae).
Au Ier siècle av. J.C., l'antique Lutte des Ordres n'est plus qu'un souvenir et cette dualité de notion devenue un anachronisme. La perduellio et le crimen majestatis étaient destinés à confluer.
Une ébauche d'unification fut tentée par Sylla, dictateur "legibus scribundis", qui promulgua une lex Cornelia majestatis sans lendemain.
Il était réservé à la Loi Julia majestatis de fusionner en un délit unique les infractions du vieux droit militaire, et toutes les formes de majestas imminuta. Le Crimen majestatis devint le genre, la perduellio, l'espèce, et l'espèce la plus grave.
Une magistrature nouvelle, celle de l'empereur, n'avait pas encore absorbé l'Etat en sa personne, mais déjà Auguste réalise le nouvel ordre en cumulant sur sa tête toutes les magistratures, fondant ainsi la légitimité du Principat à la fois sur la conservation des vieilles magistratures d'origine patricienne et sur la sainteté du tribunat, dont les bases lui assurent la protection des sacratae leges.
C'est à partir de ce moment que le Crimen magestatis va changer peu à peu de caractère et devenir un des pires fléaux de l'Histoire humaine.
La législation criminelle des peuples est le plus fidèle reflet de l'évolution de leurs maximes politiques et constitutionnelles. C'est pourquoi le Crimen majestatis, tel qu'il devait faire trembler le monde, est inexplicable si on ne le replace pas dans son cadre historique.
Citons ici - non sans émotion à la pensée de notre admirable maître, enlevé prématurément à la Science - l'opuscule lucide d'Ernest Perrot : "La vraie cause de la ruine du monde antique : l'étatisme" (ces lignes étonnantes sont de… 1929) :
"Comment se fait-il qu'ait disparu, au V°siècle, le plus célèbre et le plus solide des empires, l'Empire romain, consommant la ruine du monde antique ? Pourquoi cet écroulement qui a laissé un si grand vide et de tels souvenirs ?
On se l'est demandé souvent. Il semble même qu'on se le demande depuis quelques années, avec plus d'anxiété que jamais. Comme ces malades avides de connaître des cas pathologiques analogues au leur propre, nous scrutons le passé, d'instinct, pour savoir si les maux dont nous souffrons n'ont pas été endurés déjà par d'autres que nous, et s'ils ne sont pas mortels.
L'étatisme, le socialisme d'Etat, vers lequel nous glissons et dont nous commençons à sentir l'étreinte asphyxiante, est-ce une nouveauté ? D'autres sociétés ne l'ont-elles pas connu ? N'est-ce point une maladie mortelle ? Et, au fait, ne serait-ce pas de cela qu'est mort le monde antique, résumé dans l'empire romain ?"
Tout serait à citer de ce petit chef d'oeuvre, qui montre comment au Bas-Empire, le monde était devenu un bagne. "L'Etat est une Providence ; le Prince est dieu sur terre" écrit E. Perrot, définissant l'étatisme lui-même d'une formule lapidaire. C'est dans cette atmosphère d'absorption de toutes les activités - le terme exact serait de vampirisme universel - par l'Etat que le Crimen majestatis devait se mettre à sa mesure.
L'étatisation de l'économie s'associait d'ailleurs à une lâtrie empruntée aux monarchies asiatiques : le culte du Numen imperatoris, et jamais l'expression d'Etat-providence, dont on désigne les sociétés étatisées, ne put être pris plus à la lettre.
À vrai dire, ce dernier mal couvait depuis la fin même de la République et la conquête de l'Orient ; le mérite d'un J. Carcopino est, de nos jours, d'avoir souligné l'attrait exercé sur l'esprit de César lui-même par ces royautés hellénistiques aux origines desquelles on découvre - bien au-delà des Diadoques - non l'hellénisme classique, mais le Grand Roi médoc-perse, nimbé du "Hvarêno". Le prototype de l'empereur du III°siècle n'est même pas le Lagide ni le Séleucide ayant communiqué à Rome ses vices ; c'est le Xercès dépeint par Hérodote et mis en scène dans Les Perses d'Eschyle.
Mais il est permis de penser, cependant, que jamais les successeurs d'Auguste et de Trajan n'en seraient venus là sans le passage sur le trône d'authentiques Orientaux, de ces empereurs syriens dont Ulpien - lui-même né à Tyr - formula le despotisme en adages connus : "Quicquid Principi placuit, legs habit vigorem" - "Quid libet, licet".
Dans une telle société, le développement du Crimen majestatis ne pouvait connaître de bornes ni de délimitations juridiques, surtout dans un droit ne connaissant pas l'interprétation restrictive des textes pénaux. (Modestin (DIG. XLVIII,4,7,3) définit le délit "quod bel ex scriptura legis descendit, bel as exemplum legis vindicandum est".) L'offense la plus indirecte, la plus éloignée y exposait son auteur. Alexandre Sévère en vint (Code Just. IX,8,1) à se voir contraint de repousser une demande tendant à faire condamner pour Crimen majestatis un magistrat qui avait prononcé une sentence contrairement à une constitution impériale !
L'accusation de lèse-majesté devint même "subsidiaire" et susceptible d'être jointe à toute autre qualification pénale (Tacite, Ann II, 38 : … addito (à l'action de repetundae) majestatis criminel quod gum omnium accusationum complementum erat).
On comprend dès lors, en cette matière, la possibilité d'appliquer la torture même à des citoyens romains, même à ces "Clarissimes" et à ces "Perfectissimes" qui étaient exemptés par ailleurs. L'immunité civique était un anachronisme dans une société où il n'y avait plus de citoyens et où la liberté différait peu de la servitude. De plus, le gigantesque appareil du Pouvoir postulait des organes répressifs toujours plus redoutables.
Enfin, la divinité de l'Etat imprimait au crime politique un caractère sacrilège incompatible avec les garanties d'une procédure normale.
En un mot, toutes les raisons pour lesquelles la Torture était autrefois bannie des prétoires avait disparu. Dès le Haut-Empire, on soumet à la torture les criminels de lèse-majesté, même de naissance libre. Au Bas-Empire, la Torture sera étendue, telle une tache sanglante, et on les y soumet quel que soit le délit. Les romanistes du Moyen Âge ne ressusciteront pas le pur "Crimen Majestatis" impérial, car les royautés médiévales sont loin du césarisme, mais ils exhumeront la question des lois romaines retrouvées, avec tout l'appareil inquisitoire.
IN Alec MELLOR
La Torture - Son histoire. Son abolition. Sa réapparition au XX°ème siècle.
Préface de REMY.
Editions des Horizons Littéraires
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samedi, 12 avril 2014
Redresse-toi et marche
J'ai toujours imaginé confusément qu'il est possible, au cours d'une journée sans histoire, de prendre une décision qui transforme notre vie en profondeur, une décision après laquelle la vie quotidienne et l'image de soi est métamorphosée, et j'ai toujours rêvé de le vivre.
Il y a un an, jour pour jour, je me suis éveillée, insouciante et obscure, et le soir, je me suis couchée, épuisée d'avoir trop bu et trop parlé, mais inconsciente que ma vie serait différente désormais, ou, en tout cas, qu'elle serait transformée par une rencontre faite au cours du dîner. Mais je n'avais pas pris de décision, ce jour ; ou du moins, je n'avais pas pris la décision consciente de me transformer et de transformer ma vie. C'est le hasard peut-être, ou peut-être autre chose que le hasard, qui a pris en charge mon destin.
Aujourd'hui, je voudrais prendre la décision consciente de modifier en profondeur, non le cours de mon existence, car j'ai un cap et je navigue à vue, mais de changer radicalement mon expérience du monde.
Je voudrais que se modifie la manière que j'ai de me lever le matin, d'appréhender le jour qui commence, de me regarder moi-même et de regarder les autres. Je voudrais éprouver des émotions, des sensations différentes de celles que j'éprouve au cours des jours actuellement et depuis un certain temps. Que les émotions agréables se multiplient, que les sensations désagréables deviennent de moins en moins nombreuses, et surtout, avoir la surprise de considérer le monde d'une nouvelle manière.
Un jour, au cours d'une messe presque clandestine dans la crypte de Saint-Sulpice à Paris, j'ai chuchoté en conversant avec mon voisin de banc. C'était un homme qui avait étudié l'astrophysique, et tenait une chaire d'encadrement des études dans un centre de recherches de la vallée des cerveaux de l'Île -de-France. Après une longue et chahuteuse vie de patachon en compagnie d'autres hommes, il se convertissait au catholicisme. A cet effet, il étudiait les langues des évangiles, le grec écrit et les langue araméenne et hébreu que ce grec traduisait. Il me rappela l'absence de la découpe du temps en "passé", "présent" et "futur" dans ces langues de Palestine, qui préfèrent distinguer l'accompli de l'inaccompli sans poser les faits à notre manière sur une ligne chronologique. Il est donc possible d'interpréter les textes de l'évangile sans faire cette distinction si nette entre le présent de la vie du Christ (et de notre vie à tous) et l'avenir au ciel, après cette vie terrestre. En outre, dans les textes évangéliques, le même mot est utilisé pour dire « se redresser » et « ressusciter ». Dans le texte source, le même mot est employé dans les phrases « lève toi et marche » et « ressusciter d'entre les morts ». Dès lors, une interprétation possible de la Bonne Nouvelle est que c'est aujourd'hui et ici que nous devons ressusciter ; sans attendre la mort physique. De même, c'est ici et aujourd'hui que nous mourons : il n'est pas nécessaire d'expirer pour rendre l'âme ! Et si, plutôt que de capitaliser des actions en vue d'un salut ultime, il était possible d'être sauvé hic et nunc ? Car sur sa croix, on nous lit qu'Il prononça : « Ce soir, tu seras avec moi en paradis ». Mais quelle heure était-il ? En latin, Saint-Jérôme avait traduit par hodie eris, aujourd'hui tu seras avec moi... Et si la traduction de l'inaccompli « tu seras » n'était pas un futur projeté, mais un présent imminent ?
Depuis cette conversation volée au cours d'un office quasi-clandestin d'un sous-sol parisien, j'attends le jour de ma résurrection. Car il ne suffit pas de dire lève-toi et marche, encore faut-il l'agir. Aujourd'hui, 12 avril 2014, je voudrais que le verbe de la résurrection se fasse enfin chair.
Il est 15h09 et je décide que ma vie est profondément et instantanément transformée.
Sourire à l'insaisissable à portée de main, en recevoir de doux éclats.
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lundi, 07 avril 2014
Le mal des ardents
J'ai connu plusieurs garçons qui ressemblaient à des archanges. Ce matin, deux d'entre eux peuplent mon esprit. L'un est mort à 29 ans dans un accident si stupide que c'est à se demander si cet ingénieur intelligent, calme, capable, conscient, n'a pas joué avec le feu électrique. L'autre a quitté à regret sa vie adorée d'une grande ville de province française peuplée de pubs festifs et entourée de montagnes pour s'installer sur les vignes bourguignonnes de son beau-père, sur l'ordre pète-sec de sa jeune épouse.
Ils avaient des points communs et je les lie en esprit, bien qu'ils ne se connaissaient pas.
Ils étaient d'une beauté impressionnante, toujours renouvelée.
Ils parvenaient à allier ces deux éléments souvent opposés : toujours propres sur eux, prêts à entrer dans un salon cossu ; toujours prêts à la déconne ou à l'aventure en haute montagne ou sur l'océan hivernal. De même, ils étaient toujours très élégants et jamais raides ni snobs. Ils ressemblaient à des héros insouciants qui captent dans leurs cheveux, dans leurs yeux, dans leur voix, la majesté et la fougue.
Je ne les ai jamais vus malades (sans doute l'ont-ils été hors de ma présence) ; ils avaient un teint magnifique plein de vitalité, une pêche d'enfer, le rire dans la voix détendue, le regard pétillant, l'allure dynamique. Ils rayonnaient l'énergie et l'aisance en ce monde.
Ils appartenaient à des familles sympathiques, unies et chaleureuses ; ils étaient entourés de nombreux amis : des bandes de copains, des vieux copains, des copains du boulot, des copains du sport, des copains d’Égypte, des copains de Londres, des copains du club de plongée, des copains de l'association universitaire, des amis intellos, sportifs, ingénieurs, profs, avocats, pilotes, médecins, patrons de PME, marketing men, et même un prêtre par ci, un dessinateur libertaire par là.
Ils réussissaient tout. Les cross, les permis de conduire, de chasse, d'avion, de bateau, les études (hautes écoles d'ingénieur très prisées), le boulot (postes intéressants et largement payés), les voyages (tours du monde, grande facilité à parler de nombreuses langues), la fête (excellents danseurs, buveurs fantasques sachant s'arrêter avant la chute, potaches admirables et, à quatre heures du matin, conversations lunaires sur l'existence, le monde et l'intérieur du cœur).
Je les regardais avec une grande fascination, admirative de l'extrême aisance avec laquelle ils domptaient les éléments de la vie qui me plongent parfois dans les plus sombres affres de la dépression, de la douleur, de l'incapacité. Je les approchais avec perturbation, incapable de rentrer en réelle relation avec eux, n'arrivant pas à m'insérer souplement dans cette chorégraphie parfaite qui avait lieu autour d'eux. Je ne leur ai connu qu'un seul point faible, une fragilité presque invisible qui m'avait marquée à plusieurs reprises. Il n'y avait pas de place dans leur vie pour plus de deux heures de solitude. Peut-être qu'ils ne supportaient pas la solitude.
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samedi, 05 avril 2014
Un samedi soir dans un port en avril
Oh mes amis, j'ai passé une journée schizophrène, entre une obsession de plomberie autour du pauvre évier et la lecture de Psyché, de Pierre Louÿs, cet écrivain étrange. Tu sais quoi ? Même la promenade à la Chaume, dans ses ruelles (rue de l'Amour, rue des Soupirs, pour finir coincée dans l'impasse des Garçonnes) n'a pas réussi à vider ma tête de la lessive de soude à insérer dans la tuyauterie dévissée sous l'évier ni des hésitations langoureuses et terrifiantes de Psyché Vanetty.
J'ai vissé, dévissé, débouché, et contribué à des forums en ligne sur l'efficience ou la maléfficience du marc de café dans les canalisations. J'ai lu et relu les atermoiements épouvantables et fascinants de Psyché ("Il n'y a pas de honte à craindre Satan. Un homme se défend contre un homme, il ne se bat pas contre un fléau. Ce n'est pas de montrer une âme faible que de s'enfuir devant l'orage, ma fille, ou devant l'amour, car nos bras humains ne sont pas assez forts pour lutter contre le feu du ciel, ni contre celui de l'abîme").
Alors, comprenez que le soir, j'ai mis un billet de 20 euros dans ma poche, une veste Zara sur mon jean Zadig, et je suis sortie pour marcher dans la ville, jusqu'au port, dans cette brume troublante qui engourdissait les maisons. Je suis arrivée aux abords de la Roulotte. Elle est belle, elle est bleue, une agréable odeur de friture bio s'en dégage. Je me suis approchée timidement, les mains dans les poches, tentant d'avoir l'air intelligent et détaché. Je commandai la seule chose qu'il s'y sert : un fish & chips, que j'agrémentais d'une bière Chiens de Perrins de l'Île d'Yeu, car les frites aiment être arrosées. La moutarde semblait bonne, j'en tartinai mes frites d'une couche épaisse et je m'assis au bord du port, rêveuse et solitaire.
Car j'étais solitaire. L'évier et Pierre Louÿs diparurent, laissant la place à deux goélands patibulaires qui matèrent ma gueule sans sympathie et dévisagèrent mon fish & chips avec un intérêt certain. Tu vois, j'ai mangé sans leur accorder le moindre regard, car j'ai vu Birds, le film d'Hitchcock, et je sais à quoi m'en tenir. Au lieu de cela j'ai laissé mon esprit divaguer dans les eaux du port des Sables, puis sur les bâtiments de tôle de la coopérative maritime Cavac. Et la bière pétillait au fond de mon âme, brune, comme un sortilège levuré. Et le temps s'effaça.Quand tout fut fini, je lançai les restes aux goélands, qui crièrent de joie en se précipitant vers les miettes, et repris le chemin de mon antre, par l'océan.
Une bruine tombait au bord de la plage. La marée montait, la température baissait. Je tendais mon visage au ciel pour quémander des gouttes de bruine. J'aimais vivre. Ce n'est qu'en approchant du cours Blossac que je sentis la nuit tomber. Dans un bar, des jeunes hurlaient, pour célébrer, sans doute, un match de foot ou un anniversaire. En quelques minutes, l'air frais et bleu ciel se transforma en pénombre lourde. La pluie se fit plus drue. Moi qui, quelques instants auparavant, levai mon visage pour ne pas manquer une précieuse goutte, je le rentrai désormais dans mon cou pour me protéger, inconstance de la météo et de l'esprit humain. Et puis, la pénombre devint ténèbre. Je songeai à cette phrase que Jérôme Delvaux avait écrit, sur son blog depuis défunt, Sublimation : « il m’invite à honorer avec lui notre maîtresse favorite, la seule qui continue de nous surprendre après des milliers d’étreintes passionnées : la nuit ». La nuit est une amante trop lilithienne pour mes bras chétifs, pour mon âme faible, pour mon corps apeuré. Je préfère le soir, plus amène, plus ambigu, moins fou. Le soir est tout aussi beau que la nuit.
Et puis je rentre dans l'immeuble dont chaque centimètre carré exhale l'atmosphère des années 1950, je tourne la clef dans une porte destinée à être condamnée, je pénètre dans le lieu où l'évier est guéri, ou Pierre Louys se rendort pour toujours, et j'écoute la musique de Mondkopf.
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