Redresse-toi et marche (samedi, 12 avril 2014)

J'ai toujours imaginé confusément qu'il est possible, au cours d'une journée sans histoire, de prendre une décision qui transforme notre vie en profondeur, une décision après laquelle la vie quotidienne et l'image de soi est métamorphosée, et j'ai toujours rêvé de le vivre.

Il y a un an, jour pour jour, je me suis éveillée, insouciante et obscure, et le soir, je me suis couchée, épuisée d'avoir trop bu et trop parlé, mais inconsciente que ma vie serait différente désormais, ou, en tout cas, qu'elle serait transformée par une rencontre faite au cours du dîner. Mais je n'avais pas pris de décision, ce jour ; ou du moins, je n'avais pas pris la décision consciente de me transformer et de transformer ma vie. C'est le hasard peut-être, ou peut-être autre chose que le hasard, qui a pris en charge mon destin.

Aujourd'hui, je voudrais prendre la décision consciente de modifier en profondeur, non le cours de mon existence, car j'ai un cap et je navigue à vue, mais de changer radicalement mon expérience du monde.

Je voudrais que se modifie la manière que j'ai de me lever le matin, d'appréhender le jour qui commence, de me regarder moi-même et de regarder les autres. Je voudrais éprouver des émotions, des sensations différentes de celles que j'éprouve au cours des jours actuellement et depuis un certain temps. Que les émotions agréables se multiplient, que les sensations désagréables deviennent de moins en moins nombreuses, et surtout, avoir la surprise de considérer le monde d'une nouvelle manière.

Un jour, au cours d'une messe presque clandestine dans la crypte de Saint-Sulpice à Paris, j'ai chuchoté en conversant avec mon voisin de banc. C'était un homme qui avait étudié l'astrophysique, et tenait une chaire d'encadrement des études dans un centre de recherches de la vallée des cerveaux de l'Île -de-France. Après une longue et chahuteuse vie de patachon en compagnie d'autres hommes, il se convertissait au catholicisme. A cet effet, il étudiait les langues des évangiles, le grec écrit et les langue araméenne et hébreu que ce grec traduisait. Il me rappela l'absence de la découpe du temps en "passé", "présent" et "futur" dans ces langues de Palestine, qui préfèrent distinguer l'accompli de l'inaccompli sans poser les faits à notre manière sur une ligne chronologique. Il est donc possible d'interpréter les textes de l'évangile sans faire cette distinction si nette entre le présent de la vie du Christ (et de notre vie à tous) et l'avenir au ciel, après cette vie terrestre. En outre, dans les textes évangéliques, le même mot est utilisé pour dire « se redresser » et « ressusciter ». Dans le texte source, le même mot est employé dans les phrases « lève toi et marche » et « ressusciter d'entre les morts ». Dès lors, une interprétation possible de la Bonne Nouvelle est que c'est aujourd'hui et ici que nous devons ressusciter ; sans attendre la mort physique. De même, c'est ici et aujourd'hui que nous mourons : il n'est pas nécessaire d'expirer pour rendre l'âme ! Et si, plutôt que de capitaliser des actions en vue d'un salut ultime, il était possible d'être sauvé hic et nunc ? Car sur sa croix, on nous lit qu'Il prononça : « Ce soir, tu seras avec moi en paradis ». Mais quelle heure était-il ? En latin, Saint-Jérôme avait traduit par hodie eris, aujourd'hui tu seras avec moi... Et si la traduction de l'inaccompli « tu seras » n'était pas un futur projeté, mais un présent imminent ?

Depuis cette conversation volée au cours d'un office quasi-clandestin d'un sous-sol parisien, j'attends le jour de ma résurrection. Car il ne suffit pas de dire lève-toi et marche, encore faut-il l'agir. Aujourd'hui, 12 avril 2014, je voudrais que le verbe de la résurrection se fasse enfin chair.

Il est 15h09 et je décide que ma vie est profondément et instantanément transformée.

Sourire à l'insaisissable à portée de main, en recevoir de doux éclats.

 

 

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