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vendredi, 04 avril 2014

D'un train crépusculaire

 20h07 : Face à moi un jeune homme blond aux cheveux très courts écoute une musique dans son casque, les yeux fermés, les bras paisiblement posés sur ceux du fauteuil. Il porte un Tshirt à l'effigie du drapeau américain. Plus loin, deux hommes qui ne se connaissent pas se font face. L'un contemple le paysage, l'autre est fixé sur son téléphone portable. La campagne est belle, qui défile derrière la vitre. La respiration du garçon se fait plus forte et très régulière : il dort. J'écris un peu, puis je relève la tête.

Splendeur sur la campagne. Un coucher de soleil flamboyant s'écrase sur les cimes des arbres et se couche dans les champs. C'est un océan de couleurs qui déploie ses vagues nébuleuses et scintillantes entre chien et loup. Quelques vaches encore dehors assistent à ce spectacle époustouflant. Je ne peux détacher mon regard de la vitre et jette seulement de temps à autre un œil sur l'ordinateur pour voir si mes doigts agiles, habitués intimes du clavier, tapent bien ce que je leur demande. Je sais que ce moment empreint d'une magie étincelante ne durera pas. Ces lambeaux de rose et d'orange noyés dans des jetées de bleu indéfinissable ont quelques minutes à peine d'existence. On est entre chien et loup ; le loup va chasser le chien. Nous venons de passer devant une ferme, dont la lumière de la grande pièce était allumée. J'ai aperçu une atmosphère, vite enfuie dans le passé. L'incendie fabuleux se poursuit, au dessus d'un lac ; le lac disparu, il émerge par flots colorés entre les arbres. Les bois se succèdent, puis laissent la place à des champs. Le jeune homme dort toujours, mais les deux messieurs sont absorbés par le même paysage que moi. Si ces moments baignés de sublime se prolongeaient éternellement, serions-nous capables d'en être toujours aussi émus ?

Il est 20h25 et le soleil n'en finit pas de se noyer dans les nappes de couleurs. C'est presque écrasant de beauté. Je voudrais que cela dure toujours et pourtant j'attends la fin avec une sorte d'impatience. Pour me retrouver moi-même après la sidération ? Ou pour me perdre à nouveau dans les méandres inutiles de la vie mentale ? Comme c'est rose, là-bas, rose orangé. Aucun peintre n'a jamais pu rendre la somptuosité à laquelle j'assiste. L'art évoque, l'art approfondit, l'art ne reproduit pas. Peut-être qu'au volant d'une voiture, à une fenêtre, sur un chemin, quelques êtres humains, en instance, contemplent cette beauté en suspension. Une annonce nous dit que dans quelques instants, nous arriverons en gare d'Angers Saint-Laud.

Il est 20h31. Les affreux immeubles de la banlieue d'Angers se dressent entre le couchant et nous. Entre deux barres, au dessus d'un ancien cimetière, dans les branches d'un arbre, le brasier apparaît quelques secondes ; le train ralentit. Comme les villes bétonnées depuis les années 1960 sont laides, les pauvres. Mais nous entrons dans le centre et de vieilles et imposantes bâtisses en pierre, restaurent mon sentiment intérieur. Un des messieurs se lève (celui qui contemplait le paysage) ; il va descendre à Angers. L'autre a remis le nez dans son portable. La respiration du jeune dormeur berce ma contemplation. Il ne s'éveille pas, mais sans doute sent-il dans son sommeil que nous arrivons quelque part, car ses bras bougent et sa tête dodeline un instant. Des murets de brique construits le long de la voie ferrée dissimulent l'éclatante dissolution du soleil.

20H35 : un homme au très gros ventre, jean et blouson de cuir, une soixantaine d'années, allume une cigarette sur le quai. Ses yeux parcourent la gare, les rails, la ville derrière alors que les premières volutes s'élèvent de sa bouche. Soulagement intense et visible de celui qui s'est retenu de fumer durant près de deux longues heures. Les sifflets des agents de la gare retentissent. Le train va repartir. Oui, les portes automatiques se ferment. Nous sommes repartis. Le rose est toujours là ! Et c'est encore plus incandescent que tout à l'heure ! Il vire au rouge ! Les lumières artificielles de la ville d'Angers offrent faiblement leurs lueurs pour soutenir la rougeur chamarré du ciel. De longs nuages gris se tordent au milieu de ces aplats mouvants de rouge, d'orange, et les toits de la ville disparaissent. Maintenant ce ne sont plus eux qui se détachent dans la rougeur, mais des arbres, dont les pieds sont dans l'eau (il a du beaucoup pleuvoir sur ces étangs) et la tête dans l'incendie du firmament. Le train prend de la vitesse. Des usines succèdent à la campagne, la campagne succède aux usines. Les formes des arbres s'élevant vers la toute-beauté des cieux donnent une atmosphère d'ailleurs, d'Afrique peut-être, ou du fin fond de l'Amérique du Sud. L'Ouest de la France m’apparaît soudain comme l'endroit de la magie suprême. Sur une route, qui suit le tracé de la voie, quelques voitures solitaires avancent à un rythme égal ; leurs phares leur confèrent une personnalité – presque un visage. Mais voilà que le rouge a entièrement disparu : le ciel est violent. Le ciel est violet. Il évoque un événement surnaturel menaçant.

Et puis (il est 20h47) la pénombre avale le violet qui devient sombre, sans couleur. Nous entrons dans la nuit. Le train file. Les ombres des maisons, des arbres, se stylisent et perdent de leur précision et de leur couleur pour se transformer en silhouettes informes. C'est la nuit qui tombe à pas de loups, qui s'abat sur des milliers et des milliers de vies fatiguées, invisibles depuis le train. Où sont les êtres humains ? Là-bas, sans doute, mais d'ici on n'imagine pas leur présence. Encore un peu de rose, par là ? Oui, mais il disparaît, comme un mirage, dans la vitesse du train et de la nuit. La nature quand elle se pare ou quand elle mue n'est pas réaliste. Elle est surréelle.

mardi, 01 avril 2014

Ecclesia

Dans l'étrange beauté de l'église Saint Jean Bosco (rue Alexandre Dumas, Paris XX), je me posais des questions banales en savourant l'instant présent. La lumière pénétrait par les vitraux et le silence peuplait les bancs déserts. J'avais laissé loin derrière moi le monde morne des pensées mentales et je me délectais du vide et du plein, surtout du vide. Je riais de toutes ces luttes féroces qu'on vit dans le travail, et je m'abandonnais à la plénitude distante de l'existence dédramatisée. J'avais connu cela déjà à Arles, sur un hamac ; je découvrais ce même bouquet de sensations et de saveurs dans une architecture ecclésiale bizarre et envoûtante. Mourir et vivre perdaient leur caractère grave ; il me semblait que ma mort et ma vie n'étaient qu'un détail sans importance de ce monde, un vague phénomène imperceptible aux autres, parfois glauque, parfois charmant. J'éprouvais ce sentiment double et mélangé d'exaltation palpitante et de profonde tranquillité. C'était la première fois que je connaissais un tel calme sans avoir bu de rhum Diplomatico du Venezuela.