Le mal des ardents (lundi, 07 avril 2014)
J'ai connu plusieurs garçons qui ressemblaient à des archanges. Ce matin, deux d'entre eux peuplent mon esprit. L'un est mort à 29 ans dans un accident si stupide que c'est à se demander si cet ingénieur intelligent, calme, capable, conscient, n'a pas joué avec le feu électrique. L'autre a quitté à regret sa vie adorée d'une grande ville de province française peuplée de pubs festifs et entourée de montagnes pour s'installer sur les vignes bourguignonnes de son beau-père, sur l'ordre pète-sec de sa jeune épouse.
Ils avaient des points communs et je les lie en esprit, bien qu'ils ne se connaissaient pas.
Ils étaient d'une beauté impressionnante, toujours renouvelée.
Ils parvenaient à allier ces deux éléments souvent opposés : toujours propres sur eux, prêts à entrer dans un salon cossu ; toujours prêts à la déconne ou à l'aventure en haute montagne ou sur l'océan hivernal. De même, ils étaient toujours très élégants et jamais raides ni snobs. Ils ressemblaient à des héros insouciants qui captent dans leurs cheveux, dans leurs yeux, dans leur voix, la majesté et la fougue.
Je ne les ai jamais vus malades (sans doute l'ont-ils été hors de ma présence) ; ils avaient un teint magnifique plein de vitalité, une pêche d'enfer, le rire dans la voix détendue, le regard pétillant, l'allure dynamique. Ils rayonnaient l'énergie et l'aisance en ce monde.
Ils appartenaient à des familles sympathiques, unies et chaleureuses ; ils étaient entourés de nombreux amis : des bandes de copains, des vieux copains, des copains du boulot, des copains du sport, des copains d’Égypte, des copains de Londres, des copains du club de plongée, des copains de l'association universitaire, des amis intellos, sportifs, ingénieurs, profs, avocats, pilotes, médecins, patrons de PME, marketing men, et même un prêtre par ci, un dessinateur libertaire par là.
Ils réussissaient tout. Les cross, les permis de conduire, de chasse, d'avion, de bateau, les études (hautes écoles d'ingénieur très prisées), le boulot (postes intéressants et largement payés), les voyages (tours du monde, grande facilité à parler de nombreuses langues), la fête (excellents danseurs, buveurs fantasques sachant s'arrêter avant la chute, potaches admirables et, à quatre heures du matin, conversations lunaires sur l'existence, le monde et l'intérieur du cœur).
Je les regardais avec une grande fascination, admirative de l'extrême aisance avec laquelle ils domptaient les éléments de la vie qui me plongent parfois dans les plus sombres affres de la dépression, de la douleur, de l'incapacité. Je les approchais avec perturbation, incapable de rentrer en réelle relation avec eux, n'arrivant pas à m'insérer souplement dans cette chorégraphie parfaite qui avait lieu autour d'eux. Je ne leur ai connu qu'un seul point faible, une fragilité presque invisible qui m'avait marquée à plusieurs reprises. Il n'y avait pas de place dans leur vie pour plus de deux heures de solitude. Peut-être qu'ils ne supportaient pas la solitude.
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