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mercredi, 30 avril 2014

Intrigues de couloir

Ce jour-ci, au détour d'une fatigue ou d'un verre de vin (qui sait quel fut l'élément déclencheur), il se laissa aller à participer à des intrigues de couloir. Lui qui, d'ordinaire, s'abstenait de comploter en chuchotant dans des recoins entre deux réunions où l'on faisait semblant de bien s'entendre, lui qui partait vite le soir vers la station de métro, lui qui gardait pour lui-même les errances et les amertumes de ses affects, voilà qu'il médisait à voix basse au cours d'un déjeuner, voilà que, quelques heures plus tard, il murmurait avec d'autres, et ce sur le dos d'un autre, choisi en commun pour être dévoré sur l'autel de la bonne entente au Travail.

En prononçant ses paroles, en laissant savamment entendre qu'il ne disait pas tout par grandeur d'âme, en montrant des airs bons, des airs désolés, en hochant la tête, bref, en descendant l'escalier de la mesquinerie, il savait dans un coin de son coeur qu'il le regretterait plus tard.

Plus tard, c'est-à-dire dans la solitude de son bain moussant le soir même, ou au creux d'une insomnie, ou lorsqu'il se regarderait dans la glace le lendemain matin.

Mais ce fut, une semaine plus tard, au théâtre des Champs-Elysées que le remord tira la sonnette d'alarme dans son coeur, alors que la voix de basse déclamait l'aria de la Calomnie du facétieux Rossini. La calomnie est comme une brise...

En sortant du théâtre, il n'accompagna pas ses compagnons de sortie au Bar des Deux Théâtres ; il avait rendez-vous avec lui même.

La ligne 9 (Pont-de-Sèvres - Mairie de Montreuil) le ramena chez lui. Il sourit en songeant qu'il avait été éduqué à un bout de la ligne, autour du village d'Auteuil, et qu'il consommait aujourd'hui les fruits, tendres et amers selon les domaines, de son éducation, à l'autre bout de la ligne, à la station qui portait le nom du doux agneau de la Révolution : Robespierre.

C'est loin d'Auteuil, face à Robespierre qu'il fit plus ample connaissance avec son remord. Bientôt, il le congédia, car il sentit que ce remord, en grossissant, l'éloignait de lui-même en lui offrant une chappe de culpabilité certes lourde, mais qui le dédouanerait d'une introspection véritable.

Le remords partit par la fenêtre.

Sur le balcon où les plantes vertes frissonnaient dans la pénombre froide de minuit, il dialogua avec lui-même.

- Pourquoi as-tu participé à ces intrigues de couloir ?

- J'étais fatigué. J'avais bu un verre de vin au déjeuner. Je n'étais pas sûr d'obtenir mon augmentation (je n'osais pas la demander).

- Que cherchais-tu ?

- Rien de précis. Rien de clair.

- Qu'éprouvais-tu ?

- J'éprouvais la vengeance. Je médisais sur un homme qui, à certaines périodes de l'an dernier, m'a envoyé des piques au cours de réunions.

- C'était donc la vengeance, plus que le verre de vin ou la fatigue ?

- Je connaissais un certain plaisir de ne pas être celui qu'on rejette.

- Tu te sentais plus haut de le rabaisser ?

- Je cherchais la reconnaissance de mes interlocuteurs, je cherchais une plus grande intronisation dans le groupe.

- Tu voulais être accepté, non seulement toléré ?

- Et je me désolidarisais d'un faible, je me désolidarisais de celui qui se détache imperceptiblement du sommet.

- Tu as obtenu satisfaction ?

- J'avais honte, car les autres voyaient que j'étais capable de trahir.

- Eux aussi trahissaient.

- J'avais honte quand même.

Lorsqu'il entra dans son lit aux couettes bleues et blanches, il réfléchissait aux moyens de déambuler dans ce monde en en tirant son parti, sans nuire à d'autres, ni même à ceux qui lui avaient nui. La morale et la générosité ne l'intéressaient pas spécialement. Ce qui lui importait, c'était de ne plus jamais ressentir ce sentiment délité de lui-même, cette conscience désagréable d'avoir trempé son coeur dans la mesquinerie.

Il trouvait infiniment plus esthétique de se comporter avec une certaine classe.

 

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