lundi, 30 avril 2012
ATONE
ATONE
Psalmodie-soliloque d’un soir de la neuvième année de mariage
écrite par Edith après quatre bières (1 adelscott ambrée, 3 Noire de Slack) il y a plus de dix ans
(Merci à René Ch... de l'avoir reprise ici)
Ma voix coule dans le soir
Mais mon cœur demeure aphone
Je respire dans ce bar
Des vapeurs d’alcool atone
Nous traversons les saisons
Main dans la main bien trop sages
Je n’observe à l’horizon
Aucun feu, aucun mirage
La vie et ses expériences,
Je les traverse en apnée
Puisque aucune délivrance
Ne nous est jamais donnée
Mais ce soir, dans la lumière
Du bar où flotte un suspense,
Ce soir je veux le salaire
Des années d’obéissance.
Que les lois et la morale
S’effacent de mon karma ;
De se courber sous leur pâle
Mensonge, mon crâne est las.
Dans ce corps où tout s’éteint
Pour jamais n’être fécond,
Que la passion prenne enfin,
S’il reste des braises au fond.
Que le désir se rallume,
Qu’il fasse briller mes yeux,
Pour qu’ils se désaccoutument
De leur rideau vertueux.
J’en appelle aux dieux païens
Ceux qui boivent et ceux qui chantent,
Qu’ils déchargent mon destin
De la ration, de l’attente.
J’en appelle même au stupre,
Si lui seul peut délivrer
Du convenable sans sucre
Un cadavre articulé.
Et toi, frère et faux-amour,
Co-victime et co-coupable,
Vas-tu taire pour toujours
L’hypocrisie impalpable ?
Nous traversons les saisons
Main dans la main bien trop sages
Et rien dans notre prison
Ne présage un grand orage.
Mais ma voix coule ce soir,
Et mon cœur te téléphone,
Je respire dans le bar
Des instances qui frissonnent.
Et si tu ne réponds pas,
Si rien en toi ne s’éveille,
Parce que mon cœur est las
Des jours aux autres pareils,
Tu prendras tout seul le train,
Et dans la nuit qui appelle,
Coupable de ton chagrin,
Je chercherai l’étincelle.
17-18 décembre.
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dimanche, 29 avril 2012
Ces bêtes qu’on abat : Témoigner
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Témoigner
Ce livre est un témoignage élaboré à partir de souvenirs et de notes personnelles. Il est issu du journal que j’ai tenu durant mon activité dans la protection des animaux d’abattoirs. Je ne dresse pas un état des lieux ; le lecteur s’en fera une idée à travers ce livre. Mon but n’est pas non plus de nuire aux éleveurs et aux abattoirs, mais mon regard est celui d’un défenseur des animaux. Par conséquent, même s’il me semble important de soutenir certaines méthodes d’élevage plus respectueuses des animaux, ou certaines pratiques d’abattage, je me place résolument du côté des animaux qui, face à l’exploitation de leur vie et de leur chair, sont sans défense. Je cherche à faire partager cette expérience d’un milieu tout à fait spécial et fermé, celui des abattoirs, où les animaux sont envoyés pour un unique aller, sans retour. D’ailleurs, la législation prévient : tout animal entré dans un abattoir ne peut en ressortir vivant.
Voilà déjà quinze ans que je travaille dans des associations de protection des animaux d’abattoirs, comme bénévole ou comme salarié1. Dans cet ouvrage, j’invite le lecteur à me suivre dans mes déplacements ; il sera amené à lire des passages difficiles, qui rendent compte de situations extrêmement pénibles, pour moi, surtout pour les animaux qui les ont vécues. Je n’ai pas voulu édulcorer cette réalité.
Je commencerai par décrire les abattages. La connaissance de ces aspects techniques et réglementaires est nécessaire à la compréhension du déroulement d’un abattage. Les méthodes d’abattage diffèrent bien entendu selon les espèces. Il existe des pratiques illicites qui sont couramment employées. Il me faudra en parler. Certains abattoirs se conforment aux règles tandis que d’autres s’en moquent, de sorte que le lecteur en viendra probablement à s’interroger sur l’action des pouvoirs publics (les services vétérinaires, en l’occurrence) dans ce domaine. Jusqu’à présent leur préoccupation était d’ordre sanitaire, laissant de côté la protection animale dont ils ont la charge. Il faut cependant reconnaître la bonne volonté et le travail de certains services vétérinaires, mais ce sont des cas isolés. Force est de constater que lorsque des améliorations sont intervenues en matière de protection animale, ce sont en fait des mesures sanitaires qui ont permis, par ricochet, ces améliorations.
À la lecture de certains passages, on peut se demander si les personnes qui commettent les actes que je décris n’ont pas perdu la raison, tant ce qu’elles accomplissent est impensable. Mais dans le système de l’élevage et de l’abattage, qu’est-ce qu’un animal sinon une carcasse de viande ? Quelle est la place de l’animal vivant dans un abattoir, sinon celle d’être transformé en morceaux de viande ? D’ailleurs, le bureau de la protection animale du Ministère de l’Agriculture est chapeauté par la Direction Générale de l’Alimentation ! Nous avons là un élément révélateur de la place de l’animal dans notre société.
En agriculture, on calcule les rations en fonction du gain moyen quotidien (GMQ) que doit « fournir » l’animal. Le GMQ représente la prise de poids par jour que l’animal « fabrique » si l’éleveur lui donne une certaine quantité d’aliments. L’animal vivant n’est souvent perçu que comme une carcasse de viande sur pattes. Dans cette optique, on a vite fait d’oublier que l’animal, même au terme programmé de sa vie, est doté d’une sensibilité, de craintes et de peur et que jusqu’à l’abattoir, il faut prendre en compte son bien-être et sa sensibilité, ce qui est totalement ignoré, notamment en élevage intensif, majoritaire en France et dans le monde économique de la production animale.
Lors de mes déplacements dans les abattoirs français, je me rendais assez facilement compte de la manière dont le bien-être des animaux était ou non pris en compte jusqu’à la fin. Dans les grands abattoirs aux cadences chronométrées, il est difficile de s’attarder sur un animal qui ne veut pas avancer. Les porcs, notamment, sont souvent conduits au poste d’abattage sans ménagement. Il est possible d’améliorer le bien-être des animaux avant et pendant l’abattage, mais cela a un coût qui devra probablement être supporté par le consommateur. Ce dernier, toujours prêt à s’émouvoir du sort des animaux en élevage intensif se rue pourtant sur les produits carnés bon marché. Sommes-nous disposés à payer plus cher notre morceau de viande, pour quelque chose que l’on ne voit pas, puisque le traitement des animaux dans les élevages intensifs et dans les abattoirs nous demeure étranger ? À ceux qui ne le savent pas, je voudrais révéler ce fait : la plupart des animaux élevés de manière industrielle découvrent la lumière du jour lors de leur envoi à l’abattoir. C’est même, pour beaucoup, lors de ce transfert, qu’ils ont l’occasion de faire leur premier pas. Voilà ce que nous cautionnons lorsque nous achetons une barquette de lard ou un poulet à plus bas prix. Je citerai en exemple un abattoir de volailles qui s’est équipé d’un nouveau matériel d’étourdissement avant la saignée qui constitue une avancée majeure dans la prise en compte de la souffrance des animaux au moment de leur mise à mort. Cependant, les volailles qui y sont abattues proviennent pour la plupart d’élevages concentrationnaires et intensifs. Elles sont même parfois ramassées par une sorte d’engin mécanique qui les balaye, les absorbe et les rejette dans des caisses en plastique.
J’emmènerai aussi le lecteur sur un marché aux bestiaux sur lequel j’ai été physiquement agressé. Je ne cherche pas ainsi à gagner sa pitié, mais à montrer dans quelle frénésie se trouvait le milieu de l’élevage et de la viande en pleine période de la crise de la vache folle.
J’ai ponctué cet ouvrage de chapitres qui n’ont pas directement à voir avec les abattoirs, mais qui traitent de situations en rapport avec mes déplacements, et que j’ai cru bon d’intégrer, peut-être aussi pour permettre au lecteur de respirer un peu.
Si vous voulez bien entrer dans cet univers, en général fermé au public et déconseillé aux âmes trop sensibles sous peine de ne plus manger de viande… Suivez-moi.
1 La discrétion m’invite à ne nommer ni les associations de protection des animaux d’élevage pour lesquelles j’ai travaillé, ni les personnes que j’ai rencontrées, ni les abattoirs que j’ai visités ; je ne les ai pas non plus décrits de manière à ce qu’il soit possible de les identifier.
Couloir de la mort pour bovins dans un abattoir. Phot Jean-Luc Daub
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.
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vendredi, 27 avril 2012
Memento mori
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mardi, 24 avril 2012
Un rêve blogal
A quoi ressemblerait ton blog de rêve ?
Il aurait une mise en page impeccable, une typographie unie, qui rappelerait l'esthétique des journaux quotidiens des années 1980.
Les photographies qui l'illustreraient seraient toutes intéressantes, esthétiques au moins d'une certaine façon. Aucune de ces images ne serait que "fonctionnelle", purement illustrative.
Il enverrait les visiteurs vers des liens intéressants.
Ce blog constituerait un univers structuré, charpenté, mais aussi chargé d'étrangeté et d'infini : on aurait l'impression de se promener à travers une ville signifiante et ordonnée qui n'aurait pas de finitude.
Les articles y seraient écrits dans une langue belle, originale, intemporelle et puissante.
La publication de ces articles serait régulière, ce serait un blog intellectuellement et spirituellement nourrissant.
Il présenterait un côté clandestin excitant ; revêterait en même temps un apparât classique impressionnant.
Il ressemblerait, se blog, à une oeuvre d'art à laquelle on revient sans cesse puiser pour se ressourcer, une oeuvre d'art qu'on a envie de conserver, d'emporter avec soi parce qu'on en vit au fond de soi.
Un aspect anarchiste, un peu rock, le diputerait à une facette plus Renaissance, inspirée d'Antiquité grecque, tandis que le Moyen-Âge et ses éléments gothiques émergeraient par instants.
La liberté, la route, l'Amérique y seraient présents : un Road Blog qui fascine ! Mais au creux du blog on se réfugierait aussi dans la vieille France, dans ses petits villages suspendus hors du temps et dans ses traditions transmises à travers les siècles.
Une grande intelligence baignerait chaque billet.
Aucune haine ne s'y ferait voir. Beaucoup de vitalité et de profondeur lui donneraient une force, une percutance qui le dispenserait de la haine et de la polémique.
Je cherche un tel blog à visiter, pour m'en imprégner. Je cherche si un tel blog peut exister au sein même d'AlmaSoror. Je cherche à révéler la vérité d'AlmaSoror, dissimulée derrière ses imperfections.
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dimanche, 22 avril 2012
L’exode urbain et l’art
AlmaSoror est fier de publier cette recension d'un grand livre d'histoire de l'art de 2071.
Recension d'Hélène Lammermoor
L’exode urbain et l’art
Glavenn le Bahut
Éditions intempestives
2071
320 000 signes, 70 illustrations (sonores, filmiques, et autres visuels)
A-t-on réellement mesuré le rôle de l’exode urbain des années 2020-2035 dans l’histoire de l’art ?
Non, répond illico Glavenn le Bahut dans son opuscule L’exode urbain et l’art, véritable brûlot, qui s’attache à détruire toutes les analyses artistiques de la décennie 2030 qui se fondent sur un art né du besoin autogène d’exister et non sur un art né des conditions socio-urbaines.
La thèse de Glavenn le Bahut s’attaque en particulier à l’historienne de l’art Édith de Cornulier-Lucinière, qui “a cru trouver la cause de la Renaissance artistique européenne dans le besoin d’art et les vagues de l’histoire de l’art elle même alors que ce sont évidemment les événements extérieurs à l’art, et tout particulièrement la crise de l’alimentation et l’exode urbain, qui ont donné une impulsion nouvelle aux forces créatrices des artistes”.
Comment ne pas croire, poursuit ensuite Glavenn le Bahut, qu’un mouvement d’une ampleur aussi phénoménale que l’exode urbain n’ait pas eu un rôle primordial dans l’évolution de l’art ?
Cette manière de poser la question ne manque pas de bon sens. Glavenn le Bahut est convaincant lorsqu’il retrace la crise de l’alimentation, imprévue puisque les autorités européennes et occidentales s’étaient surtout attachées à parer à une crise de l’eau qui n’eut pas lieu grâce aux inondations de 2923, 2037 et 2034. Les grandes villes se dépeuplèrent en quelques mois, les troupeaux d’humains transhumant vers des terres longtemps délaissées qui devinrent vite des camps de regroupements humains au lieu des eldorados que ceux qui venaient avaient imaginé.
Page 36. Les étendues d’immeubles abandonnées et de routes vides
Des villes abandonnées on ne fit pas grand chose, les autorités et gouvernances ayant tant à faire dans les zones rurales. Cette désaffection profita aux artistes, et surtout d’abord aux pionniers fantomatiques, ceux qui décidèrent de rester dans les mégapoles et les villes alors même que leurs congénères les fuyaient. Véritable peuple de l’absence, solitaires perdus dans les étendues d’immeubles abandonnées et de routes vides, ils occupèrent l’espace avec gaucherie, d’abord, puis firent peu à peu de ces grands cercueils de la civilisation humaine des édens d’une beauté auparavant inégalée.
Tout l’art des années 2030 éclôt dans ces cités perdues, aux canaux noyés, aux formes fonctionnelles devenues gratuites et inutiles de par l’absence des gens. Et c’est là que la thèse de Glavenn le Bahut prend un intérêt certain. Pour lui, la Renaissance est née de cette transformation des choses fonctionnelles (l’ensemble de l’organisation des villes) en choses inutiles. L’inutilité peu à peu engendra la beauté, le symbolisme et ce fut la possibilité de la vie mystique. Le monde était à nouveau réenchanté. L’ère du Verseau pouvait éclore vraiment et la civilisation celticohéllénochrétienne était revivifiée pour longtemps.
Nous recommandons la lecture de L’exode urbain et l’art à tous ceux qui considèrent que l’historiographie, devenue officielle, mise en oeuvre par Édith de CL ne saurait, en dépit de ses qualités indéniables et notamment de son aspect pionnier, constituer la seule et définitive vision de l’art des années 2030-40.
Hélène Lammermoor
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vendredi, 20 avril 2012
Bob Dylan, Georges Marchais et la « lumpen-immigration »
La position de Bob Dylan, en 1967, et de Georges Marchais, en 1980, sur l’immigration "délinquante" était loin de la générosité de celle qui prévaut aujourd'hui chez les journalistes, artistes et politiques.
Ils ont tous deux fait une description radicalement désapprobatrice des immigrés qui ne vivent pas dans le pays qu’ils aiment et crachent sur le pays dans lequel ils vivent. Leur condamnation est sans appel, contre ceux qui parviennent à desservir deux pays à la fois, leur pays d’origine et leur pays d’accueil, et ne cherchent qu'à se servir sans jamais servir.
Ainsi ces deux grands militants de la Gauche, la gauche structurée de Marchais et la gauche anarchisante de Dylan, ont montré une sévérité intellectuelle étonnante à propos de ce que l’on pourrait appeler la « lumpen-immigration », pour paraphraser Marx condamnant le « Lumpen-Prolétariat ».
(Lump signifie vagabond en allemand, mais a vite pris le sens de racaille, et chez Marx signifie voyou, délinquant).
Georges Marchais réfute les accusations de racisme et de pétainisme, et affirme sa lutte contre la drogue, dont les principaux distributeurs sont les immigrés.
Quant à Bob Dylan, il a consacré une chanson à l'immigré qui vit dans un pays alors qu'il aurait préféré son pays natal, qui hait sa vie autant qu'il craint la mort, qui dépense ses forces dans des actions idiotes et néfastes, qui n'est jamais satisfait de ce qu'il a et se venge de ses propres turpitudes sur ses concitoyens.
Voyons cela.
Le discours de Georges Marchais :
La chanson de Bob Dylan :
I pity the poor immigrant
Who wishes he would've stayed home
Who uses all his power to do evil
But in the end is always left so alone.
That man who with his fingers cheats,
And who lies with every breath
Who passionately hates his life,
And likewise fears his death.
J'ai pitié du pauvre migrant qui regrette de n'être pas resté chez lui
Qui use de tous ses pouvoirs pour faire le mal et finit toujours tout seul.
Cet homme qui trompe à chaque geste, qui ment comme il respire,
qui hait passionnément sa vie et qui craint tout autant sa mort.
I pity the poor immigré,
Who's strength is spend in vain,
Who's heaven is like ironsides,
Who's tears are like rain.
Who eats but is not satisfied,
Who hears but does not see.
Who falls in love with wealth itself,
And turns his back on me.
J'ai pitié du pauvre immigré dont les forces sont dépensées en vain,
dont le paradis est blindé Dont les larmes sont comme la pluie.
Il mange sans être rassasié, il écoute et ne voit rien.
Il est avide de richesses et tourne le dos aux êtres humains.
I pity the poor immigrant,
Who tramples through the mud
Who fills his mouth with laughing
And who builds his town with blood.
Who's visions in the final end
Must shatter like the glass,
I pity the poor immigrant
When his gladness comes to pass.
J'ai pitié du pauvre immigré qui patauge dans la boue
Qui remplit sa bouche de rires et construit sa ville avec du sang.
Ses visions sont faites pour éclater comme du verre.
J'ai pitié du pauvre immigré au moment où sa joie tourne court.
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mercredi, 18 avril 2012
John Littleton, un Américain à Reims
Venu de Louisiane dans sa jeunesse, il a vécu entre Reims et Paris avec son épouse française, dont il a eu deux enfants. Et puis, il est mort, en 1998.
Entre tes mains et Gethsemani, sont deux chants d'inspiration catholique, chargés de Louisiane et de France, ces deux terres qui s'unirent puis se désunirent au cours de notre longue histoire.
Littleton refusait de chanter du Gospel américain, parce qu'il pensait que cette musique était si liée à une terre et à une histoire qu'il ne fallait pas la tordre en la prostituant à des situations moins adaptées.
Mais en la personne de la religieuse Odette Vercruysse, il a trouvé une parolière en résonnance avec ces chants de Louisiane, comme en témoigne la chanson Gethsemani :
"Et vous vous en irez pour conquérir le monde
Mais vous n'y semerez que la ruine et le deuil"
Gethsemani (paroles d'Odette Vercruysse)
Vous n'aurez pas compris, lorsque viendra mon heure
Vous n'aurez pas compris, grand chose a ma chanson
Vous n'aurez pas compris, Mais il faut que je meure
Pour qu'à votre folie soit donné le pardon
Vous n'aurez pas compris, vous fermerez vos portes
vous fermerez vos coeurs, au soleil de l'amour
Et vous vous en irez, lamentables cohortes
Vers d'autres horizons qui reculent toujours
Oh gethsemani, la lune danse dans les arbres
Oh gethsemani, le vieux pressoir est plein de fruits
Vous n'aurez pas compris, la beauté du message
que je vous apportais en frémissant de joie
Vous n'aurez pas compris, vous croirez être sages
En clouant la sagesse au gibet de la croix.
Et vous profanerez, toute la Paix du monde
En faisant retentir les cris de votre orgueil
Et vous vous en irez pour conquérir le monde
Mais vous n'y semerez que la ruine et le deuil
Oh gethsemani, la lune danse dans les arbres
Oh gethsemani, le vieux pressoir est plein de fruits
Entre tes mains...
Le refrain est inspiré de Saint Luc, les couplets de Saint Jean.
Je remets, Seigneur, mon esprit.
Entre tes mains,
Je remets ma vie.
Il faut mourir afin de vivre.
Entre tes mains,
Je remets ma vie.
Si le grain de blé ne tombe en terre
S'il ne meurt, il reste seul.
Mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit.
Et c'est un fruit qui demeure.
Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix.
Je ne la donne pas comme la donne le monde.
Que votre cœur cesse de se troubler.
Gardez courage, j'ai vaincu le monde.
Je suis le vrai cep vous êtes les sarments ;
Qui demeure en moi porte beaucoup de fruit.
Car hors de moi vous ne pouvez rien faire,
Demeurez tous en mon amour.
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dimanche, 15 avril 2012
Amers tubes
Phot. Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva
Partir... A l'aube crépusculaire, au bout d'une nuit passée à pleurer dans les rues d'Insomniapolis, partir.
Mourir... Aux jours passés et aux amitiés ratées, aux familles létales, aux amours bancales, mourir à tout ce qui sembla être moi et fut tout sauf moi, mourir.
Souffrir... De quitter la vie monotone à laquelle on était attaché, d'abandonner des êtres qu'on avait l'habitude de saluer, de trahir des promesses qu'on avait contractées, souffrir.
Mentir... Au concierge qui demande où l'on va, au voisin qui souhaite une bonne journée, au cafetier planté devant son bar encore fermé, mentir.
Courir... Le long des quais le long desquels on a tant rêvé, sur les ponts qui mènent à l'autre ville, sur la route qui sort de la ville, dans la gare où attendent des trains en partance, dans le train où les places s'arrachent, courir...
Sentir... La vie qui renaît au creux d'un cœur mort, le sang qui afflue au bord de la peau, la peur de l'inconnu et du nouveau, l'angoisse d'une disparition, l'enthousiasme d'une chanson, l'expérience d'une vie qui recommence, sentir...
Partir... Un matin comme un autre, quelqu'un presque comme les autres, au bout de décennies passées à remplir un rôle défaillant de fourmi, partir.
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jeudi, 12 avril 2012
Une vie parfaite
Quelqu'un m'a demandé de décrire comment se déroulerait ma vie si elle était parfaite. Sans contrainte, j'ai décrit une journée idéale.
Le printemps et l'été, à 6h45, éveillée par le chant des oiseaux, je laisse lentement mes yeux s'ouvrir, ma conscience se dévoiler au jour. L'hiver, cela a lieu plus tard, vers sept heures et demi.
Je m'assois sur mon lit et prends un temps de gratitude pour la vie qui m'entoure ; je confie ma journée à Dieu s'il existe, je la dédie à la célébration de la beauté du monde, à la contemplation de ses mystères.
Et je me lève. En passant par la salle de bains je mets l'eau de la baignoire à couler, ensuite je vais préparer un petit-déjeuner : jus de fruits savoureux, café, croissants, confiture.
Le temps du petit-déjeuner équivaut à celui de la baignoire qui s'emplit d'eau. Je fais rapidement la vaisselle et vais prendre un bon bain chaud.
Je m'habille en sortant du bain, et vais me reposer sur mon lit ou sur un fauteuil et je lis ou je paresse.
Puis il est temps de bloguer un peu : j'allume mon ordinateur, écris des billets pour mes blogs durant une heure ou deux.
Je vais faire une promenade, quelques courses s'il y a besoin.
Quand je rentre à la maison, il est onze heures du matin : l'heure de regarder mes mails et d'y répondre, ce que je fais.
Ensuite, je vaque à toutes les occupations que je veux avant de préparer un bon repas, à moins que j'aie rendez-vous avec quelqu'un pour déjeuner dans la ville.
Après le déjeuner, conversation avec une éventuelle personne présente, ou lecture de Sidoine Apollinaire ou d'un auteur grec ou romain, pour puiser aux sources vives de la pensée de mes pères.
L'après-midi, un long temps sera consacré aux arts : à écouter ou créer de la musique, à regarder ou créer un film, à écrire.
Vers la fin d'après-midi il est temps, si je suis dans ma villégiature lovée dans la nature, d'aller faire un tour de vol libre (planeur, parapente, deltaplane) ou d'entrer dans l'océan dans ma combinaison qui me permet de rester nager et jouer dans l'eau sans trop sentir le froid.
Je rentre ensuite regarder à nouveau mes mails, préparer un dîner ou m'habiller pour sortir dîner si j'ai un rendez-vous dans la ville.
Il faut ajouter à cette vie si douce et si monotone un massage de temps en temps, chez un masseur indépendant installé dans la ville, et, de temps en temps, une coupure de ce rythme pour me plonger quelques jours dans l'étude d'une langue ou l'apprentissage des mathématiques, sans aucune idée de compétition ou de diplôme, pour la simple fête de l'esprit, pour la communion avec l'intelligence humaine qui trône dans le temps et domine tant de disputes stériles.
Presque tous les soirs, je suis couchée à dix heures ou dix heures et demi. Là, je lis une demi-heure dans mon lit, puis j'offre une prière de gratitude à la journée écoulée, à la nuit qui m'enveloppe.
Peu à peu, au fil des jours, des semaines, des saisons, une œuvre se créée. Il faut ajouter des trajets en train régulier, pour m'emmener de ma villégiature urbaine, citadine, à ma villégiature campagnarde, noyée au milieu des espaces naturels.
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lundi, 09 avril 2012
Exterminer avec compassion et pitié
Breton républicain, Joseph Lequinio explique (à propos de la Vendée) qu'il faut savoir exterminer 400 000 personnes avec compassion et humanité.
Après la Révolution française, il a fait une belle carrière sous Napoléon.
“Sévérité ! Ce terme est-il bien compris ? Je veux en même temps et des mesures sévères et des mesures indulgentes. ...
Mais qu’entend-on donc par mesures de sévérité, ne les distinguera-t-on pas des mesures de barbarie ? La sévérité la plus rigoureuse et la plus terrible est justifiée par le besoin, par la nécessité du bien général. Rien au monde ne peut justifier des mesures de barbarie.
Si le salut de la France exigeait l’anéantissement des 400 000 hommes qui couvrent le territoire de la Vendée et pays insurgés voisins, il faudrait les anéantir. Mais dans ce cas même, on ne saurait excuser des crimes atroces qui révoltent la nature, qui outragent l’ordre social et qui répugnent également et au sentiment et à la raison. En faisant évanouir ces générations entières pour le bonheur de la patrie, rien ne pourrait faire tolérer des mesures barbares, inhumaines, scélérates, exercées sur un seul individu. Il faudrait accomplir encore de compassion et de pitié cette exécution terrible, mais nécessaire à l’affermissement de la République, et ne pas accroître le malheur de s’y retrouver réduit par la souillure du remords.”
Guerre de la Vendée et des Chouans, par Joseph Liquinio (édition critique de Jean Artarit),
Éditions du Centre vendéen de recherches historiques, Collection mémoire de Vendée, 2012
On peut se procurer ce livre ici
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vendredi, 06 avril 2012
La matière du rêve
La vie est un rêve et pour rester accrocher à sa matière on peut suivre une voie. Certains suivent la voie du Tao ; d'autres, la voie du surf ; d'autres, la voie yoguique. Toutes les églises ont leurs grandeurs et leurs faiblesses.
Nous présentons ici la voie de l'infant. Elle s'appuie sur sept principes, auxquels il faut revenir plusieurs fois par jour afin d'approfondir notre ancrage dans la matière du rêve qui est la vie, afin de progresser sur la voie, d'être plus heureux et de rendre les autres plus heureux.
Pourquoi la voie "de l'infant" ? Parce que ce mot vient de infans, celui qui ne parle pas. Mais on pourrait tout aussi bien l'appeler la voie du poisson. "The fish is mute, expressionless. But the fish knows everything", comme l'écrivit Emir Kusturika, ce que Bregovic mit en chanson :
Et l'enfant, comme le poisson, représente celui qui marchait sur les eaux, devant des pêcheurs médusés, sur le lac de Tibériade... Ils peuvent aussi représenter Dylan eil Ton, fils de la vague, héros mythique celte.
Premier principe : La vague
Suivre la vague, m'y abandonner.
Ne jamais lutter contre la vie et ses flux, accepter la violence des éléments, épouser les mouvements de l'onde et surfer sur la vague. Platitude des eaux, violence de leur déchaînement : accepter et se laisser porter.
Second principe : Le silence
Faire le vide en moi, le silence en mon esprit, et écouter Dieu le Père tout-puissant, le laisser m'emplir et me parler. Ensuite, je suis la direction entendue ou sentie lors de la prière, dans la confiance inconditionnelle.
Troisième principe : La respiration
Je m'apaise et j'observe le flux et le reflux de ma respiration. j'écoute son rythme, j'en note les variations, sans tenter d'influer. Au bout de quelques minutes seulement, je peux essayer d'amplifier légèrement l'inspiration et l'expiration. Et, de quelques minutes plus tard, je peux amplifier encore plus.
Quatrième principe : La circulation
Fermer les yeux, tenter de sentir la circulation intérieure, entre les organes, dans le sang, sous la peau. Sentir ce qui bouge, prendre conscience de la fluidité intérieure, des masses internes mouvantes et palpitantes.
Cinquième principe : La sensation
Se recentrer sur les sensations que je veux éprouver dans la vie. Si, par exemple, les sensations que je souhaite éprouver sont la tendresse, l'exaltation, la puissance, la paix, la confiance, la joie... Je les créée en moi, l'une après l'autre, afin de me rappeler qu'elles existent et de leurs faciliter le passage la prochaine fois où elles voudront monter spontanément.
Sixième principe : L'obstacle
Comme dans un mythe ou un conte, l'obstacle est ce qui me transforme en héros. L'humilité m'amène un auxiliaire qui résout mon obstacle et le courage me permet d'obtenir la reconnaissance. Si je suis humble, mais dépourvue de courage, j'aurais une aide pour résoudre mon problème mais je n'aurai aucune reconnaissance, aucun honneur. Si je suis courageuse, mais dépourvue d'humilité, je gagnerai l'admiration d'autrui, mais en l'absence d'aide miraculeuse, il n'est pas sûr que je surmonte mon problème.
Septième principe : La lumière
Voir d'où vient la lumière et où elle se pose, voir ce qui est à l'ombre, et ce, les yeux fermés comme avec les yeux ouverts. Les yeux fermés, il s'agit de noter les points sombres et les points lumineux dans le pétillement de couleurs et de formes que l'on voit sur la paroi de nos paupières intérieures. Les yeux ouverts, il suffit d'identifier les sources de lumière (une lampe, un néon, une fenêtre), et de noter les éléments éclairés par cette lumière, les éléments qui restent plus ombreux, d'étudier les reflets. Accepter la sagesse de cette double présence de l'ombre et de la lumière, comprendre que notre monde est aussi une illusion d'optique.
Comment entrer dans la voie du poisson, marcher sur la voie de l'infant...
Ces sept principes doivent être retenus et l'on peut y revenir souvent dans la journée. Se les remémorer, tacher de les vivre, quitter les sphères du mental pur ou du matériel pur pour s'ancrer dans la matière, cette matière mêlée de corps et d'imaginaire, de lumière et de mouvement, de moi et du monde, qui est la matière du rêve et de la vie.
Le soldat inconnu
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mardi, 03 avril 2012
Intemporalité
"Aujourd'hui, la réalité est absurde, aussi horrible, aussi impénétrable que nos rêves. Et face à elle, nous sommes sans défense, comme dans nos cauchemars..."
Ingmar Bergman
« La vie est un rêve, c'est le réveil qui nous tue ».
Virginia Woolf
"Si j’avais su que les rêves sont réels et le monde illusion, j’aurais inversé ma vision de la liberté et celle de la prison. Mais les menteurs amers disent décriant les images qu’elles sont illusoires, et nous entraînent dans leur " réel " qui n’existe que dans leurs sombres couloirs".
Édith Morning
Détresse
Nous manquons souvent d'air, de ciel, d'espace, d'eau, de soleil, de vent. Nous qui vivons dans des villes belles et fascinantes mais si artificielles, nous qui vivons dans des campagnes poudrées de pesticides. Nos corps sont en manque.
Mais nos esprits ? Assaillis par les mots qui sonnent, les mots de la politique, de l'administration, de la mode, des techniques, assaillis même par les mots des fictions prévisibles aux scénarios bien ficelés, par les mots des chansons trop fades, des dialogues de romans et de films trop faciles, ils manquent eux aussi de ciel mental et de vent imaginal, de forêt littéraire et d'océan assez vides pour être contemplés sans perturbation.
Nos esprits sont en manque d'intemporalité.
Dévoration
L'actualité nous avale autant que nous l'avalons. L'homme informé et la connaissance s'entre-dévorent.
La place qu'ont prit les célébrités dans notre monde nous a démunis de nous-mêmes. Chaque fois que nous les écoutons parler d'un thème qui ne les concerne pas, nous leur donnons un pouvoir sur nous, nous nous rendons inférieurs à eux en leur laissant implicitement la primauté de la parole. Alors que dire de toutes ces exigences que nous avons envers eux ? Nous croyons affirmer nos droits en exigeant des politiques qu'il s'expriment, qu'ils décrètent, qu'ils montrent quel est leur camp, qu'ils tranchent ! Mais ce que nous affirmons, c'est que nous ne valons rien et qu'ils sont Ceux qui savent, Ceux qui dictent.
Une expression revient souvent : « nos gouvernants », « nos élites ». Est-ce qu'un citoyen se doit d'avoir des gouvernants et des élites ? Des représentants ne lui suffisent-ils pas ?
Il ne se passe pas un jour sans que des centaines de commentaires aient lieu sur les événements menus ou grands de ce monde.
Avalanches de condamnations
Les « condamnations ». Lorsqu'un crime est commis ou tout simplement lorsque une phrase de travers est prononcée, les politiques « condamnent ». Chacun à son tour prend la peine de faire une déclaration pour « condamner » ce qui vient d'avoir lieu. D'ailleurs, s'ils ne le font pas, nous faisons le siège afin qu'ils s'expriment, qu'ils condamnent enfin ! Or, si un crime est un crime c'est à la justice de le condamner. Si une phrase de travers n'est pas condamnable par le droit, en quel nom ces politiques la condamnent-ils ? Cette profusion de condamnations hebdomadaires condamne surtout la bonne marche du droit.
Avalanche de réactions
Les « réactions » sont mois critiquables que les condamnations puisqu'elle ne prennent pas la place d'une institution. Nous entendons presque tous les jours des réactions à des événements qui quelquefois n'ont aucun rapport avec la politique. Les personnes politiques réagissent perpétuellement à un nombre incalculable de faits. Ces réactions nous abrutissent et parviennent même à nous faire oublier que certains faits, non négligeables sont passablement passés sous silence ! On réagit très fort tout ensemble sur telle acte, tandis que quelque chose a lieu autre part, dans un silence bien étonnant. Les réactions quotidiennes aux événements incessants empêchent le silence de s'exprimer, de prendre sa place dans notre monde. L'individu a besoin de silence, de temps d'absence. La société est comme lui : elle étouffe si elle n'a pas des moments de flottement, sans mots. Des moments où elle vit sans commenter immédiatement ce qu'elle vit.
L'impossibilité de l'inspiration, lorsqu'on est toujours sur le pont des paroles, est évidente. Or, si nos phrases ne sont pas inspirées par autre chose que par le besoin de parler, elles n'ont aucune valeur, aucune force.
Exercices d'éternité
« Ce qui fait la noblesse d'une chose, c'est son éternité »
Léonard de Vinci
Quelques exercices permettent de se reconnecter à l'intemporalité du monde, à l'éternel.
S'exercer à parler d’événements et de sujets qui n'ont rien à voir avec l'actualité. Une grande conversation, par exemple, sur la bataille de Bouvines, ou sur les traditions de confitures à travers le temps et le monde, ou encore sur l'histoire des plages de France, ou enfin sur les différentes espèces de pins européens.
Puiser aux sources mêmes : ne plus lire des livres sur Jules César, mais goûter aux récits écrits par Jules César lui-même. Se plonger dans les textes-sources, même s'ils sont abrupts, même si on ne les comprend plus tels quels. Ne plus lire des livres d'histoire, mais acheter l'édition d'un journal d'un marchand du XVII°siècle et entrer dans la peau de ce personnage.
S'exercer à parler d'une façon telle que des gens d'il y a cinquante ans, des gens qui vivront dans cinquante ans, puissent comprendre et suivre notre syntaxe, notre vocabulaire. Essayer d'élargir à un siècle : parler en songeant à se faire comprendre des gens d'il y a cent ans, des gens qui viendront dans cent ans.
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dimanche, 01 avril 2012
La littérature française au XIX°siècle, décrite par Romain Rolland
Ce passage du roman Jean-Christophe, écrit au 162 boulevard du Montparnasse avant la première guerre mondiale, nous démontre que nos conservateurs crient au loup sans se lasser, croyant toujours que cette fois, la société est descendue vraiment trop bas... Tandis que nos pourfendeurs de morale ne sont que d'affligeants fonctionnaires du choquage de bourgeois.
"Ce fut par les journaux quotidiens que Christophe fit d'abord connaissance, - comme des millions de gens en France, - avec la littérature française de son temps. Comme il était désireux de se mettre le plus vite possible au diapason de la pensée parisienne, en même temps que de se perfectionner dans la langue, il s'imposa de lire avec beaucoup de conscience les feuilles qu'on lui disait les plus parisiennes. Le premier jour, il lut parmi des faits divers horrifiants, dont la narration et les instantanés remplissaient plusieurs colonnes, une nouvelle sur un père qui couchait avec sa fille, âgée de quinze ans : la chose était présentée comme toute naturelle, et même assez touchante. Le second jour, il lut dans le même journal une nouvelle sur un père et son fils, âgé de douze ans, qui couchaient avec la même fille. Le troisième jour, il lut une nouvelle sur un frère, qui couchait avec sa soeur. Le quatrième, sur deux soeurs qui couchaient ensemble. Le cinquième... Le cinquième, il jeta le journal, avec un haut-le-coeur, et dit à Sylvain Kohn :
- Ah ! ça, qu'est-ce que vous avez ? Vous êtes malades !
Sylvain Kohn se mit à rire, et dit :
- C'est de l'art.
Christophe haussa les épaules :
- Vous vous moquez de moi.
- En aucune façon. Voyez plutôt !
Il montra à Christophe une enquête récente sur l'Art et la Morale, d'où il résultait que "l'Amour sanctifiait tout", que "la Sensualité était le ferment de l'Art", que "la morale était une convention inculquée par une éducation jésuitique", et que seule comptait "l'énormité du Désir". - Une suite de certificats littéraires attestaient dans les journaux la pureté d'un roman qui peignait les moeurs des souteneurs. Certains des répondants étaient les plus grands noms de la littérature, ou d'austères critiques. Un poète des familles, bourgeois et catholique, donnait sa bénédiction d'artiste à une peinture très soignée des mauvaises moeurs grecques. Des réclames lyriques exaltaient des romans, où laborieusement s'étalait la Débauche à travers les âges : Rome, Alexandrie, Bysance, la Renaissance italienne et française, le Grand Siècle... c'était un cours complet."
Romain Rolland, in Jean-Christophe
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