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jeudi, 15 mai 2014

Mise en route de l'index nominum d'AlmaSoror

AlmaSoror recense désormais ses victimes sur son INDEX NOMINUM. Nous tentons d'indexer tous les noms propres qui hantent les pages d'AlmaSoror ; il nous faut farfouiller à travers huit ans de production irrégulière mais souvent intense, aussi ce vaste chantier n'en est-il encore qu'à son ébauche.

A

Abderrahman III

Il est mentionné dans Le désillusionné

Berhanou Abebe

Il est mentionné dans Sauvetage in extremis.

Alcuin

Il est mentionné dans Une enfance littéraire française : invitation au voyage I

James Allen

Il est traduit dans Ainsi pense-t-il, ainsi soit-il

Jean-Baptiste Amadieu

Il est mentionné dans Auto(?)censure

François Andelkovic

Il est cité dans Les haies

Apostolus

Il est cité dans Quatre entrées en matière, quatre sorties de secours

Il est cité dans J'allais plus loin, et je me disais...

Lotte Arndt

Elle est l'auteur de Die Insel der lesenden ArbeiterInnen

Venexiana Atlantica

Elle est mentionnée dans Les Basaltiques : Critique d'un album musical

Elle est mentionnée dans Hors les murs

Elle est mentionnée dans La dolce vita

Il est citée dans Combattre et vivre libre

Elle est citée dans Parfois j'ai prié

On l'entend dans Psalmodie atone souffle

Elle est citée dans Passage d'une autobiographie incertaine

Elle est mentionnée dans Hors les murs

Elle est l'auteur d'Adieu ma concubine

Elle est citée dans Celle qui ne m'a jamais aimée

Elle est haïe dans Edith de CL

Elle hante en égérie la Saga des voix lactée

Atahualpa

Il est mentionné dans Charte du Mandé, Discours de Seattle, Pièce de la mort d'Athahualpa : des "faux".

Jon Atwood (Voir à Yellow 6)

Sainte Thérèse d'Avila

Elle est mentionnée dans Extase

Elle est mentionnée et citée dans Un dimanche à Avila

Elle est citée dans La nuit

 

Suite sur l'INDEX NOMINUM ALMASORORIS

mardi, 23 octobre 2012

Passages d'une autobiographie incertaine

Vénéxuana Atlantica, Bob Mushran, Edith de CL, Edith Morning, j'entendais ta guitare pleurer, 2029, 30 mars 2029

Bien que nous sommes désormais ennemies à la vie, à la mort, je cite ce passage que Venexiana (Atlantica) écrivit dans son autobiographie J'entendais ta guitare pleurer :

"La vie nous a menti. Elle s’était voilée pour nous paraître facile ; nous avions cru à des avenirs beaux comme des soleils chargés d’une pluie tiède. Il n’en fut rien. Chaque pas vers le rêve est un pas vers la désillusion. Si nous bougeons, nous sombrons tous ensemble dans le noir abîme du désespoir immense"

 
Qu'une femme soit capable d'écrire cela et de trahir ensuite comme une méchante et une voleuse ne lasse pas d'interroger.

Peut-être la réponse à cette question étrange et douloureuse se trouve-t-elle dans cet autre passage de son autobiographie, composée alors qu'elle n'avait pas encore sombré dans les pires turpitudes de l'addiction ?


"A l’époque Bob n’était pas encore ivre tous les soirs et nous ne buvions que dix canettes de daleth lors des répétitions. Je me souviens de Lilas dansant en hauts talons, divine, sous nos regards délictueux, à lui et à moi. Je me souviens que les journaux déclaraient que la guerre allait commencer et nous crachions sur les nouvelles pour mieux laisser l’imaginaire coloniser, lentement, puissamment, notre vie. Nous lisions Edith Morning : "Si j’avais su que les rêves sont réels et le monde illusion, j’aurais inversé ma vision de la liberté et celle de la prison. Mais les menteurs amers disent décriant les images qu’elles sont illusoires, et nous entraînent dans leur " réel " qui n’existe que dans leurs sombres couloirs".

Nous sommes le 30 mars 2012 et je me souviens avec émotion de l'année 2029. Vénéxiana, un jour je te pardonnerai, parce que ce que tu m'as fait souffrir n'effacera jamais ce que tu m'as fait vivre. Un ineffable rêve. Une histoire d'amour. 

Vénéxiana Atlantica, Bob Mushran, Edith de CL, Edith Morning, j'entendais ta guitare pleurer, 2029, 30 mars 2029

Merci à Caroline et Thierry Giroud (et Charlotte !) pour le vin si rose qu'il ravive toutes les amours enfouies et les fait pétiller de nouveau.


Edith CL

 

vénéxiana atlantica,bob mushran,edith de cl,edith morning,j'entendais ta guitare pleurer,2029,30 mars 2029


lundi, 30 avril 2012

ATONE

 

ATONE

Psalmodie-soliloque d’un soir de la neuvième année de mariage

 

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écrite par Edith après quatre bières (1 adelscott ambrée, 3 Noire de Slack) il y a plus de dix ans

(Merci à René Ch... de l'avoir reprise ici)

 

Ma voix coule dans le soir

Mais mon cœur demeure aphone

Je respire dans ce bar

Des vapeurs d’alcool atone

 

Nous traversons les saisons

Main dans la main bien trop sages

Je n’observe à l’horizon

Aucun feu, aucun mirage

 

La vie et ses expériences,

Je les traverse en apnée

Puisque aucune délivrance

Ne nous est jamais donnée

 

Mais ce soir, dans la lumière

Du bar où flotte un suspense,

Ce soir je veux le salaire

Des années d’obéissance.

 

 

Que les lois et la morale

S’effacent de mon karma ;

De se courber sous leur pâle

Mensonge, mon crâne est las.

 

Dans ce corps où tout s’éteint

Pour jamais n’être fécond,

Que la passion prenne enfin,

S’il reste des braises au fond.

 

Que le désir se rallume,

Qu’il fasse briller mes yeux,

Pour qu’ils se désaccoutument

De leur rideau vertueux.

 

J’en appelle aux dieux païens

Ceux qui boivent et ceux qui chantent,

Qu’ils déchargent mon destin

De la ration, de l’attente.

 

J’en appelle même au stupre,

Si lui seul peut délivrer

Du convenable sans sucre

Un cadavre articulé.

 

 

 

Et toi, frère et faux-amour,

Co-victime et co-coupable,

Vas-tu taire pour toujours

L’hypocrisie impalpable ?

 

 

Nous traversons les saisons

Main dans la main bien trop sages

Et rien dans notre prison

Ne présage un grand orage.

 

Mais ma voix coule ce soir,

Et mon cœur te téléphone,

Je respire dans le bar

Des instances qui frissonnent.

 

Et si tu ne réponds pas,

Si rien en toi ne s’éveille,

Parce que mon cœur est las

Des jours aux autres pareils,

 

Tu prendras tout seul le train,

Et dans la nuit qui appelle,

Coupable de ton chagrin,

Je chercherai l’étincelle.

 

17-18 décembre.

 

 

 

jeudi, 05 août 2010

Les Basaltiques

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La pochette du vinyl, réalisée par Sara


Nous publions en exclusivité une critique du disque les Basaltiques, composé et réalisé en 2048 par John Peshran-Boor et Venexiana Atlantica.

 

Les Basaltiques
Opus en trois chants
Production AlmaSoror
Label Vol libre musica

Composé et réalisé en 2048, par deux musiciens-chanteurs qu’on croyait finis, les Basaltiques est une œuvre musicale d’une durée d’une heure et sept secondes. Les voix erratiques de John Peshran-Boor et Venexiana Atlantica, escaladant leurs instruments sulfureux, nous hissent aux sommets de la musique Beith.

L’année précédente, l’alliance entre John Peshran-Boor et Bob Mushran donna un alliage musical dissonant, avec le disque Lactose sidérale.
Les deux dieux de la musique Beith se sont fâchés. C’est donc vers la diva Venexiana Atlantica, native de Saint Jean en Ville -la ville blanche, encore nommée ville aux salamandres - que John Peshran-Boor s’est tourné pour continuer sa démarche de cocréation.
L’opus qui résulte de cette collaboration déçoit par son conformisme, et souffre de la comparaison avec Lactose sidérale. Il étonne, cependant, par son son épuré. Les basaltiques est une composition musicale en trois chants, dont voici l’architecture :

Intro Minérale
Chant I Marées
Chant II Latitudes
Chant III Fort Bastiani
Final de l’aurore

Nous donnerons au-dessous de cet article l’architecture complète des Basaltiques, œuvre à cheval entre le roman musical et la symphonie pour instruments et voix.

Parmi les grands moments des Basaltiques, il faut citer le long duo - qu’on pourrait appeler duel - entre la batterie et la flûte à bec, qui précède le chant citadelle, dans la partie III Fort Bastiani.
L’ouverture du chant II Latitudes constitue également un moment d’anthologie, dans la version enregistrée par Venexiana Atlantica elle-même. Elle émaille en effet son chant de notes harmoniques, qui ressemblent à des chants d’oiseaux. Ceci nous rappelle qu’au-delà des scandales que cette chanteuse a pu soulever, par exemple en exigeant que l’administration et la communauté humaines reconnaissent son adoption par le chien husky Stacyo, faisant d’elle l’enfant légitime d’un chien, ou encore en payant des tueurs à gages pour assassiner son ex-amante Sofia Sombreur-Noir, afin de se venger d’une infidélité, au-delà donc des scandales dont elle a gratifié les masses humaines ahuries par ses frasques il ne faut jamais oublier l’artiste, c’est-à-dire la compositrice de Beith et la chanteuse à la voix éblouissante qui n’a cessé de repousser les limites de la voix et du souffle, nous offrant le vibrato le plus long et tremblant du monde.
Dans le chant I Marées, le morceau Autel apparaît irréel, miracle de simplicité où piano acoustique et voix se cherchent et se trouvent en une comptine si naïve qu’on oublie le temps d’une chanson que John Peshran-Boor et la diva Venexiana sont les auteurs de l’œuvre. Les interludes sont tous très intéressants compositalement - et c’est le Finale de l’aurore qui atteint les sommets avec ses contrastes entre les envolées de flûtes à bec, flûtes traversières, chants harmoniques et violons tandis qu’en bas planent au-dessus des enfers les lourdeurs sauvages des contre-harpes, du basson et des basses électriques agrémentés de batterie et de volutes de fumée électro-pianistiques.

Venexiana Atlantica s’est retirée de la scène au mois de Ventôse, après le premier concert des Basaltiques, qui eut lieu à Buenos Aires. Personne ne peut expliquer la raison exacte de cet adieu à la gloire. On sait que, la nuit qui suivit le concert, elle ne dormit pas. Sur la terrasse de sa chambre de grand luxe, elle parcourut le quatuor de Los Angeles, c’est-à-dire ces quatre romans de James Ellroy : Le Dalhia noir, le Grand Nulle Part, L.A. Confidential et White Jazz.
Elle annonça au petit-déjeuner son intention de se cloîtrer au couvent de Santa Catalina, dans la ville d’Arequipa, au Pérou. Depuis l’édification des murailles hautes de Saint Jean en Ville, elle ne vivait qu’avec des billets d’avion toujours prêts pour se rendre en urgence à Arequipa ou à Alger-Centre, deux villes blanches qui lui rappelaient sa ville natale, et, seules, calmaient ses angoisses d’étouffement.

John Peshran-Boor s’est donc trouvé, en la personne de Lilas L.S. Snuk, une interprète pour les Basaltiques. Lilas Snuk donne un ton nouveau aux Basaltiques, avec sa voix mitigée, marmoréenne, un peu rauque. Du duo original il nous reste un enregistrement. C’est vers lui qu’il faudra se tourner pour puiser à la source inspiratrice initiale de l’œuvre, même si Lilas L.S. Snuk a su l’enrichir en l’interprétant.

Edith de Cornulier-Lucinière

Les basaltiques est une composition musicale en trois chants, dont voici l’architecture :

Intro Minérale
Chant I Marées
Chant II Latitudes
Chant III Fort Bastiani
Final de l’aurore

Chacun de ces chants contient trois chants, ainsi :

Chant I Marées
Séjour lunaire
Funboard
Autel

Chant II Latitudes
Le van
Venise
Les étoiles parachèvent

Chant III Fort Bastiani
Citadelle
L’ange du mal
L’ennemi

L’opus compte également une intro, un final et deux interludes. Voici donc le plan complet de l’œuvre :

Intro minérale

Chant I Marées
Séjour lunaire
Funboard
Autel

Interlude 23 KFL-8000 Cimetière marin

Chant II Latitudes
Le van
Venise
Les étoiles parachèvent

Interlude 20 KFL-9000 (évangile)

Chant III Fort Bastiani
Citadelle
L’ange du mal
L’ennemi

Finale de l’aurore

mercredi, 02 juin 2010

Combattre et vivre libre

 

Cap-Canaveral.jpg
Cap Canaveral, début du XXIème siècle


2082. Il est tard, ce siècle. Le froid tombe. Stella Mar interroge la diva Venexiana Atlantica :

 

Stella Mar : Venexiana Atlantica, tu as parcouru tant de routes et cueilli tant de fleurs qu’aujourd’hui, la jeunesse ouvre les yeux et se dit : « cette femme, est-ce une déesse » ?

VA : je n’ai pas cueilli de fleurs. J’ai semé des graines.

SM : et ces graines ont donné des fruits ?

VA : et ces graines ont donné des fruits. Et si le grain n’a pas lâché la vie il n’a pu se poursuivre. Tout est évangélique.

SM : Tes chansons parlent d’amour et de profondeur, d’espoir et de combats. Pourquoi ?

VA : mes chansons ne parlent pas d’espoir, mais d’espérance.

SM : tu as eu de nombreux amours et de nombreux amis. Que sont ces êtres devenus ?

VA : tous les amours sont des amis. Il n’y a ni père, ni mère, ni frère, ni sœur, ni amant, ni amante s’il n’y a pas d’amitié. Ces êtres ont muté et nos chemins se sont éloignés, nos liens se sont brisés ou distendus. Il reste Stacyo, mon père adoptif, un chien husky, et un homme dont je ne veux pas parler.

SM : Il ne reste plus de femme ?

VA : non, depuis que la femme qui m’était chère est devenue l’homme dont je ne veux pas parler.

SM : avez-vous souffert de cet épisode ?

VA : Quand elle a changé de sexe, j’ai cru devenir folle. Puis nous réécoutâmes Bartok et tout redevint clair.

SM : Bartok ?

VA : Bartok.

SM : Bela Bartok, le pianiste ?

VA : Bela Bartok. Le pianiste.

SM : ta musique lancine dans toutes les oreilles du monde. Mais toi, quelle musique écoutes-tu ?

VA : celle du silence, quand elle se fait entendre. Et celle de Miles Yufitran, le trompettiste. J’aime réécouter ses disques. Alors je repense à celui qui me fut proche, un temps.

SM : Miles aussi s’est éloigné de toi ?

VA : nos déprimes se repoussaient mutuellement. Nos joies se faisaient mal. Nous nous aimions à l’envers. Mais j’ai pleuré le 7 ventôse de l’an 2078, quand j’ai appris sa mort, à l’aube. J’ai songé à sa sœur qu’il avait tant aimé et dont il s’était éloigné. J’ai prié pour eux.

SM : nous allons parler maintenant de cette période de ta vie qui suit l’ère éphémère, où tu dansais et chantais à New York II, et qui précède ta rencontre, dans le pôle Nord de la terre, avec le chien Stacyo, qui t’adopta.

VA : nous ne parlerons pas de cette période.

SM : que pourrais-tu nous dire, belle Venexiana ?

VA : j'ai toujours accepté de combattre, dans la solitude et dans l'échec, dans le rêve et la douleur, dans la joie et la réussite. J'ai toujours choisi de combattre et vivre libre. Il s'agissait de sauver ma tête, sauver mon coeur, sauver mon corps, sauver mon âme. J'ai fui le salariat au risque de devenir la lèpre de la société. Car, comme le servage et l'esclavage, le salariat n'est point digne de l'homme. J'ai repoussé avec violence les médias qui prostituaient leurs espaces à la publicité ; je me suis tenue éloignée de tout supermarché, de toute multinationale, de toute usure. J'ai chômé le dimanche, et parfois j'ai prié. J'ai combattu. Je ne dirai plus rien. J'ai tout dit.

SM : Comme tu le veux, Venexiana Atlantica. Tu es notre idole ; notre rêve ; notre double ; et nous t’adorons ad vitam aeternam.

VA : ne cessez jamais de m’adorer, mes frères. Adieu.

SM : Adieu, déesse.

 

dimanche, 27 septembre 2009

Celle qui ne m'a jamais aimée

 

La ballade de VillaBar, c'est l'histoire des personnages nés au bar du Piston Pélican, en 2007, le dimanche soir quand on se retrouvait, photographes, écrivains, acteurs et piliers de bars, pour inventer ensemble. Les soirées n'ont plus lieu, mais les personnages poursuivent leur vie. Car la réalité s'est fait dépasser par la fiction de VillaBar. Et le monde de VillaBar est devenu plus vrai que nous. 
Lamentation de Venexiana Atlantica
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(Photo d'Isabelle Ferrier)

 

 

De conquêtes musicales en conquêtes musicales, de conquêtes amoureuses en conquêtes amoureuses, je vogue sur la planète Terre, la planète bleue, sans comprendre le sens de la vie des autres. Ils n’ont rien : ni gloire, ni flic, ni art. Quel enfer que leur sort. Je brûle mes ressources vitales pour ne pas manquer de ces trois drogues, qui sont les seules choses valables en ce monde, et quand je n’en n’aurai plus, j’écrirai mon autobiographie (j’ai déjà trouvé le titre, un clin d’œil à John, qui sera alors mort et enterré depuis mathusalem) et je crèverai.

On dit que j’aime les femmes, ce qui est faux. J’aime les hommes.
J’ai aimé John. Bien que je l’ai trahi plusieurs fois.
J’ai aimé Bob. Bien que je lui ai fait de grosses crasses.
J’ai aimé Stan. Bien que je l’ai toujours traité comme une merde.
J’ai aimé Andreï, le petit flic sans peur et sans reproche, bien qu’il m’ait prise pour une maman, ce pauvre gosse, et que je lui ai fait sentir bien salement que si les mères sont des grosses putes qui vous soutirent tout votre bien dans votre dos, alors oui, j’en suis une bonne.
J’ai aimé Nicodème, malgré son odeur pestilente de flic et sa gueule de haut fonctionnaire méprisant. Si je lui ai fait arracher un bout de crâne par un pote véreux, c’était pour son bien. D’ailleurs, il a beaucoup plus de succès depuis, professionnellement et affectivement.
J’ai aimé Mahalaoui, le pauvre gars qui traînait lamentablement dans les bas fonds d’une ville perdue loin derrière Saint-Jean en Ville.

Je n’ai jamais aimé Lilas. Je n’ai jamais aimé Yeux Noirs. Je n’ai jamais aimé Grisélidis. Je n’ai jamais aimé Galswinthe. Je n’ai jamais aimé Solveig. La seule que j’ai peut-être aimé, dans le fond de mon cœur – si ce muscle brasse réellement autre chose que le sang, pétrole du corps -, c’est … Fifi Exaltacion. Mais c’est elle qui ne m’aimait pas.

 

vendredi, 22 mai 2009

Psalmodie atone souffle

mercredi, 01 avril 2009

Le roman de la conversion

 

Le roman de la conversion

 

C’est la Traduction qui parle à la première personne et qui nous raconte le roman de la conversion. Car la traduction convertit sans cesse. Elle convertit des religieux en autres religieux, des cultures en autres cultures, des hommes en autres hommes.

Edith de Cornulier Lucinière

 

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Je suis la Traduction et je n’existe pas. Je flotte entre les langues.

On m’utilise sans jamais m’attraper. Je suis Trahison, mais sans moi point de fidélité. Je suis Démission, mais sans moi point de sens. Je suis incertaine, mais j’assure la certitude ultime : celle d’être compris.

 

Je suis la traduction et je n’existe pas. Chaque fois qu’on m’utilise, on se trompe. Je suis un rêve impossible, un cap qui pousse les marins de l’esprit à se dépasser. Je suis plus grande et plus fluide que toutes les langues, mais sans elles je n’aurais pas d’essence.

 

Je vais pourtant raconter ici comment j’ai modifié la pensée de millions de gens dans le monde, en me glissant dans leurs langues et en émoussant certains mots, en en aiguisant d’autres, en mariant des mots et en opposant d’autres. Oui, par moi on peut créer des divorces et des mariages inattendus entre les mots.

 

Je suis la grande mangeuse de sens.

 

Je vais raconter plusieurs choses dans la saga dont vous êtes en train de lire l’ouverture.

Je vais raconter comment j’ai aidé les missionnaires européens à convertir des catéchumènes de continents lointains, au cours des siècles de découvertes.

Je vais raconter comment je m’amuse, au sein d’une langue donnée, à modifier des sens aigus afin que tout le monde y ait accès : comment je vulgarise des sciences, comment je popularise des idées.

Je vais raconter comment je crée de la culture et des littératures écrites, en disséquant et en réinstallant les langues, là où la Parole n’avait jamais été couchée sur du papier, là où les histoires qu’on raconte aux veillées n’avaient jamais donné lieu à des développements qu’on appelle romans.

 

Je vais vous raconter et vous comprendrez que je suis le sabre qui tue puis adoube, le serpent qui séduit puis transforme ; enfin, vous comprendrez que je suis, à jamais et pour toujours, une fente dans la certitude, une fenêtre sur la poésie, une porte sur la civilisation.

 

Je suis la grande créeuse de sens.

 

 

I Qu'est-ce que la conversion ?

La conversion… C’est l’adoption d’un sens nouveau sur un terreau ancien. C’est un grand changement de sens.

La conversion dans le monde s’est fait par la traduction. Oui, je suis à l’origine de la conversion, puisque je suis moi-même conversion d’un sens dans une autre langue – ou conversion d’une langue dans un autre sens.

Je participe à convertir des gens vers une nouvelle culture ; vers une nouvelle pensée ; vers une nouvelle croyance ; vers une nouvelle interprétation de l’histoire ou de la politique…

Vous qui vous croyez libres de vos mouvements intérieurs, animaux humains, vous êtes sans cesse convertis.

Dès le mois prochain, le mois de mars, mon roman commencera par expliquer la conversion des sens. Le sens d’un mot, d’une notion, aiguille la pensée. Traduisez une notion, un sens, dans une autre langue, et vous entamerez la pensée de cette langue d’accueil. Une langue qui ignorait le sens de « Dieu », ou de « animal », ou de « travail » (comme tant de langues !) et qui le découvre, c’est une langue un peu convertie. Les hommes qu’elle habite ne sont plus innocents ; ils ne pourront plus jamais penser sans Dieu, sans animal, sans travail.

Je vous raconterai comment les missionnaires chrétiens, catholiques dans les Andes et protestants en Polynésie, ont traduit les sens chrétiens et humanistes en quechua et en tahitien. Je dévoilerai les thèmes qui les ont le plus occupés et les stratégies qu’ils ont choisies en m’utilisant (ici un emprunt, là un néologisme…)

Je raconterai ensuite comment la traduction opère la conversion des mentalités. Car de nouveaux mots et de nouveaux parcours entre les mots d’une langue modifient à jamais la pensée de ses locuteurs. La pensée ? C'est-à-dire la façon dont ils se considèrent, dont ils décrivent et ressentent leur identité, dont ils considèrent leur corps (corps : un mot qui n’existe pas dans beaucoup de langues…), dont ils posent la frontière entre leur être, et celui de l’autre, entre le rêve et le réel, entre le bien ou le bon et le mal ou le mauvais. Et vous verrez que la colonisation est d’abord intellectuelle. Et vous verrez qu’elle est irréversible.

Je continuerai en montrant comment, par la popularisation et la vulgarisation, l’on convertit des connaissances scientifiques – sciences pures et sciences sociales - en savoir populaire, en bagage commun : je montrerai comment on convertit un peuple ou un public à une nouvelle idée, une nouvelle vision du monde, une nouvelle façon de penser et de corréler les choses et les événements.

Et puis je reviendrai à la littérature. Les formes de l’art littéraire, oral et écrit, lorsqu’elles sont traduites c'est-à-dire appliquées à une autre langue, modifient cette langue. Ecrire un roman en hawaiien ou en quechua, c’est modifier à jamais la façon dont cette langue envisage la transmission et se figure le monde.

Enfin, en abordant la conversion des hommes et de leurs rêves, je montrerai comment je change les rêves les plus intimes des hommes en changeant les sens des mots qui les habitent.

Je finirai en prouvant que, cruelle ou libre, littéraire ou politique, je suis derrière tout changement, derrière toute évolution.

Je modèle l’esprit de chacun, j’orchestre les rencontres entre les êtres parlants et je ne cesse de les transformer, bien qu’ils n’y voient que du feu.

 

II La conversion des sens

 

J’ai été l’instrument de toutes les conversions du monde. Je vais vous parler de l’évangélisation chrétienne. Lorsque les missionnaires catholiques et protestants arrivèrent dans des contrées lointaines pour apporter la bonne parole, les esprits des catéchumènes étaient des forêts vierges qu’il fallait transformer en gras champs bourguignons.

 

Il leur fallait traduire une idéologie qui s'était bâtie sur plusieurs siècles, dans une langue ayant développé une tout autre culture. Comment faire pénétrer dans une langue des idées étrangères à celles qu'elle exprime habituellement ? Comment « soumettre » une langue à une configuration de l'esprit nouvelle, de façon efficace, c'est-à-dire, d'une façon telle que les locuteurs de la langue de réception soient en mesure de comprendre et d'accepter, d'adopter cette nouvelle religion ?

En m’utilisant jour après jour, avec acharnement.

 

Les missionnaires devaient introduire des concepts ou des idées nouveaux, telle l'idée d'un Dieu unique et créateur, la place spéciale de l'homme dans la nature parce qu'il est fils de Dieu, l'idée d'âme, de paradis, d'enfer, mais aussi de péché, le Saint-Esprit... Ils devaient faire des choix de traduction pour l'élaboration des textes d'évangélisation. Quand privilégier l'emprunt, le néologisme ? Ou encore la resémantisation d'un mot indigène, sous l’effet de son association systématique à un nouveau contexte ?

 

Pour que je sois efficace, ils durent modeler les langues indigènes. C’est ce qu’ils firent avec le quechua, dans les Andes.

Les missionnaires se rendirent vite compte qu’ils créaient une confusion et perdaient le contrôle sur la doctrine qu’ils entendaient apporter. Celle-ci risquait de faire l’objet d’une appropriation « sauvage » du christianisme par les Indiens. Le problème s’était déjà posé en Europe pour la confection de catéchismes et manuels de confession en langue vulgaire. Il fallait se mettre d’accord sur le message exact à transmettre, puis sur les mots à utiliser pour le transmettre. Et souvent, la normalisation de la langue est allée de pair avec l’évangélisation. Un quechua standard a ainsi émergé sous la plume des missionnaires des XVIIe et XVIIIe siècles.

 

Tous ces mots n’existaient pas : corps ; croire ; vérité ; animal ; humanité ; âme ; dignité ; création…

En quechua comme dans beaucoup de langues, ces mots n’existaient pas avant l’arrivée des missionnaires. Comment alors traduire le christianisme, et son enfant, la Déclaration des droits de l’homme ?

Il fallait donc d’abord traduire cela : corps, croire, vérité, humanité, animal, âme, dignité, création… et travail. Car il y a des mots pour bêcher, bâtir, coudre, mais pas pour « travailler ». Et d’autres mots encore.

 

Par exemple, quand les prêtres demandaient aux catéchumènes : est-ce que tu crois en Dieu ? Il leur était difficile de répondre puisque la croyance n’est pas une option intellectuelle.

Les athées parlent souvent de Dieu comme s’il existait parce qu’ils sont profondément imprégnés de l’idée de dieu. Croire ou ne pas croire en dieu sont les deux versant d’une même attitude, d’une même croyance. Quand on n’a pas de mot pour croire, ni de mot pour dieu, croire en dieu est difficile, mais ne pas croire en dieu ne l’est pas moins.

 

Il fallait faire intégrer aux locuteurs du quechua de nouvelles bases : que le monde réel se réduit au monde mesurable - les autres dimensions appartenant au champ de l’imaginaire ou au champ du mensonge. Que les idées sont dans la tête, et les sentiments dans le cœur.

Mon rôle n’est il pas plus grand que ce que vous croyiez ? Je transforme la personne qui reçoit le message que je porte : je transforme sa vision d’elle-même, sa façon de ressentir sa vie intérieure et son rapport aux autres, même sur un plan instinctif, physique.

Rappelez-vous, rappelle-toi à quel point l’idée même de « pensée » est bizarre. Qu’est-ce qu’une pensée ? Est-ce un sentiment ? Où s’arrête le physique et où commence le mental ? Comment et où le cœur se différentie-t-il de la raison ?

Les catégories de la langue témoignent de grandes différences quant à la description du « vécu », de l’expérience intérieure.

 

Les explications de Madame Anne Cheng, spécialiste de la pensée chinoise, peuvent éclaircir l’idée que le rapport au réel, à la vérité et à l’imaginaire sont très différents selon les cultures.

« Il n’est, dès lors, guère étonnant que la pensée chinoise ne se soit pas constituée en domaine comme l’épistémologie ou la logique, fondées sur la conviction que le réel peut faire l’objet d’une description théorique dans une mise en parallèle de ses structures avec celle de la raison humaine. La démarche analytique commence par une mise à distance critique, constitutive aussi bien du sujet que de l’objet. La pensée chinoise, elle, apparaît totalement immergée dans la réalité : il n’y a pas de raison hors du monde[1]. »

 

S’il n’y a pas de raison hors du monde, il n’y a pas de sens hors de moi.

 

Nous sommes nos croyances. Nos croyances sont les miroirs de nos mots, nos mots sont les miroirs de nos croyances. Si toi, comme certains amérindiens, tu as un beau frère bison, tu ne pourras jamais voir le monde comme quelqu’un qui pense en termes d’animalité et d’humanité. Changer d’idée sur ce sujet bousculerait tout le reste de ta culture, de tes croyances.

 

Grâce à moi, la pensée de la civilisation occidentale, avec le christianisme, puis la science, puis le droit et les droits de l’homme, a défriché les cerveaux pour les passer au bulldozer du vrai et du faux, du bien et du mal, du réel et de l’imaginaire. C’est une reprogrammation complète de la pensée que la traduction systématique missionnaire, politique ou scientifique opère. J’ai servi à cela dans l’Europe même, où les élites ont opéré la colonisation intellectuelle de leurs ouailles, puis dans tous les autres pays du monde, avec plus ou moins de bonheur.

 

Traduire, traduire, traduire, jusqu’à ce que l’imaginaire des gens soit transformé. C’est la traduction prosélyte, qu’elle soit politique ou religieuse.

Peut-être que la traduction littéraire n’est pas ainsi. Car contrairement aux vérités, les imaginaires peuvent se superposer et se mélanger sans s’entredévorer.

 

Mais arrêtons-nous sur cette question de l’imaginaire… Dans le prochain chapitre de ma saga, je montrerai comment, au fond, ce n’est pas le texte qu’on traduit, c’est le contexte. Ce n’est pas l’idée que l’on traduit, mais les relations sémantiques qui mènent à cette idée. Ce n’est pas une idéologie que l’on traduit, c’est une mentalité que l’on convertit.

 



[1] CHENG, Anne, Histoire de la pensée chinoise, page. 33.

 

III La conversion des mentalités

 

La conversion des mentalités est une expression utilisée par les missionnaires catholiques pour exprimer l’idée que la conversion s’effectue en profondeur, et non simplement dans le conscient contrôlé des gens. Lorsqu’on veut convertir quelqu’un à une nouvelle vision du monde, une nouvelle religion, il faut convertir les structures profondes de sa pensée. Les mots qu’on a dans la tête et avec lesquels on pense donnent lieu à des idées et des opinions. Ce sont donc ces mots, et les rapports entre ces mots, qu’il faut modifier.

« Le droit de disposer de son propre corps ». Cette phrase, par exemple, n’est a priori pas traduisible ni compréhensible dans la plupart des langues du monde. Les mots droit, disposer et corps ne sont pas des évidences universelles. Le mot corps n’existait pas en quechua avant l’arrivée des missionnaires. Le mot droit non plus. Disposer de son corps est une expression qui parait absurde si l’on ne porte pas en soi une langue, née d’une culture, qui rendent cette phrase possible. (Ici j’entends souvent : « bah, y doivent bien avoir un mot qui rende corps, ou à peu près ! ». Justement, non. La pensée quechua n’avait pas cette catégorie. Accepter la diversité humaine ne consiste pas à attribuer aux autres à peu près les mêmes pensées que nous, mais à mesurer sans horreur l’étendue et la multitude des perceptions humaines).

La conversion des mentalités s’attache, pour reprendre une autre expression théologique usitée, à l’« élimination des structures de péché » présentes dans les cultures. L’élimination des structures de péché consiste à remodeler les liens qui unissent et entremêlent le champ de l’intériorité de la personne et le thème de la culpabilité. Il s’agit pour les missionnaires de « toucher » à l’intériorité de la personne. Les structures de l’intériorité de l’individu doivent être transformées, pour ne plus être propices aux péchés de la culture originelle.

Les missionnaires sont prosélytes : ils ne cachent pas qu’ils convertissent. C’est pourquoi ils expliquent bien ce qu’ils font ; c’est pourquoi ils expliquent bien ce que nous faisons, nous tous, lorsque nous élevons des enfants ou que nous tâchons de persuader d’autres gens d’adopter notre régime politique.

Humains, vous portez une langue en vous, et avec cette langue, des possibilités de pensée. Les mots que vous connaissez et la sphère imaginative et intuitive qu’ils possèdent (c'est-à-dire leurs possibles rapports avec d’autres mots) sont déjà une pensée vieille de plusieurs siècles. Les mots que vous portez ne sont pas du matériau brut, mais une contrée déjà vastement défrichée.

Vous portez une langue en vous. Elle a été forgée durant des siècles et des siècles. Vous n’inventez jamais : quand vous parlez, quand vous créez, quand vous pensez, vous bâtissez sur des fondations dont vous n’avez pas conscience. Les choses évidentes, les choses absurdes, les choses drôles, sont évidentes, absurdes ou drôles à cause du labyrinthe de votre langue. Changez de langue et vous changerez d’évidence, d’absurdité, de drôlerie. Les choses tristes sont-elles tristes pour tout le monde ? Oui… Mais quel animal mammifère ne partage pas vos tristesses universelles ?

Changez les mots d’une langue et peu à peu ses locuteurs auront une nouvelle perception de la réalité. Voyez ce que les missionnaires ont fait au Pérou, à Tahiti et ailleurs. Ils ont individualisé le destin de l’homme. Ils ont marié, remodelé les frontières de l’être.

Ils ont individualité le destin de l’homme…

La traduction et l’évangélisation missionnaire ont tenté une individualisation forcenée des comportements, du destin, accompagnée d’une universalisation de l’humanité. Les humains ne sont plus divisés par groupes ou clans ou lignages ou ethnies. Toute personne est irréductible et unique, à l’image de l’humanité, indissociable et unique.

Tous, enfants d’une même naissance (création ex nihilo par un même « père »), ils sont regroupés ensemble pour faire naître la notion d’ « humanité ». Pour ce faire, une destruction idéologique systématique des regroupements et des sentiments collectifs a lieu. Il faut briser les liens qui lient le catéchumène à son groupe, à ces ancêtres, à ses démons, à son village, pour en faire un individu isolé au sein d’une humanité indivisible, uniformisée.

Un certain nombre de choses de la vie, qui concernaient jusqu’ici le groupe, et étaient vécues ensemble, sont donc individualisées, intériorisées, et relèvent désormais de la personne. Il en va ainsi du péché – de la faute -, mais plus généralement de la religion, au sein de laquelle chacun doit, par le truchement d’un prêtre, régler son propre chemin vis à vis de Dieu.

Ainsi, les missionnaires ont uni les hommes en un Humanité, mais ils ont fragmenté les groupes en individus isolés. Ils ont créé l’humanité et individualisé le destin de chaque homme.

Ils ont remodelé les frontières de l’être

Les formulations et la stylistique missionnaires visaient à instaurer une norme de la culpabilité par la répétition et l’accolage de concepts (comme : Mentir/mal). D’après les témoignages des missionnaires, pour les indiens eux-mêmes il était difficile de savoir lorsqu’ils mentaient ou non, puisqu’ils n’avaient pas les mêmes frontières du réel que leurs confesseurs.

Des confessionnaires (recueils de questions à poser à l’usage des catéchumènes indigènes) ont été crées et sont conservés.

Les confesseurs insistaient autant sur les actions que le pénitent avait pu faire, que sur celles qu’il avait pu penser faire. Cette insistance sur ce qui se passe dans l’intériorité de la personne, cette description minutieuse, en forme de questions, des sentiments et désirs que le pénitent peut éprouver et qu’il faut punir, est propice à l’instauration d’un sentiment de culpabilité. La récurrence des thèmes dans ces questions instaure un sentiment de culpabilité « automatique » à la pensée de ces thèmes (la rancœur, le désir de tuer, le désir sexuel, la jalousie, l’adoration d’une idole ou d’un ancêtre, la haute considération d’un animal), qui auparavant paraissaient aux Indiens anodins.

La constante alternance entre les questions des confesseurs sur les actions effectuées et les actions imaginées ou rêvées ou désirées installe certainement un nouveau rapport entre la pensée et l’action, qui sont parallèles (ou plutôt qui ont une différence non pas de nature, mais de degré), la première étant moins grave que la seconde.

Ce nouveau rapport entre la pensée et l’action crée un nouveau rapport à l’intériorité. On se projette différemment dans le monde extérieur. Avant, l’imaginaire était un monde en soi. Avec l’évangélisation et la confession, l’imaginaire est vécu comme un sous réel, peut-être un laboratoire du réel, tandis que le réel matériel et les paroles et actions projetées dans le réel ne sont que la partie immergée de l’iceberg.

Traduire, c’est changer le rapport à soi. Ainsi, l’intériorité de la personne :

Où commencé-je ? Où finis-je ? Qui pense en moi ? Eh bien ! Tout dépend des mots ! Les mots corps, idée, autrui, individu, sont des mots rares et précis, non des notions universelles !

Les missionnaires se sont cassés la tête pour traduire ces mots ! ou encore, pour traduire le mot « colère » en tahitien…

C’est le dualisme qui oppose l’esprit et la matière, qu’il a fallu traduire dans les langues dans lesquelles on évangélisait.

L’âme s’oppose au corps, Dieu (ciel) s’oppose à Satan, le chrétien s’oppose à l’Indien, l’homme s’oppose à l’animal, ce que l’on peut traduire par : le bien s’oppose au mal.

Mais ces oppositions se complexifient par un réseau d’assimilations : l’humain est un animal, l’Indien peut être un chrétien, et l’esprit est contenu dans la matière.

En fait, c’est tout le rapport entre son soi intérieur et son soi extérieur, son soi intérieur et le réel, les autres, qui est en jeu, et se trouve sans doute modifié par l’arrivée du christianisme.

Les nouveaux rapports entre les mots ont remodelé les frontières du moi

Je suis le truchement de la conversion. La traduction n’est pas la simple traduction des mots. La traduction d’un sens, c’est la traduction de son contraire, de ses proches, etc., afin que le locuteur comprenne ce mot dans le contexte original, non dans le sien propre.

La suggestivité fluide qui lie entre eux les mots et expressions d’une langue, créée par la mémoire des paroles, des textes entendus, constitue le « contexte »  linguistique commun aux locuteurs d’une langue. Il marque le style et la pensée non seulement d’un individu locuteur d’une langue, mais du groupe humain entier qui partage cette langue. La compréhension intuitive des nuances qui entourent chaque mot, des liens qui unissent les termes, permet une intercompréhension spontanée et fluide, inconsciente. Or c’est précisément à la modification du réseau de ces appels et de ces renvois que les mots d’une langue se font entre eux, que l’évangélisation linguistique s’attelle.

Il faut faire en sorte que les réseaux entre les mots s’ordonnent de façon à ce qu’une « pensée chrétienne » ou du moins christianisée émerge de la langue.

-         Ah ah ah ! me répondez-vous. Mais nous sommes athées ! Nous avons renversé dieu, à qui nous ne mettons plus de majuscule, et désormais nos traductions sont libres !

-         En êtes-vous sûr ? Personne n’est libre entre mes mains. Je transforme tout ceux qui m’utilisent. Et sachez que la traduction de la déclaration des droits de l’homme est fille des premiers sermons chrétiens dans les langues indigènes, d’Europe et d’ailleurs. L’universalité de l’humanité, la valeur de la personne humaine hors de son groupe, sont dites, dans ces langues, avec les mots inventés par les pères des missionnaires laïcs : les missionnaires chrétiens. Ils ont converti les mentalités : ils ont traduit l’humanisme.

 

IV La conversion des sciences en bon sens

 

Je suis la traduction, mais n’allez pas croire que je ne travaille qu’entre les langues. Car tout ce qui informe traduit. J’oeuvre également au sein même d’une langue, et c’est là que mon labeur est le plus mystérieux, puisqu’il est invisible.

En français, les mots popularisation et vulgarisation expriment deux choses différentes. Cependant les gens emploient les deux termes indifféremment, une confusion sans doute entretenue par la proximité de l’anglais. En « anglais international », en effet, vulgarisation et popularization sont employés l’un pour l’autre.

Ainsi parlait un homme qui s’est spécialisé dans l’étude de ce que je suis.
Antoine Berman : «Le vulgarisateur scientifique […] « traduit » […] la langue spéciale en langue commune. Comme on sait, ce type de « traduction » n’est guère heureux : la langue spéciale y perd, et la transmission de savoir ne s’opère pas. Il y a ici autant de déperdition que dans la prosification d’un poème ». (…)

Mais ce processus n’a rien de fatal. Certains physiciens s’efforcent actuellement de définir les principes de ce qu’ils appellent, contre la vulgarisation, la popularisation de la langue scientifique. »

L’homme croyait que la popularisation sauverait la connaissance du monde. Il n’en est rien.

Vulgariser, c’est traduire un langage spécialisé en langue courante. La vulgarisation suit le chemin intellectuel de la pensée scientifique, en la simplifiant.

Populariser, c’est injecter dans la tête des gens de nouveaux concepts qu’ils pourront utiliser. La popularisation balance de nouveaux mots et de nouvelles idées dans une société, sans livrer le chemin intellectuel qui les ont créés. Par le biais de discours publics, des médias, on diffuse ces nouveaux mots, ces nouvelles idées, qui sont intégrés indépendamment les uns des autres à la pensée du public. Celui-ci pourra donc adapter ces nouveaux concepts à ses visions personnelles, et les fondre dans sa propre culture, c’est à dire les acculturer.

L’action de vulgariser s’attache à rester plus proche du cheminement original : on ne traduit pas seulement des concepts, mais le fil de la pensée qui les sous-tend. La vulgarisation suppose donc une attention soutenue du lecteur/récepteur ; tandis que la popularisation est aisément reçue et assimilée, parce qu’elle diffuse des idées –politiques, philosophiques, scientifiques…- comme on distribue des bonbons acidulés.

La popularisation est un travail d’extraction des concepts fondamentaux d’une doctrine pour les diffuser dans la langue courante, et la vulgarisation, une rédaction ou recension simplificatrice de cette doctrine, dans un niveau de langue accessible au locuteur, tout en suivant pas à pas les articulations de la démonstration ou de la doctrine.

Le vieux dilemme de Humboldt : « Chaque traducteur doit immanquablement rencontrer l’un des deux écueils suivants : il s’en tiendra avec trop d’exactitude ou bien à l’original, aux dépens du goût et de la langue de son peuple, ou bien à l’originalité de son peuple, aux dépens de l’œuvre à traduire » - ce vieux dilemme existe aussi dans les traductions au sein d’une même langue.

Oui, amis, les sciences vous arrivent tronquées et amincies. Elles éveilleront en vos esprits d’autres idées que celles qu’ont voulues transmettre les vulgarisateurs et les popularisateurs, ces traducteurs des temps modernes qui expliquent à l’homme de la rue – non, l’homme de la rue n’existe plus – à l’homme de la télévision, les dernières nouveautés du monde des idées et des sciences.

Car si la vulgarisation scientifique nous garde comme des enfants à jamais incapables de cerner l’entière lumière de la science, et conscients de cette inconscience… la popularisation des notions scientifiques et intellectuelles, elle, nous fait croire que nous savons au moment où nous nous éloignons le plus du sens originel. Et votre bon sens n’est qu’illusion, il est l’habit de l’erreur.

Les limites de la vulgarisation et de la popularisation sont aussi celles de la traduction. La diffusion et l’exactitude du message délivré sont contradictoires, leur corrélation paradoxale.

Ainsi les deux lois « du processus de communication, que Pierre Guiraud a formulé de la sorte :

« Plus la diffusion s ‘étend plus le contenu du message se rétrécit (…) On dit tout à tout le monde, mais on le dit d’une manière si vague que le message se dissout dans le néant. » (…)

« La seconde loi peut se formuler de la sorte : des deux pôles (…) de la communication, la communication de quelque chose et la communication à quelqu’un, c’est le second, toujours, qui l’emporte. Cela signifie qu’il y a un déséquilibre inhérent à la communication, qui fait qu’elle est régie a priori par le récepteur, ou l’image qu’on s’en fait. »

En termes de théorie de la communication, cela donne, dit-il, le phénomène suivant : « On est donc pris entre dire tout à personne, ne rien dire à tout le monde, et les deux situations sont inversement proportionnelles. »

En quelque sorte, populariser, c’est acculturer. La popularisation, par les médias, des théories nouvelles, favorise le syncrétisme et la fusion ou le mélange des sens.

N’importe quelle société, sous l’effet d’un changement (venant d’une influence extérieure ou d’une fraction d’elle même), subit un processus de popularisation de la nouveauté, et de là, d’acculturation. Ainsi, les « révolutions techniques » appellent à une popularisation et donnent lieu à une perpétuelle acculturation.  Mais c’est le cas aussi des révolutions politiques et idéologiques. Insidieusement, les nouveaux mots créent de nouveaux réseaux dans votre esprit, et, comme l’écrira peut-être un jour l’arrogante Venexiana Atlantica dans un futur dictionnaire de nos erreurs humaines, « sans nous en apercevoir, nous nous éloignons de ce que nous nous apprêtions à penser pour nous égarer là où le vent des mots nous porte.

Et le lendemain de la veille, nous sommes autres sans le savoir ».

Par moi, vous cherchez la connaissance. Mais je vous perdrai tous.