mardi, 23 octobre 2018
...cette égalité remarquable constitue les vers
N'êtes-vous pas sensible comme moi, à l'acharnement amusé avec lequel Benoît de Cornulier harcèle la syllabe, surtout lorsqu'elle est piégée dans un vers ?
Voici un extrait - le début - de sa thèse d'Etat, soutenue le 29 juin 1979 à Aix-en-Provence.
Mieux vaut avoir jeté un œil (qu'on peut reprendre ensuite, bien sûr, inutile de laisser les vers pourrir votre œil) sur les Djinns de Victor Hugo, beau poème que du reste certains mirent en musique, tels Gabriel Fauré, César Franck ou Louis Vierne.
« N’êtes-vous pas sensible comme moi, si vous avez lu attentivement ce poème d'août 1828, aux ravages que lui a fait subir l'usure du temps ? Victor Hugo avait primitivement écrit une série de strophes en vers de longueur croissante, puis décroissante, croyant rendre par cette bizarre onomatopée l'approche et l'éloignement des Djinns. Mais à l'intérieur de chaque strophe, les vers devaient être de longueur égale : c'étaient des 2-syllabes, puis des 3-syllabes, des 4-syllabes, des 5-syllabes, des 6-syllabes, des 7-syllabes, des 8-syllabes ; pas de 9-syllabes ; puis des 10-syllabes (malheureusement divisés en hémistiches de 4 et 6 syllabes!), puis retour des 8-syllabes jusqu’aux 2-syllabes. Or dans la présente édition des « Djinns boiteux », certes l'onomatopée (enfin, la tentative d’onomatopée) a été perfectionnée : ce sont des strophes de vers de 2 à 9 syllabes (les 9-syllabes n’étant pas divisibles en hémistiches à la manière des 10- syllabes primitifs) ; mais, et c’est le défaut de cette édition, dans chaque strophe, l'un des quatre derniers vers, trop long ou trop court d’une syllabe, rompt l’égalité de nombre syllabique.
J'ai fait lire ou entendre ce texte à plusieurs dizaines de personnes (à certaines, plusieurs fois), représentant des niveaux de culture très différents. Quelques-unes de ces personnes ont écrit sur la musique ou la poésie, d’autres ont elles-mêmes écrit des vers d’allure traditionnelle. Tout le monde a instinctivement repéré, comme évident, le vers inégal dans les strophes de vers de 2 syllabes. Personne n’a instinctivement, du premier coup et avec certitude, distingué le vers inégal dans les deux strophes de vers de 9 syllabes. Plusieurs personnes ont reconnu tous les vers inégaux jusqu’aux strophes de vers de 8 syllabes inclues, voire dans l’une ou l’autre des strophes de vers de 9 syllabes. Il se serait donc très bien pu que quelqu'un fasse un score parfait sur cet exercice de détection du vers « faux » (comme on dit) ; mais alors j’aurais fabriqué d’autres strophes de vers de 9 syllabes avec un vers faux, et on aurait vu. Je doute qu’il existe un seul français qui puisse reconnaître à coup sûr des vers faux dans toutes les strophes de vers 9-syllabiques imaginables ; au contraire, sans doute, les personnes les plus douées dans cet exercice idiot commencent à se sentir mal à l'aise, à hésiter, à perdre pied, dès qu'on leur a montré trois ou quatre 9-syllabes qui n’ont pas la même allure rythmique. Quant aux vers de 10 syllabes, c’est pire. Cette expérience naïve s’interprète grossièrement ainsi :
- Limite de la capacité métrique en français : En français, la reconnaissance instinctive et sûre de l’égalité en nombre syllabique de segments voisins rythmiquement quelconques est limitée, selon les gens, à 8 syllabes, ou moins.
Une expression familière aux lecteurs de poésie classique qui butent sur un "vers faux" est : « Mais ce n'est pas un vers, c’est de la prose ! » : un « vers faux » n’est pas vraiment un vers. Il suffit de changer d'une seule syllabe le nombre d’un vers d'une strophe des "Djinns" pour en faire de la prose, mais si on retire le vers faux de sa strophe originelle pour l'insérer dans une strophe de vers de même nombre que lui, il redevient vers.
Un vers des Djinns n’est donc pas un vers en soi, et un vers faux des Djinns boiteux n’est pas de la prose en soi. Il n'existe dans les Djinns (de 2 à 8 syllabes) que des familles de suites de syllabes (suites successives) dont l’égalité mutuelle est remarquable ; cette égalité remarquable constitue les vers en tant que suites équivalentes ; on appelle mesure la propriété commune (avoir tant de syllabes) qui définit l’équivalence dans une famille de suites de syllabes, « vers ». Le choc - ou le charme - du vers faux naît quand l’équivalence à laquelle on s'était habitué, qu'on attendait comme régulière, échappe tout à coup dans une suite de syllabes qui devrait continuer l’équivalence, mais la rompt. »
La suite se lit agréablement par ici, sur ce pédéhaif. On peut parcourir d'autres articles du même auteur en se baladant sur cette page.
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lundi, 04 février 2013
Les visages hâves des parisiens des bas-fonds, les visages lumineux des saints des cieux
«Un des spectacles où se rencontre le plus d’épouvantement est certes l’aspect général de la population parisienne, peuple horrible à voir, hâve, jaune, tanné. Paris n’est-il pas un vaste champ incessamment remué par une tempête d’intérêts sous laquelle tourbillonne une moisson d’hommes que la mort fauche plus souvent qu’ailleurs et qui renaissent toujours aussi serrés, dont les visages contournés, tordus, rendent par tous les pores l’esprit, les désirs, les poisons dont sont engrossés leurs cerveaux ; non pas des visages, mais bien des masques : masques de faiblesse, masques de force, masques de misère, masques de joie, masques d’hypocrisie ; tous exténués, tous empreints des signes ineffaçables d’une haletante avidité ? Que veulent-ils ? De l’or, ou du plaisir ?»
Honoré de Balzac, La Fille aux yeux d'or - Histoire des Treize
L'histoire des Treize, du très Honoré de Balzac, contient trois histoires. La première, Ferragus, est dédié au musicien Hector Berlioz. La seconde, La Duchesse de Langeais, est offerte à Franz Liszt. Le dédicataire de la troisième, La Fille aux yeux d'or, est le peintre Eugène Delacroix.
Il faut aller (re)lire, dans un des cafés de la place Franz Liszt, La fille aux yeux d'or. Pour l'accompagner, un mauvais kir n'est pas une mauvaise idée, accompagné si possible des cacahuètes des bars parisiens sur lesquelles, parait-il, on prélève des traces d'urine. Et si l'église est ouverte, et que l'organiste répète un air de Théodore Dubois ou de Louis Vierne, pourquoi ne pas faire une prière à Sainte Geneviève et à Saint Denis, patrons des parisiens ? Rougissez nos joues, adoucissez nos masques, Ô chers saints ! Sanctifiez-nous, rendez-nous sains.
Si personne n'est à l'orgue, alors on peut chantonner en murmurant la litanie des saints de Paris :
Trilogie balzacienne, premier volet
Trilogie balzacienne, second volet
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mercredi, 22 août 2012
Florent Schmitt, l'éclat de votre musique nous fascine...
Un hommage à Florent Schmitt,
par Hélène Lammermoor,
Chagrin de mélomane, par H.B
De Lorraine et de France, Florent Schmitt est aujourd'hui bien boudé. En quelques mois, grâce à un professeur de musique mélomane bien intentionné, le lycée de Saint-Cloud a perdu son nom de lycée Florent Schmitt pour s'appeler désormais lycée Alexandre Dumas. Presque rien n'a eu lieu pour le cinquantenaire de sa mort, et une bonne partie de ses oeuvres n'est pas enregistrée. Pourtant, n'est-ce pas un des plus grands musiciens du XX°siècle ? Si, bien sûr ! Et cela éclatera comme une évidence... Un jour, pour toujours.
Florent Schmitt, les amoureux de la musique ne t'oublient pas. Même ils t'aiment et te soutiennent dans cette traversée du désert post-mortem.
Et ils savent que ton oeuvre profonde, puissante, douce, qui touche au sublime, durera plus longtemps que les sentences qui t'ont condamné.
Tu vis dans nos coeurs, ta musique se joue dans nos maisons, et celle qui n'est pas enregistrée, se rêve, surtout dans les après-midi de juin, quand l'orage éclate et que le jaune-tonnerre envahit l'air du jour.
La sauvage et le musicien, par H.L
(Florent Schmitt, est-vous qui inspirâtes à Jean Anouilh son personnage de Florent, le beau, le lisse, l'élégant musicien de la Sauvage ? J'ai lu cette pièce bien jeune encore, et n'ai découvert votre œuvre que bien après. Eh bien, je vous ai reconnu !)
Comme vous êtes oublié aujourd'hui ! Moins que d'autres grands artistes, certes, mais plus que ce que vous méritez. Eh bien, vous reviendrez ! C'est certain : vous reviendrez sur le devant de la scène, et votre musique prendra la place qui lui revient, au soleil de notre culture.
Hélène Lammermoor, un jour du début de l'été...
Grands artistes et pauvres pécheurs, par Edith de CL
Il y avait un lycée de Saint-Cloud qui portait votre nom. Le zèle d'un professeur de philosophie y remédia, et le lycée de Saint-Cloud est devenu le lycée Alexandre Dumas. Il est heureux que toutes les bien-pensances n'aboutissent pas avec autant de facilité : combien d'écoles, de rues, faudrait-il débaptiser !
Lorsqu'on lit certaines phrases de Jean Cocteau, d'André Gide, de Voltaire, sur les Juifs ; lorsqu'on découvre les idées de Victor Hugo, de Cuvier, et de tant d'autres, sur les Noirs, sans compter les myriades de jugements comminatoires sur les femmes, qui n'ont pas moins d'impact sur le bonheur de millions d'êtres, on se dit que les fourches caudines de l'épuration intellectuelle pourraient bien détruire le meilleur de la littérature, de la musique, de la science des deux derniers siècles.
Oui, les grands artistes ne sont que des êtres humains, et passée l'inspiration qui les élève au-dessus des foules, ils redeviennent des individus bien critiquables. Et l'on peut dire en retour que beaucoup de personnes qui n'inspirent pas l'admiration artistique ou intellectuelle, et ne se font remarquer en aucune sorte, ont l'âme plus élevée que bien des génies.
Un mathématicien invente un théorème essentiel ; il commet ensuite une série de meurtres, ou prône l'extermination des Irlandais. Son théorème en devient-il caduc pour autant ? Certes, non.
Il en va de même pour les arts : « Incorruptibilité de l'art », notait l'anarchiste Victor Serge en rencontrant Paul Claudel, dont il admirait l’œuvre et détestait la personnalité.
Alors pourquoi se priver de l’œuvre de Florent Schmitt, qui n'est ni un assassin, ni un dénonciateur, et dont la musique, comme celle de César Franck, d'Alexis de Castillon ou de Maurice Duruflé, restera certainement comme une flamme de beauté illuminant les amoureux de l'art ?
Sur AlmaSoror, on peut lire et entendre d'autres notes musicales.
Ainsi, l'auteur de Musiques de notre monde propose une balade à travers les musiciens préférés de notre temps.
Hanno Buddenbrook a consacré un billet au musicien anglais Herbert Howells et au requiem qu'il écrivit dans la douleur à la mort de son enfant.
Edith CL s'est extasiée sur le Miserere d'Allegri et quelques interprétations dans une note de juin 2012.
Arvo Pärt a eu sa part sur notre plateforme.
Elle a aussi payé son tribut à la sonate 959.
Par ici, allez voir Alfred Cortot et Debussy. Par là, Louis Vierne le désespéré.
Paul Rougnon, grand pédagogue, a eu son billet en fanfare.
Miles Davis et Franz Schubert se sont rencontrés, le temps d'une note, le temps d'un bout de film, le temps d'une sonate.
La mémoire de l'opéra de chasse Actéon !
Et nous avons plongé dans les les mots sublimes que Romain Rolland a dédiés à la musique : tu es la mer intérieure, tu es l'âme profonde...
Dans le domaine de la chanson, on trouve sur notre blog divers billets doux, dont celui d'Esther Mar, Nostalgie des chansons de la comtesse au coeur brûlé.
AlmaSoror a rendu un hommage à John Littleton, l'homme de Louisiane et de Reims.
Chanson d'antan et de révolte, voici Filles d'ouvriers.
Atmosphère, atmosphère ! Edith et Axel ont joué à Mood Organ Playlist.
Quant aux pochettes des vieux vinyles, elles n'ont pas été oubliées !
Pochette d'un Concerto de Aranjuez
Pochettes des concertos pour mandoline
Pochette d'un disque schubertien
Une pochette Deutsche Grammophon
Et la pochette d'un CD, qui vaut son pesant de cacahuètes, certes
En vrac, il y eut aussi...
Lle film A quai (de Sara) et sa musique de Radikal Satan.
Un petit extrait (sur Verdi) de l'Histoire musicale de Rebatet ; Un extrait du même, sur le club des cinq Russes
La mémoire de l'origine grégorienne de la gamme
Quelques mots de Siobhan Hollow sur la musique qu'elle écoute au ciel
La chanson de Valentine Morning (nièce d'Edith) Lubitel Tszalaï
Luke Ghost interprète le Songe solitaire de l'oiseau en cage (c'est particulièrement mal enregistré, très cher Luke)
Du côté de la politique : un article sur le rock antispéciste
La Bretagne (oui, elle) a eu des miettes, dont celle-ci.
Ce n'était rien.
Ce n'était rien, tout ces liens.
Ce n'était qu'un peu de ce que nous fîmes. En voyageant à travers AlmaSoror vous découvrirez encore beaucoup d'autres chansons, références, mélodies...
Ce n'était rien qu'un peu de pluie musicale dans votre mois d'août. Ne vous inquiétez pas. Partez. C'est fini.
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mercredi, 18 janvier 2012
Nous attendons tous notre naissance et c'est notre mort qui approche
En attendant de trouver une version de la Ballade du désespéré, de Louis Vierne, à mettre ici sur cet AlmaSoror blog, écoutons cet autre poème pour piano et orchestre.
Et plongeons dans la ballade d'Henry Murger, poète dépressif, né rue des Trois-Frères et mort en 1861. Bohème, gothique, il écrivit cette ballade du désespéré que Vierne allait mettre en musique, peut-être encore plus désespéré que lui, au début du XX°siècle :
"Qui frappe à ma porte à cette heure ?
— Ouvre, c’est moi. — Quel est ton nom ?
On n’entre pas dans ma demeure
À minuit ainsi, sans façon.
— Ouvre. — Ton nom ? — La neige tombe,
Ouvre. — Ton nom ? — Vite, ouvre-moi !
— Quel est ton nom ? — Ah ! dans sa tombe
Un cadavre n’a pas plus froid.
J’ai marché toute la journée
De l’ouest à l’est, du sud au nord.
À l’angle de ta cheminée
Laisse-moi m’asseoir. — Pas encor !
Quel est ton nom ? — Je suis la gloire,
Je mène à l’immortalité.
— Passe, fantôme dérisoire !
— Donne-moi l’hospitalité.
Je suis l’amour et la jeunesse,
Ces deux belles moitiés de Dieu.
— Passe ton chemin : ma maîtresse
Depuis longtemps m’a dit adieu.
— Je suis l’art et la poésie :
On me proscrit. Vite, ouvre. — Non.
Je ne sais plus chanter ma mie,
Je ne sais même plus son nom.
— Ouvre-moi ! je suis la richesse,
Et j’ai de l’or, de l’or toujours.
Je puis te rendre ta maîtresse.
— Peux-tu me rendre nos amours ?
— Ouvre-moi : je suis la puissance,
J’ai la pourpre. — Vœux superflus !
Peux-tu me rendre l’existence
De ceux qui ne reviendront plus ?
— Si tu ne veux ouvrir ta porte
Qu’au voyageur qui dit son nom,
Je suis la mort : ouvre, j’apporte
Pour tous les maux la guérison.
Tu peux entendre à ma ceinture
Sonner les clés des noirs caveaux ;
J’abriterai ta sépulture
De l’insulte des animaux.
— Entre chez moi, maigre étrangère,
Et pardonne à ma pauvreté.
C’est le foyer de la misère
Qui t’offre l’hospitalité.
Entre : je suis las de la vie,
Qui pour moi n’a plus d’avenir.
J’avais depuis longtemps l’envie,
Non le courage de mourir.
Entre sous mon toit, bois et mange,
Dors, et quand tu t’éveilleras,
Pour payer ton écot, cher ange,
Dans tes bras tu m’emporteras.
Je t’attendais ; je veux te suivre.
Où tu m’emmèneras, j’irai ;
Mais laisse mon pauvre chien vivre,
Pour que je puisse être pleuré !"
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