samedi, 10 février 2018
Ô bourgeois, d'où viens-tu, où vas-tu, est-ce que tu existes encore ?
Ci-suit un texte de Régine Pernoud, tiré de son Histoire de la bourgeoisie en France, datant de 1960 (l'ouverture du premier chapitre en fait).
Mais auparavant, voici la liste des billets de ce blog s'intéressant à cet être insaisissable, envié, haï, qui souvent ne se reconnaît pas lui même, le bourgeois.
Le bourgeois à travers des billets almasororiens :
Puissance et décadence de la bourgeoisie
1007-2007 : La fortune d'un mot
Caste, classe : le théâtre de la distinction sociale
Le monde des lettres françaises au XIXème siècle, décrit par Romain Rolland
Vanité des arts, vides esthétiques, vacuité des audiences
A propos d'Hommes sans mères, de Mingarelli
La triste et tendre vie de Franz Schubert
Ultra-conservateurs et ultra-libérés, vos enfants ne connaissent-ils pas la misère intérieure ?
Fleuve littéraire, tu nous emportes
Apéro-dînatoire chez les voisins
Jules Vallès : saisissant portrait par René Lalou
La recherche de l'absolu et son inversion contemporaine
Ainsi débute le premier chapitre de L'histoire de la bourgeoisie en France, de Régine Pernoud :
« C'est dans une charte de l'an 1007 qu'apparaît pour la première fois le mot : bourgeois, burgensis, promis à une si étonnante fortune. Ce terme qui deviendra typiquement français, au point que ses traductions dans les langues étrangères ne seront jamais qu'approximatives (l'Allemand Sombart dut se résigner à intituler Der Bourgeois sont étude sur le sujet) a une racine germanique. Durant le Haut Moyen Âge, le burg, c'est le lieu fortifié, et de là vient burgensis, celui qui habite un burg, une place forte ; mais déjà au XI°siècle, le burgensis, bourgeois, n'est plus que : l'habitant de la ville, et la ville n'est plus nécessairement un lieu fortifié. Le terme a pris les deux sens qui lui seront conservés dans notre langue : celui de cité fortifiée ou au contraire de groupe d'habitations situées en dehors des remparts, - autant dire qu'il désigne déjà ce que le français bourg devait désigner par la suite : une agglomération urbaine, petite ville ou gros village, un faubourg.
Il est curieux de pouvoir ainsi assigner une date de naissance à un mot dont l'évolution devait être par la suite à la fois si riche et si troublée, au point que ses définitions retiennent aujourd'hui l'attention des sociologues et des historiens et que des études entières lui sont consacrées. Cette date n'est évidemment fixée que de façon très provisoire et selon l'état actuel de la documentation ; la découverte d'actes plus anciens peut la faire reculer. Ce n'en est pas moins, à quelques années près, un jalon dans notre histoire sociale. Elle est contenue dans une charte émanant du comte d'Anjou Foulques Nerra qui, en l'an 1007, établit un « bourg franc » auprès de l'abbaye de Beaulieu, près de Loches ; cela signifie qu'il déclare inviolable un territoire défini aux confins de cette abbaye, qu'il affranchit ses habitants de toute servitude, interdit à l'abbé de les soumettre à une taille, c'est-à-dire à un impôt quelconque, et fixe d'autre part les amendes qu'encourent les habitants de ce bourg s'ils viennent à s'insurger ; c'est dans ce dernier paragraphe qu'il est question des bourgeois : « Si contra monachos burgenses insurrexint..., si les bourgeois s'attaquent aux moines ou à leurs serviteurs et s'emparent de leurs biens, ils paieront une amende de soixante livres ». (Note : cité par Henri Pirenne dans son étude : Villes et Institutions urbaines)
Ainsi, la première fois que le bourgeois fait irruption dans un texte, ce texte est destiné à prendre des garanties contre lui : « « Si contra monachos burgenses insurrexint..., si les bourgeois s'insurgent contre les moines ». Visiblement, on ne le considère pas sans méfiance, et l'on prévient des réactions violentes de sa part. Sans vouloir forcer les conclusions, il faut bien admettre que l'arrivée dans la société féodale d'un être dont le mode de vie tranchait sur ce que l'on connaissait alors ne pouvait que poser des problèmes. L'histoire de la bourgeoisie à son origine est fait précisément des solutions diverses qu'on a données à ces problèmes.
Ceux qui comptaient mettre à profit les bonnes dispositions du comte d'Anjou et devenir « bourgeois » de Beaulieu, qui étaient-ils ? Que voulaient-ils ? Et pourquoi les menaçait-on d'une amende au cas où ils s'insurgeraient ? Nous avons vu le cas d'un Godric quittant la maison et la terre paternelles pour gagner sa vie dans le commerce, celui d'un Lanstier d'Arras, primitivement attaché à l'abbaye de Saint-Vaast, faisant des opérations pour son propre compte ; combien d'autres, à leur exemple, ont cherché en cette époque de forte natalité à gagner leur vie autrement que par le travail de la terre, soit en exerçant un métier, soit en vivant de l'échange et non de la production directe. Tous ces êtres, quels qu'ils fussent, avaient un trait commun : leur place n'était plus, ne pouvait plus être sur le domaine seigneurial où leurs parents avaient vécu, où eux-mêmes étaient nés. C'est à leur intention, par eux, ou en tout cas pour eux que se créaient les « bourgs francs ». Avec eux s'instaurait une économie nouvelle, différente de l'économie domaniale qui caractérise le Haut Moyen Âge et qu'il faut d'abord connaître pour apprécier ce qu'apportait de nouveau l'existence du bourgeois ».
Régine Pernoud, Histoire de la bourgeoisie en France - des origines aux temps modernes. 1960 Editions du Seuil
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vendredi, 16 août 2013
Dictionnaire de la délivrance psychique (inachevé)
Ce dictionnaire est élaboré sous la direction paresseuse de Conan Kernoël, depuis le premier novembre 2009. Conan n'a rédigé ni préface ni postface, mais une médioface que l'on trouve à la lettre N (la Nouvelle Religion).
Qu'entendez-vous par "délivrance psychique" ? Nous demanda une lectrice d'AlmaSoror.
La langue est un carcan parce que le sens des mots que nous employons et les liens que nous faisons instinctivement entre les mots sont guidés, dictés, prévus par les maîtres penseurs. Pour que la langue nous soit libératrice, il faut faire la généalogie de la tapisserie de la bien-pensance de notre temps ; après seulement, les mots déchargés de leur chaîne révèlent un arôme plus sauvage, plus poétique, et dans notre cerveau souffle un vent de fraîcheur.
Administration :
L’administration est l’entreprise de l’Etat, dont l’objet est la réification de la langue, de la pensée, de la culture et des êtres humains.
De la naissance à la mort, du nom au genre, de la vie de famille à la vie professionnelle, de la santé à l’éducation des enfants, de la science aux arts, de la vie de la pensée à la vie corporelle, de l’organisation de la maison et du paysage à la religion, des langues parlées sur le sol qu’elle tient sous son emprise aux idées prononcées sur des supports par les gens qu’elle a sous sa domination, aucune parcelle de vie humaine n’échappe à sa discipline.
Ce pouvoir s’exerce de droit et de force. De droit, en vertu d’un contrat léonin qui la lie au nouveau né, contrat qui ne pourra être modifiée que par sa volonté à elle. De force, par l’emploi de la force physique et par l’impossibilité matérielle et psychique de subsister hors de sa surpuissance.
Citations :
« Je sais maintenant que ma patrie est classée dans des dossiers, je l’ai vue sous les espèces de fonctionnaires habiles à effacer en moi les dernières traces de patriotisme. Où donc est ma patrie ? Ma patrie est là où je suis, où personne ne me dérange, où personne ne me demande qui je suis, d’où je viens et ce que je fais. »
(Le Vaisseau des morts)
B Traven
"Un homme dans un fichier est pour ainsi dire déjà un homme mort".
E Von Salomon
Autoproclamé : lorsqu'une personne n'a pas de diplôme, d'agrément étatique ou d'appartenance médiatique et qu'elle s'exprime sur un sujet qui ne concerne pas sa vie quotidienne, on dit qu'elle est autoproclamée. Ainsi, un homme tenant un blog d'informations sera "journaliste autoproclamé" ; une personne partageant un travail personnel sociologique sera appelé "sociologue autoproclamé".
CNC : sigle du Centre National du Cinéma.
Organe étatique en charge du contrôle administratif, économique, politique et intellectuel de tout ce qui concerne le cinéma en France : production, diffusion, professions du cinéma. Le CNC habilite ou déshabilite les gens de métier et les entreprises, autorise la création d’œuvres, leur diffusion, et encourage un certain type de productions en donnant de l'argent à des projets chaque année.
Art étatique s'il en est, le cinéma français et ses professions sont encadrés à tous les stades de la chaîne d'un film par le CNC, en vue d'une idéologie qu'il sera intéressant d'étudier dans quelques décennies, au moyen notamment des statistiques et de l'étude des thèmes des œuvres subventionnées et de celles qui ne le sont pas.
institution mouvante constituant l'unité de base de l'ordre sexuel, moral et économique.
Entité de deux personnes menant une vie commune. Se mettre en couple : s'agréger à quelqu'un pour former une entité acceptable socialement et invitable aux dîners des toutes petites, petites, moyennes et grandes bourgeoisies.
Selon l'idéologie du milieu ambiant au couple, celui-ci peut être formé comme suit :
- de deux personnes de sexes différents et être indissoluble ;
- ou bien de deux personnes de sexes différents et être modifié à tout moment lors de la lassitude d'un partenaire, qui se détache alors de ce couple pour en former aussitôt un autre ;
- ou bien être formé de deux personnes de même sexe.
Afin de n'être pas considéré comme un pervers potentiel, un homme qui n'est pas en couple, à partir de trente ans, doit afficher une vie sexuelle avouable - c'est à dire être un homme à femmes ou bien un homosexuel à partenaires variables, selon l'idéologie du milieu ambiant.
Afin de n'être pas considérée comme quelqu'un de profondément déficiente, non épanouie, ayant raté sa vie, une femme qui n'est pas en couple, à partir de trente ans, doit afficher une vie sexuelle de "femme libérée", multipliant les partenaires amoureux (et pas seulement sexuels, ce qui la plongerait dans la case des "putes").
Cas des enfants : Le couple parental s'étant dissout, la vie des enfants est tributaire des nouvelles mises en couples parentales. Il est considéré que leur bien être ne saurait gêner les vies amoureuses des parents. Il est de bon ton de ne pas évoquer les mésententes, sentiments de rejet, d'abandon et d'intrusion éventuellement ressentis par les enfants vis à vis de leurs "beaux-parents". Par ailleurs, penser que la vie amoureuse des parents serait compliquée pour un enfant constitue en soit une forme de "fascisme" néfaste pour la société. Un parent ne se remettant pas en couple dans les cinq ans est considéré comme faisant peser son mal-être sur les enfants, nuisant ainsi à leur développement harmonieux.
phrase n’ayant pas plu à un groupe se croyant minoritaire, discriminé et victime. Lorsqu’une personne est accusée par d’autres de dérapage, elle doit présenter des excuses.
Devoir de mémoire :
processus d'effacement de la mémoire du devoir.
Fonctionnaire :
nom commun hermaphrodite. Rouage de l’État. Fonctionne entre l'obtention du concours et la mise à la retraite.
Nauséabond :
Une personne est nauséabonde lorsqu'elle a des idées non validées par la Pensée Bienfaisante pour l'Humanité. Les gens nauséabonds sont dangereux : leurs idées se répandent comme une maladie et infectent les esprits de toute la population, qui devient "facho". L’État doit en permanence lutter contre les nauséabonderies intellectuelles par la diffusion d'idées saines, via l'école, mais aussi via les panneaux d'affichage publics, les programmes télévisuels, et tous les supports de communication possibles.
La nouvelle religion : (médioface de Conan Kernoël)
Le politiquement-correct et la sacralisation de l'humanisme, devenu non plus seulement une volonté positiviste, mais une croyance, mènent à l'idolâtrie.
De cela surgit le rétablissement du blasphème, l'interdiction de la pensée iconoclaste.
Puisqu'il y a blasphème lorsqu'on remet en question une certaine idée de l'homme, de l'humanité, le nouvel humaniste ne peut pas être considéré comme un athée, bien qu'il ne croit pas en Dieu. Car l'athéisme ne reconnait pas de blasphème.
Nous voyons donc l'éclosion d'un humanisme religieux.
Toute religion suppose un culte. Le culte de cet humanisme religieux est d'abord un culte linguistique. Toute parole exprimant le recul vis à vis de cet humanisme est assimilé à son objet. C'est à dire que la parole d'une personne est assimilée à une croyance : dire une idée, c'est y être assimilée.
Ceci implique le retour des imprécations magiques : on ne peut prononcer des idées en désaccord avec l'humanisme religieux sans précautions oratoires. Ces précautions oratoires visent à éloigner de soi l'essence de l'idée qu'on va relater. Avec force répétitions, on exprime des imprécations et condamnations des idées qu'on mentionne, pour s'assurer la bienveillance du clergé. Le clergé, c'est toute la société.
La peur de la déviance crée un retour de l'exorcisme. L'exorcisme a lieu comme un lavage de cerveau, par une rhétorique accompagnée de supports visuels insérés partout, dans les lieux et les documents publics et semi-publics.
Nous sommes revenus à l'interdit verbal. Toutes les idées ne sont pas prononçables, ou alors elles doivent être accompagnées d'imprécations.
Le politiquement-correct et la sacralisation de l'humanisme, devenus non plus seulement une volonté positiviste, mais une croyance, mènent à l'idolâtrie.
C'est pourquoi notre société renoue depuis quelques années avec le blasphème, le culte, les imprécations, l'exorcisme et l’innommable.
La difficulté de cerner cette nouvelle religion vient du fait qu'elle ne se reconnaît pas comme une religion, ni comme une théologie, mais comme la vérité morale indépassable.
nom commun hermaphrodite ; fonctionnaire de la pensée spécialisé dans l’étude de la misère humaine
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mardi, 02 juillet 2013
Qui a peur des hamacs ?
Photo Tieri Briet (Fontvieille, près d'Arles)
Voici l'avant-propos du Droit à la paresse (1880), de Paul Lafargue,
suivi d'une extrait de l'Adresse aux vivants (1990), de Raoul Vaneigem.
«M. Thiers, dans le sein de la Commission sur l'instruction primaire de 1849, disait: "Je veux rendre toute-puissante l'influence du clergé, parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l'homme qu'il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l'homme: "Jouis"." M. Thiers formulait la morale de la classe bourgeoise dont il incarna l'égoïsme féroce et l'intelligence étroite.
La bourgeoisie, alors qu'elle luttait contre la noblesse, soutenue par le clergé, arbora le libre examen et l'athéisme; mais, triomphante, elle changea de ton et d'allure; et, aujourd'hui, elle entend étayer de la religion sa suprématie économique et politique. Aux XVe et XVIe siècles, elle avait allègrement repris la tradition païenne et glorifiait la chair et ses passions, réprouvées par le christianisme ; de nos jours, gorgée de biens et de jouissances, elle renie les enseignements de ses penseurs, les Rabelais, les Diderot, et prêche l'abstinence aux salariés. La morale capitaliste, piteuse parodie de la morale chrétienne, frappe d'anathème la chair du travailleur; elle prend pour idéal de réduire le producteur au plus petit minimum de besoins, de supprimer ses joies et ses passions et de le condamner au rôle de machine délivrant du travail sans trêve ni merci.
Les socialistes révolutionnaires ont à recommencer le combat qu'ont combattu les philosophes et les pamphlétaires de la bourgeoisie; ils ont à monter à l'assaut de la morale et des théories sociales du capitalisme; ils ont à démolir, dans les têtes de la classe appelée à l'action, les préjugés semés par la classe régnante; ils ont à proclamer, à la face des cafards de toutes les morales, que la terre cessera d'être la vallée de larmes du travailleur; que, dans la société communiste de l'avenir que nous fonderons "pacifiquement si possible, sinon violemment", les passions des hommes auront la bride sur le cou: car "toutes sont bonnes de leur nature, nous n'avons rien à éviter que leur mauvais usage et leurs excès", et ils ne seront évités que par leur mutuel contre-balancement, que par le développement harmonique de l'organisme humain, car, dit le Dr Beddoe, "ce n'est que lorsqu'une race atteint son maximum de développement physique qu'elle atteint son plus haut point d'énergie et de vigueur morale". Telle était aussi l'opinion du grand naturaliste, Charles Darwin.
La réfutation du Droit au travail, que je réédite avec quelques notes additionnelles, parut dans "L'Égalité hebdomadaire" de 1880, deuxième série».
P. L.
Prison de Sainte-Pélagie, 1883. In Le droit à la paresse
«En fait, je ne suis pas étranger au monde, mais tout m'est étranger d'un monde qui se vend au lieu de se donner - y compris le réflexe économique auquel mes gestes parfois se plient. C'est pourquoi j'ai parlé des hommes de l'économie avec le même sentiment de distance que Marx et Engels découvrent, dans la crasse et la misère londoniennes, une société d'extraterrestres avec «leur» Parlement, «leur» Westminster, «leur» Buckingam Palace, «leur» Newgate.
«Ils» me gênent aux entournures de mes plus humbles libertés avec leur argent, leur travail, leur autorité, leur devoir, leur culpabilité, leur intellectualité, leurs rôles, leurs fonctions, leur sens du pouvoir, leur loi des échanges, leur communauté grégaire où je suis et où je ne veux pas aller.
Par la grâce de leur propre devenir, «ils» s'en vont. Economisés à l'extrême par l'économie dont ils sont les esclaves, ils se condamnent à disparaître en entraînant dans leur mort programmée la fertilité de la terre, les espèces naturelles et la joie des passions. Je n'ai pas l'intention de les suivre sur le chemin d'une résignation où les font converger les dernières énergies de l'humain reconverti en rentabilité.
Pourtant, mon propos n'est pas de prétendre à l'épanouissement dans une société qui ne s'y prête guère, mais bien d'atteindre à la plénitude en la transformant selon les transformations radicales qui s'y dessinent. Je ne désavoue pas ce qu'il y a de puérile obstination à vouloir changer le monde parce qu'il ne me plaît pas et ne me plaira que si j'y puis vivre au gré de mes désirs. Cependant n'est-elle pas, cette obstination, la substance même de la volonté de vivre »
Raoul Vaneigem, In L'adresse aux vivants sur la mort qui les gouverne et l'opportunité de s'en défaire
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mardi, 26 février 2013
Un nouveau message de Siobhan
AlmaSoror reçoit un nouveau message de sa correspondante dilettante Siobhan Hollow.
Le voici, accompagné d'une chanson de Natalie Merchant.
Intense année de créativité.
Merci aux bars et aux piliers de comptoirs pour leur chaleur et leur soutien.
Merci aussi aux journaux qui m’ont fait rire et aux bourgeois qui ont nourrit ma révolte. L’été s’en va bientôt.
Intense année de productivité.
Merci aux bibliothèques et aux églises qui m'ont fait prier, merci aux rebelles qui ont nourri ma bourgeoisie. L'hiver nous rassemble.
Je vous aime...
Siobhan Hollow
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lundi, 30 juillet 2012
Le monde, cet hôpital...
"Vous autres de France, en généreux hurluberlus, vous êtes toujours les premiers à manifester contre toutes les injustices, d'Espagne ou de Russie, sans savoir au juste de quoi il s'agit. Je vous aime pour cela. Mais croyez-vous que vous avanciez les choses ? Vous vous y jetez en brouillons, et le résultat est nul, - quand il n'est pas pire... Et vois, jamais votre art n'a été plus fade qu'en ce temps où vos artistes prétendent se mêler à l'action universelle. Étrange, que tant de petits-maîtres dilettantes et roués s'érigent en apôtres ! Ils feraient beaucoup de verser à leur peuple un vin moins frelaté".
Un extrait de Jean-Christophe, de Romain Rolland
Christophe et Olivier se lancent à corps perdus dans les luttes sociales, après qu'une famille ouvrière de leurs voisinage - les parents et cinq enfants - s'est suicidée de misère.
Nous sommes à peu près en 1910. Le roman a été publié en 1912.
[La souffrance] "remplissait le monde. Le monde, cet hôpital... Ô douleurs, agonies ! Tortures de chair blessée, pantelante, qui pourrit vivante ! Supplices silencieux des coeurs que le chagrin consume ! Enfants privés de tendresse, filles privées d'espoir, femmes séduites et trahies, hommes déçus dans leurs amitiés, leurs amours et leur foi, lamentable cortège des malheureux que la vie a meurtris ! Le plus atroce n'est pas la misère et la maladie ; c'est la cruauté des hommes les uns envers les autres. Àpeine Olivier eut-il levé la trappe qui fermait l'enfer humain que monta vers lui la clameur de tous les opprimés : prolétaires exploités, peuples persécutés, l'Arménie massacrée, la Finlande étouffée, la Pologne écartelée, la Russie martyrisée, l'Afrique livrée en curée aux loups européens, les misérables de tout le genre humain. Il en fut suffoqué ; il l'entendait partout, il ne pouvait plus concevoir qu'on pensât à autre chose. Il en parlait sans cesse à Christophe. Christophe, troublé, disait :
- Tais-toi ! Laisse-moi travailler.
Et comme il avait peine à reprendre son équilibre, il s'irritait, jurait :
- Au diable ! Ma journée est perdue ! Te voilà bien avancé.
Olivier s'excusait.
- Mon petit, disait Christophe, il ne faut pas toujours regarder dans le gouffre. On ne peut plus vivre.
- Il faut tendre la main à ceux qui sont dans le gouffre.
- Sans doute. Mais comment ? En nous y jetant aussi ? Car c'est cela que tu veux. Tu as une propension à ne plus voir dans la vie que ce qu'elle a de triste. Que le bon Dieu te bénisse ! Ce pessimisme est charitable, assurément ; mais il est déprimant. Veux-tu faire du bonheur ? D'abord, sois heureux !
- Heureux ! Comment peut-on avoir le coeur de l'être, quand on voit tant de souffrances ? Il ne peut y avoir de bonheur qu'à tâcher de les diminuer.
- Fort bien. Mais ce n'est pas en allant me battre à tort et à travers que j'aiderai les malheureux. Un mauvais soldat de pus, ce n'est guère. Mais je puis consoler par mon art, répandre la force et la joie. Sais-tu combien de misérables ont été soutenus dans leurs peines par la beauté d'une chanson ailée ? À chacun son métier ! Vous autres de France, en généreux hurluberlus, vous êtes toujours les premiers à manifester contre toutes les injustices, d'Espagne ou de Russie, sans savoir au juste de quoi il s'agit. Je vous aime pour cela. Mais croyez-vous que vous avanciez les choses ? Vous vous y jetez en brouillons, et le résultat est nul, - quand il n'est pas pire... Et vois, jamais votre art n'a été plus fade qu'en ce temps où vos artistes prétendent se mêler à l'action universelle. Étrange, que tant de petits-maîtres dilettantes et roués s'érigent en apôtres ! Ils feraient beaucoup de verser à leur peuple un vin moins frelaté. - Mon premier devoir, c'est de faire ce que je fais, et de vous fabriquer une musique saine, qui vous redonne du sang et mette en vous le soleil.
Pour répandre le soleil sur les autres, il faut l'avoir en soi. Olivier en manquait. Comme les meilleurs d'aujourd'hui, il n'était pas assez fort pour rayonner la force à lui tout seul. Il ne l'aurait pu qu'en s'unissant avec d'autres. Mais avec qui s'unir ? Libre d'esprit et religieux de coeur, il était rejeté de tous les partis politiques et religieux".
Romain Rolland, in Jean-CHristophe
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samedi, 26 novembre 2011
Ultra-conservateurs et Ultra-libérés, vos enfants ne connaissent-ils pas la misère intérieure ?
Un billet d'Hélène Lammermoor
Faut-il lire Sida mental, de Lionel Tran, en écoutant Miserere Nobis d'Henryk Gorecki ?
Imploration
Il est temps de s'intéresser aux enfants sacrifiés par la libération sexuelle. Nous connaissons les souffrances des écoles catholiques, les tortures mentales des curés, les sévérités extrêmes des parents rigides, les perversions hypocrites des éducations religieuses, nationalistes, rigoristes.
Mais dans le film Mai 68, mes parents et moi de Virginie Linhart comme dans le texte de Lionel Tran, c'est du saccage effectué par les libérés sexuels qu'il est question.
Dans le film, un fils de féministe raconte qu'il entendait les copines de la mère relater un viol et exulter à l'idée d'arracher les couilles à tous les mecs pour se venger. La nuit, ensuite, il ne dormait pas, les cheveux dressés sur la tête. Une fille se souvient de passer des journées et des soirées seule, à regarder la famille normale d'en face, les déjeuners et dîners des parents et enfants autour de la table, et rêvant de tels rassemblements. Jugement parental tranchant : tu ne veux tout de même pas être une ridicule petite bourgeoise ?
Parents imbus d'eux mêmes qui piétinent les émotions de leurs enfants au nom de leur idéologie ! Non, la libération sexuelle n'a pas libéré l'enfance de la toute-puissance parentale. Elle en a modifié les codes.
De même que l'ex-Mao Claire Brière-Blanchet (dans Voyage au bout de la révolution) regrette la mort de sa fille qu'elle attribue à son engagement de libérée (je suis une sale bourgeoise et je dois me faire baiser par des ouvriers aux réunions politiques, je ne dois pas m'occuper petit-bourgeoisement de mes enfants, mais au contraire les abandonner à la maison pour aller faire la révolution), de même, Rudyard Kipling dessoûlé d'un coup de ses propres nectars mystico-guerriers, regretta la mort d'un fils qu'il avait poussé à s'engager sur le front avant même l'âge requis tandis que lui restait à écrire chez lui.
Sacrifier son enfant à Dieu ou au sexe, à la patrie ou à la révolution, à la droite ou à la gauche, à la norme ou à la transgression, c'est tout comme.
Les enfants, dans les deux scénarios, ne sont pas des êtres de chair et d'os mais des témoins d'un engagement.
Faire dix gosses, affubler les fillettes de longues jupes et raser les garçons, les embrigader dans des camps où soumission et confession détruisent la liberté, ou bien changer de partenaire tous les deux ans, pondre des gamins de temps en temps avec diverses personnes, et leur laisser entendre qu'on baise avec un pote dans la pièce à côté, c'est tout comme.
Même déconnexion totale entre les idées éducatives et la réalité du cœur et du corps des petits êtres qui poussent. Même oubli qu'un homme est un mammifère et un poète, avec des besoins collectifs et des désirs individuels qui n'appartiennent pas au monde des idées, religieuses ou politiques, mais au cœur de l'expérience quotidienne.
Être l'enfant d'un parent qui trouve consternant l'image d'une famille tranquillement assise autour de la table pour déjeuner ; être l'enfant d'une mère contente de faire enfin subir à son fils ce que des filles ont longtemps subi par leurs pères (l'humiliation, le mépris sexuel, la haine sournoise, la pitié assassine) ; être l'enfant de parents qui trouvent merveilleux de baiser devant leurs gosses, d'embrasser des inconnus dans la rue pendant qu'il attend à côté, seul dans l'immensité de son désespoir.
Et surtout, être l'enfant de parents fiers de leur révoltes, qui considèrent que leurs rejetons sont de petits bourgeois à tendance conservatrice. Comment, enfant de sperme inconnu, tu souhaites savoir qui es ton père ? Bourgeois ! Minable ! Ben quoi ? Ça te déplaît que j'ai payé 250 000 euros une mère porteuse pour te confectionner ? Nullard ! Bigot ! Crachouillis d'un autre siècle !
Il y a tant de points communs entre les familles chrétiennes et musulmanes traditionalistes et entre les enfants des libérés sexuels ! C'est presque la même éducation sauf que c'est l'inverse. Écraser son enfant sous le poids de son propre plaisir, le punir de ses propres frustrations, c'est ce que font les parents ultrareligieux et les parents ultralibérés.
Agenouille-toi ! Dans un cas ; Baise ! Dans l'autre. Avec la même certitude d'être génial, et que si le gosse rechigne, c'est qu'il n'a pas sa place au paradis/dans la société.
(post scriptum épuisé :
Mais le plus douloureux, c'est de voir que, vieillissants, nos parents trahissent eux-mêmes les idées pour lesquelles ils nous ont tant fait souffrir.
La fille de Mai 68 qui passait ses soirées seule à six ans... voit ses parents emmener leurs petits-enfants au Square et trouver cela délicieux.
Le fils fracassé, rendu impuissant par la peur de la damnation... découvre que son père qui tenait la cravache morale couchait avec sa belle-soeur.
Et cette fille qui a assisté l'année dernière au remariage de son père. Il y avait des petits coeurs sur les assiettes. Ne l'avait-elle pas entendu, à des âges très tendres, ricaner sur l'ordre bourgeois et lui raconter, avec force détails, mots crus, délectation vulgaire, dans quelles positions humiliantes il b... ses collègues féminines, dans ses locaux professionnels ?)
Hélène Lammermoor
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jeudi, 28 octobre 2010
Bourg choisi
bourgeois dans une vague
Extrait de La barrière et le niveau, d'Edmond Goblot.
Une étude de la bourgeoisie écrite en 1925 par ce sociologue.
On peut lire le texte en entier sur le site de l'Université du Québec à Chicoutimi
"Nous ne serons jamais assez reconnaissants à la Révolution de nous avoir donné l'égalité civile et l'égalité politique. Elle ne nous a pas donné l'égalité sociale. Les hommes de ce temps n'ont pas prévu, ne pouvaient guère prévoir cette espèce de pseudo-aristocratie qui se fonda presque aussitôt sur les ruines de l'ancienne et acheva de l'abolir en la supplantant : la bourgeoisie moderne.
Ce n'est pas que le rêve de l'égalité sociale fût étranger à l'esprit révolutionnaire. Mais, chez nos grands aïeux, ce rêve est. demeuré sentimental et ne se réalisa guère que par de nouvelles formules de politesse et le mot de fraternité. S'il s'était précisé, c'eût été sans doute dans le sens économique. On eût cherché l'égalité sociale dans le nivellement des seules richesses matérielles, comme l'ont fait plus tard les théoriciens du socialisme.
Nous n'avons plus de castes, nous avons encore des classes. Une caste est fermée : on y naît, on y meurt; sauf de rares exceptions, on n'y entre point; on n'en sort pas davantage. Une classe est ouverte, a des « parvenus » et des « déclassés » : L'une et l'autre jouissent de certains avantages, répondant, au moins dans le principe, à des charges et à des obligations, L'une et l'autre cherchent à se soustraire à leurs obligations en conservant leurs avantages. C'est par là qu'elles se ruinent : leurs avantages deviennent difficiles à défendre quand ils ne sont plus la rémunération d'aucun service. C'est alors qu'une révolution les balaie, ou qu'elles se dissolvent dans un ordre social nouveau.
Une caste est une institution, une classe n'a pas d'existence officielle et légale. Au lieu de reposer sur des lois et des constitutions, elle est tout entière dans l'opinion et dans les mœurs. Elle n'en est pas moins une réalité sociale, moins fixe, il est vrai, et moins définie, mais tout aussi positive qu'une caste. On reconnaît un bourgeois d'un homme du peuple rien qu'à les voir passer dans la rue".
Edmond Goblot
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dimanche, 11 avril 2010
Cher Hanno
J’ai rencontré Hanno Buddenbrook : ma vie est entrain de changer. Il marche à mes côtés depuis quelques jours et j’ai confiance que cette fois, c’est quelqu’un qui ne me quittera pas. Il est plus jeune que moi : qu’importe. Nous nous sommes trouvés outre-monde, là où ni l’âge, ni rien de mesquin ne se manifeste. Il a peur de son père, qu’il aime, en dépit de son indifférence apparente. Je publie ci-dessous quelques phrases de son père, et pendant que vous lisez je rejoins Hanno, mon ami, mon frère.
"J’ai l’impression qu’autrefois rien de semblable n’aurait pu m’arriver. J’ai l’impression d’une chose qui m’échappe et que je ne peux pas retenir aussi fermement que jadis… Qu’est-ce que le succès ? Une force secrète, indéfinissable, faite de prudence, de la certitude d’être toujours d’attaque… la conscience de diriger, par le seul fait d’exister, les mouvements de la vie ambiante ; la foi en sa docilité à nous servir… Fortune et succès sont en nous. A nous de les retenir solidement, par leur racine. Dès qu’en nous quelque chose commence à céder, à se détendre, à trahir la fatigue, aussitôt tout s’affranchit autour de nous, tout résiste, se rebelle, se dérobe à notre influence… Puis une chose en appelle une autre, les défaillances se succèdent, et vous voilà fini. J’ai souvent pensé, ces derniers temps, à un proverbe turc qu’il me souvient d’avoir lu : « Une fois la maison finie, la mort s’approche ». Oh ! pour l’instant, la mort, c’est beaucoup dire. Mais le recul, la descente… le commencement de la fin… Vois-tu, Tony, poursuivit-il, passant son bras sous celui de sa sœur et assourdissant encore sa voix, lorsque nous avons baptisé Hanno, te rappelles-tu, tu m’as dit : « Il me semble qu’une ère toute nouvelle va s’ouvrir ! » C’est comme si je t’entendais encore, et les événements ont paru te donner raison, car aux élections au Sénat la fortune m’a souri, et, ici, la maison s’élevait à vue d’œil. Mais la dignité de sénateur et la maison ne sont qu’apparences, et je sais, moi, une chose laquelle tu n’as pas encore songé ; je la tiens de la vie et de l’histoire. Je sais que, souvent, au moment même où éclatent les signes extérieurs, visibles et tangibles, les symptômes du bonheur et de l’essor, tout déjà s’achemine en réalité vers son déclin. L’apparition de ces signes extérieurs demande du temps, comme la clarté d’une de ces étoiles dont nous ne savons pas si elle n’est pas déjà sur le point de s’éteindre, si elle n’est pas déjà éteinte, alors qu’elle rayonne avec le plus de splendeur. »
Ils se tut et ils marchèrent un moment sans mot dire, tandis que le jet d’eau clapotait dans le silence et qu’un chuchotement passait dans la ramure du noyer.
Thomas Mann, Les Buddenbrook, trad Geneviève Bianquis
Pauvre Hanno, dont le père, dans un reniement intérieur, rêve d'un autre enfant que toi :
« Quelque part grandit un enfant bien doué, accompli, capable de développer toutes ses facultés, un enfant qui a poussé droit, sans tristesse, pur, cruel et gai, un de ces humains dont le seul aspect augmente le bonheur des heureux et pousse au désespoir les malheureux”.
Photos de Sara
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dimanche, 27 décembre 2009
Les quartiers populaires
Bourgeois, vous n'aimez pas les riches : vous préférez les pauvres, car vous êtes infiniment de gauche. Alors vous dites, "pouah, les quartiers riches sont morts ! je préfère les quartiers populaires". Et vous vendez vos appartements des longues avenues du septième arrondissement, et vous achetez des "surfaces originales" là où les poubelles débordent, où les gens crachent sur le trottoir, où les enseignes multicolores sont écrites dans toutes les langues.
Mais votre gloire d'être peuple, qui en paye le prix ? Eux.
Ceux qui partent, refoulés toujours plus loin, vers le périphérique, puis de l'autre côté du périphérique, puis plus loin encore dans les banlieues ; ceux que vos euros patentés chassent des immeubles que vous restaurez pour votre plus grand confort. Depuis cinquante ans, combien de familles, combien de vieux, combien d'ouvriers, d'employés avez-vous bouté hors de Paris, sans vous en rendre compte, en colonisant leurs parcelles de "terres" urbaines durement louées, en y confectionnant de luxueuses salles de bains et cuisines, en disant : "pouah ! les quartiers riches me dégoûtent. Ils sont trop propres. Je veux la zone, je veux le peuple, je veux la racaille !"
Et Paris devient de plus en plus cher et ceux qui s'y maintenaient encore doivent fuir les loyers que votre simple présence élève, pour s'exiler hors les enceintes de LEUR ville.
Vous aimez les quartiers populaires - mais vous embourgeoisez tout ce que vous touchez. Vous qui n'aimez pas les riches, vous qui passez vos vacances d'hiver au ski, vos vacances d'été à la mer.
$€£ Édith de CL $€£
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lundi, 14 décembre 2009
Dictionnaire de la délivrance psychique 6
Couple : institution mouvante constituant l'unité de base de l'ordre sexuel, moral et économique.
Entité de deux personnes menant une vie commune. Se mettre en couple : s'agréger à quelqu'un pour former une entité acceptable socialement et invitable aux dîners des toutes petites, petites, moyennes et grandes bourgeoisies.
Selon l'idéologie du milieu ambiant au couple, celui-ci peut être formé comme suit :
- de deux personnes de sexes différents et être indissoluble ;
- ou bien de deux personnes de sexes différents et être modifié à tout moment lors de la lassitude d'un partenaire, qui se détache alors de ce couple pour en former aussitôt un autre ;
- ou bien être formé de deux personnes de même sexe.
Afin de n'être pas considéré comme un pervers potentiel, un homme qui n'est pas en couple, à partir de trente ans, doit afficher une vie sexuelle avouable - c'est à dire être un homme à femmes ou bien un homosexuel à partenaires variables, selon l'idéologie du milieu ambiant.
Afin de n'être pas considérée comme quelqu'un de profondément déficiente, non épanouie, ayant raté sa vie, une femme qui n'est pas en couple, à partir de trente ans, doit afficher une vie sexuelle de "femme libérée", multipliant les partenaires amoureux (et pas seulement sexuels, ce qui la plongerait dans la case des "putes").
Cas des enfants :
Le couple parental s'étant dissout, la vie des enfants est tributaire des nouvelles mises en couples parentales. Il est considéré que leur bien être ne saurait gêner les vies amoureuses des parents. Il est de bon ton de ne pas évoquer les mésententes, sentiments de rejet, d'abandon et d'intrusion éventuellement ressentis par les enfants vis à vis de leurs "beaux-parents". Par ailleurs, penser que la vie amoureuse des parents serait compliqué pour un enfant constitue en soit une forme de "fascisme" néfaste pour la société. Un parent ne se remettant pas en couple dans les cinq ans est considéré comme faisant peser son mal-être sur les enfants, nuisant ainsi à leur développement harmonieux.
Sous la direction de Conan Kernoël
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mardi, 09 décembre 2008
1007-2007 : la fortune d'un mot
2007 : Le Bourgeois fête ses mille ans cette année.
Par Sara
La première fois qu'il est nommé, c'est en l'an 1007 : une Charte émanant du Comte d'Anjou, Foulques Nerra, établit un "bourg franc" auprès de l'Abbaye de Beaulieu près de Loches. Ses habitants sont affranchis de toute servitude ou impôt. Mais la Charte énonce une menace à l'encontre de ses habitants ; "Si les bourgeois s'attaquent aux moines ou à leurs serviteurs et s'emparent de leurs biens, ils paieront une amende de soixante livres." C'est la première fois que le bourgeois fait irruption dans un texte, souligne Régine Pernoud, et c'est justement pour prendre des garanties contre lui.
Dès sa naissance, on le craint. Non seulement le bourgeois s’est attaqué aux moines et aux abbayes mais aussi aux seigneurs dans leurs châteaux et au menu peuple à qui il a toujours menti. Toute cette société du Haut Moyen Âge était ébranlée deux cents ans après. Huit cents ans après, il n'en restait plus rien. Le bourgeois avait fait sa révolution, l'avait gagné et tout le monde était au pas. Sa naissance, il la devait à une société close dans laquelle, fils perdu, il n'avait pas sa place : il s'est inventé en essayant de survivre grâce au commerce. Il a admirablement réussi.
Aujourd'hui, il est innombrable. Il est propriétaire, son épargne est bien placée ; il est gros ou petit-bourgeois qu'importe. Il a une particularité : on ne le rencontre jamais. Il est quasi impossible d'en rencontrer un. Omniprésent, il n'est nulle part.
Pourtant, l'ouvrier, lui-même, s'est embourgeoisé ; le fonctionnaire l'est. Le fond du bourgeoisisme, c'est la propriété, c'est l'usus et l'abusus, le droit d'user et d'abuser de son bien - contre la coutume du haut moyen âge - tiré du droit romain et consacré par le code Napoléon. Qu'on dresse la liste de ceux qui ne sont propriétaires de rien, ni de leurs champs, ni de leur toit, ceux qui n'ont ni voiture, ni sicav… On trouvera des imprévoyants, des SDF, des mères de familles chargées d'âmes trop nombreuses.
Le bourgeois est l'objet de toutes les envies, de tous les désirs, il est le modèle et en même temps le repoussoir, l'objet de la risée de tous et surtout de ses fils. Molière l'a ridiculisé, Baudelaire le détestait, Sartre l'abominait, les soixante-huitards l'exécraient.
Sa fortune tient en peu de mots : le bourgeois, cela n'est jamais soi-même, c'est l'autre.
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