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dimanche, 28 octobre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Les poussins refusés

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Les poussins refusés

 

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Poussins et œufs non encore éclos jetés dans une benne d’un couvoir.
Phot Jean-Luc Daub

 

Il existe une autre situation dramatique, c’est celle des poussins refusés. Cette situation n’a rien à voir avec les abattoirs directement, elle concerne les couvoirs de poussins. Il s’agit de poussins d’un jour qui font l’objet d’une destruction massive. Dans un couvoir, par exemple lorsque 800 000 poussins naissent par semaine, il y en a 400 000 qui sont jetés, parce que non conformes. Si l’on fait naître des futures poules pondeuses, la moitié des poussins seront des mâles qui ne seront pas gardés. Les poussins estropiés, les naissances tardives, les œufs non éclos, les « non conformes » sont également jetés. Pendant longtemps, ces poussins refusés étaient simplement jetés vivants dans des bennes avec les coquilles vides. Dans un abattoir, en l’an 2000, un chauffeur m’avouait chercher des bennes dans un grand couvoir rempli de poussins vivants en partance pour l’équarrissage. Ce qui est interdit, car aucun animal vivant ne peut entrer dans un centre d’équarrissage. J’ai fait une enquête auprès du couvoir en question qui refusa de me laisser visiter les lieux. Le directeur m’indiqua que les poussins refusés passaient dans le système d’aspiration sur lequel trois coudes avaient été installés, censés tuer les poussins au passage.

 

Dans d’autres couvoirs, les poussins sont jetés dans des poubelles qu’on entasse l’une sur l’autre afin de les faire mourir par écrasement. Dans d’autres encore, les poussins sont enfermés dans des sacs où ils meurent d’étouffement. Il existe des établissements où l’on tue les poussins en les mettant dans des caissons sous vide d’air dans lesquels on injecte parfois du gaz carbonique. D’autres possèdent des broyeurs qui, comme leur nom l’indique, broient les poussins. D’autres encore possèdent des rouleaux écraseurs : les poussins passent entre deux cylindres qui les écrasent et leur assurent la mort. Dans tous les cas, bien qu’atroces, la loi exige un appareil qui correspond à « un dispositif mécanique entraînant une mort rapide », conformément aux dispositions de l’article 7 de l’arrêté du 12 décembre 1997. Donc, le broyeur et les rouleaux écraseur. Pour que leur mort soit la plus douce possible, la méthode du caisson avec injonction de CO² serait préférable pour ces millions de poussins dont se débarrassent les couvoirs.

 

 

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Élevage industriel de poules pondeuses (Code 3 sur les œufs)
Phot Jean-Luc Daub

 

 

 

dimanche, 21 octobre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Une petite vache dans le box rotatif

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

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Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

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Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Une petite vache dans le box rotatif

 

Je me souviens tout particulièrement d’un abattoir qui était classé « lanterne rouge » parmi les abattoirs, et juste en face duquel se trouvait le siège de la Direction des Services Vétérinaires. Arrivé vers 5 heures du matin, je me suis présenté à un responsable. Cette personne n’avait pas de temps à me consacrer et m’a laissé visiter les lieux seul. Je me suis équipé de ma blouse, mes bottes et mon casque et me je suis dirigé vers la porcherie. Il faisait un froid glacial ce jour-là. Des cris d’animaux s’échappaient des postes d’abattage. Une intense activité régnait.

 

Dans la porcherie, les porcs se comptaient par centaines. Ils attendaient leur tour avant la mise à mort. Le mélange des lots ne provenant pas du même élevage faisait que les porcs, déjà stressés par le changement d’environnement et par le transport, s’agressaient mutuellement en se mordant les uns les autres.

 

Un employé est venu chercher un groupe de cochons. Ces derniers ne voulaient pas avancer dans l’étroit couloir qui menait au poste d’abattage. L’employé les frappait sans ménagement à l’aide d’un bâton. Il les faisait entrer un par un dans un Restrainer où ils étaient étourdis en recevant un choc électrique entre les oreilles. Les cochons étaient ensuite expulsés sur une table, un employé les suspendait par une patte arrière et effectuait une saignée sous la gorge, en principe avant que l’animal ne se réveille.

 

Les cochons qui ne voulaient pas entrer dans le tunnel étaient poussés au moyen d’un fil électrique qui leur envoyait des décharges. Les animaux hurlants entraient de force dans le tunnel. Certains étaient mal étourdis et c’est en pleine conscience qu’ils étaient suspendus et saignés.

 

L’abattage rituel musulman était pratiqué dans le local d’abattage des bovins. L’employé avait fait rentrer une vache de petite taille dans le box rotatif. Il a fait basculer le box, mais la vache, petite, se plaça mal à l’intérieur. Il fit alors plusieurs mouvements de rotation. L’animal étant toujours mal positionné, l’employé laissa le box en position tête en bas. La tête était de travers. L’employé, alors, prit un bâton qu’il enfonça dans la gueule de la vache pour tenter par des mouvements de mettre la tête en position droite. N’y parvenant pas, il décida alors, d’enfoncer ses doigts dans les cavités orbitales des yeux de l’animal. C’est ainsi qu’il parvint à tourner la tête. Étant sacrificateur, il égorgea ensuite la vache en pleine conscience. Des employés m’ont dit que ce n’était pas la première fois qu’il s’y prenait de la sorte vu que le box rotatif était inadapté, et que personne ne lui disait rien.

 

Ce même jour, une vache était couchée, attachée dans un passage à l’extérieur. Avec un petit tractopelle, les employés voulurent la traîner sur le sol jusqu’au local d’abattage d’urgence. Ils avaient déjà attaché une patte arrière de l’animal avec une chaîne et étaient prêts à la tirer avec leur petit tracteur. Je me suis interposé. J’ai pu obtenir son abattage sur place, là où elle se trouvait immobile. Il a fallu que je négocie avec le vétérinaire pour empêcher la manœuvre qui allait être exécutée.

 

Avant de quitter l’abattoir, je m’assurai de l’état des porcs qui se trouvaient dans la porcherie pour y être abattus le lendemain. Je fis l’étrange découverte de voir deux animaux dans une caisse. Un petit cochon au regard triste, qui était blessé, avait été déposé dans un chariot roulant. Une truie avait été mise dans une caisse roulante assez étroite puisqu’elle n’avait que la place de s’asseoir. C’est dans cette position qu’elle se trouvait. Les abattages sur la chaîne des porcs étaient terminés, et les locaux, le Restrainer, le matériel avaient été nettoyés. Autant vous dire que j’ai vu rouge ! Je suis allé trouver le vétérinaire inspecteur pour lui montrer les deux animaux qui n’avaient pas été pris en charge et qui devaient vivre une nuit supplémentaire, péniblement, dans l’abattoir. Le vétérinaire, dont les compétences étaient larges, mais qui se limitait à l’inspection des carcasses de viande avait bien compris mon mécontentement. Il est alors parti rechercher les employés dans les vestiaires. Il les a obligés à remettre toute la chaîne d’abattage des porcs en route pour mettre fin à la vie de ces deux animaux. Les employés n’étaient pas très contents et me jetaient des regards haineux. Ils rétorquèrent au vétérinaire, qui ne semblait pas être au courant : « Mais, on fait toujours comme cela… ». L’inspecteur vétérinaire mandaté par les services vétérinaires répliqua : « Ah, je comprends maintenant pourquoi je retrouve tant de cadavres de porcs le matin lorsque j’arrive ! ».

 

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Vache n’en pouvant plus d’être prisonnière dans un camion au plafond très bas.
Phot Jean-Luc Daub

 

 

 

dimanche, 14 octobre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Marie

 

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Bovins qui cherchent de l’air à travers la lucarne d’un camion.
Phot Jean-Luc Daub

 

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

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Marie

 

 Marie était une vieille femme de bonne santé, à la chevelure grise et longue. Elle portait les cheveux lâchés. Son visage buriné par le temps et ses mains trahissaient un intense travail de la terre.

Marie a toujours été agricultrice. Dès sa plus tendre enfance, elle travailla avec ses parents, et poursuivit cette activité jusqu’à aujourd’hui, à l’âge d’une retraite bien méritée. Marie ne savait pas s’arrêter, c’était le temps qui tentait de l’arrêter, en dressant devant elle maints obstacles, toujours plus difficiles à surmonter. Mais cette dame, âgée aujourd’hui de 94 années, ne se démontait pas et survivait malgré ses vieux os en continuant à travailler la terre et à s’occuper de ses bêtes. Au moment où je l’ai connue, elle possédait six vaches, quelques chiens et de nombreux chats qui se reproduisaient sauvagement. Elle vivait entourée d’animaux, de chiens affectueux, et de chats à moitié sauvages qui la considéraient comme la chef de meute. Marie était veuve. Elle habitait seule en centre Bretagne, dans un lieu-dit où il y a peu d’habitants. Elle ne faisait plus ses courses elle-même. Une jeune femme dévouée et possédant un véhicule les faisait pour elle. Marie habitait à cinq kilomètres du bourg, elle ne possédait pas de voiture, elle n’avait d’ailleurs pas le permis et, à son âge, elle ne pouvait plus s’y rendre à pied. Son mari agriculteur n’avait pas connu la mutation moderne de l’agriculture. Il est mort il y a maintenant trente ans. Cependant elle pensait le voir encore, et notamment lorsqu’il revenait accompagné des gendarmes qui le recueillaient parfois sur la route en état d’ébriété. Marie me disait que les « gens d’arme » le ramenaient souvent à la maison, car il avait la fâcheuse habitude d’aller au bourg pour se livrer à la consommation d’alcool dans un bar fréquenté. Marie se soignait avec des remèdes à elle, des plantes. Elle n’avait pas la télévision, mais elle n’avait pas non plus l’électricité. Pourtant, elle possédait un frigidaire pour y ranger sa nourriture, et après tout, un frigidaire même sans électricité, cela sert à ça !

Marie cuisinait, elle préparait des pommes de terre de son jardin, de la soupe et des omelettes grâce aux œufs pondus par les quelques poules qui vivaient comme elle, dans un lieu dégradé par l’œuvre du temps et les éléments du ciel. Notre gentille dame ne se servait pas d’une cuisinière ou d’un four pour la cuisson de sa nourriture. Lorsqu’elle m’invita dans une sorte de pièce à vivre, je fus surpris de voir une marmite bouillonnante léchée par les flammes d’un feu de cheminée. Du bois de chauffage était éparpillé sur le sol. Il ne faut pas s’imaginer de belles bûches bien rangées, il s’agissait de morceaux de troncs d’arbres pourris, de branchages. Le sol de cette pièce, qui était la cuisine, était composé de terre battue, comme dans l’ancien temps. Le sol était creusé par le va-et-vient incessant de toute une longue vie. Un tas de détritus s’amoncelait sur une table, (des assiettes, des bols, de la nourriture avariée, des journaux pourris…). Sa cuisine était un peu insalubre, pour nous autres qui vivons en appartement ou possédons une maison bien ordonnée. Des monticules de vêtements déchirés, salis par les animaux traînaient dans la boue, laissés çà et là. Tant d’objets encombrants occupaient la pièce qu’il n’y avait plus de place, juste une chaise pour s’asseoir devant… la télévision j’allais dire, non, la cheminée ouverte. Sur les murs, il n’y avait plus de fenêtres, et il n’y avait pas de porte non plus. La cuisine donnait directement sur l’extérieur et la pluie se donnait un malin plaisir à s’y engouffrer. Par mauvais temps, l’eau s’écoulait du plafond dans les parties habitables. C’était pareil pour sa chambre, qui se trouvait de l’autre côté du bâti avec l’étable des vaches, l’eau s’y infiltrait sans complexe. Des tas d’objets encombrants et des vêtements usagés traînaient partout, tout était livré à l’abandon.

Sa maison, faite de plain-pied, était devenue vétuste. Le toit n’était plus étanche, des murs s’écroulaient. Oh… Marie a bien voulu faire refaire sa cuisine avec l’aide d’un homme bricoleur de confiance, qu’elle paya malheureusement d’avance. Profitant de la vulnérabilité de Marie, cet homme qui s’avéra sans scrupule disparut sans faire les travaux.

Marie était gentille et accueillante. Pourtant, j’étais venu pour un problème de protection animale. Lorsque j’arrivai sur la propriété, je dus me glisser sous les fils barbelés qui clôturaient l’espace des animaux, qui était aussi le sien, pour tenter de la trouver. Après avoir fait le tour des lieux, je compris vite que j’avais affaire à une situation sociale critique. Au loin, dans un champ labouré, je vis une silhouette qui déambulait entre de vastes et profonds sillons de terre. C’était Marie. On m’avait parlé d’une femme de 80 ans, je ne pensais pas la voir traverser un champ retourné, suivie d’une meute de chiens. Elle avait une chevelure longue et décoiffée, une démarche chaotique, des jambes arquées, un pantalon dans les bottes et un gros pull.

Tout cela ne me permettait pas de porter mon regard sur l’apparence d’une personne classique, ni même sur une dame d’un certain âge. Bien des personnes âgées se déplacent difficilement, alors que Marie marchait sans peine dans les crevasses. Elle vint vers moi. On m’avait dit qu’elle avait un fusil, mais je n’ai rien vu de cela. Je me suis présenté, elle était ravie de ma présence, je pense qu’elle n’avait pas compris que je venais pour voir l’état de ses animaux. Je suis allé voir avec elle les animaux. Aucun ne semblait souffrir. Par contre une génisse me suivait et se collait à moi. Marie me dit alors qu’elle se comportait comme cela parce qu’elle était amoureuse de moi.

Marie me proposa un café que j’acceptai. Nous allâmes dans sa cuisine. Elle prépara le café dans une casserole noire de crasse, puis elle nettoya devant moi les tasses avec l’eau de la gamelle des chiens. Que pouvais-je faire ? Me sauver en courant ? Non, j’avais décidé de lui tenir compagnie en buvant le café de l’amitié. Nous nous sommes installés dehors sur deux chaises devant la maison, les tasses étaient posées sur une cuisinière toute rouillée qui ne servait à rien, sinon à remplacer une vraie table. J’ai quitté cette dame avant la tombée de la nuit en lui promettant de revenir. Ce que je fis. Un été, je suis revenu avec un ami. Nous lui avons coupé du bois pour sa cheminée, et nous avons un peu rangé. Mon ami refusa de boire un café, trop sale à son goût. Il faut dire que lorsqu’elle sortit du pain, un asticot y faisait sa vie. Mon ami, un vaillant jeune homme, osait à peine s’asseoir sur la chaise proposée par Marie. Il s’y tenait en équilibre en y posant le bout de ses fesses, prenant appui sur ses jambes. Quant à moi, je n’avais de telles réserves. Marie ne semblait pas malade, pourquoi l’aurait-elle été ?

Marie était généreuse, elle voulut nous récompenser. Avec sa bêche, elle sortit du sol des pommes de terre qu’elle nous donna. Puis, elle me dit : « Un homme, il faut que ça mange, je vais vous faire des œufs », et là j’ai dit non, en prétextant que ce serait pour une autre fois. Nous ne savions pas trop si les œufs étaient frais. Mais Marie ne voulait pas nous laisser partir, elle ne recevait pas beaucoup de visite.

J’ai connu Marie parce qu’une plainte avait été déposée à l’association, concernant ses vaches qui auraient été victimes de maltraitance. Je n’ai rien vu d’anormal. J’ai rencontré Marie parce que quelqu’un lui voulait du mal, quelqu’un qui avait entendu quelqu’un, qui avait dit à quelqu’un d’autre que les vaches étaient maltraitées ! Je lui avais pourtant dit, à Marie, que je venais pour ça, mais je crois qu’elle ne comprit pas bien, car elle m’accueillit à bras ouverts. Elle était une voisine dérangeante parce qu’atypique. C’est vrai, ses vaches divaguaient parfois, ses chiens aussi, de plus ils aboyaient, elle avait aussi une multitude de chats. Des gens convoitaient son terrain. Une voisine n’était pas contente parce qu’une génisse s’était retrouvée sur sa belle pelouse. Les chiens qui posaient des problèmes allaient être euthanasiés. Un marchand de bestiaux lui faisait du chantage en tentant de la voler. Il voulait acheter son taureau pour une bouchée de pain, et il menaçait de venir le lui prendre de force. Les gendarmes s’étaient déplacés plusieurs fois. Un agriculteur lui avait vendu du foin, mais il était de très mauvaise qualité. Que de gens malhonnêtes gravitaient autour d’elle !

Par la suite, j’ai pris contact avec l’assistante sociale de la MSA (Mutuelle Sociale Agricole) pour voir ce qui pouvait être fait pour ne pas laisser à l’abandon cette vieille dame, qui vivait hors du temps et de tout lien social. J’ai également contacté la mairie du bourg. Marie aurait refusé les services d’une aide ménagère, ainsi que la vente au marché à bestiaux de ses bovins, car elle avait peur de ne pas recevoir le « bon prix ». Marie était devenue méfiante à l’égard de tout le monde.

Quelques années ont passé sans que j’aie eu le temps de la revoir ou de m’occuper d’elle. Habitant en Alsace, et ayant d’autres occupations, j’ai laissé les voisins et les professionnels de son secteur s’occuper d’elle. J’ai repris contact avec une dame qui se consacrait un peu à elle. J’ai donc pu avoir des nouvelles et connaître l’évolution de sa situation. Aujourd’hui Marie est dans une maison de retraite, elle ne peut plus marcher, elle vit en fauteuil roulant. Elle a 94 ans. Sa situation s’était dégradée dans la propriété où elle vivait. Le maire de la commune et l’assistante sociale de la MSA n’auraient rien fait pour l’aider. Un homme, dont je ne connais pas l’identité, appela un jour le médecin du bourg. Il se préoccupait de l’état de santé de Marie. Elle ne s’alimentait plus, et ne pesait plus que trente kilos. Elle était mourante selon le médecin.

De plus, elle avait perdu la tête, et c’est en psychiatrie qu’elle fut orientée de force pour y être soignée. Avant de s’en sortir, et bien qu’étant d’une certaine manière placée dans un cadre sécurisant, Marie a connu l’enfer car sa prise en charge psychiatrique dura trois ans : trois années d’enfermement, pour elle qui a toujours vécu en toute liberté, et constamment à l’extérieur. Il a fallu la maintenir en service fermé, car elle n’avait qu’une idée en tête : quitter l’hôpital et retourner chez elle. Souvent, avec ses affaires sous le bras, elle prenait la direction de la sortie. Mais les portes étaient closes. Lors de son hospitalisation, il lui restait quatre vaches qui ont été vendues. Une dame de la SPA la plus proche, Loudéac, réussit à placer seize chiens. D’autres sont partis vers la SPA de Saint-Brieuc, deux se seraient échappés de cette SPA et trois ont dû être « piqués », parce qu’ils n’étaient pas « adoptables » m’a-t-on dit. Il y avait une trentaine de chats, dont la plupart ont été tués à coup de fusil. Un voisin excédé aurait même crevé l’œil d’une vache à coup de fourche. Sa maison et sa propriété ont été vendues à des Anglais.

La dame qui m’a gentiment renseigné lui rend visite régulièrement en lui apportant du chocolat et des gâteaux. Il semblerait que Marie évoque les visites que je lui faisais, elle se souviendrait de moi. Cette dame m’a prié de venir voir Marie à la maison de retraite, lors de mon prochain séjour en Bretagne. Sur son lit de chambre, là-bas, elle a un chien en peluche comme animal de compagnie.

 

 

 

dimanche, 07 octobre 2012

Ces bêtes qu’on abat : La fin des coches à l’abattoir

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

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Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


La fin des coches à l’abattoir

 

Dans les abattoirs, je pouvais voir des coches regroupées dans des cases d’accueil, présentant des abcès, des escarres, des cachexies, des tétraplégies, des boiteries, des prolapsus1, retournement de matrice… Bref, des animaux en souffrance qui auraient dû faire l’objet de soins vétérinaires, voire d’une euthanasie en élevage. Mais selon les dires d’un éleveur, les soins vétérinaires reviennent plus chers que le prix de l’animal lui-même. Le calcul est donc vite fait. Il arrivait souvent qu’un éleveur envoie à l’abattoir une coche douteuse, tout en sachant qu’elle ferait l’objet d’une saisie, mais cela permet de s’en débarrasser : l’abattoir s’occupe de la mise à l’équarrissage si une euthanasie est faite.

 

Traces de blessures sur tout le corps de cette pauvre truie qui ne peut pas marcher.
Phot Jean-Luc Daub

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En 1997, j’avais déjà soulevé le problème de la prise en charge des coches blessées. Dans un abattoir des Pays de la Loire, un vétérinaire souhaitait mener des actions conjointes avec l’association pour laquelle je travaillais. Mais les dirigeants de l’association n’ont jamais donné suite à la demande du vétérinaire soucieux d’enrayer la maltraitance que subissaient les coches. Le dossier était trop lourd, et puis nous aurions dérangé le Ministère de l’Agriculture, les services vétérinaires et les professionnels de la filière porcine. Le Ministère de l’agriculture, la Direction Générale de l’Alimentation plus précisément, qui avait été informée de ce dossier à la suite de mes enquêtes, n’avait pas donné suite, ni en 1997, ni en 1998, ni en 2001, ni en 2002 et ni en 2003. Pourtant, c’était un gros problème que bien des responsables d’abattoir auraient aimé voir résolu par une action radicale de la part du ministère.

 

L'origine du problème, outre les conditions d’élevage, vient du fait que rien n'est prévu en élevage industriel quand une coche se démarque du lot en ne pouvant plus se tenir debout ou en étant blessée. On ne fait toujours pas venir un vétérinaire. Une inertie de la part des éleveurs est constatée. « On ne fait pas appel au vétérinaire. Trop cher ! On tente parfois de soigner soi-même, et il pouvait y avoir trente à soixante injections sur le même animal », me disait le vétérinaire inspecteur, écœuré des pratiques et du laxisme. La pratique voulait que l’éleveur tente de soigner lui-même la truie malade ou blessée en jouant aux apprentis sorciers. En cas d’échec, il laissait l’état de l’animal se dégrader jusqu’à l’agonie lente pour le faire partir avec un lot. Il faut également savoir qu'aucun contrôle des services vétérinaires n'est prévu dans les élevages intensifs en matière de protection animale. Seules des visites sur les installations classées sont effectuées. « On nous demande de ne pas intervenir, il y a des pressions », m'indiquait le vétérinaire.

 

Les responsables d’abattoirs se seraient bien passés de ces animaux qui souillent les chaînes d’abattage, me confia l’un d’entre eux. Les transporteurs ont beaucoup de mal à charger ces coches qu’ils vont chercher dans les élevages durant la nuit. Elles peuvent peser jusqu’à 250 kilos, voire 300 kilos. Il faut s’imaginer que si l’une d’entre d’elles s’écroule sur le lieu d’élevage dans sa misérable cage métallique, c’est parce qu’elle est arrivée au bout de ce qu’elle pouvait supporter, parce qu’elle n’en peut plus d’être sans cesse inséminée artificiellement et sans cesse, qu’elle devient encombrante et ne répond plus à une prise en charge classique. Tout est mis en œuvre pour, coûte que coûte, charger dans le camion cette coche incapable de marcher. Un chauffeur se plaignait d'être seul pour charger les bêtes. Il commençait sa tournée à une heure du matin. Lorsque des coches blessées étaient mises en évidence afin d’être chargées, il faisait face à d'énormes difficultés pour les emmener. Soit elles étaient chargées à l'aide d'un treuil, soit elles étaient tirées par les oreilles ou par les pattes. Son patron lui demandait de ne pas les emmener, mais les éleveurs insistaient. Cette pression est toujours d’actualité, puisque dans le dernier abattoir de coches que j’ai visité, le directeur m’a dit que les éleveurs obligent les transporteurs à prendre celles qui sont pourtant déclarées inaptes au transport en raison de leur état de santé. De même, le directeur d’un abattoir de coches que j’ai visité récemment m’avoua qu’il était bien obligé de prendre des bêtes qui ne devraient pas arriver en abattoir, sans quoi, ses clients (éleveurs ou groupements d’éleveurs) allaient voir la concurrence, souvent vers des abattoirs plus complaisants. De plus, une baisse des approvisionnements en coches est actuellement importante, car de nouveaux acheteurs comme l’Espagne, l’Allemagne, la Belgique sont plus offrants, et moins regardant dans leurs abattoirs sur la législation européenne à appliquer. C’est encore ces pauvres coches qui en font les frais. Imaginez ces bêtes qu’on a enfermées dans des cages en fer, qui n’ont jamais marché, ni fait d’exercice fortifiant leurs muscles, et qui doivent se tenir en équilibre dans les camions qui partent de Bretagne vers les pays que j’ai énumérés ! Là encore, bien qu’il soit humain de comprendre le souci financier des éleveurs, pensent-ils seulement à ce qu’ils font subir à leurs animaux ?

 

L’arrêté du 5 novembre 1996, modifié par l’arrêté du 24 novembre 1999 relatif à la protection des animaux en cours de transport précise : Art 2 – sont considérés comme inaptes au voyage : les animaux malades ou blessés. Cette disposition ne s’applique ni aux animaux légèrement malades ou blessés dont le transport ne serait pas cause de souffrances…

 

Le décret n° 99-961 du 24 novembre 1999 modifiant le décret n° 95-1285 du 13 décembre 1995 relatif à la protection des animaux en cours de transport stipule qu’il est interdit à tout transporteur ainsi qu’à tout propriétaire, expéditeur, commissionnaire, mandataire, destinataire ou tout autre donneur d’ordre d’effectuer ou de faire effectuer un transport d’animaux vivants si les animaux sont malades ou blessés, ou sont inaptes au déplacement envisagé ou s’il s’agit de femelles sur le point de mettre bas, sauf dans le cas de transports à des sanitaires ou d’abattage d’urgence.

 

La réglementation européenne (n°1/2005 CE) protégeant les animaux lors des transports renforce ces dispositions en précisant la notion d'aptitude au transport. Sont notamment considérés inaptes au transport : « les animaux incapables de bouger par eux-mêmes sans souffrir ou de se déplacer sans assistance et les animaux présentant une blessure ouverte grave ou un prolapsus ». Avec ces réglementations, il ne devrait pas y avoir de problème. Mais tel n’est pas le cas.

 

Dans l’abattoir où travaillait le vétérinaire dont j’ai rapporté les propos, les abattages des porcs et des coches n'avaient lieu que le matin. Or, les camions déchargeaient toute la journée des animaux. Ce qui faisait que toutes les coches en mauvais état, à partir de midi, devaient attendre le lendemain matin avant d'être abattues. Elles étaient déchargées dans une case à part et sans possibilité d’être abreuvées. Certaines agonisaient avant leur abattage, d’autres mouraient tout simplement des suites de leurs blessures. Le vétérinaire n’osait pas euthanasier celles qui étaient mourantes, parce qu’il fallait faire ensuite face au mécontentement de l’éleveur à qui il devait justifier son acte. Sa compétence était souvent remise en cause par certains éleveurs qui voulaient tirer quelque argent des bêtes accidentées ou malades.

 

Dans cet abattoir de Mayenne, j’avais pu assister au déchargement de plusieurs camions. Dès le matin, le chauffeur d’un groupement avait déchargé une coche blessée qui présentait des hématomes, des escarres et un abcès volumineux survenu à la suite d’une fracture ancienne à la patte arrière. Elle était dans un état de maigreur extrême : elle avait été laissée sans soins et sans nourriture plusieurs semaines, selon le vétérinaire. On la descendit du camion en la traînant sur le sol, tirée par une patte au bout d’un câble métallique. Le sol agissait comme une râpe qui lui arrachait la peau. La pratique était courante et ne choquait personne. La coche fut euthanasiée sur place à l’initiative du vétérinaire qui avait effectué une saisie de l’animal, mais sans dresser de procès-verbal pour avoir laissé une truie dans un tel état, pour avoir transporté un animal déclaré inapte au transport et pour l’avoir déchargé au treuil. L’ensemble des faits était pourtant sujets à sanction par procès-verbaux, mais la pression et les menaces étant une chose réelle, le risque de faire perdre le client à l’abattoir aussi, ces paramètres n’étaient pas négligés par les services vétérinaires. Il m’a été dit par un vétérinaire inspecteur : « Si je dressais des procès-verbaux, je ne ferais plus que cela ! ». S’ensuivit le déchargement d’une autre coche présentant un renversement de rectum qui avait été réduit, coupé et pincé. Une autre avait une paralysie arrière. Un petit cochon avait une queue nécrosée qui était tombée (blessure ancienne). Une autre coche boitait de façon prononcée. Une autre présentait des abcès multiples, des traces profondes de la ceinture d'attache qui la fixait au sol sur son lieu d'élevage et des traces d'injection importantes. Trois coches furent amenées ensemble par un transporteur, aucune ne pouvait marcher, elles étaient dans un état critique. Elles furent déchargées à l'aide du treuil. Le chauffeur attacha les coches par une patte arrière et les tira en dehors du camion en les suspendant l’une après l'autre de façon à ce qu’elles ne touchent plus le sol en les poussant, comme si elles n’étaient déjà plus que des carcasses de viande, vers la case de stockage. Par deux fois, le chauffeur déposa les coches sur un petit cochon noir souffrant et couché. Celui-ci, ne pouvant se dégager, hurlait de toutes ses forces et faillit mourir étouffé. J’ai dit au vétérinaire : « Faites quelque chose ! », et ce n’est que sur mon intervention que le petit cochon noir fut libéré. Le cochon agonisait, il resta ainsi jusqu'au lendemain matin, parce que les abattages étaient terminés ce jour-là. Malgré son état, il ne fut pas immédiatement abattu, ni aucune des coches blessées et souffrantes.

 

Les services vétérinaires avaient été informés par courrier des constatations effectuées sur des coches, dont certaines étaient accompagnées d’un relevé d'identité. Mais le vétérinaire m’indiqua que la Direction des Services Vétérinaires concernée suivrait, ou non, l’affaire. Ici, elle ne donna pas suite.

 

Des courriers ont été envoyés aux éleveurs, producteurs de porcs et groupements, à la suite des constatations et des saisies sur patte, rappelant la législation en matière de protection animale. Mais aucun changement réel ne survint. L’abattoir n’a pas intérêt à être trop strict, sans quoi les clients vont ailleurs, vers d’autres abattoirs qui ferment les yeux, m’indiqua-t-il.

 

Le vétérinaire de l’abattoir avait également constaté un manque de soins dû à une malnutrition volontaire sur les lots de porcelets réformés pour raison de surproduction. Il avait noté que certains étaient en très mauvais état. Il n’était pas question pour un éleveur de nourrir convenablement des porcelets, victimes de surproduction, qui finissaient à l’abattoir accompagnés d’une prime à l’abattage volontaire pour réguler le marché. Les éleveurs industriels et intensifs ne sont pas seuls coupables ; nous, les consommateurs, le sommes aussi, car pour l’équilibre de l’économie de la production porcine, il faudrait que l’on mange du porc matin, midi, et soir ! Le vétérinaire me disait que sur certains lots, les trois quarts étaient parfois saisis. Sur un des lots concernés, trente-six porcelets avaient été saisis le même jour.

 

L'absence de contrôle en amont dans les élevages, en matière de protection animale, et le devenir des coches malades ou blessées étaient déjà préoccupants il y a plusieurs années, mais rien n’a été fait par les instances responsables. Le vétérinaire inspecteur chargé de cet abattoir a fini par démissionner tant il lui était difficile de supporter d’être seul à agir. Il souhaitait établir une ligne d'action commune avec les Directions des Services Vétérinaires et l’association, au niveau des groupements, des élevages et des collectes afin qu'on ne retrouve plus de coches en état de misère physiologique dans les abattoirs. Le vétérinaire resta seul à se préoccuper du sort des coches de réforme. « Il y a trop de pression », me disait-il, son entourage et sa hiérarchie ne le suivaient pas. Il était même considéré comme la « bête noire », car il décelait aussi des problèmes sanitaires au niveau des viandes.

 

Concernant les coches réformées et blessées, le directeur de l’abattoir m’avait dit « qu'elles étaient bien mieux agonisantes à l’abattoir à attendre d'être abattues le lendemain, qu'agonisantes dans les élevages sans soins », prétextant qu'elles étaient ici au calme et au repos ! (…et sans une goutte d’eau à boire !).

 

Bien que les abattoirs reçoivent encore des coches blessées et que les conditions de chargement en élevage et de déchargement en abattoir soient à revoir, la situation s’est un peu améliorée pour les coches gravement malades. En effet, depuis la crise de la vache folle, les professionnels ont dû faire attention à l’état des animaux entrant dans les abattoirs. Si cette vigilance partielle des autorités compétentes (puisqu’il y encore des problèmes et des difficultés à dresser des procès-verbaux) a été mise en place, ce n’est pas par pitié pour ces pauvres bêtes ou à cause d’une prise de conscience des éleveurs porcins en intensif, mais parce que la crise de la vache folle a montré, et j’avais pu le constater dans les abattoirs, que des bêtes douteuses ou dites « à risque » passaient sur les chaînes d’abattage et se retrouvaient dans le circuit alimentaire. Toutefois, cela permit de faire baisser le nombre de coches « douteuses » arrivant en piteux état. Du moins, les services vétérinaires sont dorénavant contraints (pour des raisons liées à des risques d’hygiène alimentaire) de saisir les coches en trop mauvais état. Ils sont alors passés à des contrôles plus vigilants, qu’ils auraient pu faire auparavant pour des raisons de protection animale. De plus, les animaux malades sont maintenant théoriquement interdits d’abattoir. Ils doivent en principe être euthanasiés sur le lieu de l’élevage. C’est la crise de l’Encéphalite Spongiforme Bovine qui a impulsé ce changement de comportement. Mais le problème des coches ne pouvant se déplacer par elles-mêmes reste entier étant donné que les conditions d’élevage n’ont pas changé. Une inspectrice vétérinaire travaillant en abattoir m’a récemment confié qu’il y avait moins de coches en piteux état et que, dans le cas échéant, elles faisaient l’objet d’une saisie. En revanche, elle ajouta que celles qui étaient blessées n’arrivaient pas avec un certificat vétérinaire, alors que c’est obligatoire. Les coches « abîmées » peuvent être acceptées, mais l’éleveur doit justifier l’état de l’animal. Elle avoue qu’il n’est pas aisé de faire la différence entre « blessé et abîmé » et que, de ce fait, la situation n’était pas encore parfaite. On peut se demander ce que deviennent les coches malades si elles n’ont plus accès aux abattoirs. D’après la vétérinaire, il faut qu’elles soient soignées ou euthanasiées sur le lieu de l’élevage. Mais qui vérifie l’état de ces animaux, si les éleveurs ne font pas appel aux vétérinaires ? Il m’a été rapporté qu’une des pratiques à laquelle les éleveurs recourent pour tuer une coche qui ne sera pas admise à l’abattoir, au risque d’un procès-verbal, consiste à injecter du vermifuge dans les poumons et de la laisser mourir.

 

Pour nuancer un peu ce tableau très sombre, il y avait des abattoirs où l’on se préoccupait du bien-être animal. Ils ont en effet anticipé la demande actuelle du consommateur qui souhaite que le bien-être animal soit respecté tout au long du parcours, ce qui ne sera jamais effectif, tant que des cochons seront élevés dans des élevages intensifs qui pullulent, en Bretagne par exemple. Un abattoir m’avait particulièrement surpris, puisque des installations avaient été aménagées pour améliorer le confort des coches qui ne pouvaient plus se mouvoir. Il s’agissait, d'une berce, sorte de plateau suspendu sur un rail, qui permettait de faire basculer du camion des animaux blessés et de les transporter dans le box d’attente. On pouvait les déplacer sans les faire souffrir. Cependant, je n’en avais pas vu l’utilisation. Seules des pinces électriques avaient été installées dans le box afin d’étourdir les coches sur place, au lieu de les tirer coûte que coûte vers le poste d’abattage pour les faire passer sur la chaîne. Ainsi, les manipulations semblaient largement limitées. De plus, un service de ramassage spécial avait été mis en place par la coopérative de l’abattoir. Il fonctionnait sur simple appel téléphonique, ce qui permettait de ne plus laisser les coches blessées attendre dans les élevages. De tels aménagements sont à encourager, mais le mieux serait que les éleveurs fassent intervenir un vétérinaire sur le lieu d’élevage (comme l’exige la loi), afin qu’il effectue des soins ou qu’il euthanasie l’animal malade ou blessé. Il serait également préférable, en abattoir, de tuer dans le camion les coches qui ne peuvent se déplacer. Il faut espérer une réaction ferme pour responsabiliser les différents acteurs de cette filière afin que ce problème soit réglé une fois pour toutes.

 

Entre la fin de 2007 et le début de 2008, lors d’enquêtes faites par une association de protection animale auxquelles j’ai participé, nous avons encore constaté des problèmes concernant la prise en charge des « mal à pied » et des coches en question. Nous avons pu obtenir des résultats au cas par cas, les responsables étant soucieux d’apporter une action corrective, et peut-être de ne pas passer au journal de 20h, connaissant le pouvoir médiatique mais aussi toute la compétence et le sérieux de cette association.

 

Pour l’un des abattoirs visités en 2008, nous avons rendu compte le déchargement critique d’un porc charcutier qui ne pouvait pas marcher. Il a été soulevé par une patte avant, au bout d’un treuil, à plusieurs mètres de hauteur. Il a été sorti d’une case pour être mis dans un chariot et dirigé vers le poste d’abattage. Façon de faire assez courante, mais interdite malgré la présence des services vétérinaires. Nous avons par la suite contacté l’abattoir par courrier ce qui a permis d’obtenir un rendez-vous, puis une action corrective.

 

Dans d’autres abattoirs, nous avons vu des coches en piteux état qui n’auraient même pas, selon la réglementation, dû être transportées jusqu’à l’abattoir. Lors de deux contrôles effectués de nuit, nous avons pu voir que des coches incapables de marcher, couchées sur le flanc sur le bord du quai, étaient laissées toute la nuit en situation de souffrance. Elles avaient été déchargées au treuil, l’une d’entre elles avait encore la chaîne autour de la patte. Elles auraient pu arriver pour un abattage d’urgence, avec un certificat vétérinaire d’information, mais ce n’était pas le cas (selon les informations que nous avons obtenues). L’inspecteur vétérinaire ne dresse que six à sept procès-verbaux par an ! Là encore nous avons obtenu un rendez-vous avec la direction, qui nous a pris très au sérieux. Des mesures concrètes ont été prises comme l’interdiction de décharger la nuit, l’interdiction d’utiliser le treuil, alors même qu’un panneau était déjà en place de longue date pour rappeler au chauffeur l’obligation de faire appel à un employé spécialisé au cas où une truie serait couchée dans le camion sans pouvoir se relever. Elle serait alors euthanasiée dans le camion. Cependant, l’animal est euthanasié avec la pince électrique qui sert normalement à étourdir les animaux par un choc électrique. Mais beaucoup d’abattoirs, avec l’aval des services vétérinaires, utilisent la pince électrique pour tuer les coches ou les porcs en mauvais état. Pour moi ce n’est pas vraiment bien, car cela équivaut à une mise à mort par électrocution. Une injection intraveineuse pourrait être faite avec le produit T61, mais il est vrai qu’il est difficile de trouver une veine sur les pattes des porcs.

 

Dans tous les cas, lorsqu’une coche en mauvais état, déclarée inapte au transport, arrive à l’abattoir, elle devrait systématiquement faire l’objet d’un procès-verbal que sont habilités à dresser les services vétérinaires de l’abattoir, et cela contre le transporteur et l’éleveur. Mais, ce n’est que très rarement fait. On prend en considération les difficultés économiques que subissent les éleveurs de porcs intensifs, c’est humain. Mais prend-on en considération la souffrance des animaux provenant de ce genre d’élevage ? Cependant, dans un des abattoirs que j’ai visités, j’ai pu constater un renforcement des actions des services vétérinaires. De nombreuses coches étaient systématiquement saisies et euthanasiées. Des courriers étaient envoyés aux éleveurs, mais hélas, la réticence à dresser les procès-verbaux demeure. En ma présence, alors que le vétérinaire ne savait pas encore que nous étions là, il a effectué une saisie totale (sur pied) d’un verrat paralysé de l’arrière-train. Mais l’animal ne fit l’objet d’aucun procès-verbal alors qu’il était inapte au transport : il ne pouvait pas se déplacer par lui-même. Dans un autre abattoir, une coche blessée qui gisait sur le sol a été étourdie dans la case de stockage, puis dirigée vers le poste de saignée. Elle n’a pas fait l’objet d’un PV, alors que son état de détresse physiologique le justifiait.

 

L’amélioration, pour certains abattoirs, porte sur le fait que les animaux sont maintenant étourdis ou tués dans les camions ou dans les cases de stockage, au lieu d’être tirés coûte que coûte vers le poste d’abattage comme cela se faisait auparavant (en les traînant par les oreilles, au bout d’un câble métallique actionné par un treuil, ou à l’aide d’une barre à mine, comme je l’ai vu faire dans un abattoir de Mayenne).

 

Le problème reste entier, car si certains abattoirs ont fait des efforts en n’acceptant plus les animaux malades ou trop blessés, que deviennent-ils sur le lieu d’élevage ? Il n’est pas fait appel à un vétérinaire et l’éleveur n’a pas le droit de les tuer lui-même. Dans ce cas, que deviennent les coches en mauvais état ? Sont-elles vouées à une mort lente ? Il reste que si certains abattoirs étourdissent dans le camion ou pratiquent l’euthanasie avant le déchargement, cela doit se faire en présence des vétérinaires. Or ces derniers ne sont pas tout le temps présents, notamment la nuit. Les chauffeurs déchargent donc quand même les coches ne pouvant se déplacer. Ce n’est que le lendemain que le vétérinaire inspecte les animaux déchargés en son absence, et qu’il prend une décision. Le sort des coches blessées et malades n’est pas encore satisfaisant, bien que les services vétérinaires en abattoirs soient plus sévères, et il était temps. Le règlement européen (CE n°1/2005) qui a vu le jour en 2005, et qui est applicable au 1er janvier 2007, concernant la protection animale en cours de transport, est un nouvel outil juridique qui devrait permettre de donner plus de poids à l’action des services vétérinaires. Mais le problème des coches mal à pied ne sera réglé que lorsque le mode d’élevage intensif et concentrationnaire sera banni.

 

Pour clore ce chapitre, je voudrais vous dire combien les coches ne sont prises par les éleveurs en intensif que pour des machines à produire des porcelets qui alimentent les centres d’engraissement en porcs charcutiers. Dans un abattoir de la région Rhône-Alpes, un lot de coches se trouvait dans des cases d’attente avant abattage. J’effectuais en dernier la visite de la porcherie et de la bouverie, car il faut circuler pour des raisons d’hygiène, de la partie propre (post abattage) vers la partie sale (ante abattage). J’ai assisté à l’une des choses les plus marquantes qui soient : c’est la mise bas en abattoir, j’en ai déjà parlé précédemment. Une des coches a mis bas des porcelets dans la case, alors qu’elle se trouvait coincée par le peu de place qu’il y avait et que pouvait lui laisser les autres. La pauvre bête n’a pu faire autrement que de faire naître ces petits au milieu des autres coches, sans pouvoir s’isoler.

 

Le vétérinaire inspecteur m’indiqua qu’il allait euthanasier les petits, nés pour mourir ! Sur mon insistance, il m’assura qu’il allait envoyer un courrier à l’éleveur en me laissant croire que ce dernier n’y était pour rien. Ce n’est pas si sûr. Savez-vous qu’il est fréquent que des coches qui sont éventrées pour en sortir les viscères laissent parfois découvrir qu’elles sont porteuses de porcelets. Pourquoi ? Parce que les éleveurs inséminent plus de coches qu’ils n’auront ensuite de place pour les mettre en maternité (dans des stalles en fer). Ils font cela pour être certains de ne pas avoir un problème de rotation et un manque à gagner lié aux places vacantes. Tant pis, de ce fait, si elles portent toutes des petits. Celles qui sont gravides et en trop partiront à l’abattoir lorsqu’un lot de coches réformées y sera envoyé.

 

Une coche est réformée au bout de trois années de mise bas. La gestation dure trois mois, trois semaines et trois jours. La portée est en moyenne de 28 porcelets en intensif, contre 13 à 18 en bio. Le sevrage est de 21 à 28 jours, mais plus souvent 21 jours contre 6 semaines en bio. La fréquence des portées est de 2,5 par an. En bâtiment intensif, il y a au moins 20 % de perte, et très peu en plein air ou bio. En plein air, si une truie écrase un porcelet en se couchant, elle l’entend hurler et se relève aussitôt. En bâtiment intensif, la cage est si étroite, et les truies si faibles qu’elles ne peuvent pas se relever. En intensif, on mélange directement à l’aliment des facteurs de croissance. On leur donnait aussi de la farine animale jusqu’à l’interdiction de cet aliment. En bio, la farine animale était naturellement interdite, l’apport en protéine de soja étant un aliment riche. La castration des porcelets ne peut se faire après 8 jours, c’est une obligation légale. Mais en Bretagne, j’ai surpris un éleveur qui le faisait sur des porcelets de plus de trois semaines, bien entendu il avait un casque sur les oreilles pour ne pas s’abîmer ses tympans à cause des cris de douleur des porcelets. J’avais pu l’observer avant de me présenter à lui. Pas de « mal à pied » en plein air ou en bio, on ne retrouve pas non plus de coches en piteux état ne pouvant plus se mouvoir. En une année, un éleveur bio me disait qu’il n’avait pas vu un seul cas d’abcès à une patte parmi toutes ses truies. Les inséminations se faisaient naturellement par un verrat.

 

Et comme si le sort s’acharnait contre ces animaux de reproduction, un directeur d’abattoir me disait qu’actuellement les éleveurs économisent l’aliment. Vu l’augmentation des denrées destinées aux animaux, les coches sont sous-alimentées. Avant, lorsqu’elles faisaient l’objet d’une orientation vers l’abattoir, en passe d’être réformées, les éleveurs respectaient une période de « retape » en les alimentant davantage pour leur faire prendre du poids. Le directeur reconnaît qu’elles sont plus maigres qu’avant, j’ai pu le constater : les os de la colonne vertébrale étaient saillants sur certaines d’entre elles. La restriction sur l’aliment semble se généraliser.

 

Sachez enfin que les coches sont destinées à faire de la saucisse, du salami, du pâté…

 

 

 

 

 

1 Prolapsus : glissement pathologique d’un organe vers le bas.

 

dimanche, 30 septembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : La vie misérable des coches en élevage intensif

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


La vie misérable des coches en élevage intensif

 

On appelle « coche » la femelle du cochon, plus connue sous le terme de truie. Ces animaux arrivent à l’abattoir par lots entiers lorsqu’elles sont réformées, c’est-à-dire lorsqu’elles ne sont plus rentables. Certains abattoirs sont spécialisés dans l’abattage de ces dernières, ainsi que dans le commerce de leurs carcasses ou quartiers de viande. Ces coches sont élevées dans des systèmes d’exploitation industriels et intensifs : dans des bâtiments clos où la lumière du jour ne pénètre jamais. Ne vous imaginez pas une petite porcherie bien paillée, avec une mangeoire pour l’eau, une autre pour la nourriture, qu’un gentil éleveur viendrait régulièrement remplir en accompagnant ses gestes de mots tendres et affectueux. Non, les coches passent la plupart de leur vie dans des stalles, sorte de cages métalliques où elles ne peuvent bouger : seule la position couchée ou debout leur est possible. La nourriture est automatiquement déversée dans la mangeoire. Dans l’Union Européenne, près de 6 millions de truies sont enfermées par an dans des stalles métalliques de 60 cm à 70 cm de large et de 2 m de long !

 

Truies en salle de maternité, enfermées dans des cages.
Phot Jean-Luc Daub

 

 

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D’ailleurs, dans ce cadre concentrationnaire, métallique et hermétique, l’éleveur à été remplacé par un technicien en production porcine dont la spécialisation peut être la verraterie, la maternité ou le centre d’engraissement. La verraterie est le lieu où l’on détecte les chaleurs des truies ; on tente parfois de les provoquer en utilisant un robot qui pousse un verrat dans les couloirs étroits entre les cages des truies. Le technicien ne se donne même pas la peine de déplacer lui-même le porc mâle, car il faut laisser un certain temps l’animal devant les femelles, et les couloirs de ce genre d’élevage sont longs. Il existe aussi un robot qui remplace le verrat. Il passe entre les truies en dégageant l’odeur du mâle. Le mélange chimique d’une solution aqueuse est vaporisé et, comme dans la nature, la phéromone parvient au groin des truies pour engendrer la

réponse attendue. La verraterie est aussi le lieu où l’on insémine artificiellement les coches, à la chaîne et sans ménagement, en leur enfonçant une longue tige dans le vagin, avant de répandre le sperme prélevé dans des lieux tout aussi sordides sur des verrats qui ne sont considérés que comme des machines à produire du sperme.

 

La maternité est le lieu où sont enfermées les coches avant la mise bas. Elles sont encore et toujours prisonnières des stalles, avec un aménagement industriel et aseptisé pour l’accueil des nouveau-nés. Ces derniers naissent sur un revêtement en plastique, ajouré, pour laisser passer les excréments et les urines. Dès la sortie du ventre de leur mère, les porcelets voient l’enfer du milieu industriel de la production porcine. Leurs petits onglons se prennent dans les fentes du sol en caillebotis, sol inadapté pour eux, mais utilisé pour des raisons pratiques et d’économie de main d’œuvre. Ils ne connaîtront pas la paille, ni la sciure ni même la terre à gratter dans laquelle ils fouinent et dont leurs cousins en élevage biologique ont la chance de bénéficier. Les porcelets, dès leur naissance, ont une mère cloisonnée dans une cage métallique qui ne pourra pas se retourner pour les disperser, s’amuser avec eux ou leur inculquer quelques rudiments naturels. Ils connaîtront, dès les premiers jours, une vie non conforme à leurs besoins physiologiques. Pourtant la réglementation relative à l'élevage, la garde et la détention des animaux issue de l'arrêté du 25 octobre 1982, modifié par les arrêtés des 17 juin 1996 et 30 mars 2000, stipule bien que « l'élevage, la garde ou la détention d'un animal ne doit entraîner, en fonction de ses caractéristiques génotypes ou phénotypes, aucune souffrance évitable, ni aucun effet néfaste sur sa santé (article 2 de l'arrêté du 25 octobre 1982). » Cette exigence figure également à l'article L. 214-1 du Code rural, aux termes duquel tout animal doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. On est donc loin d’une préoccupation du bien-être animal, en raison d’une préoccupation de production à moindre coût, sous couvert des institutions scientifiques et des services de contrôles.

Dans cet univers, et en présence de leur mère impuissante, les porcelets subissent le meulage des dents (soi-disant pour éviter qu’ils ne blessent la mère lors d’une tétée trop prononcée). Mais dans un milieu naturel, ou en élevage biologique, la mère, si elle est gênée par ce genre de problème, a la capacité de se lever et d’interrompre la tétée. Ce qu’une truie dans sa cage ne peut pas faire. L’éleveur — pardon : le technicien ou l’ouvrier porcher — sectionne la queue à vif. Là encore, on nous dira que c’est pour leur bien : parce qu’ils risquent de se manger mutuellement la queue. Ah, bon, avez-vous vu des sangliers qui se mangent la queue en milieu naturel ? Non. Ni même en élevage de plein air. Mais en élevage intensif, il y a des risques, car le confinement concentrationnaire, l’obscurité dans laquelle les porcs à l’engraissement sont plongés, l’impossibilité de pouvoir satisfaire leurs besoins physiologiques (fouiner, gratter), l’impossibilité de s’isoler, l’ennui… font que les porcs subissent un stress (avant d’atteindre un état dépressif). Il arrive alors qu’ils attrapent la queue de leurs congénères, seule activité possible. Les blessures qui en résultent peuvent être graves et provoquer des nécroses. La vérité n’est pas que l’on coupe la queue des cochons pour leur bien, mais que l’on cherche ainsi à éviter une perte financière aux éleveurs.

 

Sachez que les éleveurs qui pratiquent le plein air et l’élevage biologique ne rencontrent pas ce genre de problème. J’allais oublier de parler de la castration à vif des jeunes porcs. La mère, toujours prisonnière dans sa cage, est impuissante devant ce qui se passe et ne peut défendre ses petits qui hurlent de douleur. Lors d’un stage que j’ai effectué chez un éleveur de porcs sur paille, avec des bâtiments ouverts sur la lumière du jour, j’ai effectué moi-même des castrations de porcelets. Les mâles sont castrés en raison de l’odeur que peut avoir la viande à l’âge adulte ou, du moins, au poids atteint pour l’abattage qui est supérieur à 85 kilogrammes. Dans cet élevage, nous prenions le temps de faire une anesthésie locale, sans avoir besoin de mettre un casque sur les oreilles pour nous protéger des hurlements, car les porcelets ne criaient pas. Les dents

n’étaient pas limées, les queues n’étaient pas non plus coupées. De plus, cette opération n’était pas effectuée devant la mère, mais dans un local approprié. Dans un élevage intensif de 1200 truies, les mutilations sont pratiquées devant la mère impuissante. Les cris des porcelets assaillent ses oreilles, et la panique s’empare des autres mères et petits. L’opérateur, lui, a un casque sur les oreilles. Il coince un petit entre ses jambes, la tête en bas, il effectue une incision sur chaque testicule, puis il les compresse l’un après l’autre de façon à faire sortir le gland. Ensuite, il coupe le canal spermatozoïque, tout cela à vif, sans aucune anesthésie, alors que cela relève d’un acte chirurgical. Selon eux, les porcelets ressentent autant la douleur de la castration qu’une piqûre de seringue !

 

Les porcs à l’engraissement sont appelés « porcs charcutiers ». J’ai visité un petit établissement d’élevage intensif de cette sorte dans la Somme en 2008. En entrant, je vis que trois porcs morts avaient été mis à l’écart, au dehors. Deux autres, mal en point, avaient été mis à part dans une case. Un peu plus loin, un autre était également mort et gisait sur le sol. Dans les autres cases, se trouvaient, dans le noir le plus complet, des cochons hagards, apeurés par une présence soudaine. J’ai actionné l’interrupteur qui répandit la lumière blême de quelques néons. De misérables cochons étaient parqués, nombreux, dans des cases de béton au sol en caillebotis. La saleté était répugnante. Le plafond était bas et une forte odeur d’ammoniaque brûlait les poumons. Que peuvent bien faire de leur journée ces pauvres bêtes ? Rien, sinon développer des troubles de comportements, sombrer dans un état dépressif et se laisser mourir. Les queues étaient coupées, et je me disais que, dans ces conditions, la seule activité possible pour les cochons est de mordre la queue du congénère voisin.

 

Je rappellerai toutefois que la réglementation de l’arrêté du 25 octobre 1982 relative à l’élevage, la garde et la détention des animaux stipule que les animaux gardés dans des bâtiments ne doivent pas être maintenus en permanence dans l'obscurité, ni être exposés sans interruption à la lumière artificielle.

Lorsque la lumière naturelle est insuffisante, un éclairage artificiel approprié doit être prévu pour répondre aux besoins physiologiques et éthologiques des animaux. Il est certain qu’il n’y a pas beaucoup de contrôles dans ces élevages. Pour en revenir aux stalles, elles seront interdites à partir de 2013, mais au-delà, les coches (truies) pourront malgré tout être gardées en cage les quatre premières semaines de gestation, ainsi que pendant la période de maternité dans une cage de mise bas. Les truies sont parfois sanglées au sol, d’où elles ne peuvent bouger. Cette pratique devrait disparaître, car elle est interdite depuis le 1er janvier 2007. Mais qui va contrôler cela ?

 

Il est facile de constater le mauvais état de santé des coches à leur arrivée dans les abattoirs : certaines ne peuvent pas marcher et se retrouvent mélangées dans les lots. Elles sont appelées « mal à pied ». Les « mal à pied » concernent tous les porcs boiteux, paralysés de l’arrière-train… Les coches développent, à cause du mode d’élevage qu’on vient de décrire, des problèmes d’aplomb, d’articulation ou des faiblesses musculaires. Ces problèmes sont exclusivement dus à l’élevage intensif, on en retrouve peu ou pas dans les élevages de plein air, biologiques ou dans les élevages extensifs sur de la paille et avec de l’espace. Il y a quelques années, j’avais fait plusieurs visites d’abattoirs spécialisés dans l’abattage des coches. J’avais relevé de gros problèmes concernant la prise en charge de celles qui ne pouvaient pas marcher. Souvent jetées au bas des camions, ou tirées par un treuil électrique, accrochées au bout d’un câble métallique, parfois suspendues et poussées jusque dans la porcherie, les coches malades, blessées ou accidentées étaient malmenées et donc en situation de souffrance. Comme elles étaient dans l’impossibilité de se mouvoir, les employés avaient toutes les peines du monde à les déplacer, elles constituaient un poids pour les exploitants d’abattoirs. Peu prises en considération, elles étaient souvent maltraitées, et elles le restent. Des images filmées par une association française et allemande, dans des abattoirs de porcs français et diffusées au journal télévisé en novembre 2006 le montrent. La législation précise qu’un animal inapte au transport, blessé ou malade, doit faire l’objet d’un contrôle vétérinaire ; celui-ci décide ou non d’euthanasier l’animal sur le lieu d’élevage. Or cela ne se fait pas. Si elles sont blessées et qu’un vétérinaire décide de les envoyer à l’abattoir, elles doivent faire l’objet d’un abattage d’urgence. Mais ce n’est jamais le cas, elles arrivent sans avoir été vues par un vétérinaire, sans le certificat vétérinaire d’information. Lorsque je demandai qu’on me présente le CVI1 pour des coches en piteux état, l’abattoir ou le vétérinaire inspecteur étaient incapables de me montrer le moindre document. Et aucun procès-verbal n’était dressé pour cette infraction. Pourtant le CVI est obligatoire pour tout animal qui arrive blessé à l’abattoir selon l’arrêté du 9 juin 2000, modifié par arrêté du 20 décembre 2000. L’animal malade ou blessé doit faire l’objet d’un diagnostic sur le lieu d’élevage par un vétérinaire qui décide ou non de son envoi à l’abattoir.

 

Les coches qui ne tiennent plus debout sont chargées dans les camions à l’aide de barres en fer, de treuils, tirées au bout d’un câble métallique, ce qui aggrave leurs blessures. C’est interdit, mais c’est encore pratiqué. À l’abattoir aussi, elles sont sorties des camions à l’aide d’un treuil, parfois suspendues jusqu’au poste d’abattage ou tirées par les oreilles. C’est interdit, elles doivent être tuées ou euthanasiées là où elles se trouvent, dans le camion, sur le quai ou dans la case de parcage. Je cite le passage de la Directive Européenne 93/119 : « Les animaux incapables de se mouvoir ne doivent pas être traînés jusqu'au lieu de l'abattage mais être mis à mort là où ils sont couchés ou, lorsque c'est possible et que cela n'entraîne aucune souffrance inutile, transportés sur un chariot ou plaque roulante jusqu'au local d'abattage d'urgence. » (I, 6, annexe A).Lorsque l’une d’entre elles présente des caractéristiques de blessure ou de maladie, la pratique de l’éleveur en intensif consiste à attendre qu’il y ait d’autres animaux dans le même état, pour qu’un lot entier parte pour l’abattoir. Cela sans appeler de vétérinaire et pour faire l’économie d’un transport spécial. Lors du chargement d’un camion, ces coches sont souvent placées avec les autres, si bien qu’elles sont souvent piétinées pendant le trajet par les animaux sains. Certains établissements d’abattage étaient équipés d’un petit camion qui effectuait des navettes en allant chercher les truies qui posaient problème. Cela réduisait considérablement les souffrances de ces truies, en abrégeant leur séjour en élevage.
Mais cela ne se fait plus vraiment, à cause du coût, la carcasse d’une coche ne valant environ que deux cents euros ; sans parler du risque d’une saisie par les services vétérinaires.

 

 

1 CVI : Certificat Vétérinaire d’Information.

 

 

 

 

 

dimanche, 09 septembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Un abattoir de porcs

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

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Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


 

Blessure ancienne à la patte d’une truie ne pouvant pas marcher emmenée coûte que coûte à l’abattoir.
Phot Jean-Luc Daub

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Un abattoir de porcs

 

Alors que je visitais, en Bretagne, un abattoir de porcs encadré par une vétérinaire, par une responsable qualité, par le directeur et par un technicien vétérinaire, j’assistai impuissant à un déchargement de cochons ne pouvant pas marcher. Le chauffeur utilisait un fil de fer qu’il sanglait autour d’une patte, puis tirait les cochons en les faisant glisser sur le sol. Cette pratique est interdite. Le technicien vétérinaire m’indiqua qu’il aimerait voir disparaître cette façon de faire, et qu’il allait s’en occuper. Il me confia à l’oreille, alors que les autres personnes étaient devant nous, qu’avant son arrivée la façon de déplacer les cochons ne pouvant pas marcher était encore pire. En effet, pour ceux restés couchés dans les camions, immobilisés par une blessure ou un handicap, les employés et les chauffeurs utilisaient tout simplement un crochet qu’ils passaient par l’anus, déchirant la chair des animaux, et les tiraient ainsi sur le sol. Peut-on imaginer les souffrances endurées par les porcs ? Le jeune technicien vétérinaire avait pu s’opposer à cette pratique et la faire disparaître. Je salue le courage de cette personne, car il n’est pas facile de faire cesser des méthodes anciennes, surtout lorsque l’on agit au nom de la protection animale. D’autant plus qu’à l’époque, on ne bénéficiait pas de la pression des consommateurs concernant les conditions de manipulations et d’abattages des animaux. Se préoccuper de protéger les animaux n’était vu que comme une perturbation de la production et du bon déroulement économique, qui avance tel un rouleau compresseur.

 

Dans cet abattoir, un porcher s’occupait en permanence des arrivages de cochons. Les camions étaient déchargés sur un quai en passant par de longues cases en béton (2300 places) et étaient répartis en fonction d’un système informatisé que les chauffeurs consultaient. Au déchargement, les porcs étaient douchés, se reposaient pendant deux heures, puis étaient de nouveau douchés avant d’être abattus. Cinq personnes, à l’aide de planches en plastique vert et de Movets (sortes de petites plaquettes montées les unes sur les autres qui font du bruit lorsqu’un employé frappe les porcs), allaient chercher les cochons et chargeaient le Restrainer en flux continu (830 cochons à l’heure). À la sortie, les porcs étourdis automatiquement (700 V) étaient saignés au trocart sur un tapis par cinq personnes en même temps en raison de la cadence élevée des abattages.

 

Les cochons et les truies estropiés, blessés ou douteux (c’est-à-dire peut-être porteurs d’une maladie), étaient laissés sur le quai. À l’aide d’une brouette (appelée ambulance), ces animaux étaient répartis dans deux endroits différents. La brouette peut être déplacée avec un petit tracteur vers des cases (pourvues d’une pince électrique de modèle Étime mobile) destinées à ceux qui ne peuvent marcher et qui sont susceptibles d’être euthanasiés. L’autre case était proche du poste d’abattage, les porcs et les coches ne pouvant passer dans le Restrainer y étaient rassemblés. Ces animaux ne sont abattus qu’en fin de chaîne. Quelques coches et porcs se trouvaient en attente, certains gisaient sur le flanc, et agonisaient. Au centre du local, un treuil permettait de tirer par une patte les coches pour les sortir des camions. Une pancarte indiquait pourtant qu’il est interdit de les suspendre. Deux pinces Etime mobiles permettent l’étourdissement dans le local avant de les saigner sur la chaîne. Deux contrôles ante mortem, répartis dans la journée, sont effectués par l’inspecteur vétérinaire. L’euthanasie des porcs et des coches saisis sur pied est effectuée par le vétérinaire. Cependant, ils sont mis à mort par électrocution (sans être saignés), en appliquant la pince derrière les oreilles pendant une minute, puis sur le cœur. (La saignée sur le quai n’est pas approuvée par les services vétérinaires.)

 

En notre présence, le porcher emmena un porc dans la nacelle du tracteur, l’animal se retrouva ensuite coincé sous la brouette, la tête en bas et les pattes de derrière en l’air. On m’a dit qu’il était tombé de la brouette lors de son transfert.

 

 

dimanche, 02 septembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Étourdissement de bovins

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Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

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Étourdissement de bovins

 

Dans un abattoir de la région parisienne, l’abattage classique des bovins était critiquable. Les animaux empruntaient un chemin d’amenée qui montait progressivement vers un box rotatif à usage mixte. C’était un box agréé pour gros bovins, mais modifié pour les veaux. Je n’ai pas assisté aux abattages rituels car je suis arrivé le jour où ils n’avaient pas lieu, mais 80 % du temps est réservé à cette pratique. Pour ce qui concernait l’abattage classique, les bovins étaient assommés à l’aide d’un Matador A22 GBEV dans le box rotatif, par l’ouverture du dessus. L’animal était ensuite évacué par une porte latérale vers le local de saignée. Les étourdissements sur les gros bovins n’étaient pas entièrement satisfaisants. En effet, certains semblaient conscients, mal étourdis, les bovins n’étaient pas, comme on peut le constater d’habitude, complètement assommés après l’utilisation du Matador. En ma présence, deux se sont relevés conscients alors même qu’une perforation du crâne après l’utilisation du pistolet à étourdissement avait été effectuée. L’employé a réutilisé le Matador en l’appliquant une deuxième fois dans l’orifice créé par la première utilisation.

 

Saignée du bovin après son étourdissement au pistolet à tige perforante.
Phot Jean-Luc Daub

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Pour d’autres bovins, on pouvait voir qu’ils n’étaient pas complètement étourdis, l’employé ayant beaucoup de mal à passer la chaîne autour de la patte arrière. Certains animaux clignaient des yeux, ce n’étaient pas des réflexes nerveux. Faisant état de mes constatations sur l’étourdissement des bovins à l’employé, je lui demandai si le Matador était assez puissant. Il me répondit qu’effectivement d’habitude cela marchait mieux, mais que le joint intérieur du Matador avait été changé et que par conséquent il fallait du temps pour qu’il s’assouplisse. Il semblait en effet que la tige du Matador ne rentrait pas assez profondément dans le crâne des bovins. Le joint empêchait ou freinait la détente de la tige. J’en ai parlé au

directeur et au président de l’abattoir.

 

En outre, il n’était pas toujours possible d’effectuer la suspension rapidement. Les animaux se plaçaient mal à la sortie du box rotatif. Parfois, les bovins restaient accrochés dans le box rotatif par une patte arrière, ce qui les empêchait d’avoir le dos contre le box et les pattes vers le local. Or, cette position est requise pour que l’employé puisse convenablement et en toute sécurité passer la chaîne de suspension autour d’une patte arrière. Le problème vient de l’inadéquation entre le piège et le système de suspension. D’après moi, il s’écoule trop de temps entre cette manipulation et la saignée, même lorsque celle-ci intervient rapidement. Le plus rapide serait de saigner les bovins à la sortie du piège sur le sol, après étourdissement. La suspension pourrait venir ensuite, alors que le sang s’écoulerait. Cela serait beaucoup mieux mais, pour des questions d’hygiène, les services vétérinaires ne veulent pas.

 

Il est pourtant possible de mieux faire, puisque dans un abattoir de bovins se trouvant dans le Morbihan, la suspension intervenait très rapidement. L’employé baissait le palan et la chaîne, qui se trouvent au-dessus du box rotatif, de sorte qu’il était prêt à suspendre les bovins avant même d’avoir procédé à l’étourdissement. C’est de fort bon sens, mais ce n’est pas toujours une évidence dans d’autres abattoirs. J’ai même déjà assisté à une aberration. En effet, des employés qui venaient d’étourdir un bovin, au lieu de procéder tout de suite à l’évacuation, à la suspension et à la saignée, prenaient le temps de recharger le pistolet à tige perforante avec une cartouche. Manœuvre qui devrait être faite après la prise en charge finale de l’animal. Dans l’abattoir du Morbihan, ce n’était pas le cas, le pistolet était rechargé après, et les bovins étaient évacués du box rotatif sans perte de temps grâce au palan qui fut descendu avant l’étourdissement, ce qui permettait une saignée rapidement exécutée. De plus, une plaque en inox posée à plat sur le sol devant la sortie du box rotatif, avec un bord relevé au bout, permettait de stopper la chute des bovins, et de les bloquer sur le dos. Les pattes arrière étaient alors très accessibles pour effectuer la suspension. Je n’ai pu voir dans aucun autre abattoir

des manipulations aussi rapides, mais cela prouve qu’il est possible de mieux faire.

 

Dans cet abattoir de la région parisienne, en comparaison d’autres abattoirs munis du même matériel, j’ai trouvé l’étourdissement des bovins insuffisant et la suspension jusqu’à la saignée beaucoup trop longue. En plus, les employés n’attendaient pas la fin de la saignée pour intervenir. Alors que le sang s’écoulait encore et à plein débit, ils découpaient les antérieurs, puis la tête. À ce moment-là, les bovins n’étaient pas toujours morts. On pouvait voir un employé qui avait du mal à couper les antérieurs, le bovin les retirait systématiquement et s’agitait. De lui-même, l’employé comprenait qu’il fallait encore attendre. Le directeur et le président de l’abattoir m’ont dit qu’ils étaient obligés d’aller vite après l’étourdissement. Cela parce qu’ils n’avaient que vingt minutes pour dépouiller les animaux selon les normes des services vétérinaires et que par conséquent, ils ne pouvaient pas attendre la fin de la saignée. Si les opérations d’assommage et de suspension étaient plus rapides, il n’y aurait pas de problème de délai lors de la saignée ; car les employés doivent attendre la fin totale de l’écoulement du sang avant de procéder à toute découpe.

 

 

 

 

 

dimanche, 26 août 2012

Ces bêtes qu’on abat : Suspension des veaux en pleine conscience

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Suspension des veaux en pleine conscience

 

Dans un abattoir d’Alsace pratiquant massivement l’abattage rituel, je m’étais directement rendu sur le quai de déchargement où un transporteur, aidé de deux employés, déchargeait un camion de veaux d'engraissement (provenant d'élevages en batterie), âgés de 5 à 6 mois. Le numéro sanitaire sur les boucles des veaux indiquait, tout comme l’immatriculation du camion, que les bêtes provenaient du Cantal. Les animaux demeuraient dans une bonne épaisseur d'excréments. Le chauffeur m'a d'abord dit qu'il les avait chargés la veille, dans l'après-midi ; puis il se rétracta et me dit les avoir chargés dans le courant de la nuit. Les veaux étaient assoiffés ; dans les enclos de stabulation dépourvus d’abreuvoirs, ils léchaient les barrières métalliques humides. Ils attendirent deux heures avant d'être abattus, sans être abreuvés pendant cette attente.

 

Le déchargement des veaux fut effectué dans des conditions lamentables. Le conducteur plaça l'arrière du camion face aux stabulations, fit descendre la passerelle (très abrupte) et déchargea les animaux au sol. À l'intérieur de la remorque, un employé muni d'un bâton électrique, poussait vers l'extérieur les veaux qui sautaient et trébuchaient les uns par-dessus les autres, et tombaient dans la pente de la passerelle. Dans le couloir des stabulations, les veaux coincés refusaient d'avancer. L'employé muni du bâton électrique leur envoyait des décharges sur le mufle, dans la gueule, dans les oreilles ou même dans les yeux, pour les faire avancer. On pouvait les entendre meugler sous les coups de pile électrique.

 

Je me suis présenté à la directrice qui s'est immédiatement mise en colère. Elle était très mécontente que je sois revenu (encore une fois visiter son établissement). Elle m'a demandé si je n'avais rien d'autre à faire que de venir l'embêter pour des animaux, juste avant les fêtes ! Selon elle, il y avait des choses plus importantes à faire.

 

L'abattage rituel des ovins était terminé. J'ai donc assisté, accompagné de la directrice, à l'abattage rituel des veaux. Celle-ci était quelque peu contrariée car l'abattage allait être effectué dans le box rotatif qui, apparemment, n’était pas utilisé d’habitude. Je le compris en voyant que ma présence désorganisait un déroulement habituel, car le personnel semblait perturbé à l’idée d’utiliser le box. Quatre employés, en plus du sacrificateur, avaient préparé le box. Quatre employés au seul poste d’abattage, cela ressemble, de toute évidence, à une mise en scène. Les premiers sacrifices de veaux ont eu des allures d'essai et les regards que l'on me portait étaient pesants. Un premier homme a fait entrer un veau dans le box à l'aide d'un bâton électrique tout en guidant son équipier qui actionnait les boutons pressoirs. Deux volets, à l'intérieur du box, se sont alors rabattus sur le derrière du veau, poussant l'animal vers l'avant dont la tête sortait par l'ouverture. Une partie latérale à droite s'est avancée verticalement, comprimant ainsi le veau. La plaque avant du box fut actionnée jusqu'à ce que l'ouverture soit obstruée et que, seule, la tête dépasse. La mentonnière a alors soulevé la tête du veau et un employé a effectué la rotation du box, le sacrificateur l'a ensuite saigné. Puis, on remit le box en position normale. Un volet qui éjecta l'animal fut actionné. Les opérations étaient lourdes et longues à effectuer. La directrice décida alors de ne pas faire passer le veau suivant par le box, de le suspendre avant la saignée, bien que cela soit interdit, mais pour me faire apprécier la facilité d’exécution lorsque l’on procède de manière illicite.

 

Dans ce cas de figure, le veau n'a pas à emprunter le chemin d'amenée du box, ce qui réduit la distance à parcourir et les manœuvres à effectuer par le personnel. On a fait entrer le veau dans la salle d'abattage, juste à côté du box. On lui a ensuite enroulé une chaîne autour de la patte arrière et on l'a suspendu par un crochet qui le soulevait du sol de manière mécanique. Le sacrificateur ne se pressait pas pour le saigner. Après l’accomplissement de l’égorgement en pleine conscience, la directrice, satisfaite, m'a expliqué que c'était plus rapide, plus simple et moins dangereux pour le personnel. Le veau ainsi abattu serait aussi moins stressé. C’est certain, les boxes rotatifs sont stressant et source de souffrances pour les veaux, surtout lorsqu’ils ne sont pas adaptés à leur petite taille. Le mieux, si l’abattoir est mal équipé, c’est de ne pas procéder à l’abattage rituel. La vraie solution n’est pas d’enfreindre la loi pour satisfaire une demande.

 

L'abattage s'est poursuivi dans le box rotatif, jusqu'à ce qu'un cylindre hydraulique tombe en panne. Le reste des veaux a donc été abattu en étant suspendu en pleine conscience. Et la directrice d'ajouter: « Vous voyez, c'est quand même beaucoup mieux comme ça ! ». J’ai pu savoir, par la suite, que d’habitude les veaux étaient suspendus conscients dans le local d'abattage des ovins où se trouvaient de grosses chaînes et de gros crochets qui leur étaient réservés, à côté de crochets plus petits pour les moutons.

 

Bovin épuisé et apeuré dans un camion.
Phot Jean-Luc Daub

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dimanche, 19 août 2012

Ces bêtes qu’on abat : Un veau pour distraction

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Un veau pour distraction

 

Dans un abattoir de Moselle, un veau de quatre à cinq mois était attaché dehors, près du local où se trouvait le box rotatif. Il semblait intéresser trois employés, qui fumaient une cigarette en faisant une pause. L'un lui tordait les oreilles, le rudoyait en lui donnant des coups de genoux dans les côtes, au niveau des poumons. Les autres riaient (« Il faut bien se détendre », me dirent-ils !). Après qu’ils eurent repris leur poste dans l’abattoir, je m’approchai du veau et le caressai. Malgré tout, le petit animal ne se sentait pas rassuré. Un employé est alors venu le chercher et l'a installé près du box rotatif, une autre personne l'a étourdi au pistolet à tige perforante et l'a suspendu. Mais d'autres bovins suspendus attendaient déjà d’être saignés. Le veau n'a donc pas pu être saigné tout de suite. Il se débattait tellement qu'on a dû lui donner un autre coup de pistolet. Quelqu'un m'a dit que, d'habitude, on ne s'embêtait pas à faire passer les veaux à côté du box (quand il y en a plusieurs, les employés les font passer dans le box rotatif tous en même temps). Comme beaucoup de bovins étaient en attente d'être saignés, et probablement pour avancer le travail d'une autre personne sur la chaîne de découpage, un employé coupait les deux pattes avant des animaux, alors même qu'ils n’étaient pas encore saignés, et qu’il aurait dû attendre la mort complète et effective des bovins avant toute intervention de découpe !

 

Égorgement en abattage rituel d’un bœuf retourné sur le dos.
Phot Jean-Luc Daub

abattoirs, condition animale, transports animaux, végétarisme, protection animale, droits des animaux, Jean-Luc Daub, Ces bêtes qu'on abat, maltraitance, législation animale, viande ; animaux, animal ; bêtes, fraternité, abattage rituel

 

L'abattoir avait été équipé d'une chaîne d'abattage rituel pour ovins destinés à la consommation de la population musulmane. Les moutons devaient être parqués dans un petit local avant leur égorgement. Le responsable de l’abattoir m'a d'abord expliqué rapidement et assez évasivement que lorsque cette chaîne serait en état de fonctionner, les moutons seraient abattus, suspendus et dépouillés plus loin. Pourtant, d'après les bouches d'évacuation dans le sol, j'avais pu constater que l'une d'entre elles servait à l'évacuation des eaux et que l'autre servait à la récupération du sang. Donc, d'après les installations, j'enavais déduit que les moutons seraient inévitablement suspendus dans le premier local, passeraient au-dessus d'un petit mur et seraient saignés en étant pendus par une patte dans le second local. Après discussion, le responsable confirma mes soupçons. Il était aberrant que l'on installe des équipements en sachant à l'avance que leur utilisation serait illégale, et cela, avec l'accord des services vétérinaires qui avaient étudié le dossier de construction selon le directeur. Cet abattoir n’avait pas bonne réputation auprès des autres établissements d’abattage.

 

 

 

 

 

 

dimanche, 12 août 2012

Ces bêtes qu’on abat : Un employé rapide

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Un employé rapide

 

Dans le département du Morbihan, et dans un abattoir de bovins, je fus surpris de la rapidité d’exécution des tâches d’étourdissement et de saignée de l’employé en place au poste d’abattage. En effet, il s’écoulait moins d’une minute entre l’étourdissement et la saignée des animaux. Le tueur qui chargeait son pistolet à tige perforante avant la mise dans le piège des animaux était rapide et efficace. Il étourdissait les bovins, ouvrait la porte latérale, pour l’évacuation hors du piège des animaux, les suspendait dans la foulée et les égorgeait aussitôt. Le treuil muni d’un palan pour la suspension des bovins après étourdissement était descendu sur le sol avant chaque étourdissement et non après. C’est très important. Cela paraît logique, mais ce n’est pourtant pas toujours ainsi que les choses se passent. Cela permet d’écourter le temps entre l’étourdissement et le début de la saignée. Certains tueurs descendent le treuil, alors qu’ils viennent d’effectuer l’étourdissement, ils perdent ainsi beaucoup de temps avant la saignée, qui doit pourtant intervenir le plus rapidement possible, car l’étourdissement n’est pas la mise à mort. Par exemple, la société Mc Key, organisme de certification et de contrôle du groupe Mc Donald, demande dans son cahier des charges « bien-être animal » qu’il ne se passe pas plus d’une minute entre l’étourdissement et le début de la saignée. Cette demande est très intéressante, car elle exige de procéder rapidement à la saignée pour les établissements qui produisent pour cette société.

 

Position du pistolet à tige perforante sur le crâne d’un bovin.
Phot Jean-Luc Daub

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Il me faut toutefois mettre un bémol, parce que l’employé suivant, sur la chaîne d’abattage, procédait à la découpe en la commençant avant la fin de la saignée complète, c’est-à-dire avant la fin de l’écoulement total du sang. La mort de l’animal est effective après qu’il s’est vidé de son sang. L’employé, avec son couteau, parfilait autour des yeux, découpait les oreilles, ainsi que le museau et puis la tête, alors que les bovins n’étaient pas encore morts !

 

La responsable qualité avec qui j’eus un entretien me dit qu’elle allait faire intercaler une bête supplémentaire sur le stock tampon ce qui permettrait d’attendre un peu plus longtemps après la saignée et avant de procéder à la découpe. Le directeur m’a certifié qu’il s’assurerait que ce délai serait dorénavant respecté.

 

 

 

 

dimanche, 05 août 2012

Ces bêtes qu’on abat : Vaches mourantes

 

Vache faible et épuisée couchée dans un camion sur un marché à bestiaux.
Phot Jean-Luc Daub

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Vaches mourantes

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.

 

 Dans les Vosges, je visitais un abattoir moderne. Lorsque j’arrivai vers le local d’abattage d’urgence, je fus surpris de voir pas moins de dix vaches qui gisaient sur le sol jusque dans la cour. Aucune n’avait la capacité de marcher (elles ne risquaient donc pas de se sauver de l’abattoir). Je me demandais dans quelles conditions elles avaient été chargées et déchargées (au treuil bien évidemment). Certaines étaient agonisantes. Elles auraient dû être abattues dès leur arrivée. C’est le but de l’abattage d’urgence. L’abattoir avait pour habitude d’attendre la fin des abattages, donc la fin de journée, pour s’occuper de celles qui avaient été traînées dans le local d’abattage d’urgence, pour ne pas souiller la chaîne, comme disent les professionnels. Un grossiste effectuait des ramassages spéciaux, afin de faire du commerce avec les bêtes accidentées ou malades, très recherchées pour les steaks hachés.

 

Bien que la réglementation protège les animaux qui ne peuvent pas se déplacer d’eux- mêmes, en les déclarant inaptes au transport, des bovins sont encore fréquemment déplacés, alors qu’ils auraient dû bénéficier de la mesure d’abattage d’urgence à la ferme. Dans un abattoir que j’ai visité deux fois en l’espace de quelques mois, j’ai pu constater la première fois une génisse morte devant le local d’abattage d’urgence. J’ai observé son crâne : aucune trace d’impact du pistolet à tige perforante n’était visible. Elle avait vraisemblablement été déchargée et déposée encore vivante devant le local d’abattage d’urgence et a fini par mourir. La deuxième fois nous étions attendus, une collègue et moi, aurendez-vous, nous nous sommes dirigés vers ce même local avant de rencontrer nos interlocuteurs. Une vache mourante gisait sur le sol. Nous avons réclamé son euthanasie immédiate. Le vétérinaire appela alors le tueur (selon le terme professionnel consacré) qui n'arriva sur le site qu'après un deuxième coup fil. Malgré un état d’extrême faiblesse empêchant la vache de réaliser le moindremouvement, et malgré les meuglements de l'animal, le vétérinaire considéra que la vache ne souffrait pas. Aucun procès-verbal ne fut dressé au transporteur pour cette vache, qui, selon le vétérinaire, était debout au moment de son chargement dans le camion qui transportait un lot de bovins en provenance de la Manche. La Manche n’étant pas très loin, l’animal était de toute évidence déjà mal en point lors de son départ. Dans tous les cas, vu son état et son immobilité, elle n’aurait pas dû être déchargée au treuil, mais, aurait dû être tuée dans le camion. Le vétérinaire nous dit dresser, malgré tout, des PV pour des animaux malades inaptes aux transports. Six bovins en très mauvais état avaient été déchargés le vendredi précédent (des vaches de réforme). Un seul animal avait fait l'objet d'une saisie totale. À la question : « Pourquoi vous ne les abattez pas dans le camion, puisque les textes réglementaires précisent clairement que les animaux couchés doivent être abattus à bord du camion lorsqu'il n'est pas possible de les transporter sur une plaque roulante sans leur infliger de souffrances supplémentaires ? », le vétérinaire nous répondit que la valeur marchande de l'animal serait perdue. Inaptes au transport, certains bovins devraient même être tués à la ferme.

 

Vache agonisante devant un local d’abattage d’urgence d’un abattoir. Elle devrait être abattue de suite, mais elle sera laissée souffrante…
Phot Jean-Luc Daub

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J’ai appris, grâce aux confidences d’un vétérinaire d’un autre endroit, que beaucoup de bovins déclarés inaptes au transport sont encore envoyés à l’abattoir alors qu’ils devraient être euthanasiés sur le lieu d’élevage. Le vétérinaire de l’abattoir nous rétorqua que nous faisions de l’anthropomorphisme lorsque nous lui dîmes que vu l’état dans lequel elle se trouvait, la vache devait beaucoup souffrir. Il nous a alors rétorqué que si elle souffrait, elle l’aurait déjà dit ! Ma collègue réagit intelligemment en lui faisant remarquer : « Là, c’est vous qui faites de l’anthropomorphisme ! »

 

 

dimanche, 29 juillet 2012

Ces bêtes qu’on abat : Pince électrique jusque dans la bouche

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

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Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

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Pince électrique jusque dans la bouche

 

Dans le Nord de la France, j’assistai aux abattages des ovins (moutons). Une trentaine de moutons furent abattus de manière rituelle. Renseignements pris, j’appris que les moutons étaient en fait destinés à la consommation non religieuse. Ils auraient dû être abattus de façon classique, c’est-à-dire avec un étourdissement préalable, de façon à leur éviter des souffrances dues à l’égorgement. Les moutons étaient en fait abattus de manière rituelle (c’est-à-dire sans être étourdis avant l’égorgement) parce que les boyaux étaient récupérés par des boucheries hallal pour faire des merguez. Il est fréquent, et cela pose un véritable problème, que des moutons destinés à la consommation classique soient abattus rituellement. Cette pratique tend à se généraliser. Et dans ce milieu, nul ne peut l’ignorer.

 

Dans le département d’Ille-et-Vilaine, par un froid glacial, j’assistai à l’abattage des porcs. Ils étaient tout simplement suspendus vivants avant d’être étourdis à l’aide d’une pince électrique. L’employé, qui ne pensait pas mal faire, s’appliquait à pratiquer l’étourdissement tout en me regardant.

 

Dans un autre abattoir de France, la responsable nous fit savoir que l’abattage rituel des veaux se déroulait à côté du box rotatif prévu pour l’abattage des gros bovins. Les veaux seraient couchés sur le sol, puis égorgés. Les employés, auxquels je posais des questions à ce sujet, me dirent que les veaux étaient égorgés dans ce box rotatif, pourtant uniquement agréé pour les gros bovins. Les employés se serviraient de cordes pour maintenir les veaux en position dans le box. Mais d’après moi, les veaux devaient être, tout simplement, suspendus par une patte arrière devant le box, avant d’être égorgés. Dans tous les cas, les trois méthodes annoncées sont interdites, mais il n’est pas rare d’enfreindre la réglementation pour pratiquer coûte que coûte l’abattage rituel, même si l’abattoir n’est pas équipé pour le faire. La demande et la pression sont tellement fortes que souvent des responsables d’abattoirs cèdent.

 

Concernant l’abattage rituel musulman des moutons, la contention est obligatoire. L’abattoir utilisait une berce, c’est-à-dire une sorte de table en V pour y mettre le mouton à l’envers, avant de l’égorger. Cette pratique est interdite au profit d’une contention mécanique. Pour la fête du mouton, l’Aïd-el-kébir, avant l’arrivée de la nouvelle responsable une fosse était creusée dans la cour de l’abattoir, et les moutons étaient égorgés par les particuliers musulmans au-dessus de celle-ci. C’est interdit. Lorsque je suis venu assister aux sacrifices des moutons lors de cette fête, ces derniers étaient égorgés à l’intérieur de l’abattoir par un sacrificateur, ce qui répond à l’exigence de la loi. Cependant, les moutons étaient suspendus, les uns après les autres, par une patte arrière avant l’égorgement, ce qui est interdit, puisqu’ils doivent être maintenus au moyen d’une piège à contention mécanique.

 

Dans un abattoir à petite production où j’avais été gentiment accueilli vers cinq heures du matin par le responsable, l’abattage des bovins et celui des porcs posaient des problèmes. Je commençai par ne pas trouver le numéro d'agrément du box rotatif. C'était un box rotatif mixte (permettant l’abattage classique et rituel), manifestement pour gros bovins, avec une ouverture sur la partie haute pour l'étourdissement en abattage classique. En position normale, le plancher du box était fortement incliné, ce qui effrayait les bovins qui, lorsqu’ils y entraient, avaient ensuite du mal à se tenir debout et avaient tendance à glisser sur le côté. Quelques bovins furent abattus pendant ma visite. Une seule personne effectuait toutes les opérations (faire entrer les bovins dans le box, les étourdir, puis les suspendre). L'accès à la partie haute du box se faisait par une petite échelle d'installation artisanale. L'employé devait effectuer l'étourdissement à partir d'une plate-forme où derrière lui, il n'y a aucune barrière le protégeant du vide. Après l'étourdissement, il devait redescendre de l'échelle, faire le tour du box, actionner l'ouverture de celui-ci pour dégager l'animal de côté, puis lui enchaîner une patte arrière pour le suspendre. Cela faisait beaucoup de manœuvres pour un seul homme ! Mais, surtout cela entraînait une énorme perte de temps entre l’étourdissement et la saignée, qui doit normalement intervenir rapidement. Si l’abattoir n’avait pas pratiqué l’abattage rituel, on n’y aurait pas utilisé de box rotatif, dont le maniement est beaucoup plus contraignant qu’un simple piège en forme de caisson, et, du coup, les abattages non rituels de bovins auraient été beaucoup plus simples à effectuer.

 

Pour l’abattage des porcs, un employé mettait une quinzaine de porcs dans une petite pièce (où se trouvait le poste d'étourdissement) séparée du poste de saignée par une barrière métallique. Il en faisait ensuite passer sept ou huit de l'autre côté et les étourdissait sans immobilisation par un piège. L'employé essayait tout de même de maintenir les cochons en dirigeant la tête des animaux vers l'angle de la pièce, avant de placer la pince. Au début, il y avait deux employés pour procéder à cette opération : les cochons s’écroulaient sous le choc électrique, puis l’un des deux employés plaçait la pince sur le côté de la tête pendant que l’autre attachait les bêtes par une patte arrière pour les suspendre. Un peu plus tard, le premier employé alla travailler sur la chaîne d’abattage, de sorte qu’il n’y en avait plus qu’un pour effectuer les étourdissements. Malheureusement, il plaçait la pince n'importe où sur le corps des porcs. Parfois l'un des pôles électriques se trouvait dans la bouche ou sur le groin des animaux, alors que la pince doit être appliquée derrière les oreilles ! Il se servait aussi de la pince électrique pour faire bouger les porcs afin de les amener le plus près possible du rail de suspension, en leur envoyant des décharges électriques. Lorsqu'ils étaient suspendus, il les poussait avec la pince pour les faire avancer vers le poste de saignée.

 

À mon arrivée dans l’abattoir, l'abattage des ovins était terminé. J'ai demandé à un employé comment ils avaient été abattus. Il me répondit qu'ils avaient été suspendus par une patte, puis qu'ils avaient été saignés. Tous les moutons étaient donc abattus rituellement (même ceux n’étant pas destinés à la consommation hallal. J'ai informé le responsable que, lors de l'abattage des ovins, la suspension avant la saignée était interdite. Il m'a répondu qu'il était impossible de faire attention à tout. C’est pourtant un gros détail qui ne peut échapper à personne, pas même aux membres des services vétérinaires de l’abattoir.

 

Dans un autre abattoir en Alsace, les porcs étaient étourdis après leur passage dans un Restrainer à électronarcose automatiquement réalisée à 600 V pendant 2,8 secondes. Cependant, alors que sur la chaîne d’abattage les employés ne suivaient pas le rythme du Restrainer qu’un employé alimentait en porcs, il a été procédé à l’arrêt volontaire de l’appareil. Un porc venant d’être étourdi était resté coincé au niveau des broches électriques sans être éjecté sur la table de réception. Tandis que les autres, complètement paniqués, étaient restés prisonniers entre les bandes entraîneuses du Restrainer. J’en ai informé le responsable de l’abattoir, qui m’a dit que cela n’était pas possible. J’avais donc certainement rêvé. Malgré tout, je suis resté ferme dans ma constatation, en lui demandant d’éviter ce genre de manœuvres préjudiciables aux animaux, lui expliquant que si en aval les employés n’arrivent pas à suivre, il ne faut en aucun cas, qu’en amont les autres employés « approvisionnent » en porcs le Restrainer.

 

 

Case dans un abattoir où sont regroupés les cochons malades ou blessés.
Phot Jean-Luc Daub

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dimanche, 22 juillet 2012

Ces bêtes qu’on abat : Rouge sang

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

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Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

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Rouge sang

 

Un des premiers abattoirs que j’ai visités me donna la couleur rouge comme signe annonciateur des découvertes que j’allais faire durant mes années de protection animale dans ce milieu. Il s’agissait d’un abattoir d’une grande ville de Bretagne. Lors des abattages rituels des veaux et des moutons, l’infraction était caractérisée par le fait que ces animaux étaient tout simplement suspendus par une patte arrière, et égorgés ensuite. Les services vétérinaires disaient qu’il n’avait pas été jusqu’à présent possible de faire autrement, puisque aucun appareil n’avait été agréé pour la contention de ces animaux. Réponse laconique de la part des intervenants, puisque si on ne peut pas faire autrement, rien n’oblige à pratiquer l’abattage rituel en se mettant en infraction par rapport à la réglementation, et en faisant souffrir des animaux. Pour l’abattage classique de ces mêmes animaux, un technicien vétérinaire me montra un pistolet pneumatique qui était soi disant utilisé, mais qui était en fait totalement hors d’usage. Par déduction, ces petites bêtes destinées à la consommation classique ne devaient pas être étourdies et étaient toutes abattues de manière rituelle.

 

Égorgement rituel du bœuf retourné sur la dos.
Phot Jean-Luc Daub

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Lors de l’abattage rituel juif, les bovins emprisonnés dans le box rotatif, attendaient beaucoup trop longtemps à l’intérieur avant d’être abattus. L’enfermement dans cet amas de tôles entraînait des frayeurs supplémentaires à celles qu’occasionne un abattage rituel. Les bovins avaient ainsi tout le temps d’observer l’animal qui les avait précédé (suspension, écoulement du sang, odeur, bruit, découpe..). Lorsque l’employé juif actionnait le bouton qui permettait le retournement de l’animal sur le dos, il ne se pressait pas ensuite pour l’égorger. L’animal se retrouvant à l’envers, compressé par des battants métalliques sur les côtés, une mentonnière lui maintenant la tête en arrière pour faciliter l’accès au cou par le

sacrificateur. Il restait dans cette position inconfortable le temps que le sacrificateur se décide à l’égorger. La source de souffrance, facilement visible et compréhensible, ne semblait émouvoir… que moi.

 

Un petit bovin qui devait être sacrifié rituellement, par un égorgement en pleine conscience, finit par être étourdi à l’aide du pistolet à tige perforante. En effet, le box rotatif étant trop grand pour les animaux de sa taille, la mentonnière lui écrasait la tête au lieu de la tirer en l’arrière. De même, au fur et à mesure des manipulations, dans tous les sens, mécaniquement actionnées par le sacrificateur pour essayer d’avoir accès à la gorge de l’animal, les pattes avant du petit bovin sortirent par l’espace réservé normalement à la tête. Je ne sais pas si cela était dû à ma présence, mais un employé décida de l’étourdir au pistolet d’abattage pour mettre fin au calvaire de l’animal qui ne semblait pas soucier le sacrificateur rituel. Un autre bovin mâle, qui était mal placé lors de la rotation du box, fut lui aussi étourdi par un autre employé, mais ce dernier ne savait même pas où trouver les cartouches qui étaient éloignées du lieu d’abattage. Je préciserai également qu’il a été impossible aux responsables, au directeur et aux services vétérinaires, de me montrer les papiers concernant l’autorisation d’effectuer des sacrifices sans étourdissement par les sacrificateurs juifs et musulmans. L’absence des documents relatifs à l’autorisation de sacrifier rituellement s’est relevée fréquente, en particulier concernant l’agrément des sacrificateurs musulmans ; c’est elle qui faisait le plus souvent défaut.

 

 

 

 

dimanche, 15 juillet 2012

Ces bêtes qu’on abat : Le « bien-être » des porcs… Un argument publicitaire

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

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Le « bien-être » des porcs… Un argument publicitaire

 

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 La « demande sociale en bien-être animal » engendre des opérations de marketing dans le milieu de l’élevage, particulièrement celui des élevages intensifs de porcs, pour tenter de s’approprier une notion dont ces milieux ignoraient tout jusqu’à présent. Depuis quelques années, de plus en plus d’éleveurs se posent des questions concernant la manière dont ils exercent leur métier et font le choix d’un mode de production animale plus respectueux des animaux et de leurs besoins physiologiques. Les associations de protection animale et celles de défense des consommateurs informent ces derniers et dénoncent les conditions misérables dans lesquelles les bêtes sont élevées : la préférence est aux modes d’élevages alternatifs sur de la paille, en plein air ou en « bio », et non dans des bâtiments dont les animaux ne sortent jamais. Afin de contrer cette prise de position, les filières d’élevage intensif ripostent par des articles de journaux, des communiqués de presse, des journées portes ouvertes et des argumentaires publicitaires très étudiés. Le « bien-être animal » est devenu un argument publicitaire dont on tente de s’approprier les mots sans vraiment savoir quoi mettre dedans. L’important étant de donner l’illusion.

 

Cochons élevés en surnombre dans un élevage intensif.
Phot Jean-Luc Daub

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Une adhérente de l’association, sensibilisée et attentive, nous avait fait parvenir un communiqué publicitaire qui se révèle pour le moins déplacé, tant l’interprétation du « respect de l’animal » qui en est faite est inconvenante quand on pense aux éleveurs qui ont réellement pris en compte le « bien-être animal ». L’article apparaît encore plus décalé quand on a connaissance de l’étude très sérieuse émanant du Comité scientifique vétérinaire de la Commission européenne rendu en septembre 1997, et qui révèle que les méthodes d’élevage

intensif sont préjudiciables au bien-être des porcs. Sur ce communiqué publicitaire, on peut voir un couple d’éleveurs « tout sourire », à l’intérieur d’un bâtiment d’élevage intensif, devant une truie entravée dans une case métallique. Ses mouvements sont réduits aux seules possibilités de se coucher et de se lever. Elle ne peut ni se retourner, ni s’occuper de ses petits. Un petit porcelet est exhibé à la hauteur du photographe. Sous l’image, on peut lire ces mots : « Le respect des animaux nous tient à cœur ». Et voici quelques passages de l’article : « Le couple a fait installer un système de ventilation pour y maintenir une température agréable, tout en supprimant les courants d’air. Chaque animal porte un numéro, ce qui ne les empêche pas d’en appeler certains par leur nom. Les éleveurs consacrent beaucoup de temps et observent les cochons avec beaucoup d’attention. Leur fils se passionne déjà pour cet élevage et ils savent que le respect des animaux lui tient à cœur ».

 

Concrètement, rien n’est fait pour favoriser le bien-être animal. Passer beaucoup de temps « à les observer » et ne pas se rendre compte que les conditions d’élevage ne sont pas adaptées à l’animal, mais que finalement c’est l’animal qu’on essaye d’adapter à un système d’élevage dit moderne, c’est manquer de jugeote. Ce qui semble respecté, c’est la méthode d’élevage intensif. Observer des truies enfermées dans le noir, et prisonnières de stalles métalliques, n’est pas respecter l’animal. Leur mettre de la ventilation est un minimum pour les maintenir en vie. Ce n’est que de la littérature qui sert à anesthésier les consommateurs.

 

Truie suspendue avec l’aide d’un treuil sur le quai d’un abattoir.
Phot Jean-Luc Daub

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D’autres articles font également la promotion de l’élevage intensif des porcs : « Les animaux sont élevés sur des caillebotis, système qui permet une hygiène optimale, les boxes sont climatisés ». L’article met également l’accent sur la qualité et la certification de l’élevage sur le plan de l’hygiène. Et surtout, au cas où le consommateur ne serait pas encore convaincu du bien-fondé de l’élevage en bâtiments, il est précisé que : « Tout est fait pour la sécurité du consommateur ». Dans les élevages en plein air, tout est également fait pour la

sécurité du consommateur, d’ailleurs aucune recommandation n’interdit la consommation d’animaux élevés hors de ce cadre aseptisé. C’est même mieux : les animaux étant plus résistants aux maladies, pratiquement aucun traitement ne leur est administré. Le caillebotis (sol ajouré pour laisser passer les excréments) n’apporte rien pour le bien-être des porcs qui préfèreraient être sur de la paille ou avoir un accès au plein air. C’est un plus pour le confort de l’éleveur qui n’a rien d’autre à faire qu’à utiliser de l’eau à haute pression pour nettoyer (quand c’est nettoyé !).

 

Dans un autre article, la filière porcine, se sentant victime des actions contre les élevages intensifs, affirme que ce n’est pas bien d’opposer un système à un autre. La grande question n’est pas d’opposer une méthode d’élevage à une autre, ni même d’opposer des personnes entre elles, mais de prendre en compte « le respect et le bien-être des animaux » durant leur élevage et jusqu’à l’abattage, car effectivement, ce sont des êtres vivants et sensibles.

 

Les filières industrielles ne se sont pas préoccupées du bien-être animal jusqu’à présent. Dans le cadre de la logique productiviste, le maximum de ce qui est fait pour l’animal consiste à le maintenir vivant dans des conditions contraires à ses besoins. Il existe même de l’alimentation non blanche, c’est-à-dire une alimentation dans laquelle des médicaments sont déjà intégrés. Dans ces articles, il est souvent question du « confort de l’animal », ce qui n’a rien à voir avec le « bien-être ». Bénéficier d’un confort de ventilation pour une truie qui n’est pas libre de ses mouvements, prisonnière d’une stalle métallique et dans un environnement sans lumière naturelle n’a rien à voir ni avec le respect ni avec le bien-être.

 

J’aimerais citer les propos de Jocelyne Porcher, sociologue, chercheur à l’INRA, au sujet de l’intensification de la production porcine, lors d’une interview, par Sylvie Berthier, pour la Mission Agrobiosciences (septembre 2004)1. « En 1970, il y avait environ 800 000 élevages de porcs (12 porcs/exploitation). Il y en a actuellement 19 000 dont 3 500

 

1http://www.agrobiosciences.org/article.php3?id_article=1096

 

“spécialisés” concentrent la moitié du cheptel (plus de 2 000 porcs/exploitation). 70 % des élevages de porcs sont situés dans le Grand-Ouest (Bretagne, Pays de la Loire). Entre le recensement agricole de 1988 et celui de 2000, la moitié des élevages de porcs ont disparu, notamment bien sûr les plus petites exploitations. On assiste donc depuis les années 1970 à une énorme concentration des structures, qui va de pair d’ailleurs avec celle des abattoirs. Autres chiffres. En 1970, une truie produisait 16 porcelets sevrés par an ; elle en produit aujourd’hui 26. Ces dix porcelets ont été obtenus grâce à une accélération drastique du cycle de production de la truie et à un accroissement de la productivité du travail des éleveurs et des salariés. Ainsi, toujours en 1970, l’intervalle entre la mise bas et la saillie était de 21 jours, il est actuellement de 8 jours. Le sevrage se faisait à 52 jours, il se fait à 25 jours en moyenne actuellement. Je voudrais m’arrêter un instant sur cette moyenne. La législation interdit le sevrage des porcelets avant 21 jours. Donc les éleveurs et les salariés affichent cette durée minimum. En réalité, du fait de la surproductivité des truies, c’est plutôt à 18 jours, voire à 15 que les porcelets sont sevrés. En effet, bien qu’elles n’aient toujours que 14 tétines, les truies donnent naissance à 18 voire à 20 petits par portée. Les éleveurs répartissent ces porcelets surnuméraires entre les truies et complémentent avec du lait ou de l’aliment artificiel. Ils sèvrent dès que possible. Le but étant d’augmenter non pas directement le nombre d’animaux produits, car ces porcelets surnuméraires garderont une croissance ralentie, mais le tonnage de viande produit. Dans ce cas-là, un porc, même pas très beau, c’est toujours des kilos gagnés ». La préoccupation des éleveurs intensifs n’est à l’évidence pas le bien-être des animaux, mais la production de kilos de viande quelles que soient les méthodes employées.

Les formes d’élevage alternatif ou extensif ont inclus dans leur mode de production, et ce depuis longtemps, la prise en compte du « respect de l’animal et de son bien-être ». De nouvelles mesures, qui permettent d’améliorer les conditions d’élevage des truies dans les élevages intensifs, ont été adoptées

par le Conseil des ministres européens le 23 octobre 2001 et par la Commission européenne le 9 novembre 2001. Se fondant sur les conclusions du Rapport des experts du Comité scientifique vétérinaire, la Commission a fait des propositions qui portaient sur les problèmes d’isolement des porcs, et en particulier des truies confinées dans des stalles1 individuelles, de certains systèmes d’alimentation qui peuvent entraîner un comportement agressif, notamment lorsque les truies sèches sont sous-alimentées et restent affamées durant toute leur vie, sur les revêtements des sols artificiels, entre autres des caillebotis qui occasionnent des blessures et des gênes, et également sur la section partielle de la queue des porcelets…

Ces propositions n’ont pas été entièrement suivies par les ministres européens de l’Agriculture, mais permettent une sensible amélioration. Notons que le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark, la Finlande et la Suède ont adopté une législation plus restrictive qui vise à interdire le confinement en stalle pour les truies gestantes. David Byrne, Commissaire européen chargé de la santé et de la protection des consommateurs, avait déclaré que : « L’intensification de l’élevage des porcs au cours de ces dix dernières années a donné lieu à des pratiques entraînant des souffrances inutiles… ». Pourtant, des bâtiments d’élevage intensif continuent à voir le jour, et des opérations de communication de ce modèle de production continuent à faire l’apologie d’un domaine (le bien être animal) qui n’est pas le sien.

Des alternatives existent. L’association de défense des consommateurs de la Chambre des consommateurs d’Alsace déclare que «  des éleveurs ont mis au point des systèmes d'élevage adaptés aux besoins naturels des animaux et qui assurent une très bonne sécurité sanitaire au consommateur : l'agriculture biologique, mais aussi des initiatives régionales comme les produits d'élevage Thierry Schweitzer. Ces élevages assurent l'accès à l'air libre, la liberté de mouvement (y compris pour les truies), la présence d'un sol paillé, et l'élevage des animaux en petits groupes. L'impact positif de ces modes d'élevage sur l'environnement n'est pas négligeable. Ils doivent être soutenus. Les éleveurs alsaciens qui les ont créés, en partenariat avec des associations de consommateurs et de citoyens, ont accumulé les connaissances techniques qu’ils sont tout prêts à divulguer ». Mais le consommateur doit veiller à ne pas se faire piéger par de la publicité ; celle-ci a souvent pour but de l’induire en erreur. Pour continuer à parler de l’Alsace, qui est une région que je connais bien – mais ces remarques peuvent être valables pour d’autres régions de France – un représentant de la filière intensive porcine distribuait des tracts vantant un groupement au nom alsacien. Ma propre mère s’est fait abuser ! Elle m’a remis le tract commercial distribué aux clients du magasin, dont voici quelques extraits : « …Pour nous, éleveurs de porcs et de bovins alsaciens, la qualité est notre engagement fondamental…, C’est pourquoi nous respectons une charte très stricte concernant l’élevage notamment en termes de règles sanitaires, alimentaires et environnementales ». En réalité, les cochons sont enfermés dans des bâtiments industriels. Rien n’est dit du mode d’élevage ni du respect du bien-être des animaux, excepté cette phrase « … la viande des éleveurs d’Alsace, c’est des animaux élevés en Alsace dans le respect des bonnes pratiques d’élevage ». Dans le respect des bonnes pratiques… Cela ne veut rien dire, mais laisse surtout penser aux consommateurs que les animaux, les porcs en l’occurrence, sont élevés dans des conditions qui leur sont favorables. Il n’en est rien puisque les cochons de cette marque sont élevés dans des bâtiments intensifs. Sur le dessin du prospectus, on peut voir un cochon représenté avec une queue en tire-bouchon, alors que pas un seul de leurs cochons n’a conservé sa queue : elles sont coupées à vif pour éviter, étant donné les conditions défavorables qui créent du stress, un comportement agressif, qui consiste dans le fait que les animaux mangent la queue de leurs congénères.

Figure en outre à l’intérieur du document, la photo d’un éleveur de porc, tout souriant, un porcelet dans les bras.

Le fond vert de l’image donne à croire que nous pourrions avoir affaire à un éleveur plein air. Il n’en est rien, je me suis renseigné. Dans ce village alsacien, il n’y a qu’un éleveur de porcs en bâtiment, et sur caillebotis. Nous aurait-on montré la réalité des modes d’élevage sur un prospectus publicitaire ? Non ! Alors pourquoi nous induire en erreur en édulcorant la réalité ? J’ai épluché le site Web de cette marque alsacienne : rien n’est dit concernant les conditions d’élevage des animaux, ni même concernant ce fameux respect des bonnes pratiques ; il n’est fait mention que « d’élevage contrôlé ». Il est également indiqué qu’« une équipe constituée d’ingénieurs et de techniciens spécialisés, à laquelle est associé un vétérinaire, [qui] est chargée de suivre les élevages tant du point de vue de la technique pure que des aspects sanitaires, de l’alimentation, du bien-être animal, de la conception des bâtiments, etc. ». Ah, un vétérinaire est dans le coup ? Voilà qui peut rassurer le consommateur, mais quel est son rôle en matière de bien-être animal dans ce type d’élevage qui ne prend pas en compte les réels besoins des animaux ? Seul point positif, le nom de l’éleveur figure sur les barquettes de viande vendue. Il serait donc facile pour le consommateur de connaître l’origine des méthodes d’élevage employées. Encore faut-il savoir poser les bonnes questions et ne pas se laisser « embobiner », comme cela a été le cas de ma mère où, dans l’hypermarché, le représentant de la filière qui lui a remis le prospectus, lui a certifié que les cochons étaient bien élevés, avec beaucoup d’espace pour chacun…

Sachez que plus de 95 % des 26 millions de porcs abattus en France chaque année sortent des systèmes industriels, et que seuls nos choix d’achat peuvent apporter une aide considérable au bien-être des animaux. Du moins pouvons-nous contribuer à faire cesser le mal-être des animaux d’élevages intensifs en refusant les produits qui en sont issus.

 

1 Les stalles seront interdites à partir de 2013, mais au-delà les truies pourront être gardées en cage les quatre premières semaines de gestation, ainsi que pendant la période de maternité dans une cage de mise bas.

 

 

 

dimanche, 08 juillet 2012

Ces bêtes qu’on abat : Des vaches dans le local d’abattage d’urgence

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


 

Vache qui ne peut se relever dans un transport et qui est elle-même couchée sur une autre qui est morte par suffocation.
Phot Jean-Luc Daub

abattoirs, condition animale, transports animaux, végétarisme, protection animale, droits des animaux, Jean-Luc Daub, Ces bêtes qu'on abat, maltraitance, législation animale, viande ; animaux, animal ; bêtes, fraternité

 

 

Des vaches dans le local d’abattage d’urgence

 

Une année, j’ai visité dans la Manche un abattoir qui se démarquait par ses pratiques d’abattage. Je m’étais présenté à une responsable qui me laissa visiter les lieux seul. Elle me montra les bulletins et les articles qu’elle avait amassés concernant l’association dans le cadre de laquelle j’effectuais ces contrôles. Elle s’attendait à nous voir arriver un jour ou l’autre.

 

Après avoir conversé avec elle, je m’équipai de ma blouse, de mes bottes alimentaires et de mon casque. L’équipement était tout blanc, ce qui peut apparaître bizarre alors que les tâches de sang maculent le tablier de rouge. Mais c’est la norme, tout le monde est en blanc. L’abattoir n’était plus tout jeune, il était même vétuste et insalubre.

 

J’assistai aux abattages rituels des ovins. Un groupe de mouton était emmené dans le local d’abattage, le sacrificateur accrochait à un treuil une longue barre en fer. À l’aide d’une ficelle, il prenait une patte arrière d’un mouton et l’attachait à la barre. Il répétait l’opération en y attachant deux autres bêtes. Dans une panique compréhensible, les trois moutons tentaient de défaire le lien en tirant sur la patte attachée. L’employé actionna le treuil qui leva les trois moutons en l’air. La suspension des animaux vivants est pourtant interdite, plus encore si on en accroche trois en même temps ! Il poussa ensuite les trois moutons vers le poste de saignée. Là, le sacrificateur les égorgea un après l’autre.

 

J’assistai – et ce fut encore pire – à l’abattage rituel d’une vache. Le même employé alla chercher une vache dans la bouverie, il l’attacha par le cou au mur du local d’abattage. Puis, il fit descendre le treuil et enroula une chaîne autour d’une des pattes arrière de l’animal. Le sacrificateur actionna le treuil et suspendit la vache. Il détacha la tête qui, en se balançant, venait se cogner contre une paroi métallique. La bête se retrouva la tête en bas, suspendue par une patte. Il la poussa jusqu’au poste d’abattage puis, muni de son couteau, il l’égorgea en pleine conscience. Cette pratique est également interdite, l’abattoir aurait dû être équipé d’un box rotatif.

 

Bœuf en attente dans un box rotatif servant à l’abattage rituel, la mentonnière lui relève la tête.

 

 

 

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Dans le local d’abattage d’urgence, deux vaches étaient couchées sur le sol dans l’incapacité de se mouvoir. En principe, elles auraient dû être tuées dès leur arrivée : ce genre de situation requiert ce que l’on appelle l’abattage d’urgence. De plus, puisqu’elles ne pouvaient pas marcher, elles n’auraient pas dû être déchargées à l’aide du câble métallique au bout d’un treuil, elles auraient dû être abattues dans le camion. L’une des vaches était encore attachée par le câble à une patte arrière. Manifestement, on ne se pressait pas pour leur donner la mort et mettre fin à leur souffrance certaine. Comme bien souvent, elles allaient être abattues en fin de journée, lorsque les autres tueries prendraient fin. C’était la pratique habituelle, le caractère d’urgence perdait tout son sens.

 

J’allais assister au déchargement, peu commun, d’une troisième vache. Un véhicule, une petite camionnette, faisait une marche arrière dans le local d’abattage d’urgence. Pour faire de la place, le chauffeur poussa, à l’aide de la camionnette, l’une des vaches qui gênait l’entrée. Il sortit de son véhicule, détacha celle qui était retenue par une patte, pour aller attacher celle qui était couchée dans la camionnette. Le chauffeur qui, par ses gestes précis montrait qu’il n’en était pas à son coup d’essai, ouvrit en grand les portières du véhicule. Il monta à bord et mis le moteur en marche. Il avait au préalable tendu le câble. Le chauffeur enclencha la première vitesse et démarra brusquement, de sorte que la vache retenue par le câble se retrouva expulsée du camion et se fracassa la tête sur le sol, car le véhicule était bien plus haut que le sol. Le chauffeur est ensuite parti sans se retourner pour voir dans quel état se trouvait l’animal. Toutes ces opérations se passaient sous les fenêtres du bureau des services vétérinaires. Je présume que les deux autres vaches avaient été déchargées de la même façon et que ce n’était pas la première fois qu’il agissait de la sorte. L’association pour laquelle je travaillais déposa une plainte et le chauffeur fut condamné à payer une amende (ce qui me fut reproché plusieurs années après sur un marché aux bestiaux où je me fis agresser, comme nous le verrons plus loin).

 

Une heure après, les trois vaches n’avaient toujours pas été abattues, deux d’entre elles gisaient, agonisantes. J’insistais auprès des responsables pour que l’abattage soit mis en œuvre et que les souffrances de ces bovins soient abrégées. Mais rien ne se passait. J’ai alors demandé à pouvoir téléphoner. Je tentai de joindre le Ministère de l’Agriculture pour les avertir de la situation. Ayant écouté la conversation, la responsable de l’abattoir en compagnie du directeur ordonna l’abattage immédiat des trois bovins. Ce qui fut fait. Je quittai cet abattoir écœuré et ne sachant pas si les méthodes employées pour les abattages allaient perdurer. Je n’ai pas eu l’occasion d’y retourner ayant tant à faire ailleurs, mais le Ministère de l’Agriculture avait, par un courrier, vivement réagi.