Ces bêtes qu’on abat : Vaches mourantes (dimanche, 05 août 2012)
Vache faible et épuisée couchée dans un camion sur un marché à bestiaux.
Phot Jean-Luc Daub
Vaches mourantes
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.
Dans les Vosges, je visitais un abattoir moderne. Lorsque j’arrivai vers le local d’abattage d’urgence, je fus surpris de voir pas moins de dix vaches qui gisaient sur le sol jusque dans la cour. Aucune n’avait la capacité de marcher (elles ne risquaient donc pas de se sauver de l’abattoir). Je me demandais dans quelles conditions elles avaient été chargées et déchargées (au treuil bien évidemment). Certaines étaient agonisantes. Elles auraient dû être abattues dès leur arrivée. C’est le but de l’abattage d’urgence. L’abattoir avait pour habitude d’attendre la fin des abattages, donc la fin de journée, pour s’occuper de celles qui avaient été traînées dans le local d’abattage d’urgence, pour ne pas souiller la chaîne, comme disent les professionnels. Un grossiste effectuait des ramassages spéciaux, afin de faire du commerce avec les bêtes accidentées ou malades, très recherchées pour les steaks hachés.
Bien que la réglementation protège les animaux qui ne peuvent pas se déplacer d’eux- mêmes, en les déclarant inaptes au transport, des bovins sont encore fréquemment déplacés, alors qu’ils auraient dû bénéficier de la mesure d’abattage d’urgence à la ferme. Dans un abattoir que j’ai visité deux fois en l’espace de quelques mois, j’ai pu constater la première fois une génisse morte devant le local d’abattage d’urgence. J’ai observé son crâne : aucune trace d’impact du pistolet à tige perforante n’était visible. Elle avait vraisemblablement été déchargée et déposée encore vivante devant le local d’abattage d’urgence et a fini par mourir. La deuxième fois nous étions attendus, une collègue et moi, aurendez-vous, nous nous sommes dirigés vers ce même local avant de rencontrer nos interlocuteurs. Une vache mourante gisait sur le sol. Nous avons réclamé son euthanasie immédiate. Le vétérinaire appela alors le tueur (selon le terme professionnel consacré) qui n'arriva sur le site qu'après un deuxième coup fil. Malgré un état d’extrême faiblesse empêchant la vache de réaliser le moindremouvement, et malgré les meuglements de l'animal, le vétérinaire considéra que la vache ne souffrait pas. Aucun procès-verbal ne fut dressé au transporteur pour cette vache, qui, selon le vétérinaire, était debout au moment de son chargement dans le camion qui transportait un lot de bovins en provenance de la Manche. La Manche n’étant pas très loin, l’animal était de toute évidence déjà mal en point lors de son départ. Dans tous les cas, vu son état et son immobilité, elle n’aurait pas dû être déchargée au treuil, mais, aurait dû être tuée dans le camion. Le vétérinaire nous dit dresser, malgré tout, des PV pour des animaux malades inaptes aux transports. Six bovins en très mauvais état avaient été déchargés le vendredi précédent (des vaches de réforme). Un seul animal avait fait l'objet d'une saisie totale. À la question : « Pourquoi vous ne les abattez pas dans le camion, puisque les textes réglementaires précisent clairement que les animaux couchés doivent être abattus à bord du camion lorsqu'il n'est pas possible de les transporter sur une plaque roulante sans leur infliger de souffrances supplémentaires ? », le vétérinaire nous répondit que la valeur marchande de l'animal serait perdue. Inaptes au transport, certains bovins devraient même être tués à la ferme.
Vache agonisante devant un local d’abattage d’urgence d’un abattoir. Elle devrait être abattue de suite, mais elle sera laissée souffrante…
Phot Jean-Luc Daub
J’ai appris, grâce aux confidences d’un vétérinaire d’un autre endroit, que beaucoup de bovins déclarés inaptes au transport sont encore envoyés à l’abattoir alors qu’ils devraient être euthanasiés sur le lieu d’élevage. Le vétérinaire de l’abattoir nous rétorqua que nous faisions de l’anthropomorphisme lorsque nous lui dîmes que vu l’état dans lequel elle se trouvait, la vache devait beaucoup souffrir. Il nous a alors rétorqué que si elle souffrait, elle l’aurait déjà dit ! Ma collègue réagit intelligemment en lui faisant remarquer : « Là, c’est vous qui faites de l’anthropomorphisme ! »
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