Ces bêtes qu’on abat : Le « bien-être » des porcs… Un argument publicitaire (dimanche, 15 juillet 2012)
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.
Le « bien-être » des porcs… Un argument publicitaire
La « demande sociale en bien-être animal » engendre des opérations de marketing dans le milieu de l’élevage, particulièrement celui des élevages intensifs de porcs, pour tenter de s’approprier une notion dont ces milieux ignoraient tout jusqu’à présent. Depuis quelques années, de plus en plus d’éleveurs se posent des questions concernant la manière dont ils exercent leur métier et font le choix d’un mode de production animale plus respectueux des animaux et de leurs besoins physiologiques. Les associations de protection animale et celles de défense des consommateurs informent ces derniers et dénoncent les conditions misérables dans lesquelles les bêtes sont élevées : la préférence est aux modes d’élevages alternatifs sur de la paille, en plein air ou en « bio », et non dans des bâtiments dont les animaux ne sortent jamais. Afin de contrer cette prise de position, les filières d’élevage intensif ripostent par des articles de journaux, des communiqués de presse, des journées portes ouvertes et des argumentaires publicitaires très étudiés. Le « bien-être animal » est devenu un argument publicitaire dont on tente de s’approprier les mots sans vraiment savoir quoi mettre dedans. L’important étant de donner l’illusion.
Cochons élevés en surnombre dans un élevage intensif.
Phot Jean-Luc Daub
Une adhérente de l’association, sensibilisée et attentive, nous avait fait parvenir un communiqué publicitaire qui se révèle pour le moins déplacé, tant l’interprétation du « respect de l’animal » qui en est faite est inconvenante quand on pense aux éleveurs qui ont réellement pris en compte le « bien-être animal ». L’article apparaît encore plus décalé quand on a connaissance de l’étude très sérieuse émanant du Comité scientifique vétérinaire de la Commission européenne rendu en septembre 1997, et qui révèle que les méthodes d’élevage
intensif sont préjudiciables au bien-être des porcs. Sur ce communiqué publicitaire, on peut voir un couple d’éleveurs « tout sourire », à l’intérieur d’un bâtiment d’élevage intensif, devant une truie entravée dans une case métallique. Ses mouvements sont réduits aux seules possibilités de se coucher et de se lever. Elle ne peut ni se retourner, ni s’occuper de ses petits. Un petit porcelet est exhibé à la hauteur du photographe. Sous l’image, on peut lire ces mots : « Le respect des animaux nous tient à cœur ». Et voici quelques passages de l’article : « Le couple a fait installer un système de ventilation pour y maintenir une température agréable, tout en supprimant les courants d’air. Chaque animal porte un numéro, ce qui ne les empêche pas d’en appeler certains par leur nom. Les éleveurs consacrent beaucoup de temps et observent les cochons avec beaucoup d’attention. Leur fils se passionne déjà pour cet élevage et ils savent que le respect des animaux lui tient à cœur ».
Concrètement, rien n’est fait pour favoriser le bien-être animal. Passer beaucoup de temps « à les observer » et ne pas se rendre compte que les conditions d’élevage ne sont pas adaptées à l’animal, mais que finalement c’est l’animal qu’on essaye d’adapter à un système d’élevage dit moderne, c’est manquer de jugeote. Ce qui semble respecté, c’est la méthode d’élevage intensif. Observer des truies enfermées dans le noir, et prisonnières de stalles métalliques, n’est pas respecter l’animal. Leur mettre de la ventilation est un minimum pour les maintenir en vie. Ce n’est que de la littérature qui sert à anesthésier les consommateurs.
Truie suspendue avec l’aide d’un treuil sur le quai d’un abattoir.
Phot Jean-Luc Daub
D’autres articles font également la promotion de l’élevage intensif des porcs : « Les animaux sont élevés sur des caillebotis, système qui permet une hygiène optimale, les boxes sont climatisés ». L’article met également l’accent sur la qualité et la certification de l’élevage sur le plan de l’hygiène. Et surtout, au cas où le consommateur ne serait pas encore convaincu du bien-fondé de l’élevage en bâtiments, il est précisé que : « Tout est fait pour la sécurité du consommateur ». Dans les élevages en plein air, tout est également fait pour la
sécurité du consommateur, d’ailleurs aucune recommandation n’interdit la consommation d’animaux élevés hors de ce cadre aseptisé. C’est même mieux : les animaux étant plus résistants aux maladies, pratiquement aucun traitement ne leur est administré. Le caillebotis (sol ajouré pour laisser passer les excréments) n’apporte rien pour le bien-être des porcs qui préfèreraient être sur de la paille ou avoir un accès au plein air. C’est un plus pour le confort de l’éleveur qui n’a rien d’autre à faire qu’à utiliser de l’eau à haute pression pour nettoyer (quand c’est nettoyé !).
Dans un autre article, la filière porcine, se sentant victime des actions contre les élevages intensifs, affirme que ce n’est pas bien d’opposer un système à un autre. La grande question n’est pas d’opposer une méthode d’élevage à une autre, ni même d’opposer des personnes entre elles, mais de prendre en compte « le respect et le bien-être des animaux » durant leur élevage et jusqu’à l’abattage, car effectivement, ce sont des êtres vivants et sensibles.
Les filières industrielles ne se sont pas préoccupées du bien-être animal jusqu’à présent. Dans le cadre de la logique productiviste, le maximum de ce qui est fait pour l’animal consiste à le maintenir vivant dans des conditions contraires à ses besoins. Il existe même de l’alimentation non blanche, c’est-à-dire une alimentation dans laquelle des médicaments sont déjà intégrés. Dans ces articles, il est souvent question du « confort de l’animal », ce qui n’a rien à voir avec le « bien-être ». Bénéficier d’un confort de ventilation pour une truie qui n’est pas libre de ses mouvements, prisonnière d’une stalle métallique et dans un environnement sans lumière naturelle n’a rien à voir ni avec le respect ni avec le bien-être.
J’aimerais citer les propos de Jocelyne Porcher, sociologue, chercheur à l’INRA, au sujet de l’intensification de la production porcine, lors d’une interview, par Sylvie Berthier, pour la Mission Agrobiosciences (septembre 2004)1. « En 1970, il y avait environ 800 000 élevages de porcs (12 porcs/exploitation). Il y en a actuellement 19 000 dont 3 500
1http://www.agrobiosciences.org/article.php3?id_article=1096
“spécialisés” concentrent la moitié du cheptel (plus de 2 000 porcs/exploitation). 70 % des élevages de porcs sont situés dans le Grand-Ouest (Bretagne, Pays de la Loire). Entre le recensement agricole de 1988 et celui de 2000, la moitié des élevages de porcs ont disparu, notamment bien sûr les plus petites exploitations. On assiste donc depuis les années 1970 à une énorme concentration des structures, qui va de pair d’ailleurs avec celle des abattoirs. Autres chiffres. En 1970, une truie produisait 16 porcelets sevrés par an ; elle en produit aujourd’hui 26. Ces dix porcelets ont été obtenus grâce à une accélération drastique du cycle de production de la truie et à un accroissement de la productivité du travail des éleveurs et des salariés. Ainsi, toujours en 1970, l’intervalle entre la mise bas et la saillie était de 21 jours, il est actuellement de 8 jours. Le sevrage se faisait à 52 jours, il se fait à 25 jours en moyenne actuellement. Je voudrais m’arrêter un instant sur cette moyenne. La législation interdit le sevrage des porcelets avant 21 jours. Donc les éleveurs et les salariés affichent cette durée minimum. En réalité, du fait de la surproductivité des truies, c’est plutôt à 18 jours, voire à 15 que les porcelets sont sevrés. En effet, bien qu’elles n’aient toujours que 14 tétines, les truies donnent naissance à 18 voire à 20 petits par portée. Les éleveurs répartissent ces porcelets surnuméraires entre les truies et complémentent avec du lait ou de l’aliment artificiel. Ils sèvrent dès que possible. Le but étant d’augmenter non pas directement le nombre d’animaux produits, car ces porcelets surnuméraires garderont une croissance ralentie, mais le tonnage de viande produit. Dans ce cas-là, un porc, même pas très beau, c’est toujours des kilos gagnés ». La préoccupation des éleveurs intensifs n’est à l’évidence pas le bien-être des animaux, mais la production de kilos de viande quelles que soient les méthodes employées.
Les formes d’élevage alternatif ou extensif ont inclus dans leur mode de production, et ce depuis longtemps, la prise en compte du « respect de l’animal et de son bien-être ». De nouvelles mesures, qui permettent d’améliorer les conditions d’élevage des truies dans les élevages intensifs, ont été adoptées
par le Conseil des ministres européens le 23 octobre 2001 et par la Commission européenne le 9 novembre 2001. Se fondant sur les conclusions du Rapport des experts du Comité scientifique vétérinaire, la Commission a fait des propositions qui portaient sur les problèmes d’isolement des porcs, et en particulier des truies confinées dans des stalles1 individuelles, de certains systèmes d’alimentation qui peuvent entraîner un comportement agressif, notamment lorsque les truies sèches sont sous-alimentées et restent affamées durant toute leur vie, sur les revêtements des sols artificiels, entre autres des caillebotis qui occasionnent des blessures et des gênes, et également sur la section partielle de la queue des porcelets…
Ces propositions n’ont pas été entièrement suivies par les ministres européens de l’Agriculture, mais permettent une sensible amélioration. Notons que le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark, la Finlande et la Suède ont adopté une législation plus restrictive qui vise à interdire le confinement en stalle pour les truies gestantes. David Byrne, Commissaire européen chargé de la santé et de la protection des consommateurs, avait déclaré que : « L’intensification de l’élevage des porcs au cours de ces dix dernières années a donné lieu à des pratiques entraînant des souffrances inutiles… ». Pourtant, des bâtiments d’élevage intensif continuent à voir le jour, et des opérations de communication de ce modèle de production continuent à faire l’apologie d’un domaine (le bien être animal) qui n’est pas le sien.
Des alternatives existent. L’association de défense des consommateurs de la Chambre des consommateurs d’Alsace déclare que « des éleveurs ont mis au point des systèmes d'élevage adaptés aux besoins naturels des animaux et qui assurent une très bonne sécurité sanitaire au consommateur : l'agriculture biologique, mais aussi des initiatives régionales comme les produits d'élevage Thierry Schweitzer. Ces élevages assurent l'accès à l'air libre, la liberté de mouvement (y compris pour les truies), la présence d'un sol paillé, et l'élevage des animaux en petits groupes. L'impact positif de ces modes d'élevage sur l'environnement n'est pas négligeable. Ils doivent être soutenus. Les éleveurs alsaciens qui les ont créés, en partenariat avec des associations de consommateurs et de citoyens, ont accumulé les connaissances techniques qu’ils sont tout prêts à divulguer ». Mais le consommateur doit veiller à ne pas se faire piéger par de la publicité ; celle-ci a souvent pour but de l’induire en erreur. Pour continuer à parler de l’Alsace, qui est une région que je connais bien – mais ces remarques peuvent être valables pour d’autres régions de France – un représentant de la filière intensive porcine distribuait des tracts vantant un groupement au nom alsacien. Ma propre mère s’est fait abuser ! Elle m’a remis le tract commercial distribué aux clients du magasin, dont voici quelques extraits : « …Pour nous, éleveurs de porcs et de bovins alsaciens, la qualité est notre engagement fondamental…, C’est pourquoi nous respectons une charte très stricte concernant l’élevage notamment en termes de règles sanitaires, alimentaires et environnementales ». En réalité, les cochons sont enfermés dans des bâtiments industriels. Rien n’est dit du mode d’élevage ni du respect du bien-être des animaux, excepté cette phrase « … la viande des éleveurs d’Alsace, c’est des animaux élevés en Alsace dans le respect des bonnes pratiques d’élevage ». Dans le respect des bonnes pratiques… Cela ne veut rien dire, mais laisse surtout penser aux consommateurs que les animaux, les porcs en l’occurrence, sont élevés dans des conditions qui leur sont favorables. Il n’en est rien puisque les cochons de cette marque sont élevés dans des bâtiments intensifs. Sur le dessin du prospectus, on peut voir un cochon représenté avec une queue en tire-bouchon, alors que pas un seul de leurs cochons n’a conservé sa queue : elles sont coupées à vif pour éviter, étant donné les conditions défavorables qui créent du stress, un comportement agressif, qui consiste dans le fait que les animaux mangent la queue de leurs congénères.
Figure en outre à l’intérieur du document, la photo d’un éleveur de porc, tout souriant, un porcelet dans les bras.
Le fond vert de l’image donne à croire que nous pourrions avoir affaire à un éleveur plein air. Il n’en est rien, je me suis renseigné. Dans ce village alsacien, il n’y a qu’un éleveur de porcs en bâtiment, et sur caillebotis. Nous aurait-on montré la réalité des modes d’élevage sur un prospectus publicitaire ? Non ! Alors pourquoi nous induire en erreur en édulcorant la réalité ? J’ai épluché le site Web de cette marque alsacienne : rien n’est dit concernant les conditions d’élevage des animaux, ni même concernant ce fameux respect des bonnes pratiques ; il n’est fait mention que « d’élevage contrôlé ». Il est également indiqué qu’« une équipe constituée d’ingénieurs et de techniciens spécialisés, à laquelle est associé un vétérinaire, [qui] est chargée de suivre les élevages tant du point de vue de la technique pure que des aspects sanitaires, de l’alimentation, du bien-être animal, de la conception des bâtiments, etc. ». Ah, un vétérinaire est dans le coup ? Voilà qui peut rassurer le consommateur, mais quel est son rôle en matière de bien-être animal dans ce type d’élevage qui ne prend pas en compte les réels besoins des animaux ? Seul point positif, le nom de l’éleveur figure sur les barquettes de viande vendue. Il serait donc facile pour le consommateur de connaître l’origine des méthodes d’élevage employées. Encore faut-il savoir poser les bonnes questions et ne pas se laisser « embobiner », comme cela a été le cas de ma mère où, dans l’hypermarché, le représentant de la filière qui lui a remis le prospectus, lui a certifié que les cochons étaient bien élevés, avec beaucoup d’espace pour chacun…
Sachez que plus de 95 % des 26 millions de porcs abattus en France chaque année sortent des systèmes industriels, et que seuls nos choix d’achat peuvent apporter une aide considérable au bien-être des animaux. Du moins pouvons-nous contribuer à faire cesser le mal-être des animaux d’élevages intensifs en refusant les produits qui en sont issus.
1 Les stalles seront interdites à partir de 2013, mais au-delà les truies pourront être gardées en cage les quatre premières semaines de gestation, ainsi que pendant la période de maternité dans une cage de mise bas.
| Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | Imprimer |