dimanche, 08 septembre 2013
Ban public
Le sommeil ne vient pas.
J'arpente dans ma tête
Cette salle des Pas
Perdus où je m'entête
À t'attendre, Geoffroy.
Quand ont sonné cinq heures
Au clocher du beffroi
J'ai senti que mon cœur
Se brisait. Le gardien
A fermé après moi.
Je suis partie sans rien,
Sans souvenir de toi.
Maintenant c'est la nuit.
Tu ne reviendras pas.
J'écoute tous les bruits,
Le sommeil ne vient pas.
Anne de La Roche Saint-André
(écrit dans le laps entre 1975 et 1978)
Pères et mères, amants, frères et sœurs, amis enfants, voisins, si quelqu'un alentour a été emmené, menotté dans nos camps de Fleury, de la Centrale de Châteauroux ou de Rennes, ou dans tout autre prison de France et de Navarre, visitez Ban Public et vous trouverez peut-être de l'aide, une réponse, une adresse utile. Ou bien quelqu'un qui a besoin de vous.
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dimanche, 01 septembre 2013
Ton rêve, lorsque tu penses à celles, à ceux qui dormaient dans ses bras avant toi
Damien :
Toutes ces femmes, toutes ces femmes, toutes ces femmes flottent autour de toi quand tu marches sur la place qui s'étend vers le Sud de la ville. Et tous ces chiens, ces chiens, ces chiens qui dorment de l'autre côté de ton regard, as-tu prononcé leurs noms ? Tu vieillis, tu vieillis, tu vieillis, autour de tes yeux et sur le bord des lèvres il est écrit que tu vieillis. Tu dors, tu dors un peu et je m'endors au fond de mes propres yeux - où sont l'écaille et le hasard fiévreux ? Le hasard qui nous avait tendu les mains, les bras, plus loin que le coin des gens heureux.
Électre :
Ressembler aux hommes et aux femmes qui m'avaient donné du feu, à Pornichet. Ils ressemblaient à un rêve et ils souriaient comme des frères. Ils avaient l'habit des princes et ils m'invitaient à aller avec eux. Ils me laissaient libres. Ils me laissaient partir si j'étais différente, pas assez libre, pas assez prête, pas assez d'accord.
Je suis partie et je le regrette. Je ne pense pas à ceux qu'ils avaient étreint avant. Je pense à ceux et celles qui ont eu la chance d'être étreints après. Après que je n'aie pas osé rester.
Marc :
L'influence de l'imaginaire sur la voix, sur la peau, sur la vue, l'ouïe, l'odorat ; sur la détente et l'énergie ; sur le rire, les gestes, sur la qualité des silences et sur celle des caresses : l'influence de cet imaginaire est trop grande pour que je me laisse aller à imaginer les autres hommes de sa vie.
Édith :
Je me dis qu'elles étaient belles, chaudes, denses, ensoleillées ou peut-être, parfois, nocturnes dans leurs voix ombrées, au fond de leurs films noirs, avec leurs mains expertes, et je bois du rhum.
Alexandre :
Je veux tout savoir et j'insiste pour tout entendre, tout comprendre, tout refaire comme ils avaient fait.
Délia :
Ne rien savoir. Ne rien penser. Agir. Tout lui faire oublier.
Laure :
Ce n'est pas un rêve, c'est un cauchemar.
K :
J'y peux rien. Moi aussi j'ai eu mes amours fauves.
Manuel :
Je les compte et je me compare !
Antoine :
Rien à foutre.
Florence C :
Je suis la seule, l'unique, la première et la dernière.
(Sur une idée de K.)
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mardi, 27 août 2013
Alerte monomanie : une des photographes d'AlmaSoror atteinte de gruélité
AlmaSoror, sans être un asile reconnu par l’ONU, accueille pas mal de fous, comme vous l'aurez remarqué. D'ailleurs, si vous lisez ceci, c'est que vous l'êtes un peu, ou tout au moins vaguement fêlé aux encoignures du ciboulot. Un expert, qui a analysé notre blog récemment, a diagnostiqué que la seule personne entièrement normale gravitant autour de ce blog, c'est votre servante. Hormis moi, tous, lecteurs, collaborateurs, visiteurs occasionnels, dépanneurs sympathiques, auraient une ou deux cybernévrose(s) sur le feu sacré. Quoi que j'en pense, ce n'est pas dans mon genre de contredire un expert.
L'une de nos auteurs - la photographe Mavra Nicolaïevna Novogrochneïev -, a développé récemment une pathologie qui ne laissera pas de soulever des débats entre les spécialistes les plus chevronnés de l'âme humaine. Notre tendre amie s'est prise de passion pour les grues (l'objet, pas l'oiseau), et ne peut en voir une sans sortir immédiatement son appareil-photo numérique, ou à défaut son téléphone. Lorsqu'elle n'aperçoit pas de grue au cours d'une promenade, une sorte de douleur lancinante s'installe au fond de son esprit. Alors elle prononce, en son for intérieur, le mot : "grue", plusieurs fois, comme un mantra. Peu à peu, le calme revient.
Le résultat de cet étrange mal ? Un blog, qui s'intitule joliment 1000 grues, et se sous-titule Belles grues des rues.
Si vous sentez au fond de vous-même que, vous aussi, vous êtes atteint par la gruélité, foncez à cette adresse, et rendez-vous y souvent. Jour après jour, grue après grue, vous irez de mieux en mieux.
La page de Mavra sur AlmaSoror
Le blog 1000 grues, belles grues des rues
(L'illustration sonore de ce billet, Still water, de Yellow 6 alias Jon Attwood, a été choisie pour appuyer l'impression monomaniaque).
Légende : Mavra en compagnie de Sara, à l'époque où la gruélité n'était pas formellement diagnostiquée.
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vendredi, 16 août 2013
Dictionnaire de la délivrance psychique (inachevé)
Ce dictionnaire est élaboré sous la direction paresseuse de Conan Kernoël, depuis le premier novembre 2009. Conan n'a rédigé ni préface ni postface, mais une médioface que l'on trouve à la lettre N (la Nouvelle Religion).
Qu'entendez-vous par "délivrance psychique" ? Nous demanda une lectrice d'AlmaSoror.
La langue est un carcan parce que le sens des mots que nous employons et les liens que nous faisons instinctivement entre les mots sont guidés, dictés, prévus par les maîtres penseurs. Pour que la langue nous soit libératrice, il faut faire la généalogie de la tapisserie de la bien-pensance de notre temps ; après seulement, les mots déchargés de leur chaîne révèlent un arôme plus sauvage, plus poétique, et dans notre cerveau souffle un vent de fraîcheur.
Administration :
L’administration est l’entreprise de l’Etat, dont l’objet est la réification de la langue, de la pensée, de la culture et des êtres humains.
De la naissance à la mort, du nom au genre, de la vie de famille à la vie professionnelle, de la santé à l’éducation des enfants, de la science aux arts, de la vie de la pensée à la vie corporelle, de l’organisation de la maison et du paysage à la religion, des langues parlées sur le sol qu’elle tient sous son emprise aux idées prononcées sur des supports par les gens qu’elle a sous sa domination, aucune parcelle de vie humaine n’échappe à sa discipline.
Ce pouvoir s’exerce de droit et de force. De droit, en vertu d’un contrat léonin qui la lie au nouveau né, contrat qui ne pourra être modifiée que par sa volonté à elle. De force, par l’emploi de la force physique et par l’impossibilité matérielle et psychique de subsister hors de sa surpuissance.
Citations :
« Je sais maintenant que ma patrie est classée dans des dossiers, je l’ai vue sous les espèces de fonctionnaires habiles à effacer en moi les dernières traces de patriotisme. Où donc est ma patrie ? Ma patrie est là où je suis, où personne ne me dérange, où personne ne me demande qui je suis, d’où je viens et ce que je fais. »
(Le Vaisseau des morts)
B Traven
"Un homme dans un fichier est pour ainsi dire déjà un homme mort".
E Von Salomon
Autoproclamé : lorsqu'une personne n'a pas de diplôme, d'agrément étatique ou d'appartenance médiatique et qu'elle s'exprime sur un sujet qui ne concerne pas sa vie quotidienne, on dit qu'elle est autoproclamée. Ainsi, un homme tenant un blog d'informations sera "journaliste autoproclamé" ; une personne partageant un travail personnel sociologique sera appelé "sociologue autoproclamé".
CNC : sigle du Centre National du Cinéma.
Organe étatique en charge du contrôle administratif, économique, politique et intellectuel de tout ce qui concerne le cinéma en France : production, diffusion, professions du cinéma. Le CNC habilite ou déshabilite les gens de métier et les entreprises, autorise la création d’œuvres, leur diffusion, et encourage un certain type de productions en donnant de l'argent à des projets chaque année.
Art étatique s'il en est, le cinéma français et ses professions sont encadrés à tous les stades de la chaîne d'un film par le CNC, en vue d'une idéologie qu'il sera intéressant d'étudier dans quelques décennies, au moyen notamment des statistiques et de l'étude des thèmes des œuvres subventionnées et de celles qui ne le sont pas.
institution mouvante constituant l'unité de base de l'ordre sexuel, moral et économique.
Entité de deux personnes menant une vie commune. Se mettre en couple : s'agréger à quelqu'un pour former une entité acceptable socialement et invitable aux dîners des toutes petites, petites, moyennes et grandes bourgeoisies.
Selon l'idéologie du milieu ambiant au couple, celui-ci peut être formé comme suit :
- de deux personnes de sexes différents et être indissoluble ;
- ou bien de deux personnes de sexes différents et être modifié à tout moment lors de la lassitude d'un partenaire, qui se détache alors de ce couple pour en former aussitôt un autre ;
- ou bien être formé de deux personnes de même sexe.
Afin de n'être pas considéré comme un pervers potentiel, un homme qui n'est pas en couple, à partir de trente ans, doit afficher une vie sexuelle avouable - c'est à dire être un homme à femmes ou bien un homosexuel à partenaires variables, selon l'idéologie du milieu ambiant.
Afin de n'être pas considérée comme quelqu'un de profondément déficiente, non épanouie, ayant raté sa vie, une femme qui n'est pas en couple, à partir de trente ans, doit afficher une vie sexuelle de "femme libérée", multipliant les partenaires amoureux (et pas seulement sexuels, ce qui la plongerait dans la case des "putes").
Cas des enfants : Le couple parental s'étant dissout, la vie des enfants est tributaire des nouvelles mises en couples parentales. Il est considéré que leur bien être ne saurait gêner les vies amoureuses des parents. Il est de bon ton de ne pas évoquer les mésententes, sentiments de rejet, d'abandon et d'intrusion éventuellement ressentis par les enfants vis à vis de leurs "beaux-parents". Par ailleurs, penser que la vie amoureuse des parents serait compliquée pour un enfant constitue en soit une forme de "fascisme" néfaste pour la société. Un parent ne se remettant pas en couple dans les cinq ans est considéré comme faisant peser son mal-être sur les enfants, nuisant ainsi à leur développement harmonieux.
phrase n’ayant pas plu à un groupe se croyant minoritaire, discriminé et victime. Lorsqu’une personne est accusée par d’autres de dérapage, elle doit présenter des excuses.
Devoir de mémoire :
processus d'effacement de la mémoire du devoir.
Fonctionnaire :
nom commun hermaphrodite. Rouage de l’État. Fonctionne entre l'obtention du concours et la mise à la retraite.
Nauséabond :
Une personne est nauséabonde lorsqu'elle a des idées non validées par la Pensée Bienfaisante pour l'Humanité. Les gens nauséabonds sont dangereux : leurs idées se répandent comme une maladie et infectent les esprits de toute la population, qui devient "facho". L’État doit en permanence lutter contre les nauséabonderies intellectuelles par la diffusion d'idées saines, via l'école, mais aussi via les panneaux d'affichage publics, les programmes télévisuels, et tous les supports de communication possibles.
La nouvelle religion : (médioface de Conan Kernoël)
Le politiquement-correct et la sacralisation de l'humanisme, devenu non plus seulement une volonté positiviste, mais une croyance, mènent à l'idolâtrie.
De cela surgit le rétablissement du blasphème, l'interdiction de la pensée iconoclaste.
Puisqu'il y a blasphème lorsqu'on remet en question une certaine idée de l'homme, de l'humanité, le nouvel humaniste ne peut pas être considéré comme un athée, bien qu'il ne croit pas en Dieu. Car l'athéisme ne reconnait pas de blasphème.
Nous voyons donc l'éclosion d'un humanisme religieux.
Toute religion suppose un culte. Le culte de cet humanisme religieux est d'abord un culte linguistique. Toute parole exprimant le recul vis à vis de cet humanisme est assimilé à son objet. C'est à dire que la parole d'une personne est assimilée à une croyance : dire une idée, c'est y être assimilée.
Ceci implique le retour des imprécations magiques : on ne peut prononcer des idées en désaccord avec l'humanisme religieux sans précautions oratoires. Ces précautions oratoires visent à éloigner de soi l'essence de l'idée qu'on va relater. Avec force répétitions, on exprime des imprécations et condamnations des idées qu'on mentionne, pour s'assurer la bienveillance du clergé. Le clergé, c'est toute la société.
La peur de la déviance crée un retour de l'exorcisme. L'exorcisme a lieu comme un lavage de cerveau, par une rhétorique accompagnée de supports visuels insérés partout, dans les lieux et les documents publics et semi-publics.
Nous sommes revenus à l'interdit verbal. Toutes les idées ne sont pas prononçables, ou alors elles doivent être accompagnées d'imprécations.
Le politiquement-correct et la sacralisation de l'humanisme, devenus non plus seulement une volonté positiviste, mais une croyance, mènent à l'idolâtrie.
C'est pourquoi notre société renoue depuis quelques années avec le blasphème, le culte, les imprécations, l'exorcisme et l’innommable.
La difficulté de cerner cette nouvelle religion vient du fait qu'elle ne se reconnaît pas comme une religion, ni comme une théologie, mais comme la vérité morale indépassable.
nom commun hermaphrodite ; fonctionnaire de la pensée spécialisé dans l’étude de la misère humaine
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mardi, 23 juillet 2013
Les haies
«Entre prés et champs, les haies forment, à l'interstice des espaces de production, un entre-monde et un monde en soi, de liberté, où se réfugient les oiseaux et d'où naissent les légendes».
François Andelkovic
(vidéo prise par Mara sur son balcon parisien)
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lundi, 15 juillet 2013
instant banal à Ouaga : le taxi, la radio, la rue
Merci à Mavra d'avoir filmé un peu de Ouagadougou entre deux conférences.
A propos du Pays des hommes intègres, ou Burkina Faso, AlmaSoror vous avait déjà proposé quelques textes de (ou sur) l'historien Joseph Ki-Zerbo :
Ouverture de l'Histoire de l'Afrique noire
Où vont les âmes des esclaves ?
Voilà maintenant un extrait du libérateur du pays, le grand Thomas Sankara. Celui qui voulait susciter l'homme de la liberté contre l'homme du destin :
La mobilisation pour la défense populaire verra les femmes. Et nos femmes coquettement drapées de leurs beaux uniformes, et redoutablement équipées de leurs armements n’expriment rien de moins non plus que cette synthèse heureuse dont la RDP et sa politique de bon voisinage ont le secret. Il s’agit de la rencontre de Venus et de Mars, oui cette tendresse d’amour, de pacifique et conciliante mère, fille ou amante conseillera toujours la paix et la concorde entre les peuples. Mais si quelque oligarchie décadente ou acculée par les masses populaires en révolte, nous provoquait, nous, eh bien, notre vigilance ne sera pas prise en défaut. Car nos femmes d’abord, les autres ensuite ce serait une levée en masse de tout un peuple ; deux années de Révolution ayant rendu possible au Burkina Faso l’heureuse et permanente alliance des professionnels des armes du peuple des profondeurs conduites par les amazones des temps modernes qui tout à l’heure descendront le boulevard de l’indépendance, guerrières au doux sourire, et grâces séduisantes de furieuses résolutions.
Thomas Sankara, 4 août 1985
(En France, le nationalisme est aujourd'hui diabolisé. Se dire nationaliste, c'est s'exposer à être comparé aux plus grands criminels de guerre. Est-ce le signe qu'il est prêt à redevenir à la mode ?)
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jeudi, 04 juillet 2013
Aimer l'amer goût de la mer
Sur la mer, on peut lire, par exemple, Pavillon sans quartier.
Et sur la Bretagne, Insomnie bretonne à Paris.
Sur le goût amer, Dernier voyage en Amérique...
(Merci à Mavra pour ces deux vidéos volées au temps d'un weekend malouin)
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lundi, 01 juillet 2013
Faking the streets
Un film d’Amos Mariecque
Avec Bob Mushran, John Peshran-Boor, Lilas L.S. Snuk, Vénéxiana Atlantica, Ondine Frager, Hélène Lammermoor
Produit par GUSH Productions, L.A., 2032.
Au fond d’une rue défoncée de Los Angeles, un homme marche en titubant. Un air de guitare électrique accompagne les images et une voix lancinante récite Jim Morrison :
" ...An angel runs
Thru the sudden light
Thru the room
A ghost precedes us
A shadow follows us
And each time we stop
We fall”
Le générique se termine et l’image fond vers le noir. CUT.
L’image qui suit tranche : dans une cuisine, à l’aube (l’image est bleutée, le bleu de l’aube, volontairement, n’a pas été atténué par un choix de pellicule), trois personnes parlent d’une voix traînante du film télévisé qu’ils ont vu la veille.
La mère, rousse, bouclée, aux beaux yeux bleus, semble avoir renoncé au bonheur. Elle traîne ses jambes, sa voix, sa vie.
Le fils aîné est nerveux et furieux. Il ne parle pas : il hurle. Il sait. Il sait que la vie est ratée pour presque tout le monde et qu’il faudra se battre et supporter, jusqu’à la mort délivreuse.
La fille chantonne et sourit. Elle essaie de passer un bon moment. Elle essaie d’être aimée par sa mère et son frère. Elle n’a pas renoncé, elle. Elle n’est pas cynique. Elle rêve d’avenir et de joie partagée. Elle est infiniment seule face à ces deux êtres dépités qui se comprennent et partagent leur cynisme. Ils la méprisent. Elle les aime.
C’est cette fille, Shaïna, que le cinéaste nous donne à suivre durant les longues mais fascinantes deux heures de film.
Shaïna rencontre Miles, un grand homme noir qui fut trompettiste et qui travaille comme barman dans des bars du quartier Allen-By. Elle le suit dans ses pérégrinations de demi voyou. Mais si lui sait d’où il vient et où il va, pour elle il s’agit d’une inconsciente descente aux enfers.
Le film parle de la vie ratée et du cinéma réussi. En témoigne cette scène. Shaïna sort de chez Miles, qui dort. Elle a un œil au beurre noir. Elle appelle chez elle pour obtenir du réconfort mais la mère est shootée, le frère excédé. Alors elle marche seule dans la ville. La voix off commence. C’est la voix mûre d’Ondine Frager. "J’ai vu un film en rêve. Ça s’appelait You loved me twice et ça racontait une fantastique histoire d’amour. Moi qui ne crois pas aux histoires d’amour, j’ai été transportée comme un passager du ciel. Tout au début du film, je crois que les images sont noires et blanches. Puis elle deviennent de plus en plus colorées et le film se termine sur un coucher de soleil flamboyant ".
C’est une femme plus âgée qui parle sur ce visage de jeune fille blessée. C’est peut-être - le spectateur l’espère de tout son cœur - la voix de la femme devenue plus vieille et qui sait allier rêve et réalité pour équilibrer sa vie.
Si l’histoire de Shaïna n’est pas trop désespérée, c’est à cause de ces flash, qui ne sont pas des flash back, mais des flash to, qui insèrent des images du futur, de ce qui sera.
C’est aussi parce que ce film est une mise en abîme de la vie - des vies - du cinéaste, un film où chaque mise en abîme creuse une mise en abîme, ce qui est imagé par l’image, à peu près au milieu du film, de la fillette, voisine du héros, qui joue avec des poupées russes.
Shaïna suit Miles dans ses bêtises, et on le sait d’emblée, elle paiera pour lui.
Au moment du braquage, Shaïna et Miles se déchirent. L’angoisse de l’échec immédiat révèle tout ce qui les sépare. Chacun, en quelques secondes, se retranche derrière tout ce qu’il n’a pu partager avec l’autre. Et c’est la fin. La fin de la cavale, la fin de l’histoire d’amour, et bientôt la fin du film. Les quelques scènes de flicaille et de sirènes qui durent ne sont là que pour nous préparer lentement à sortir de la salle de cinéma. Il n’y a plus rien à voir. La prison sera sans doute un lieu de réflexion, un temps de reconstruction. Peut-être pas de rédemption, puisque Shaïna au fond n’a rien détruit. Mais un temps de fortification. On sait, par les flash to, que Shaïna deviendra shaïnA, belle femme de cinquante à la voix douce qui respire le parfum des fleurs urbaines et qui se souvient.
C’est un film de ville. La ville, immense, répugnante, poétique, avale tout ce qu’elle abrite.
Encore un témoignage sur notre monde moderne, citadin et individualiste, où tout est possible et où les frontières de l’interdit et de la misère morale ne cessent de reculer.
Mais c’est aussi le seul monde où la liberté est possible, où la poésie sort de ses carcans ancestraux pour se laisser réinventer au gré des pérégrinations des personnages. Même Jumbo, le chien stupide à la bave perpétuelle, est un individu noyé mais plus entier que s’il était le chien d’une famille d’un petit village du Mexique, pas encore touché par le " monde moderne ".
Une réflexion déchirée sur la solitude libre et l’esclavage social. Entre peinture expressionniste et photographie noir et blanc, le film (qui alterne passages en couleur et noir et blanc) nous emmène loin dans l’Art du vide sans jamais tomber dans le vide artistique.
ECL 2033
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mardi, 25 juin 2013
Natalène, Part I
Ouverture, par Olympe Davidson
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lundi, 24 juin 2013
Natalène, présentation et refrain
Depuis de nombreux mois, nous travaillons de nuit et sans relâche au film d'AlmaSoror. Le cinéma blogal n'en est qu'à ses débuts, nous tâtonnons comme les autres, plus que les autres certainement, mais nous tenons à ce projet qui réconciliera nos aventures villabareuses et nos déconfitures sagalactiques.
Si vous villabarâtes avec nous, peut-être que vous comprendez quelque chose à ce film.
Si vous n'avez jamais villabaré dans le temps, avec nous autres, y saisirez-vous l'essence du sens ? Peut-être que les lecteurs assidus d'AlmaSoror sauront en tout cas perdre haleine sans perdre pied, perdre pied sans perdre le latin, etc.
Notre film s'appelle Natalène. La cinéaste est Olympe Davidson, comme il se doit, et la scénariste est Édith de CL, comme il se doit aussi, sans doute. Nous regrettons forcément qu'Esther Mar ne bouge plus de ses bords de Marne. La Marne est belle, Esther, mais nous t'aimions, quoi que tu penses et dises.
Pour ce soir, nous présentons le refrain de Natalène. L'ouverture du film sera dévoilée la semaine prochaine. En fonction du montage et de la courbe des humeurs, toujours très variable, de la tenancière d'AlmaSoror, le film sera mis en ligne plus ou moins régulièrement, de façon plus ou moins commentée, dans un ordre plus ou moins réaliste. Tout ceci sera archivé dans la rubrique "Pharus Obscurior", qui, si vous ne l'aviez pas remarqué encore, regroupe nos chroniques cinématographiques.
Bonne nuit les amis, camarades, mesdames et messieurs.
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mardi, 07 mai 2013
à contre-réel
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lundi, 06 mai 2013
Oracle
Il pleut des cordes dans la cour arrière, dans la cour « pot bouille » et sur le jardin. L'averse inonde le boulevard. Grande eau pour un lavage de printemps dont ne restera nulle trace de scorie.
Je prends le pouvoir. D'où que je vienne, c'est moi qui décide qui je suis et où je vais. Vous n'avez plus aucune prise sur ma vie, je suis dorénavant maîtresse de mon destin et n'abdiquerai jamais.
Je n'ai plus besoin de sauf-conduits, de passe-droits, de protecteurs : ma volonté suffit. Je n'ai plus besoin de remèdes, d'aides, de soignants : je m'offre la santé.
Il faudra s'habituer à mes nouveaux atours : autorité, puissance, gloire. Il faudra s'habituer au nouveau timbre de ma voix : le timbre du sceptre qui se dresse sur le monde.
Mon royaume ? L'empire autarchique. Mon trésor ? La perpétuelle abondance. Mon pouvoir ? La création.
Entre mes mains palpite le monde que je suis venue vous offrir. Que je souffle sur ces graines frêles et le miracle surgira.
Édith
Biographie officielle (merci à katharina)
Inspiration :
Sit tibi copia,
sit sapientia,
formaque detur ;
Inquinat omnia
sola superbia,
si comitetur.
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mercredi, 30 janvier 2013
Roule ta bille, Gaston le roux ! (Mais qui aime Ivana ?)
Gaston Leroux
(1868-1927)
Normand, il fit ses études dans la ville d'Eu... qui voudrait aujourd'hui changer de nom pour avoir une visibilité web plus grande ! Les .eu en effet pullulent en Europe. Eu veut donc devenir Ville d'Eu.
Le château d'Eu - Photo trouvée ici
Comme son contemporain Paul d'Ivoi, Gaston Leroux mena une double carrière de journaliste et d'écrivain.
N'est-il pas véritablement le pionnier du polar français ? Il créa le personnage de Rouletabille, qui évolue à travers plusieurs romans.
Il créa également la série des Chéri Bibi.
Enfin, il est le père du célèbre Fantôme de l'opéra.
La série Rouletabille est souvent donnée à lire aux adolescents à l'école (au collège). Chéri-Bibi et Le fantôme de l'opéra sont trop proches de l'horreur. On les lit seuls, lors des longs mois d'été, pour oublier la déception des vacances tant attendues.
AUTOUR DE ROULETABILLE
Le personnage de Rouletabille possède la particularité d'être émouvant, mais pas sympathique. C'est un cas assez rare dans la littérature. On ne peut vraiment l'aimer parce qu'il est trop parfait et trop fermé, peut-être en veut-il un peu à la société, y compris à la société des lecteurs. Peut-être est-il trop fier de son intelligence.
Derrière cette intelligence froide et ce petit sentiment de supériorité, des failles affectives très grandes (Rouletabille n'a pas été élevé par sa mère, ce qu'on découvre au fil de ses enquetes) et l'excuse d'une enfance pauvre et malaimée, nourrissent l'émotion que procure un personnage au physique un peu ridicule, avec une grosse tête toute ronde et des yeux d'enfant seul.
Génial, Rouletabille n'en est pas moins laid, timide, renfrogné. Ce paradoxe du héros imparfait, qui n'est pas non plus un antihéros, existe dans le monde réel depuis toujours, mais cela ne fait pas si longtemps qu'il est entré en littérature. De ce point de vue, Leroux est très réaliste même s'il est par ailleurs un maître du fantastique !
Le génie de Rouletabille ne le rend pas heureux. S'il débrouille toutes les énigmes, c'est pour mieux comprendre qu'il est le fils d'un grand criminel et que sa mère n'a pas voulu de lui.
Les deux meilleurs épisodes de la série, sont les premiers : Le mystère de la chambre jaune et La parfum de la dame en noir. Dans les épisodes suivants, Joseph Rouletabille se marie avec Ivana. Et je n'aime pas Ivana. (Qui aime Ivana ?)
AUTOUR DE CHERI-BIBI
Chéri-Bibi met en scène un forçat innocent.
Un forçat, c'est un prisonnier que l'on envoie au bagne, en Guyane, à Cayenne, après l'avoir embarqué à l'île de Ré, enchaîné avec ses compagnons de grand malheur, sous les rires et les pleurs des foules mêlées. Les derniers bagnards sont rentrés en France métropolitaine en 1953... (mais depuis la France s'est dotée de la plus grande prison d'Europe : Fleury Mérogis !)
Outre Chéri Bibi, un autre forçat de la littérature est resté célèbre : Jean Valjean, l'ami de Gavroche et de Cosette.
Le poème «au forçat innocent», de Jules Supervielle.
Solitude au grand coeur encombré par des glaces,
Comment me pourrais-tu donner cette chaleur
Qui te manque et dont le regret nous embarrasse
Et vient nous faire peur?
Va-t'en, nous ne saurions rien faire l'un de l'autre,
Nous pourrions tout au plus échanger nos glaçons
Et rester un moment à les regarder fondre
Sous la sombre chaleur qui consume nos fronts.
Jules Supervielle, 1930
AUTOUR DU FANTÔME DE L'OPERA
Insipré de faits réels, Le fantôme de l'opéra met en scène le bel opéra Garnier de Paris. Des événements extraordinaires et effrayants y ont lieu.
Avez-vous vu toutes les adaptations cinématographiques du Fantôme de l'opéra ?
On en trouve, sur Internet, des extraits, gentiment mis à disposition par les internautes vidéomanes :
La première adaptation, c'est celle de 1925, par Rupert Julian.
1925 - Le fantome de l'Opera - Rupert Julian par Altanisetta
La seconde adaptation date 1943. Elle est due à Arthur Lubin
Bande-annonce Le Fantome de l'opéra - Arthur Lubin par Altanisetta
La troisième adaptation : 1962, Terence Fisher
Adaptation de 1989 : Dwight H Little
Il y a aussi la version de 1989, de Dario Argento. Je n'ai pas trouvé, sur les plateformes vidéotes d'échanges, d'extrait où il n'y a pas de scène d'horreur ou de sexe. Mes lecteurs iront s'abreuver tout seuls à ces sources obscures.
Quant à la version de 2004, de Joel Schumacher, on peut en voir le clip à cette e-adresse.
(c'est la version cinéma de la comédie musicale écrite par Andrew Lloyd Weber).
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vendredi, 28 décembre 2012
J'ai erré sur Internet,
sans but, mais aux aguets, et j'ai cherché à travers ses labyrinthes où nourrir mon coeur, en ces jours de défaite entre deux fêtes, en cette trêve des confiseurs.
Et j'ai trouvé la France sauvage, film d'Augustin Viatte et de Frédéric Fèbvre (2012), et Les Vendéens, de Jacques Dupont (1993).
Deux épopées, celle de la vie animale au creux des terriers et dans les hautes branches, sous les eaux et à l'intérieur des fleurs, dont les caméras cachées volent des instants magiques.
Et celle de la Révolution et de sa contre-révolution, dont les archéologues de l'INRAP retrouvent des traces sous les villes de l'Ouest.
Les voici :
I
II
Un texte, "L'homme des mégalopoles ou le rêve de liberté", avait été publié sur l'ancien site d'AlmaSoror en décembre 2006, et repris sur ce blog par ici...
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mardi, 18 décembre 2012
Monsieur Bovary
« Si j'étais un homme, je ferais ce que vous me dites. Mais les pauvres bêtes qui veulent montrer leur amour ne savent que se coucher par terre et mourir ».
La Bête, dans le film La Belle et la Bête, de Jean Cocteau
(Extrait de Madame Bovary, de Vincente Minnelli, 1950.
Musique de Miklós Rózsa. Vidéo trouvée sur YT, merci à l'internaute qui l'a postée !)
A l'intention de monsieur Charles Bovary, époux malheureux et médecin de province.
Monsieur Bovary
Personne encore n'a écrit votre histoire.
Aucun écrivain n'a vomi en portant vos douleurs dans son ventre. Mais je vous promets qu'un jour vous aussi aurez votre roman. Ce sera le roman d'un médecin de campagne, mari et père, englué dans une vie taillé sur mesure pour un cœur plus cynique que le sien.
Dans ce roman, vous ne vous appellerez plus monsieur Bovary, afin que personne ne vous reconnaisse. Mais vous, vous vous reconnaîtrez. Et ceux qui ont aperçu l'image de votre cœur derrière la description de votre épouse, vous reconnaîtront aussi sans l'ombre d'un doute.
Je vous promets que ce roman sera plus grand encore, plus beau que celui qu'on fit pour elle. Il sera taillé dans une langue française toujours aussi belle bien que métamorphosée par la modernité que vous sentiez poindre en votre temps. Et il fera le tour du monde pour conter votre cœur mis à nu aux millions de frères qui vous restent ici-bas, qui vous ressemblent, et que vous ne connaissez pas.
Je vous prie de croire, monsieur Bovary, en l'expression de ma sororale cordialité.
Edith de Cornulier-Lucinière
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