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mercredi, 15 août 2012

Soleil noir foncé

Patrick Biau, Graves de Viaud, Soleil noir foncé
Phot PhBetschart

 

 Un poème de Patrick Biau

 

L’astre orange est tapi derrière un châtaignier,

et le sous-bois compose une chapelle ouverte

à ce corps démoli, gisant nu, seul, saigné,

dans un vert écarlate incitant à l’alerte :

 

Les pieds brûlés au fer, les orteils emmêlés,

les os rompus, la peau déchirée par des ronces,

meurtrie par le bâton, du sang caramélé

en ruisseaux sur son torse, et les yeux sans une once

 

d’espoir. Sapiens n’est rien si la haine fait son

terrier au creux de son génie. La peste en somme

est revenue souiller le bleu du frais cresson

à coups de godillots ; malgré tout chez cet Homme

 

la main gauche a montré un cran inattendu :

les doigts serrés au poing sauf le majeur… tendu !

 

Patrick Biau

 

 

Patrick Biau est l'auteur d'un livre et d'un site sur le chansonnier Jules Jouy

... ainsi que d'un recueil de poèmes

Patrick Biau, graves de viaud, soleil noir foncé, doigt d'honneur

 

Calme du coeur. Les vents suspendus. L'air immobile...

 

Voici un extrait de Jean-Christophe, de Romain Rolland, sur la force véritablement créatrice, qui naît de la douleur et se distingue de la simple vie artistique.

Jean-Christophe, Romain Rolland

 

"Calme du coeur. Les vents suspendus. L'air immobile...

 

Christophe était tranquille ; la paix était en lui. Il éprouvait quelque fierté de l'avoir conquise. Et secrètement, il en était contrit. Il s'étonnait du silence. Ses passions étaient endormies ; il croyait, de bonne foi, qu'elles ne se réveilleraient plus.

 

Sa grande force, un peu brutale, s'assoupissait, sans objet, désoeuvrée. Au fond, un vide secret, un "à quoi bon", caché ; peut-être le sentiment du bonheur qu'il n'avait pas su saisir. Il n'avait plus assez à lutter, ni contre soi, ni contre les autres. Il n'avait plus assez de peine, même à travailler. Il était arrivé au terme d'une étape ; il bénéficiait de la somme de ses efforts antérieurs ; il épuisait trop aisément la veine musicale qu'il avait ouverte ; et tandis que le public, naturellement en retard, découvrait et admirait ses oeuvres passées, lui, s'en détachait, sans savoir encore s'il irait plus avant. Il jouissait, dans la création, d'un bonheur uniforme. L'art n'était plus pour lui, à cet instant de sa vie, qu'un bel instrument dont il jouait en virtuose. Il se sentait, avec honte, devenir dilettante.

 

« Il faut, disait Ibsen, pour persévérer dans l'art, autre chose et plus qu'un génie naturel : des passions, des douleurs qui remplissent la vie et lui donnent un sens. Sinon, l'on ne créée pas, on écrit des livres ».

 

Christophe écrivait des livres. Il n'y était pas habitué. Ces livres étaient beaux. Ils les eût préférés moins beaux et plus vivants. Cet athlète au repos, qui ne savait que faire de ses muscles, regardait, avec le bâillement d'un fauve qui s'ennuie, les années de tranquille travail qui l'attendaient. Et comme, avec son vieux germanique, il se persuadait volontiers que tout était pour le mieux, il pensait que c'était là sans doute le terme inévitable ; il se flattait d'être sorti de la tourmente, d'être devenu son maître. Ce n'était pas beaucoup dire... Enfin ! On règne sur ce qu'on a, on est ce qu'on peut être... Il se croyait arrivé au port".

 

Romain Rolland - Jean-Christophe

Romain Rolland, Jean-Christophe

Un petit groupe se réunit le mardi soir pour lire Jean-Christophe...

Autres extraits de Jean-Christophe :

Digérer les immigrés

France profonde et élite cosmopolite

Tu es la mer intérieure. Tu es l'âme profonde

 

Sur l'expérience de lecture commune, lire par ici et par là

 

lundi, 13 août 2012

Soror Renée Vivien

 

monastère.jpg

« La plus jeune sœur vint à moi comme l'incarnation de ma pensée la plus belle. Sa robe était du même violet que le soir. Cette femme m'évoquait la fragilité de la nacre et la tristesse altière des cygnes noirs au sillage obscur. Répondant à mon silence, elle murmura :

« J'ai cherché dans cette ombre non point la paix, comme l'Exilé frappant aux portes du monastère, mais l'Infini. » 

Et je vis que son visage ressemblait au divin visage de la Solitude. »

 
Renée Vivien, in Les sœurs du silence

 

dimanche, 12 août 2012

Ces bêtes qu’on abat : Un employé rapide

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Un employé rapide

 

Dans le département du Morbihan, et dans un abattoir de bovins, je fus surpris de la rapidité d’exécution des tâches d’étourdissement et de saignée de l’employé en place au poste d’abattage. En effet, il s’écoulait moins d’une minute entre l’étourdissement et la saignée des animaux. Le tueur qui chargeait son pistolet à tige perforante avant la mise dans le piège des animaux était rapide et efficace. Il étourdissait les bovins, ouvrait la porte latérale, pour l’évacuation hors du piège des animaux, les suspendait dans la foulée et les égorgeait aussitôt. Le treuil muni d’un palan pour la suspension des bovins après étourdissement était descendu sur le sol avant chaque étourdissement et non après. C’est très important. Cela paraît logique, mais ce n’est pourtant pas toujours ainsi que les choses se passent. Cela permet d’écourter le temps entre l’étourdissement et le début de la saignée. Certains tueurs descendent le treuil, alors qu’ils viennent d’effectuer l’étourdissement, ils perdent ainsi beaucoup de temps avant la saignée, qui doit pourtant intervenir le plus rapidement possible, car l’étourdissement n’est pas la mise à mort. Par exemple, la société Mc Key, organisme de certification et de contrôle du groupe Mc Donald, demande dans son cahier des charges « bien-être animal » qu’il ne se passe pas plus d’une minute entre l’étourdissement et le début de la saignée. Cette demande est très intéressante, car elle exige de procéder rapidement à la saignée pour les établissements qui produisent pour cette société.

 

Position du pistolet à tige perforante sur le crâne d’un bovin.
Phot Jean-Luc Daub

abattoirs, condition animale, transports animaux, végétarisme, protection animale, droits des animaux, Jean-Luc Daub, Ces bêtes qu'on abat, maltraitance, législation animale, viande ; animaux, animal ; bêtes, fraternité

 

Il me faut toutefois mettre un bémol, parce que l’employé suivant, sur la chaîne d’abattage, procédait à la découpe en la commençant avant la fin de la saignée complète, c’est-à-dire avant la fin de l’écoulement total du sang. La mort de l’animal est effective après qu’il s’est vidé de son sang. L’employé, avec son couteau, parfilait autour des yeux, découpait les oreilles, ainsi que le museau et puis la tête, alors que les bovins n’étaient pas encore morts !

 

La responsable qualité avec qui j’eus un entretien me dit qu’elle allait faire intercaler une bête supplémentaire sur le stock tampon ce qui permettrait d’attendre un peu plus longtemps après la saignée et avant de procéder à la découpe. Le directeur m’a certifié qu’il s’assurerait que ce délai serait dorénavant respecté.

 

 

 

 

jeudi, 09 août 2012

Le recrutement des hommes qui ont choisi le métier de juger

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L'avocat Isorni s'exprimait ainsi sur les juges.

"Aucune réforme n'aboutit là où n'aboutirait qu'une réforme de la nature humaine. Le recrutement des hommes qui ont choisi le métier de juger fait qu'ils sont en général honnêtes, timides et dociles. Il les faudrait audacieux et révoltés. Mais s'ils étaient audacieux et révoltés, ils n'entreraient pas dans la magistrature. (...) Aucune loi ne donne de l'indépendance à une nature qui s'incline, aucun règlement ne durcit une colonne vertébrale prête à se courber, aucune circulaire n'ouvre des yeux,qui désirent rester clos. (...) Il faudrait une réforme telle que ce serait d'autres personnes qui ambitionneraient de devenir magistrats, une réforme qui ferait que ceux qui revendiquent la mission de juger ne soient plus des citoyens à la recherche d'une vie tranquille et d'une retraite décente. Il n'en est qu'une : assurer aux juges une totale liberté, c'est-à-dire une totale indépendance."

Jacques Isorni
Cité par Gilles Antonowicz, dans sa biographie "Isorni, L'avocat de tous les combats"

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AlmaSoror avait déjà mentionné la phrase de Tolstoï, "Là où il y a jugement, il y a injustice..."

 

 

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mardi, 07 août 2012

de l'autre côté d'hier

cathédrale de Bourges, John Murphy, ave maria, taxi
Phot. Sara

La cathédrale de Bourges effleurée, un taxi bizarre, l'ave maria remixé, c'était un jour d'été d'un autre monde, il y a mille ans, hier ou avant-hier.

lundi, 06 août 2012

Quelle fortification de poussière et de sable sépare nos deux mondes ?

Douce France, surf, vie mystique

 Tout le jour, surfer sur la vague de la vie, glisser sur ses ondes. Finesse, rythme, enchaînement guident ma vie. Finesse des silences, rythme de croisière, enchaînement des rires et des danses.

Dans mes veines coulent la force des ancêtres et leurs rêves d'immortalité, la gloire des descendants et de leur œuvre à venir ; les prophéties des grands voyants et les sciences des grands savants.
Et je n'ai besoin que de ce qui coule dans mes veines pour faire face à la vie. Le Christ coule dans mes veines.
Quand la tempête se lève, tel l'aigle je plane loin au-dessus. Si la vague me prend, tel l'être des abysses je nage loin au-dessous. J'attends que l'onde m'appelle à nouveau pour me bercer.
La fabrication de la musique, des images, c'est comme un fleuve que l'on descend en bateau ivre. Nul besoin de souffrance, nul besoin d'effort. Il n'y a qu'à se lover au fond de la pirogue et la laisser aller en chantant ce qui vient. Car cela vient d'ailleurs, cela me traverse et m'habite un temps avant de partir vers un ailleurs de l'autre côté. L'énergie qui me porte ne m'appartient pas. Elle ne me quitte que lorsque je crois qu'elle est mienne. Elle m'habite chaque fois que je lui reconnais sa beauté insaisissable.
Je suis libre dans la vie car je sais qu'elle n'est qu'un des millions d'états que nous vivons au cours de notre long cours. Détachée d'elle, je ne l'en aime que plus tendrement. Je la quitte librement, je la retrouve dès qu'elle m'appelle. Nous sommes libres et amoureuses, la vie et mon être.
Je sais qu'elle en aime d'autres et je l'accepte. Plus la multitude jouit, plus je m'apaise. La jalousie n'est qu'une drôle de passade qu'il ne faut pas trop croire.
Comme Dylan, je suis fille de la vague et personne ne peut jamais me posséder. Libre comme l'air, libre comme l'eau, je glisse, glisse, glisse...
Je m'éveille en quête du jour parfait, me dresse sur crête de la vague parfaite, je vis au bord du paradis et j'attends tour à tour le soleil et la pluie pour leur offrir mes danses. Immergée dans le cosmos, ma prière entraîne les amants du Vent, les suiveurs de la vague, les fils de la beauté.
Le plaisir et le bien-être que chaque jour me procure, je les offre aux étoiles et aux enfants.
Mystique, j'aime la mort à travers la vie. C'est pourquoi je serai prête à aimer la vie à travers la mort. Leurs deux visages ne font qu’un lorsque la brume qui cerne nos yeux se dissipe.
Si je vous paraîs étrange c'est que vous me regardez depuis les bordures du monde institutionnel. Mais plongez et nous nous aimerons comme avant, comme lorsque nous étions encore dans le ventre de notre mère. Quelle fortification de poussière et de sable sépare nos deux mondes ? Soufflez et ces beaux murs crénelés vous laisseront passer à travers leurs parois chimériques. Regardez comme je hante votre monde sans douleur. Venez hanter le mien et vous n'aurez plus peur, plus jamais peur.
L'ordre et la certitude qui vous retiennent n'existent pas. Ils font semblant d'être, pour que vous vous teniez debout. Fluides, les algues humides et sèches qui imprègnent notre corps le nourrissent, manne sacrée, manne inépuisable. Ce sont les algues nées du reflet de la lumière, après l'amour avec la nuit. Entre le fini et l'infini, mes mains, ma voix, mon amour. Tout est traversé. Attendre, recueillir, fraterniser : quoi de plus ? Capter les messages et y répondre en inventant sa langue unique, c'est l’alliance des respirations, des concentrations.
Saisis la substance de l'éphémère, capte l'inexistence du concret. Alors solide et liquide se dissolvent dans la phrase, la phrase répétée, la phrase méditée.
Prends, et donne. Prends, et donne. Prends, et donne. Tiens, et laisse. Tiens, et laisse. Aime, et quitte. Aime, et quitte. Donne, et prends, et donne, et prends, et donne. Échange perpétuel avec le monde qui te fais face, qui te regarde, à qui tu appartiens. En nous se déploient des ciels. En nous naissent, vivent et meurent des constellations, plus vastes encore, et plus réelles, que la voie lactée.
Conscience et absence, masque et nudité : nos duels intérieurs se reflètent dans les eaux dormantes du passé. Nos fragments, nos poèmes, nos sourires, effacent nos vices. Grande purification de l'être au fur et à mesure que passent les jours. Jour de colère et jour de gloire. Cueille le jour.
Ô oui mon âme, je cherche la facilité.
J'ouvre les eaux, je guide mon arche sur leurs flots écaillés. Je suis mon peuple, je suis mon chef, je suis mon Christ et je marche vers ma Pâques, portant haut sur ma nuque ma couronne de gui. Je suis prête pour les noces du Solstice.
 
Edith CL

dimanche, 05 août 2012

Ces bêtes qu’on abat : Vaches mourantes

 

Vache faible et épuisée couchée dans un camion sur un marché à bestiaux.
Phot Jean-Luc Daub

 abattoirs, condition animale, transports animaux, végétarisme, protection animale, droits des animaux, Jean-Luc Daub, Ces bêtes qu'on abat, maltraitance, législation animale, viande ; animaux, animal ; bêtes, fraternité

Vaches mourantes

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.

 

 Dans les Vosges, je visitais un abattoir moderne. Lorsque j’arrivai vers le local d’abattage d’urgence, je fus surpris de voir pas moins de dix vaches qui gisaient sur le sol jusque dans la cour. Aucune n’avait la capacité de marcher (elles ne risquaient donc pas de se sauver de l’abattoir). Je me demandais dans quelles conditions elles avaient été chargées et déchargées (au treuil bien évidemment). Certaines étaient agonisantes. Elles auraient dû être abattues dès leur arrivée. C’est le but de l’abattage d’urgence. L’abattoir avait pour habitude d’attendre la fin des abattages, donc la fin de journée, pour s’occuper de celles qui avaient été traînées dans le local d’abattage d’urgence, pour ne pas souiller la chaîne, comme disent les professionnels. Un grossiste effectuait des ramassages spéciaux, afin de faire du commerce avec les bêtes accidentées ou malades, très recherchées pour les steaks hachés.

 

Bien que la réglementation protège les animaux qui ne peuvent pas se déplacer d’eux- mêmes, en les déclarant inaptes au transport, des bovins sont encore fréquemment déplacés, alors qu’ils auraient dû bénéficier de la mesure d’abattage d’urgence à la ferme. Dans un abattoir que j’ai visité deux fois en l’espace de quelques mois, j’ai pu constater la première fois une génisse morte devant le local d’abattage d’urgence. J’ai observé son crâne : aucune trace d’impact du pistolet à tige perforante n’était visible. Elle avait vraisemblablement été déchargée et déposée encore vivante devant le local d’abattage d’urgence et a fini par mourir. La deuxième fois nous étions attendus, une collègue et moi, aurendez-vous, nous nous sommes dirigés vers ce même local avant de rencontrer nos interlocuteurs. Une vache mourante gisait sur le sol. Nous avons réclamé son euthanasie immédiate. Le vétérinaire appela alors le tueur (selon le terme professionnel consacré) qui n'arriva sur le site qu'après un deuxième coup fil. Malgré un état d’extrême faiblesse empêchant la vache de réaliser le moindremouvement, et malgré les meuglements de l'animal, le vétérinaire considéra que la vache ne souffrait pas. Aucun procès-verbal ne fut dressé au transporteur pour cette vache, qui, selon le vétérinaire, était debout au moment de son chargement dans le camion qui transportait un lot de bovins en provenance de la Manche. La Manche n’étant pas très loin, l’animal était de toute évidence déjà mal en point lors de son départ. Dans tous les cas, vu son état et son immobilité, elle n’aurait pas dû être déchargée au treuil, mais, aurait dû être tuée dans le camion. Le vétérinaire nous dit dresser, malgré tout, des PV pour des animaux malades inaptes aux transports. Six bovins en très mauvais état avaient été déchargés le vendredi précédent (des vaches de réforme). Un seul animal avait fait l'objet d'une saisie totale. À la question : « Pourquoi vous ne les abattez pas dans le camion, puisque les textes réglementaires précisent clairement que les animaux couchés doivent être abattus à bord du camion lorsqu'il n'est pas possible de les transporter sur une plaque roulante sans leur infliger de souffrances supplémentaires ? », le vétérinaire nous répondit que la valeur marchande de l'animal serait perdue. Inaptes au transport, certains bovins devraient même être tués à la ferme.

 

Vache agonisante devant un local d’abattage d’urgence d’un abattoir. Elle devrait être abattue de suite, mais elle sera laissée souffrante…
Phot Jean-Luc Daub

 abattoirs, condition animale, transports animaux, végétarisme, protection animale, droits des animaux, Jean-Luc Daub, Ces bêtes qu'on abat, maltraitance, législation animale, viande ; animaux, animal ; bêtes, fraternité

 

J’ai appris, grâce aux confidences d’un vétérinaire d’un autre endroit, que beaucoup de bovins déclarés inaptes au transport sont encore envoyés à l’abattoir alors qu’ils devraient être euthanasiés sur le lieu d’élevage. Le vétérinaire de l’abattoir nous rétorqua que nous faisions de l’anthropomorphisme lorsque nous lui dîmes que vu l’état dans lequel elle se trouvait, la vache devait beaucoup souffrir. Il nous a alors rétorqué que si elle souffrait, elle l’aurait déjà dit ! Ma collègue réagit intelligemment en lui faisant remarquer : « Là, c’est vous qui faites de l’anthropomorphisme ! »

 

 

mercredi, 01 août 2012

La Résurrection des villes mortes : Ur ! Raffinement des sacrifices humains

Marcel Brion, Ur, Sumer, Basrah, Taylor, 1853, Nabonide, Chaldée, Campbell Thompson, Leonard Woolley,Shubad, sacrifices humains, rites funéraires, psychopompe, royaume des ombres

Voici un extrait tiré de La résurrection des villes mortes, de Marcel Brion.

Où les serviteurs des rois descendent vaillamment dans la tombe aux côté de la dépouille de leur maître, une fiole de poison à la main.

"Les ruines d'Ur se trouvent dans une plaine à douze milles environ au sud de l'Euphrate, qui, jadis, coulait juste sous les murailles de la ville. À cette époque, la plaine était d'une remarquable fertilité et, à l'endroit où nous apercevons aujourd'hui le désert, s'étendaient les cultures qui faisaient la richesse d'Ur. Dès 1853, Taylor, consul d'Angleterre à Basrah, commença des fouilles dans l'immense masse de débris qui révélaient la présence d'une cité importante, mais comme les ruines d'Ur n'avaient pas donné ce qu'on cherchait à cette époque, c'est-à-dire des oeuvres d'art, surtout des sculptures, on abandonna bientôt cette masse de briques dont on ne reconnaissait pas l'importance. Taylor y avait découvert pourtant des documents précieux, car ils permirent d'identifier le site avec l'antique Ur des Chaldéens, les cylindres dits de Nabonide.

En 1920, une expédition de reconnaissance, dirigée par le docteur Campbell Thompson, vint examiner le tell et, sur le rapport qu'elle fit, le docteur H.R. Hall entreprit les fouilles que continua activement, à partir de 1922, sir Leonard Woolley, pour le compte du British Museum et de l'Université de Pennsylvania.

On ne pouvait souhaiter un directeur de travaux plus compétent et plus consciencieux que sir Léonard Woolley ; à peine l'éminent archéologue eut-il reconnu, en effet, la richesse du site qu'il arrêta les travaux, craignant d'endommager des ruines précieuses en les faisant fouiller par des ouvriers indigènes mal préparés à ce travail. C'est grâce à cette précaution que l'excavation des tombes put être conduite plus tard avec le soin, la précision et la minutie auxquels nous sommes redevables des trésors artistiques et des inappréciables renseignements historiques fournis par les ruines d'Ur.

(...)

La tombe adjacente était celle de sa femme, la reine Shubad.

Il semble que celle-ci ait voulu emmener toute sa cour avec elle dans l'au-delà, car dix dames d'honneur l'accompagnaient, avec cinq soldats, et les conducteurs qui dirigeaient le traîneau conduit par deux ânes sauvages. Les objets enterrés avec Shubad sont d'une richesse et d'une beauté que l'on ne peut imaginer, même d'après les descriptions les plus enthousiastes ; il faut voir à Londres, à Philadelphie et à Bagdad, ce mobilier funéraire pour comprendre quel haut degré d'art, de culture et de civilisation avaient atteint les Sumériens au III°millénaire. La cruauté des sacrifices humains ne contredit pas, en effet, le goût exquis qui préside à la fabrication de ces harpes, de ces chars, de ces lampes, de ces vases dont la richesse matérielle n'est rien comparée à l'art prodigieux des orfèvres et des joailliers. La coiffure de Shubad, qui a été si souvent reproduite, est une merveille de fantaisie et de délicatesse.

Et d'autres tombes encore apparurent, celle d'un souverain non identifié, qui était entouré, lui, par des cadavres de six hommes et de soixante-huit femmes, dont l'une n'avait pas encore eu le temps de mettre son diadème d'argent que l'on trouva dans une poche de sa robe.

On se demande comment tous ces serviteurs et ces soldats sont morts, car les cadavres sont disposés dans un ordre parfait au fond du puits et qu'aucun ne porte trace de mort violente. Sit Leonard Woolley tire argument de ce que chacun de ces mort tient un petit gobelet de cuivre pour supposer que ce gobelet contenait un poison. On imagine alors le cortège funèbre descendant dans la tombe, derrière le corps du roi, se plaçant selon un protocole autour de la dépouille sacrée, puis buvant le poison qui permettra d'escorter le maître dans le royaume des ombres".

 

Marcel Brion, Ur, Sumer, Basrah, Taylor, 1853, Nabonide, Chaldée, Campbell Thompson, Leonard Woolley,Shubad, sacrifices humains, rites funéraires, psychopompe, royaume des ombres