mercredi, 02 septembre 2015
Arzel ou les sensations de la vie quotidienne
La narration prend toute la place dans nos vies mentales et dans la manière dont nous communiquons avec les petits enfants, et pourtant, certaines choses de l'expérience vécue ne sont pas faciles à narrer.
Ce défi nous poussa (Sara et moi) à créer une petite collection pour tenter de mettre en scène, sans trop perdre de pouvoir sensoriel, les sensations de la vie quotidienne.
Nous avons créé un petit personnage, nommé Arzel.
Les deux premiers titres de cette collection sont sortis aux éditions La joie de lire : Le vent et Le rêve.
Dans le premier, Arzel découvre la force du vent, qui nous enivre et nous fait quelquefois peur.
Dans le second, Arzel s'adonne à la rêverie au bord d'une fenêtre.
C'est la simplicité de ces expériences : se laisser aller à rêver, jouer dans le vent, que nous nous sommes efforcées de mettre en scène, en les épurant de toute narration superflue.
Quelques phrases, quelques images, pour laisser parler le vent et le rêve.
D'autres titres sont en attente... Arzel éprouve tant de sensations tous les jours de sa vie, dans les moments les plus banals en apparence...
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vendredi, 18 juillet 2014
La robe rouge de Dana
Synopsis
Chili, années 70.
Monsieur Barka est le chef de la police du Chili. Il est père de deux enfants, un fils, fidèle, qu’il ne respecte pas, et une fille Victoria, qu’il a adorée toute son enfance et qui est désormais une opposante acharnée du gouvernement.
Il y a une dizaine d’années, il a emprisonné sa fille Victoria, enceinte, et son gendre parce qu’ils faisaient de la dissidence. Il n’a pas hésité à faire exécuter son gendre et “disparaître“ sa petite fille Isabel, née en prison.
Depuis, Victoria Barka est retournée vivre dans son village, où vit également son amie Dana, universitaire alcoolique. Elle écrit des articles pour un journal contestataire et fréquente des amis proches de la dissidence, ayant renoncé au système.
Mais un jour, Victoria Barka revient dans un article sur les assassins de sa fille et de son mari ; elle n’y cite pas expressément son père, mais personne ne peut s’y tromper.
Après la lecture de cet article, Barka décide de partir rencontrer sa fille. Il veut avoir une explication avec elle, et surtout, lui annoncer la vérité : sa fille Isabel n’est pas morte. C’est lui qui l’a adoptée et qui l’élève. Pendant ce temps, Victoria passe le temps avec Dana et Pierre, un ami de Dana. Pierre, photographe français en visite, se trouve impliqué dans une histoire politique qui ne le concerne pas, et au cours de laquelle il fait face à ses propres démons. Tandis que dans le village trois filles qui rappellent les Erinnyes de la mythologie gréco-romaine, semblent comploter, et il est difficile de savoir si c’est pour le meilleur ou pour le pire.
Lors de la rencontre fatidique entre le père et la fille, Barka est muré dans ces certitudes et Victoria dans sa souffrance. Barka ne révèle donc pas le secret d’Isabel. Déçu, de retour chez lui il organise un coup monté pour ré-emprisonner sa fille. Ce coup politique à des fins personnelles est contré par son propre gouvernement. Mais il s’en sort à temps. Et Victoria reste vivre dans son village, ignorant encore l’existence de sa fille. Jusqu’à quand ?
Note d’intention
A travers l’histoire d’une femme, Victoria, dont la vie est entièrement, implacablement détruite par son père dont elle est l’opposante politique, au sein de la dictature chilienne, surgit la question des choix personnels et des sentiments intimes, et du conflit que leurs oppositions éventuelles peuvent créer.
Trois thèmes sous tendent cette histoire.
J’ai voulu parler de la culpabilité. De la difficulté d’être la fille d’un assassin, d’un suppôt d’une dictature, quand l’amour et la répulsion se disputent au creux d’un cœur d’adulte qui, vis-à-vis d’un père, ne peut qu’être un cœur d’enfant. Ainsi, la culpabilité politique et la culpabilité familiale, dont la résolution est contradictoire.
Le second thème émerge de lui-même du conflit qui oppose les personnages, et concerne deux attitudes-types et antinomiques, face à la vie et à la société. Il y a le pouvoir absolu qui ne veut jamais se remettre en question, parce qu’il représente l’ordre suprême, et il y a la résistance, qui fait la révolution. Et le nécessaire lien qui unit ces deux attitudes, et qui peut se transformer en besoin réciproque et par là devenir un système tournant sur lui-même et pour lui-même.
Mais au-delà de ces rôles-types je me suis demandé quels types d’êtres humains ces attitudes cachaient ou révélaient, et quels sentiments, quelles idées, quelles émotions les dominaient et motivaient leurs choix. Sommes nous des marionnettes destinées à jouer des rôles que nous n’avons pas choisi, dont nous n’aurions pas voulu ? Où se situe notre pouvoir d’action sur notre propre vie ? Quand on est quelqu’un d’entier et qu’on a fait un choix en profondeur, que ce soit celui de la violence ou celui de la résistance, a-t-on les moyens de revenir en arrière ? Quand on a tout misé pour un idéal, revenir en arrière, n’est-ce pas se trahir soi même ? Enfin, quand on a perdu son amour (l’amour de sa fille, l’amour de son père) pour sa cause, la cause n’est elle pas le substitut essentiel et vital de cette perte ?
Je me suis demandée si l’histoire de Victoria et de son père était une déchirure liée à un hasard politique, ou la conséquence d’une trop grande compréhension, d’une fusion telle qu’elle interdit la vie, et que seule la lutte implacable peut briser.
Car au delà de leur opposition qui relève de la tragédie au sens narratologique du terme, le drame du père et de la fille réside peut-être dans leur étrange ressemblance, dans leur identification au rôle qu’ils se sont donnés à eux-mêmes, ou que les circonstances leur ont donné.
La robe rouge de Dana – Dana étant à la fois témoin et symbole, confidente de Victoria telle les deuxièmes rôles des tragédies du XVI éme siècle, dont la présence exacerbe le drame – est un drame familial et politique, à la fois profondément individuel et profondément collectif, qui met en scène la déchirure qu’implique une incohérence entre l’éthique (ici politique) et l’amour (ici paternel et filial). En toile de fond, le débat entre la recherche de l’absolu (l’ordre) et l’acceptation de l’imperfection (le désordre) se trame. Et le scénario se clôt sur la fureur de vivre et de se battre pour la liberté, que rien n’éteint.
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mercredi, 10 avril 2013
Estelle au mois d'avril
1
Avril, 2077. La lumière de la journée, belle et étrange, emplit la pièce d’un rêve langoureux. Estelle Claris, tranquillement assise à sa table, se laisse glisser dans un océan de visions bleues comme les vagues qui roulent en bas de l’hôtel, sur la plage de sable blanc. A quarante-huit ans, elle songe aux années de jeunesse qui lui restent à vivre, dans une insouciance aventureuse… Elle se demande si lorsque vers soixante ans, quand l’âge d’avoir des enfants et une activité d’auto-définition sonnera, elle aura l’indépendance d’esprit de poursuivre sa course à l’instance, ou si, comme ses aînés, elle ensevelira ses rêves dans une mise en couple raisonnable, doublée d’une activité d’auto-définition bien définie.
Les vingt premières années de son enfance, Estelle les a vécues dans la plus haute capitale du monde, à La Paz. Lorsque ses pères se sont séparés, dans un fracas de larmes et de disputes, sa vie s’est scindée en deux, et elle a quitté La Paz pour toujours. Désormais partagée entre Lhassa, ou son père normatif Francis s’était réfugié, pour demeurer dans une atmosphère de montagnes qui correspondait au cheminement naturel de son karma, et Moscou, ou son père nourricier Sylvain s’était installé avec son nouvel amant Sergueï, Estelle avait appris à oublier la douleur d’un paradis perdu dans le rêve. A trente ans, elle s’était engouffrée dans une adolescence de type B1, et on l’avait envoyé dans une école privée à Vienne, les écoles de l’ONU pour adolescents de classe B et C ayant à l’époque très mauvaise réputation. Elle y avait terminé sa scolarité à l’âge conseillé, et à quarante ans, son certificat d’émotionalité régulée en poche, elle avait décidé avec trois amis de claquer toutes ses allocations de jeunesse à parcourir le monde. Ses pères ne tentèrent pas de l’en empêcher. Conscients d’avoir frôlé la ligne du viol moral au moment de leur séparation, aucun des deux ne voulait entamer le psychisme de leur fille en détournant son projet personnel, même si un tel dévergondage citoyen les effrayait. Francis, de Lhassa, et Sylvain, de Moscou, l’avaient donc soutenue dans ses voyages, et Estelle avait parcouru la planète et le ciel Ouest quelques années. Elle était partie accompagnée de Karim, Inti et Tristana, mais au cours de leur exploration du monde le quatuor s’était séparé. Karim avait eu une crise d’angoisse sur le satellite artificiel Race, et n’avait pas voulu sortir de l’hôpital même après l’autorisation du centre d’éthique de Race. Estelle, Inti et Tristana s’étaient donc résignés à laisser leur ami. Ils avaient continué leur aventure ciel Ouestiènne, pour rejoindre la planète en Inde. A Bombay, Inti était tombé amoureux d’une adolescente de trente-deux ans. Ils avaient eu une liaison, et Inti avait été interné en hôpital religio-psychiatrique. Estelle avait voulu l’attendre quand Tristana insistait pour continuer le périple, considérant qu’Inti ne méritait plus ni le titre de citoyen, ni son amitié. Estelle était alors restée à Bombay, mais Inti n’obtenait pas le droit de sortir. Lorsqu’on le transféra au centre de déracisme, sa liaison ayant été analysé comme une façon de mépriser l’ethnie de l’adolescente, il avait même été interdit de visite. Estelle s’était alors résolue à reprendre la route seule. Et c’est à partir de ce moment qu’elle avait entamé sa quête de l’instance.
Aujourd’hui, il est difficile pour Estelle de ne pas ressentir de tristesse en se remémorant ces années post-écolières. Elle n’a plus jamais eu de nouvelles de Tristana, mais Karim et Inti sont tous deux parvenus à se créer un cadre cohérent, pour une vie douce et libre. Pourtant, les relations sont difficiles entre tous les trois. Sans doute, les expériences hospitalières des deux jeunes hommes les ont marqués plus qu’Estelle ne peut le comprendre, érigeant une fumée de silence et d’insécurité entre eux. Estelle, elle, n’a pas eu à affronter ses manquements et ses errances : sa capacité à fuir dans le rêve et à voiler le rêve sous un regard bleu et vide, sous un sourire frais et ouvert, lui ont évité les désagréments de la rééducation. Elle le sait, et elle s’en félicite. La lumière du jour continue à bercer ses songes ; le roulement des vagues monte à sa fenêtre et la peau d’Estelle se tend, énervée par le désir d’eau. Elle se lève et appuie sur le programme café-matin de la machine de consommation boissonale. Un café tombe, bien chaud, bien serré, bien odorant. Estelle le savoure en fumant une cigarette de respiration mer salée. Debout à la fenêtre, elle contemple les vagues, dans un étrange sentiment mélangé de douceur et de solitude.
Le rivage et ses arbres sont beaux dans le matin. Estelle descend les escaliers, sa planche de surf sous le bras. Elle croise le gérant de l’hôtel.
- Encore du surf, Humain Claris ?
- Heu… Oui, je vais surfer un peu. A tout à l’heure, Humain Dupont.
Estelle a un soupir un peu agacé. Un A3, celui-là, se dit-elle avec un petit sourire. Elle déteste les A3. Elle s’en veut un petit peu de ce racisme affectif, mais sa solitude l’a habituée à penser franchement, et elle ne parvient plus ni à refouler, ni à exorciser ce sentiment de mépris et de rage contre les A3. Sur la plage, un vent tiède lui caresse le visage et les cheveux. Elle tourne le dos à l’hôtel Dupont, se déshabille, et marche, de son étrange démarche de pouliche, vers les vagues.
Estelle surfe. Elle rame, se lève, glisse, glisse, glisse, s’effondre dans un jaillissement d’écume quand la vague meurt, et rame à nouveau, se lève, glisse, glisse, glisse… Si, un jour, ses pensées sont découvertes, ou si ces salauds de pays très alignés font passer leur loi à l’ONU, sur l’activité d’auto-définition forcée, alors elle sait ce qu’elle fera. Un matin comme les autres, elle ira surfer comme d’habitude, et s’engouffrera dans un rouleau d’eau pour ne plus remonter vivante. Pour l’instant, Estelle surfe, elle oublie ses soucis, elle oublie les pays très alignés et elle oublie les humains A3. Elle rit, les pieds sur la vague et les cheveux dans le ciel, et les rêves d’avenir naissent à l’horizon, dans le soleil ovale.
Trois heures de surf. La biomontre d’Estelle vient de clignoter, pour la troisième fois depuis qu’elle est entrée dans l’eau. Il est temps de rentrer. Estelle, allongée sur sa planche, les yeux clos, se laisse bercer par les vagues jusqu’au bord.
Le sable tiède l’accueille agréablement. Estelle ouvre les yeux ; devant l’hôtel Dupont, trois camions de Solidarité stationnent. Des solidaires en uniforme attendent au seuil du bar de l’hôtel. Estelle se lève et plisse ses yeux pleins de sel. Un léger sentiment de malaise s’empare d’elle. Les solidaires regardent tous dans sa direction. Elle enlève le sable de sa planche et regarde à nouveau vers l’hôtel. C’est bien elle qu’on observe. Debout au milieu des solidaires, les bras croisés, l’humain Dupont la regarde aussi, d’un œil de traître. Toute sa silhouette est fuyante. Voyant son crâne imperceptiblement baissé comme pour recevoir une caresse d’un éventuel veilleur du ciel, voyant ses jambes et ses bras, bien que fermes, animés d’une mollesse fourbe, Estelle devine…
Comment a-t-elle pu croire qu’on la laisserait claquer ses dernières allocations de jeunesse dans un lieu tranquille, à danser chaque jour, des heures durant, avec les vagues de la plus belle poubelle de la planète ?
Impossible de fuir. Les solidaires l’attendent sans impatience. Ils bloquent toutes les issues de la plage. Elle n’a plus qu’à les affronter ou à retourner à l’eau. Elle sait qu’ils attendront qu’elle en ressorte… S’engouffrer dans un rouleau d’eau pour ne plus remonter vivante… Mais, parmi les solidaires bleu-casqués, Estelle distingue des sauveteurs. On ne la laissera pas se suicider.
Elle ramasse sa planche et remonte lentement la plage ; le sable se dérobe sous ses pieds nus. Une immense peur l’agrippe.
Pourquoi apprend-on à l’école que la peur a disparu de l’ère terrestre au début du vingt et unième siècle ? Même les citoyens des pays en voie d’alignement ne la connaissent plus. La peur, la colère, et la perversité… Les trois ennemis que l’humanité a enfin terrassés. Pourtant, à chaque pas qui la rapproche de son comité d’accueil, n’est-ce pas la peur, qui accroche son ventre et cogne son cœur ?
2
- Humain Claris.
- Oui, Humain solidaire.
- Vous avez votre biofiche de citoyenneté ?
Estelle tend son poignet.
- Désactivez votre montre, je vous prie.
Estelle porte la main à son oreille. Elle masse le lobe, jusqu’à ce que la biomontre s’endorme.
Le solidaire est bienveillant. Il sourit. Le timbre de sa voix, doux et équilibré, reflète une grande sincérité. Estelle essaie de ne pas trembler ; il est C1, elle en est certaine. Face à sa conscience citoyenne, sa profonde bienveillance, elle sait qu’elle est perdue : il va vouloir la sauver.
- Vous tremblez, Humain.
- J’ai froid.
- Vous vous faites beaucoup souffrir en vous baignant ainsi ?
- Non, Humain solidaire. J’aime surfer. Mais mes habits sont dans ma chambre, et j’aurais besoin de me couvrir.
- On m’a dit que vous surfiez beaucoup.
Estelle cherche du regard. L’humain Dupont, à quelques mètres, fait semblant de regarder la mer.
- Oui, Humain, je surfe beaucoup.
- Cela vous fait du bien, n’est-ce pas ?
- Oui.
- Cela vous soulage ?
- Euh… Non…
- Cela ne vous soulage pas ?
- Euh… C’est à dire, je n’ai pas besoin d’être soulagée.
- Vous n’avez jamais besoin d’être soulagée ?
- Euh… Si, bien sûr.
- Faites vous régulièrement le point chez un conseiller en trajectoire de vie ?
- Oui. Oui, de temps en temps.
- Pas plus que ça ?
- Si, quand même. Quand même assez souvent.
- Vous éprouvez le besoin de le faire souvent ?
- Non, enfin… Régulièrement. J’aime… J’aime les choses équilibrées… Les choses régulières…
- Vous sentez que vous avez besoin d’équilibre ?
- Non, enfin, pas spécialement. C’est à dire… Comme tout le monde… Je me sens comme tout le monde.
- Vous savez que vous ne menez pas la même vie que tout le monde ?
- Non. Si… Si, je sais.
- Votre fiche ne porte pourtant pas la mention Originalité.
- …
- Vous recevez vos allocations jeunesse ?
- Oui, Humain.
- Et dans deux ans, quand cela s’arrêtera, que ferez-vous ?
- Je… Je choisirai une activité d’auto définition.
- Vous ne l’avez pas encore trouvée ?
- Non. Je suis un peu attardée.
Merde ! Se dit-elle. Une phrase de trop. Sa fiche technique ne porte pas la mention Humour, et pourtant, ce petit humour sarcastique risque toujours de la perdre.
- Vous pensez que vous êtes attardée ?
- Je disais ça pour rire.
- Mais vous n’avez pas ri.
- Je… Enfin, intérieurement, j’ai souri.
- Et vous n’avez pas pu l’extérioriser, ce sourire ?
- …
- Vous surfez six heures par jour, d’après ce que je sais.
- A peu près.
- A peu près ? Je crois que vous surfez six heures par jour. Vous souffrez peut-être d’une trop grande osmose avec les éléments naturels ?
- Je ne crois pas.
- Vous pensez pouvoir choisir votre activité d’auto définition en surfant ?
- …
- Dans quelques années, vous recevrez vos allocations d’adulte. Les emploierez-vous à surfer ? Ou à participer à la créativité humaine ?
- La deuxième solution.
- Vous vous en sentez capable ?
- Oui.
- Quelle autosatisfaction, Humain Claris. Vous êtes très différente du reste de l’humanité, alors. La plupart des gens se savent à la merci de leur part animale. Vous savez, je pense que vous devriez passer un peu de temps dans un centre de réflexion, entourée de psychiatres et d’humanistes. Mais vous seule pouvez prendre cette décision. Ne vous sentez pas forcée. Ce que je veux que vous sachiez, c’est qu’une trentaine de personnes ont signé pour votre décitoyennisation. Ce processus est donc en cours, sauf si vous choisissez de vous soigner.
La décitoyennisation, cela signifie la désallocation. Et sans allocation, personne ne vous accueillera nulle part. Vous n’avez plus qu’à rejoindre un centre de décitoyennisés, pour y vivre jusqu’à la fin de vos jours, à moins que vous ne travailliez sans relâche à devenir à nouveau un citoyen. Estelle ne pourrait jamais le supporter, elle le sait.
- Je vais me soigner, Humain solidaire.
- Le camion qui vous emmènera au centre de soins vous attend.
- Cela ne peut pas attendre quelques jours ?
- Non.
- Je… Je vais m’habiller, Humain.
- D’accord, Humain Claris. Nous vous attendons.
Estelle s’éloigne en tremblant, sans se retourner. Elle sait que l’homme l’observe avec compassion. Elle n’a pas crié ; elle ne s’est pas révoltée. Elle n’a pas fait montre d’une paranoïa aiguë, évitant ainsi la mention dangerosité sur sa biofiche, et l’internement psychiatrique. Elle connaît l’histoire de cet homme qui avait raconté, lors d’un dîner de voisinage, qu’il ressentait de temps en temps de la colère. Après dix ans d’une médicalisation à outrance dans un institut de sauvetage de l’ONU, il était redevenu libre, mais on avait dû lui greffer un système affectif artificiel, car il avait perdu la faculté d’éprouver des émotions. Estelle, cela fait bien longtemps qu’elle n’éprouve presque plus rien. Mais le plaisir de glisser sur les vagues… De l’eau contre sa peau… Et de l’extase dans le tube, quand la vague se referme sur elle et qu’elle hurle dans le couloir d’eau… C’est sa raison de vivre, la réalisation ultime de sa quête de l’instance. Cela, elle ne peut y renoncer.
Estelle, la planche sous le bras, encore ruisselante de gouttes salées, monte seule le petit escalier de bois qui mène à l’étage des chambres.
Sa chambre l’accueille comme si rien ne s’était passé. Le bois du vieux plancher, le blanc des murs, la paille des chaises et l’appel de la machine de consommation boissonale. Un rayon de soleil oscille entre le lit et la cabine d’hygiène.
Non. Elle n’ira pas au centre de réflexion. Elle ne veut pas des humanistes et des psychiatres. Elle veut ses rêves ; ses rêves et ses vagues.
Elle pose sa planche contre un mur, enfile un pantalon et s’allonge sur son lit. Elle le sait, elle n’a que quelques minutes devant elle. Si elle ne descend pas, on montera la chercher. Et si elle refuse de partir, c’est la décitoyennisation immédiate. A l’époque où le suicide n’était pas encore interdit, ou plutôt, à l’époque où l’on pouvait se suicider sans que sa biofiche se mette à sonner, la situation aurait été difficile, mais solvable.
- Humain Claris !
- Merde, murmure Estelle.
Affolée (la peur n’existe pas, j’ai peur, donc je ne suis pas), Estelle se lève, et vacille.
- J’arrive !
Mais elle ne bouge pas ; elle le voit.
Dans le coin de la chambre, il est là ; il attend. Bien sûr, il est inutile : on la rattrapera dans la minute. Mais il est l’ultime espoir. L’ultime tentative de liberté.
Estelle y accroche sa planche, l’enfourche et le met en mode silencieux.
- J’arrive ! crie t-elle à nouveau.
Elle démarre et s’élève devant la fenêtre ouverte.
Un. Deux. Trois.
Estelle s’envole de l’hôtel Dupont, accroché à son scooter des airs comme au baiser de la mort.
3
Un simple coup d’œil en bas : les solidaires et les sauveteurs sont toujours devant la porte de l’hôtel, et l’humain Dupont leur sert des cafés. Estelle relève les yeux ; accélère ; accélère ; elle s’élève et s’éloigne, les yeux fixés sur l’horizon. Elle n’a pas le courage de regarder en arrière. Elle attend de s’enfoncer dans les nuages pour mettre le scooter en mode bruyant. Avant de s’engouffrer dans un nuage, elle ose un regard en arrière. Pas de poursuivants. Un regard circulaire. Pas de veilleurs du ciel. Il est impossible de leur échapper, il faudra mourir ou retomber entre les mains, ou plutôt entre les cerveaux des humains. Mais, chaque seconde de vol est une rencontre avec le ciel, avec la liberté.
Le scooter des airs danse dans les nuages. Tout est blanc. Des aires bleues apparaissent à travers la mousse blanche : le ciel pur, en haut ; et l'océan, en bas.
Les nuages étouffent le bruit du moteur et Estelle chevauche son scooter avec fougue, la passion au corps. Les champs de nuages s'étendent au loin. Estelle les traverse à une allure folle, et soudain sa bouche s'ouvre, ses poumons s'élargissent et un hurlement, un rugissement s'élève au creux de ses hanches, emplit son corps, et transperce les nuages. Estelle n'a jamais hurlé si fort, dans aucune vague, dans aucun rêve. Puis sa voix meurt et Estelle sent et voit ses bras minces trembler sur les poignées de son scooter. Le froid l'envahit. Le couloir de nuages finit ; l'océan et le ciel, bleus comme les yeux d'Estelle, bleu très scintillant, lui brûlent les yeux. Le bruit du moteur se fait à nouveau entendre, aussi assourdissant que les nuages qui l'assourdissaient. Estelle baisse les yeux. En bas, sur l'océan, à quelques centaines de mètres au dessous d'elle, une dizaine de navettes sont déjà là, remplies de solidaires et de citoyens qui attendent Estelle. Elle relève les yeux, prête à fuir au plus haut du ciel. Elle tire sur l'énergie de son scooter comme jamais. Elle crève le ciel, loin des vitesses maximales autorisées. Le soleil, frère et ami, l'appelle tranquillement. Oui, il la prendra. Oui, il lui brûlera les yeux, et la peau et les poumons, et jamais, jamais plus Estelle ne retournera chez les humains. Merci, soleil, pense Estelle, les lèvres entrouvertes, éblouie par cette promesse solaire de délivrance et par la vitesse effrayante de son scooter des airs.
Plus que quelques kilomètres. Plus que quelques petits kilomètres et le soleil accomplira sa promesse. Estelle fonce, elle file, dans un ciel tiède et doux, quand derrière elle, insidieusement, elle sent grésiller le bruit d'un moteur. Le bruit de plusieurs moteurs. Dans un espoir inouï, Estelle sollicite son scooter et donne une ruade. Plus vite ! Plus haut ! Elle sent son scooter faiblir, flancher. Le bruit de moteur s'approche. Elle se retourne : le bruit de vingt moteurs au moins. Ils sont au moins vingt. Vingt solidaires armés de lances endormisseuses, casqués, en rang, qui la rattraperont dans moins d'une minute. Estelle doit faire son choix, elle a à peine une minute pour faire son choix. Les solidaires se rapprochent sur leurs scooters de l'ONU. En haut, le soleil est trop loin. Il a menti. Il ne pourra pas la prendre. En bas, Estelle distingue des vagues, qui tissent et délissent la surface océane. Et les navettes des solidaires et des citoyens volontaires.
Estelle entrevoit le point de rencontre entre le ciel et la mer : l'horizon lui donne courage et liberté. Dans un rire magnifique, elle lâche tout. Elle lâche sa tension, elle lâche sa conduite, et laisse le scooter tomber.
La chute est fulgurante, d'une très lente rapidité. Estelle se retourne juste une fois. Les motards assistent, impuissants, immobiles dans le ciel, tous penchés vers elle. Parmi ces visages honnêtes et équilibrés, un seul l'appelle, retient son attention. En un regard de quelques secondes, ou quelques instants, Estelle et lui se rencontrent. C'est un inconnu. Il est équilibré, mais ses lèvres tremblent derrière son casque. Son regard est rempli d’admiration et de fraternité. Il l'approuve. Le cœur battant, Estelle sent qu’ils tombent amoureux. Soldat à l’invisible rébellion, il lance des flammes de vie par chacun de ses yeux. Estelle soutient ce regard ami, jusqu'au choc.
Le scooter est tombé dans la mer. Estelle tient toujours les poignées, ses jambes l'enserrent. Elle s'accroche au scooter, et laisse la mer l'entourer, l'envelopper et l'emplir. La liberté est enfin là. Elle est bleue, verte et profonde. Estelle descend dans la liberté, avec la solennité d’une mariée.
Dans un ultime sourire bleu, Estelle s’offre une prière : faites, O mes fonds océans, faites qu’ils ne retrouvent jamais mon corps.
Edith de Cornulier Lucinière, 2002
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mardi, 09 avril 2013
Adélaïde
Il y a douze ans maman entrait dans la mer. Elle marchait avec sa robe bleue dans les vagues glacées. Personne ne la vit s’enfoncer dans l’eau.
La veille au soir, elle avait appris, à la suite d’événements administratifs compliqués, que son époux, notre père, entretenait depuis le début de leur mariage des liaisons avec cinq femmes, et qu’il était le père du fils de l’une d’entre elle – un fils un peu plus jeune que moi.
Adélaïde et moi, nous découvrîmes tout cela en même temps : les liaisons de notre père, le fils caché, l’entrée de notre mère dans la mer.
J’ai été déchiré en mille morceaux par ce drame. Adélaïde est entrée au couvent. Carmélite, elle vit cloîtrée, ne sort jamais. J’ai un droit de visite restreint. Sa vie est prière. Elle prie pour maman et elle prie pour moi.
Nous avons refusé de revoir notre père, Adélaïde parce qu’elle était trop blessée, moi par fidélité à celles que j’aime. Il est si beau, si intelligent, si riche et si sympathique que si je l’avais revu ne serait-ce qu’une fois, je n’aurais pas pu rester fâché. Or, pouvais-je me laisser trahir la mémoire de ma mère, la douleur de ma sœur et mon propre chagrin de fils trompé ?
Mais il y a huit jours, le notaire, Maître Sistretaille m’a annoncé que notre père venait de mourir. A sa demande, je me suis rendu à son étude et j’y ai rencontré l’autre fils, Térence, qui porte le nom de famille de sa mère. Il n’osa pas me regarder. Pendant le rendez-vous, il répondait au notaire, signait ce qu’on lui disait sans rechigner et ne leva pas les yeux vers moi. Mais pour que nous puissions toucher notre dû amer rapidement, il fallait définir entre héritiers un accord amiable pour débloquer un fonds. Je pensai que le mieux était d’agir ainsi plutôt que d’entrer dans des déboires juridiques incessants, qui ne mèneraient à rien et n’auraient comme source unique l’horreur d’avoir été trahis chaque jour de notre enfance et de notre jeunesse.
J’appelai Adélaïde et arrangeai une date, que Térence accepta. J’aurais voulu faire le voyage seul, mais un seul train traversait la France jusqu’au carmel où elle priait.
Ce fut le premier point commun : nous nous retrouvâmes au wagon-bar du train au même moment, pour la même bière. Térence était si discret que je n’osais le snober plus longtemps et lui proposai de boire la bière ensemble. Nous fîmes connaissance. Nous échangeâmes des renseignements de surface sur nos vies.
Je tiens une salle de jeux à Monaco. Je vis dans un monde louche et j’aime ça. Je vis avec Marlène, qui ne ressemble à aucune femme connue au cours de mon éducation. Elle est vulgaire, franche, brutale, plutôt généreuse et elle s’enivre avec mes clients au lieu de faire la comptabilité pour laquelle je la paye.
Térence est fonctionnaire de l’administration française, ce que j’aurais tendance à mépriser souverainement. Mais je n’avais pas le cœur au mépris. Il fait de la guitare dans un groupe de musique beith, composé de ses vieux copains du lycée. Il fait de la boxe le mardi soir.
Nos bières terminées, aucun de nous ne retourna à sa place, car la conversation coulait, limpide, comme l’eau douce des montagnes qui passe entre les rochers.
La petite ville nous accueillit par la pluie. Nous louâmes des vélos et nous rendîmes ainsi au couvent, comme je fais à chaque fois. A l’arrivée devant la porte, je n’avais toujours pas de frère, mais j’avais un camarade.
Une carmélite vint passer son visage entre les grilles de l’entrée.
- Nous venons voir Sœur Véronique du Renoncement.
- Qui êtes-vous ?
- Ses frères, dis-je. Et je tressaillis en prononçant le mot frère au pluriel. La sœur partit, ses talons claquèrent longtemps sur les dalles de l’allée intérieure du cloître. Nous attendîmes longtemps. Puis, derrière nous, la voix de ma sœur brisa le silence :
- Je n’ai qu’un frère.
Nous sursautâmes. Elle se tenait droite derrière nous, le visage tâché de rousseur posé au sommet de la longue robe marron de son ordre.
- Adélaïde ! Je la pris dans mes bras.
Elle observa mon visage, mes cheveux, passa la main sur ma joue et lâcha son verdict :
- Tu fumes trop, Charles, tu ne manges pas assez de légumes et tu ne repartiras pas sans que je t’aie coiffé correctement.
Elle ne s’occupa pas de Térence, qui l’observait avec de grands yeux passionnés. Elle nous emmena dans un petit bureau que la Mère avait à sa disposition, connaissant l’objet de notre visite.
Nous parlâmes affaires ainsi : je m’adressais à elle, puis à Térence, cherchant à trouver un accord entre nous trois, et chacun me répondait sans qu’ils se parlent entre eux. Nous signâmes un accord ; le silence s’installa.
Lorsque Térence se leva, comprenant qu’il fallait nous laisser, il me remercia en me serrant chaleureusement la main, puis il se tourna vers ma sœur :
- Depuis douze ans, je me sens mieux de savoir que vous savez, prononça-t-il avec difficulté. Chaque morceau de son corps et de sa voix, tendu vers nous, tentait de se faire aimer.
- Il y a douze ans, Maman est entrée dans l’eau glacée à sept heures du soir, dit Adélaïde.
Térence baissa la tête. Alors, enfin, j’eus pitié de lui. Il était né coupable comme nous étions innocents. Il avait été initié aux bassesses du mensonge, de la cachotterie par notre père et sa mère dès sa plus tendre enfance. Il avait dû souffrir, lui aussi, bien que je ne sache pas dans quelles conditions on souffre quand on est illégitime, et il avait dû grandir dans la connaissance malsaine du péché comme nous avions grandi dans l’inconscience niaise de la bourgeoisie. Il avait honte de tout ce qu’il était, sachant qu’il était l’incarnation de ce qui avait brisé notre vie. Il prononça
- Pardon, Adélaïde.
Il partit précipitamment.
- A tout à l’heure, à la gare, lui lançai-je. De dos, il acquiesça de la nuque.
Nous restâmes l’un en face de l’autre. Elle était raide et belle : pas une mèche ne dépassait de son voile marron. Depuis combien de temps n’avais-je pas vu les cheveux de ma sœur ?
- Il n’y est pour rien, murmurai-je.
- Je sais, répondit-elle. C’est sans doute une âme pure. Mais il ne peut ignorer que son existence est atroce pour nous.
- Il n’a pas choisi de vivre, dis-je.
- Moi non plus.
Elle alla chercher un peigne et me coiffa. Quelques sœurs, qui allaient et venaient dans le parloir, souriaient en blaguant sur les frères ébouriffés et les sœurs maternantes. Bientôt Adélaïde dut rejoindre ses compagnes pour assister à l’office et je soupirai en prenant congé d’elle. Comme la vie était fragmentée, officieuse, si différente de ce qu’elle avait été au temps des Noël familiaux, des grands mariages de l’été, des réceptions de nos parents et des cousinades endiablées durant les grandes vacances.
J’attendis Térence de longues heures. Il n’apparut pas à la gare. Je ne voulus pas prendre le train sans lui. S’était-il soulé la gueule dans un bistrot ? Avait-il fui pour ne pas subir le chemin du retour en ma compagnie ? Je le cherchai dans toute la petite ville et finis par échouer, épuisé, affamé, dans un des seuls restaurants ouverts. C’est là que j’entendis qu’un pauvre gars s’était jeté du haut de la falaise, à sept heures du soir.
Edith de Cornulier-Lucinière
Un dimanche de Septembre 2010
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vendredi, 25 janvier 2013
Crachats du temps
Une oeuvre de Hanno Buddenbrook, traduite par le comte Mölln aidé d'Edith de Cornulier-Lucinière
I
Cendres aux bords des lèvres
Je ne sais si je pourrai survivre à la lutte effroyable que je mène contre mon fantôme intérieur. Il veut danser avec moi. Il dit : même les morts dansent, viens avec nous. Je tente de fuir. Je cours dans la rue, je fend la foule, mais partout où je m'arrête pour souffler, pour reprendre haleine, il est là. Il apparaît. Il sourit. Je me réfugie dans mon lit, mais il est là, entouré autour des draps, et il me prend dans ses bras.
Qui est-il ? J'interroge de mon regard angoissé, mais rien ne me répond. Sa voix est livide, son corps flasque. Les autres, que vivent-ils ? Eux, ils sont chacun dans leur cauchemar, comme moi ? Ou suis-je la seule hors du monde, dans un réel à part, où rien ne coule de source, rien n'est beau ni facile ni tendre ? J'interroge les regards qui m'entourent mais aussitôt, les paires d'yeux les portent ailleurs.
Il faut veiller ; il faut prier. Espérer, attendre, et continuer de garder une lumière, ou une lueur, si petite soit-elle, au fond de soi. Car on en aura besoin pour mourir. Veiller et prier, car nous ne savons l'heure ni le jour de notre adieu au monde.
Dans la ville, je marche, et je rêve d'un jour différent, dans un espace libre : une promenade heureuse sous un ciel gris et long comme mon enfance, mais vide de ces mots et de ces machines, de ces fils et de ces idées qui m'ont vieillie. Un ciel gris, bas et long sur des champs boueux. J'aurais des bottes et du vent dans les cheveux, les joues fraiches. Et je pourrais sentir le mouvement en moi, ce mouvement de la vie qui va vers la mort, avec élan.
Ici, dans la ville, nous sommes des restes de vie qui attendons la mort, sans élan.
II
Tabous blancs
La manipulation mentale et la torture physique sont si semblables. Je bois ma bière au fond du café, un véritable plaisir. Je sirote,je fumote, je pensote. Les gens passent et m'observent ; je les observe en contrepartie.
On m’a interdit d’avoir des relations incestueuses avec la mort. Je ne sais plus où aller.
Oui, il y a le soleil du ciel
Et il y a le soleil mystique
L’un se pare parfois d’arc en ciel
L’autre est toujours psychédélique
Non mon amour tu n’auras pas
Le regard noir que tu voulais
Depuis que tu es partie, mon amour, la mort ne me fait plus peur. Elle est devenue mon amie. Et de temps en temps, quand la ville tourbillonne et que je m’en éloigne mentalement, j’ai l’impression, au fond d’un bar fatigué, de lui payer un verre.
III
Entrailles futuristes
Mon rêve est technologicide. Je crée un logiciel libre pour le cerveau et je l'offre au monde. Mes frères lointains, chacun d'entre vous pourra l'utiliser rapidement. Il faut juste vous reconfigurer. Ensuite, cela marche tout seul. Ça permet de rêver et ça permet d'oublier, sans substances interdites. Il faut juste laisser tomber les vieux concepts, ceux qui gèrent votre cerveau depuis l'enfance.
Hanno Buddenbrook
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mercredi, 23 janvier 2013
Mémoires d’une voyouse
Avertissement
Enfants, ne lisez pas ce qui va suivre.
C’est une histoire avec des salauds, des délits, des remords.
C’est une histoire pour les filous, pour les méchants, pour les gueux.
Hors-la-loi
Je suis une gueuse, une malfrate, une hors-la-loi. Si vous connaissiez tous les crimes que j’ai commis, vous fermeriez cette webpage et vous vous enfuiriez en courant vers des sites moins terribles. Ah ! ah ! ah ! Je fais peur aux bonnes gens, aux honnêtes gens, aux petites gens et même aux gens qui ont de l’entregent.
Toutes les histoires que j’ai vécues dans ma vie ont fini comme dans un film noir : course poursuite avec la police, batailles, hurlements, prison. Mais l’histoire que je veux vous raconter tourne différemment.
Adieu Johnnie Walker
En ce temps là, j’avais arrêté de boire. Quand une hors-la-loi arrête de boire, c’est TRES dangereux.
Pourtant, il le fallait. Le docteur m’avait dit : « c’est Johnnie Walker ou vous ». Johnnie Walker, c’est le type qui est dessiné sur les bouteilles de whisky.
-
En êtes-vous sûre, docteur ? Lui demandai-je effrayée.
-
Sûr.
-
Dis-moi la vérité, minable ! Lui hurlai-je en pointant Coco sur son cœur. (coco, c’est mon flingue. Coco était mon meilleur ami).
-
Hélas oui, répondit courageusement le docteur.
J’ai donc dit : Adieu Johnnie Walker. J’ai rempli mon frigo de jus de fruits, de Coca-Cola et de yaourts. J’ai pleuré tous les soirs, mais j’ai tenu le coup.
Bon anniversaire, pauvre idiote !
J’avais une longue vie de voyouse derrière moi.
Grâce à mes cachettes et à mon intelligence, les policiers ne me trouvaient jamais. Les gens qui savaient où j’étais n’osaient pas me dénoncer de peur que je les butte avec Coco.
Le soir de mon anniversaire, je m’apprêtais à déguster un immense gâteau à la fraise quand je me rendis compte que je n’avais aucun ami. Mon âme éclata en sanglot (mais mon visage resta très dur).
Je me regardai dans la glace et murmurai :
- Bon anniversaire, pauvre idiote !
Je pointai Coco vers mon cœur, mais il refusa de me planter.
- Que ferai-je sans toi ? Me demanda-t-il.
Alors je rangeai Coco dans un tiroir et j’allai me coucher.
Ce soir là, je décidai de transformer ma vie.
Le procès
J’étais en train de me demander comment devenir honnête quand les journalistes, les juges et les policiers me tombèrent dessus. Cela arriva par un soir de septembre. C’était l’automne et Paris était beau.
On m’arrêta alors que je marchais tranquillement sur le boulevard Raspail.
Mon procès fut rapide. Le juge parla avec éloquence.
Il relata mes crimes:
-
17 pompiers remplis d’hématomes, tous malmenés par l’accusée à la fin d’une rixe dans le terrible quartier de Pigalle.
-
4 hommes et 5 femmes séduits et manipulés par l’accusée pour lui donner de l’argent.
-
480 tonnes de chocolat, bonbons et yaourts à la fraise volés par l’accusée dans 140 magasins.
-
Une vieille femme effrayée et contrainte de laisser l’accusée jouer avec son chien yorkshire.
A la fin du procès, le juge cria : « qu’on jette l’accusée en prison ! » Des applaudissements s’élevèrent dans la salle. On me menotta, on m’emmena.
Au trou !
Au trou (c'est-à-dire en taule, en cabane, au violon, au placard, en prison), je réfléchis beaucoup.
Trois religieux vinrent me parler de Dieu. Cela m’intéressa mais je n’arrivai pas à choisir entre les trois religions, alors je laissai tomber.
Les mois passaient. Peu à peu, j’arrêtai de ricaner en pensant aux coups que j’avais faits.
Au bout d'un moment, je commençai même à lire des livres.
Enfin, je décidai d’arrêter cette vie de perdition et d’écrire l'histoire de ma vie.
Ma rédemption
J’étais respectée dans toute la prison. Les autres filles me craignaient. Elles me donnaient leur dessert.
L’une d’elle s’appelait Stella. Elle m’apprit à parler avec mon cœur. Nous rêvions de marcher ensemble dans la ville, en liberté.
- Tu sortiras d’ici avant moi, me disait-elle.
- Je préparerai tout pour notre vie, répondais-je. On aura notre frigo, des fenêtres sans barreaux, un chat.
La veille de ma sortie de prison, elle me prit la main. « Je sais que tu m’oublieras, me dit-elle, mais sache que tes yeux ont transformé ma vie ».
« Je ne t’oublierai pas », pensai-je dans ma tête.
L’amitié
Quand je sortis de prison, la lumière de la vie me stupéfia. Lors de mon procès, la société m’avait confisqué sans vergogne mes biens durement volés. Dépitée, je décidai de gagner ma vie honnêtement. Je trouvai un boulot dans un bar.
Le jour, je servais dans un restaurant des assiettes de fromage et des chocolats chauds à d’honnêtes gens.
La nuit, je me réfugiais dans ma piaule, au septième étage d’un immeuble. Par la fenêtre, les toits de la plus belle ville du monde m’apparaissaient éclairés par la lune. J’écrivais ma vie palpitante sur mon ordinateur. Je racontais tous mes coups, toutes mes planques, tous mes secrets, pour publier mes mémoires à titre posthume. Mon œuvre s'appellait : les Mémoires d'une voyouse.
Parfois je regrettais Coco. La vie est si facile quand on peut pointer son flingue sur les gens énervants ! Mais je pensais à Stella. Elle et moi, nous nous étions promis de devenir sages comme des images. Un jour, elle sortirait de prison… Alors la vie serait douce comme l'amitié.
FIN
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Edith de CL
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lundi, 24 décembre 2012
Trois photographies
Toutes trois ont été prises à Paris par votre serviteuse, Edith de Cornulier Lucinière ; la première en 2006 dans une pièce sombre d'un appartement de Montparnasse, un soir de fête, de littérature et de photographie.
La seconde, en 2011, rue de Rennes... Merci à celle qui posa.
La troisième en 2012, dans le quartier de la Madeleine. J'ai rêvé depuis de cet enfant qui est le mien et que vous ne connaissez pas.
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mardi, 18 décembre 2012
Monsieur Bovary
« Si j'étais un homme, je ferais ce que vous me dites. Mais les pauvres bêtes qui veulent montrer leur amour ne savent que se coucher par terre et mourir ».
La Bête, dans le film La Belle et la Bête, de Jean Cocteau
(Extrait de Madame Bovary, de Vincente Minnelli, 1950.
Musique de Miklós Rózsa. Vidéo trouvée sur YT, merci à l'internaute qui l'a postée !)
A l'intention de monsieur Charles Bovary, époux malheureux et médecin de province.
Monsieur Bovary
Personne encore n'a écrit votre histoire.
Aucun écrivain n'a vomi en portant vos douleurs dans son ventre. Mais je vous promets qu'un jour vous aussi aurez votre roman. Ce sera le roman d'un médecin de campagne, mari et père, englué dans une vie taillé sur mesure pour un cœur plus cynique que le sien.
Dans ce roman, vous ne vous appellerez plus monsieur Bovary, afin que personne ne vous reconnaisse. Mais vous, vous vous reconnaîtrez. Et ceux qui ont aperçu l'image de votre cœur derrière la description de votre épouse, vous reconnaîtront aussi sans l'ombre d'un doute.
Je vous promets que ce roman sera plus grand encore, plus beau que celui qu'on fit pour elle. Il sera taillé dans une langue française toujours aussi belle bien que métamorphosée par la modernité que vous sentiez poindre en votre temps. Et il fera le tour du monde pour conter votre cœur mis à nu aux millions de frères qui vous restent ici-bas, qui vous ressemblent, et que vous ne connaissez pas.
Je vous prie de croire, monsieur Bovary, en l'expression de ma sororale cordialité.
Edith de Cornulier-Lucinière
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jeudi, 18 octobre 2012
Apnéiste des villes du Nord
Une journée d'octobre
Par David Nathanaël Steene
Dimanche... Rien à faire... Mais l'ordinateur est allumé.
10h49, je m'assois avec un café. J'écoute un documentaire sur l'océan abyssal, quelque fois je regarde les images. Je suis amer, car je ne suis pas chasseur de corail, ni plongeur « no limit ». Je suis cadre commercial et j'habite rue Berthillot.
Le café est presque froid.
Midi 57
Je me lève du fauteuil et me rends compte alors que j'étais assis de façon très inconfortable. Que s'est-il passé ? Ah oui, un café, un peu de musique et puis... La rêverie s'est installée. D'elle, j'ai tout oublié.
Je vais, je viens, dans le couloir, dans la cuisine, j'ai faim sans courage de manger, je cherche des choses à faire.
13h12
Je m'habille
13h26
J'ouvre le frigidaire, je mange des choses un peu à l'envers et je ris en songeant à certaines scènes de la semaine passée. Je ne me souviens plus de ce qui se passa hier. J'aimerais être avec quelqu'un, sans être pourtant trop dérangé.
14h14
Je regarde l'heure, elle est symétrique. Il y a un vieux carnet d'il y a dix ans, qui traîne depuis tout ce temps. Je vais écrire un poème.
16h
Assis, puis debout, puis assis, allant chercher de temps en temps de la lumière du dehors à la fenêtre surélevée des toilettes, j'écris un poème. J'en pleure presque. Il est raté, mais cela lui donne une certaine beauté.
Je suis revigoré par cette création ; je vais faire un café.
17h01
J'ai bu du café, relu mon poème, ouvert des livres et je viens de mettre une liste musicale sur mon ordinateur. Le premier morceau coule : C'est Mom's Mercedes, des Shudder to Think.
18h49
Oh la la, quelles musiques viennent de couler dans cette pièce tellement vide que j'ai presque l'impression de ne pas exister.
Shudder to Think, Patti Smith, Biosphere, Schubert, Eric Serra, Monteverdi, Maurice Fanon, The Doors, Tom Waits, Louise Attaque, Carlo d'Alessio, Craig Armstrong, Christophe Bertrand, Nino Rota.
Je vais me changer, pour être beau ce soir.
19h37
Je me suis douché, changé, rasé et je suis beau, prêt à sortir dans la ville. J'ai l'air fort dans le miroir, ce qui me fait sourire.
20h23
En fait, je ne vais pas aller à la soirée d’Édith de Cornulier-Lucinière. Elle me fait peur avec ses nouvelles idées, et puis je ne supporte pas les conversations du dimanche soir. Je vais rester ce soir chez moi, et j'ouvre la bouteille de Meursault d'oncle Thomas.
J'écoute une musique des Voyageurs des 7 songes et Francis Coffinet. Le Meursault s'invite et modifie l'essence même de la musique et du poème.
...« révolution de chair et de conscience au coin du plexus solaire »...
Alliage étrange de Meursault et de Francis Coffinet : la nuit s'ouvre doucement. Le feu intérieur se consume, avale le vide extérieur. Je suis l'apnéiste des villes du Nord.
DN Steene
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jeudi, 10 mai 2012
Souffle et drogues autogénérées : le psychédélisme naturel
Le psychédélisme naturel
(un billet de Hanno Buddenbrook)
"Il faut être libre pour le devenir, car la liberté est existence, et surtout acquiescement raisonné à l’existence et désir ressenti comme un destin de la réaliser".
Ernst Jünger
Chers amis, chers non-amis,
Qu'est-ce que le psychédélisme ? Ce terme, formé des mots grecs « âme » et « clair , visible », a été inventé par le psychiatre Humphrey Osmond et l’écrivain Aldous Huxley, et signifie « révélation de l’âme ». Le mouvement psychélélique a voulu révéler cette âme humaine par l’emploi de drogues, qui émoustillent les sens et « ouvrent les portes de la perception », comme l’a dit Huxley. Ces portes, qui ont poussé Jim Morrison à appeler son groupe de musique rock the Doors, les Portes…
Les drogues utilisées par les adeptes du psychédélisme, hallucinogènes ou délirogènes, sont néfastes pour la santé mentale et physique et rendent fragile l’être humain dans une société dont le délire ne concorde absolument pas avec celui induit par les drogues.
Or, il est possible de se droguer sans se faire mal, sans s'aider de substances externes qui dégradent notre santé ou nous déconnectent de façon dangereuse du monde matériel dans lequel nous sommes plongés.
Le psychédélisme au naturel
Le psychédélisme naturel permet de vivre de façon intense, grâce à la dilatation des perceptions, en échappant à la fois à la prégnance des éléments néfastes de ce que l'on appelle vulgairement la "réalité" et aux conséquences destructrices des drogues.
La drogue extérieure et la drogue intérieure ne sont pas si différentes, dans leurs effets hallucinogènes de révélation des faces cachées de l’âme, des puissances créatrices contenues au fond de nous-mêmes. C'est leurs effets secondaires qui les différencient, tels les problèmes de santé, d'addiction, de cherté, pour ne citer que quelques-uns des problèmes liés aux drogues extérieures. Ces effets sont absents de la drogue intérieure. Quoique... l’on peut soutenir que l'addiction concerne aussi les drogues autogénérées. Mais c’est une addiction qui ne diffère pas de l’addiction à la course à pied : la privation de la drogue provoque éventuellement des crises de colère ou de dépression, que l’on peut surmonter en aménageant sa vie. Rien de grave, en somme. Le fait que la course à pied soit addictif n’enlève rien aux bénéfices qu’elle procure.
Nous comprenons Edith Morning lorsqu'elle déclare : "Si j’avais su que les rêves sont réels et le monde illusion, j’aurais inversé ma vision de la liberté et celle de la prison. Mais les menteurs amers disent décriant les images qu’elles sont illusoires, et nous entraînent dans leur " réel " qui n’existe que dans leurs sombres couloirs".
Comment fuir le réel sans qu’il nous rattrape ? Comment rester dans le réel sans dissoudre ses rêves ? En mélangeant savamment le rêve et la réalité, en célébrant au quotidien leurs épousailles mystiques.
Je souhaite partager le fruit étrange et mûr d'une expérience de quelques années.
Voici quelques moyens d'aboutir à ces états psychédéliques, sans LSD ni ingestion d’aucune autre drogue dure ou douce.
Par le souffle
D’abord on se calme, on ferme les yeux, on passe un moment à observer ce qui a lieu sur le rebord clos de nos paupières. Puis on observe notre respiration, son rythme, les effets que ce rythme, allié à une plus grande conscience des événements corporels, peut avoir (fourmillements dans une jambe, effets de ventouse sous une épaule…)
Après quelques temps, l’on peut influer sur ce rythme respiratoire en l’amplifiant. Il ne faut pas être trop directif avec soi-même. Dans tous ces exercices, le but est d’obtenir une sorte d’auto-hypnose.
Par la visualisation
Commencez par le bleu : imaginez un bleu très clair, et voyez le prendre toute la place. Imaginez que vous nagez dans ce bleu, imaginez que vous recevez des tombereaux de masse bleue, imaginez que le bleu vous enveloppe, vous remplit, emplit le monde entier.
Vous pouvez aussi imaginez que dans le monde dans lequel vous évoluez flottent des volutes bleues.
Vous pouvez vous envoyer ainsi des petits jaillissements de bleu dans la journée, par instants. J’ai arrêté de fumer en imaginant surgir un lagon bleu chaque fois que j’avais envie d’une cigarette. Je me suis soulé ainsi aux lagons bleus pendant plusieurs semaines.
Par le mouvement
La répétition inlassable d’un mouvement est une bonne entrée en matière, c’est-à-dire une bonne entrée en transe.
Par le son harmonique
L’apprentissage (doux) du chant harmonique provoque de grandes ouvertures mentales et imaginales. Il suffit de prendre une grande inspiration, choisir une syllabe d’appui (« ou » est parfaite), et laisser un filet de son se dévider le temps d’une longue expiration. Faites le sept ou huit fois et ensuite insérer, sans fermer la bouche ni couper le son, un « u » (ou toute autre syllabe). Cela donne : ou-u-ou-u-ou, sans interruption de son. Les lèvres peuvent rester rondes, sans bouger. Seule la langue bouge et c’est ce mouvement de langue qui créée l’harmonique et permet que plusieurs sont distincts sortent en même temps.
Par l’expérience intérieure
Celle-ci consiste à se concentrer, plusieurs minutes de suite, voire le plus longtemps possible, sur le cœur et ses battements, ou encore sur un organe (le foie) et tâcher d’en sentir les contours et d’être conscient des mouvements, flux, événements qui s’y passent.
Par les expériences de flottement
Le flottement, ou la flottaison, c’est ce sentiment agréable de se laisser emporter par le courant du rêve, un rêve non conscient, non mental, un rêve presque corporel. La réalité perd prise, nous perdons pied et nous laissons délicieusement glisser dans les interstices du temps. Le but est d’oublier de façon complète tous nos soucis. Accéder à cet oubli parfait, même une seconde, représente un grand bain de vide, un grand bain de paix. Il faut réussir à accéder à cet état de béatitude, ne serait-ce qu’une seconde. Une seconde de totale béatitude vaut mieux que quinze jours de vacances. Si l’on peut multiplier cette expérience de flottement béat, les effets sur la santé mentale, physique, sur la détente générale de notre vie, la perfection de nos gestes quotidiens, la qualité de nos réactions aux événements vont apparaître. Une seconde de béatitude répare plus qu’une nuit de douze heures. Mais pour l’atteindre il faut accepter de tout laisser partir, tous les soucis, toutes les angoisses, toutes les culpabilités. En fait, cela exige une renonciation qui ressemble à celle du mourant qui lâche enfin tout ce qu’il tentait de retenir pour plonger dans l’inconnu qui vient le chercher.
Note sur la musique
La musique, et particulièrement la musique planante, est un outil efficace lorsqu’il s’agit de planer. Toutefois, pour un psychédélisme naturel pur, point n’est besoin de recourir à un quelconque outil. Au contraire, l’outil nous détourne de cette pureté de la sensation, et surtout, l’outil nous empêche de discerner ce qui relève de nous-même et ce qui relève de l’influence extérieure.
La démarche psychédélique naturelle prend sa source dans l’amour de la liberté, de la simplicité. La musique nous emporte : en cela elle nous prive de notre liberté pure.
Note sur la prière
Le psychédélisme naturel peut n’avoir pas d’autre but que le bien-être. Il peut également être soutenu par une intention, par exemple une intention artistique, ou bien une quête d’efficacité ou de santé.
Le psychédélisme est une attitude orientée vers soi, alors que la prière s’élève au-dessus de l’ego. La prière est la mise à disposition de son être au profit de Dieu ou d’une matrice créatrice quelconque. La prière n’est pas un outil au service de soi, mais un outil de communication entre soi et une entité devant laquelle on s’incline.
Le psychédélisme est plutôt un outil, une voie que l’individu peut contrôler et qu’il a tout le loisir d’user pour son meilleur bénéfice. Si le psychédélisme peut se mettre au service de la prière, il peut aussi la perturber en tant qu’il procède d’un désir de développement personnel, et ne doit jamais se confondre avec elle. Il ne peut en outre la remplacer. Ceux qui veulent prier doivent prier.
Avertissements
Premier avertissement :
Tout ce que nous entreprenons et qui s’oppose au bonheur de nos enfants, de nos chiens, de tous les êtres dont nous sommes responsables, est mauvais. Nous nous devons à nos petits comme les loups se doivent aux leurs : les jeunes avant toute chose. Le psychédélisme naturel ne doit être utilisé qu’au service d’une meilleure vie, plus agréable, plus vivifiante, pour vous et les vôtres.
Second avertissement :
L’exploration de nous-mêmes est un voyage infini et bouleversant. Lorsque nous envoyons des sondes au plus profond de notre être, nous ne savons pas ce que nous allons toucher. Nous ne savons pas ce que nous allons voir surgir. Nous ne savons pas quelles ballades que nous allons ouïr. Si, en lui-même, ce voyage ne comprend aucun risque, ne présente aucun danger, nous devons rester responsables face à nos éventuelles défaillances. L’angoisse et la rage sont des réactions plausibles face à une découverte trop intense. Des personnes ayant voulu enseigner le yoga à des prisonniers se sont rendues compte que ces prisonniers devenaient extrêmement violents. Comment n’en serait-il pas autrement ? Le voyage intérieur est une traversée des passions humaines, des grands mouvements naturels. Ces prisonniers avaient accumulé tellement de drames, vivaient une vie si obstruée d’espace et de mouvement que le yoga a ouvert les vannes d’un fleuve puissamment contenu dans un canal trop petit : comment les eaux ne déborderaient-elles pas en cascades ?
Il faut donc apprendre à sentir les fluctuations de notre corps, de notre cœur et, dans la responsabilité nécessaire à toute liberté, voyager à notre rythme au fond de nos océans. Si la houle s’avère trop forte, prendre une pause, revenir à « la réalité ». Et repartir une autre fois. Celui qui brûle les étapes est comme une tribu qui pratique la culture sur brûlis : peu à peu elle assèche tout le territoire et doit toujours partir plus loin pour assécher de nouvelles terres grasses, brûler de nouveaux terreaux humides. La destruction, comme tout malheur prolongé, est un choix. La renaissance, comme toute rédemption, est offerte.
Hanno Buddenbrook
Traduction : Olympe Davidson & Edith de Cornulier-Lucinière
Photos : Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva
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mardi, 21 février 2012
Le benêt de Saint-Vivien
Phot. Sara
Je ne suis jamais retournée à Saint-Vivien. De temps en temps, au terme d’une journée trop remplie, je me tiens à la fenêtre, fatiguée ; mon esprit vagabonde. Je laisse alors remonter des images d’un temps qui ne reviendra pas. Une époque enfuie, une époque dont il ne reste pas même des ruines. Plus un être, plus un objet ne me demeure. Mais comme les souvenirs sont vivaces a! Et de temps en temps, je bois une bière en mangeant un sandwich aux olives et au concombre, et des mots d’autrefois sonnent dans ma mémoire. Non, je ne suis pas nostalgique. Je tente de comprendre comment il est possible qu’un monde s’écroule, comment il est possible qu’on puisse s’éloigner autant de sa jeunesse. Je considère la jeune fille d’alors et il m’est difficile de croire qu’elle est la même personne que moi. Les souvenirs sont les seuls ponts qui me lient à elle. Les souvenirs, et certaines émotions, légères et douces, qui palpitent à nouveau en mon sein à l’évocation du chemin des oliviers.
Il menait à la mer. Nous allions rarement jusqu’à la mer. Nous nous cachions dans l’un de ces arbres magnifiques, toujours le même, et nous contemplions, avec béatitude, le ciel bleu, les rangées d’oliviers qui mouraient, tout au fond du chemin, dans le vert de la mer, et les tâches blanches des nuages, et les tâches jaunes des genêts. Sur la route, rarement, une voiture passait. Et personne ne connaissait notre refuge. Personne ne connaissait notre secret.
Il s’appelait Matthias.
Les gens appelaient Matthias, le benêt. On m’appelait la fille du bedeau. Ma mère était morte ou partie, je ne sais pas. Les gens du village étaient gentils avec moi, cruels avec Matthias. Comme aucun jeune ne lui parlait, je ne le connaissais que de vue jusqu’à notre première rencontre sur le chemin des oliviers. Ce fut une rencontre de hasard. J’aurais pu rencontrer n’importe quel autre garçon sur ce chemin oublié. Ce premier jour, nous montâmes déjà à l’arbre, parce qu’il voulait me montrer comment voient les oiseaux. Nous vivions depuis quinze ans dans ce village de neuf cents habitants, et c’était la première fois que je parlais avec le benêt.
Le village de Saint-Vivien s’étendait sur plusieurs kilomètres, des collines basses de Montpréau jusqu’à la mer. Les maisons de chaume ressemblaient toutes à la nôtre, blanches et rectangulaires, bien qu’elles fussent beaucoup plus grandes. Aujourd’hui que la grande Toile nous relie tous électroniquement à tout, je songe parfois à taper le nom de « mon village » sur un moteur de recherche. Mais je sais que je ne le ferai jamais. A quoi bon remuer la boue d’une enfance morte ?
« La maison du bedeau », comme on l’appelait, était une dépendance de l’église. J’y vivais seule avec mon père, mais nous dînions presque tous les soirs avec le curé du village. Je ne me souviens pas d’une seule conversation. Je ne me souviens pas de la voix du curé, ni de celle de mon père. Ils palabraient entre eux, et j’écoutais, baignée d’un ennui constant, inconscient. La maison comprenait trois pièces, et un joli petit jardin carré. Ma chambre donnait sur la rue, celle de mon père sur le jardin. J’ai passé beaucoup de temps à ma fenêtre, dissimulée derrière la tenture du rideau, à observer les allées et venues du village. Lui, ne passait presque jamais. Il bêchait dans les maisons du côté des collines. Puis, pour se rendre au chemin des oliviers, il ne traversait pas le village mais passait par le bois. Nous n’avions jamais de rendez vous et n’étions pas à quelques heures près. Une heure ou cinq minutes nous paraissait équivalents.
Nous dévorions inlassablement des sandwiches aux olives et au concombre. Il amenait le pain, j’amenais les concombres et nous nous servions d’olives dans l’arbre. C’est incroyable à quel point ce souvenir est puissant. Toute ma vie, j’ai eu des flashes extraordinairement violents et imprévisibles. A un cocktail, sur un marché, ou tout simplement chez des amis, lorsqu’une effluve de concombre ou d’olive traversait ma narine. Alors il me fallait plusieurs secondes pour en revenir, et me détacher d’un regard naïf, entier, un peu quémandeur.
Cinq ans durant, nous nous rencontrâmes quotidiennement, à l’arbre.
Et, c’est vrai, l’arbre, qui fut d’abord notre observatoire, nous servit bientôt de salle à manger, et enfin de lit.
Au village, nous nous ignorions. Nous ne nous parlions pas. A l’arbre, je l’écoutais et il m’écoutait. Pourtant, aujourd’hui, je me demande si nous nous connaissions, ou si nos solitudes se rencontraient sans que nous saisissions nous même où se situait cette rencontre en chacun de nous.
Nous ne savions rien exprimer ; savions-nous aimer ? Il n’est pas un jour depuis ma fuite où je n’ai pas pensé à lui. Il n’est pas un soir où je ne me suis pas endormie au creux de son souvenir. Il n’est pas une aube qui n’a mis devant mes yeux entrouverts, avant la moindre lumière du jour, l’image de ses deux grands yeux bleus naïfs, songeurs, vaguement mendiants…
Quand Matthias marchait, on le reconnaissait de très loin. Sa démarche était un peu de travers. Sa silhouette, à la fois élancée et gauche, penchait trop d’un côté à chaque pas. Il semblait marcher à contretemps.
De l’arbre, on voyait la statue de Notre Dame du Bon Secours, cette si gentille dame qui priait pour les marins. Les mères, les sœurs, les filles et les fils des marins morts lui déposaient des gerbes. Notre Dame du Bon Secours était notre seule amie, pourtant, nous n’allions jamais la voir. Nous parlions souvent d’elle, de sa douceur, de sa fidélité, de son amour pour les marins. Nous l’admirions. Nous savions que la statue représentait un être qui nous semblait incroyablement proche. J’étais la fille du bedeau, et lui, le benêt, était le dernier fils du boulanger, athée et épicuriste, comme il disait. Il ne comprenait pas qu’on lui ait refourgué un benêt pareil. Sur sept enfants, ça arrive souvent, comme il disait.
Au village, on ne nous faisait pas de fête d’anniversaire ; c’était réservé à la fine fleur des habitants, ceux qui « commandaient », ceux qui « dominaient » les autres par leur prestance. Mais les gens nous criaient : bon anniversaire. C’est ainsi que je connus sa date d’anniversaire : j’entendis quelqu’un lui crier, eh, bon anniversaire ! Lui, quelques mois avant, le jour de mes seize ans, était arrivé à l’arbre avec un couteau et un bracelet de sa fabrication, scellés entre eux par une liane fleurie. J’étais bouleversée par leur beauté. A mon tour, je lui offris un pull-over, pour lequel je dépensai tout mon argent au seul magasin de vêtements de Saint-Vivien. Matthias le porta presque tous les jours les trois ans qui suivirent.
Quand Matthias apprit, sans doute en entendant des gens du village en parler, que je partais étudier à la ville, il ne dit rien. Son attitude ne changea pas. Son regard devint peut-être plus inquiet.
Un jour, j’abordai le sujet. Il était évident qu’il savait ; j’en parlai donc naturellement, sans tristesse, sans joie : je vais aller étudier à la fac. Cela faisait plus de trois ans que nous nous étreignions tous les jours sans jamais commenter ces étreintes, ces serrements, qui étaient autant de serments jamais formulés, autant de déclarations jamais prononcées. Nous parlions des oiseaux, des arbres, il me racontait qu’il avait beaucoup bêché, je lui expliquai que je n’avais pas aimé la fin de telle émission de télévision.
Et voilà que sans rien commenter ni sous entendre, je disais simplement que j’allais partir. Qu’avais-je jusqu’ici décidé dans ma vie ? Rien. Nous avions l’habitude des décisions importantes imposées par le monde extérieur. Il ne dit rien.
Mais son étreinte ce jour là ressembla à un appel au secours. Je ne me dis rien, je le ressentis simplement. Nous nous quittâmes comme d’habitude, et son regard était affolé, mais silencieux.
Mon départ était prévu dans trois mois. Les trois mois qui suivirent, rien de différent n’eut lieu. La veille de mon départ, il me serra contre lui sans parler. Le benêt ne me laissait plus partir, et moi non plus je ne voulais pas partir.
Je devais marcher seule jusqu’au car, à quelques kilomètres de là. Je pris la route, un sac énorme et trop lourd sur le dos. J’étais si peu habituée à formuler et à ressentir que je ne mettais pas de mot sur la pierre douloureuse que je sentais dans mon cœur. Il sortit d’un fourré, émergea sur la route. Il me poignarda trois fois. Puis il me prit dans ses bras, sanglota et s’enfuit.
Quelques heures plus tard, une voiture s’arrêta et je fus ramassée, ainsi que le poignard. J’étais à peine consciente. Je ne l’ai jamais dénoncé. Au bout de quelques mois ils ont laissé tomber, ils ne m’ont plus interrogée. J’étais en convalescence. Je partis avec six mois de retard pour l’université. Lui, je le vis plusieurs fois venir à ma fenêtre. Je lui souris. Il déposa des fleurs sur le rebord de ma fenêtre. Quand je partis, mon père le bedeau et le maire du village m’accompagnèrent au car. Je le vis quand le car démarra. Il était dans un fourré, au bord de la route. Nous nous regardâmes jusqu’à ce que la vitesse du car nous sépare.
Je savais qu’il ne me faudrait jamais retourner à Saint-Vivien. Je savais qu’il était le benêt, qu’il bêchait, dans les jardins des gens. Je savais qu’il pensait à moi, et je pensais à lui. Quand je passai mon doctorat de poésie, j’eus le sentiment à la fin de la soutenance d’avoir raconté des insanités. Il aurait fallu que je raconte cette histoire : la seule chose qui compte vraiment.
Les mots qui me viennent le plus justement sont la fraternité et la tendresse. Ou l’amour, et la tendresse. Une histoire sans fard, sans témoin, sans intention.
La fraîcheur des aubes, la blancheur sale des maisons, le gras de la terre, l’herbe humide. Cela habite en moi. Rien de ce labyrinthe urbain qui m’entoure n’a pu effacer la terre. Et aucune caresse, aucun regard, aucun échange n’a calmé le profond amour que j’éprouve pour lui.
Certes, il était incapable d’être autre chose qu’un ange, et cela en faisait l’image d’un débile. Certes… J’ai vécu une vie d’universitaire, j’ai voyagé, j’ai été une citadine. J’ai fréquenté les bars à la mode. J’ai erré dans la ville le dimanche après-midi, désoeuvrée. J’ai péroré le samedi soir dans des dîners… Certes. Et je n’ai jamais rien dit de lui. Aujourd’hui, malgré l’impossibilité d’exprimer l’inexprimable, je prends la plume pour que cette histoire vive à nouveau. Mes amours, urbaines, n’ont jamais valu le benêt de Saint-Vivien.
Je me demande si de temps en temps, un homme de soixante ans, la démarche déglinguée, la bêche sur l’épaule, s’arrête, là-bas, à la sortie de Saint-Vivien, sur le chemin des oliviers, et adossé à la branche la plus basse d’un arbre, toujours le même, l’esprit chargé de mémoires d’un temps depuis longtemps fini, mange un sandwich aux olives et au concombre.
Peut-être les histoires les plus immobiles, les plus silencieuses, sont-elles aussi les plus inoubliables.
édith de Cornulier Lucinière
Et pour illustrer cette histoire, une autre histoire, sur une proposition d'Emma du Songe italien
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mercredi, 18 janvier 2012
Nous attendons tous notre naissance et c'est notre mort qui approche
En attendant de trouver une version de la Ballade du désespéré, de Louis Vierne, à mettre ici sur cet AlmaSoror blog, écoutons cet autre poème pour piano et orchestre.
Et plongeons dans la ballade d'Henry Murger, poète dépressif, né rue des Trois-Frères et mort en 1861. Bohème, gothique, il écrivit cette ballade du désespéré que Vierne allait mettre en musique, peut-être encore plus désespéré que lui, au début du XX°siècle :
"Qui frappe à ma porte à cette heure ?
— Ouvre, c’est moi. — Quel est ton nom ?
On n’entre pas dans ma demeure
À minuit ainsi, sans façon.
— Ouvre. — Ton nom ? — La neige tombe,
Ouvre. — Ton nom ? — Vite, ouvre-moi !
— Quel est ton nom ? — Ah ! dans sa tombe
Un cadavre n’a pas plus froid.
J’ai marché toute la journée
De l’ouest à l’est, du sud au nord.
À l’angle de ta cheminée
Laisse-moi m’asseoir. — Pas encor !
Quel est ton nom ? — Je suis la gloire,
Je mène à l’immortalité.
— Passe, fantôme dérisoire !
— Donne-moi l’hospitalité.
Je suis l’amour et la jeunesse,
Ces deux belles moitiés de Dieu.
— Passe ton chemin : ma maîtresse
Depuis longtemps m’a dit adieu.
— Je suis l’art et la poésie :
On me proscrit. Vite, ouvre. — Non.
Je ne sais plus chanter ma mie,
Je ne sais même plus son nom.
— Ouvre-moi ! je suis la richesse,
Et j’ai de l’or, de l’or toujours.
Je puis te rendre ta maîtresse.
— Peux-tu me rendre nos amours ?
— Ouvre-moi : je suis la puissance,
J’ai la pourpre. — Vœux superflus !
Peux-tu me rendre l’existence
De ceux qui ne reviendront plus ?
— Si tu ne veux ouvrir ta porte
Qu’au voyageur qui dit son nom,
Je suis la mort : ouvre, j’apporte
Pour tous les maux la guérison.
Tu peux entendre à ma ceinture
Sonner les clés des noirs caveaux ;
J’abriterai ta sépulture
De l’insulte des animaux.
— Entre chez moi, maigre étrangère,
Et pardonne à ma pauvreté.
C’est le foyer de la misère
Qui t’offre l’hospitalité.
Entre : je suis las de la vie,
Qui pour moi n’a plus d’avenir.
J’avais depuis longtemps l’envie,
Non le courage de mourir.
Entre sous mon toit, bois et mange,
Dors, et quand tu t’éveilleras,
Pour payer ton écot, cher ange,
Dans tes bras tu m’emporteras.
Je t’attendais ; je veux te suivre.
Où tu m’emmèneras, j’irai ;
Mais laisse mon pauvre chien vivre,
Pour que je puisse être pleuré !"
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samedi, 31 décembre 2011
La naissance des ours
Veille - Nuit - Premier matin
Veille
Les pères, les mères et les amis attendent tout le jour la naissance des oursons.
Dès l'aube, ceux-ci ont fait savoir que ce serait pour aujourd'hui. Mais le jour se lève et s'écoule sans que rien d'autre n'ait lieu que l'attente. L’attente de tous et la douleur de celle qui enfante.
Alors Spiegel im Spiegel, la berceuse d'Arvo Part qui multiplie les images dans les miroirs, joue tout le jour dans la fraîcheur froide tandis que des cierges se consument dans les maisons du Sud et les églises d'Île de France.
Même dans les pages des livres d'enfants, tout se tait ; tout s’immobilise ; les personnages attendent. Animaux et humains, ils savent que quelque chose va avoir lieu.
Et dans les cuisines on ne sait pas quoi faire en attendant. Les heures s’écoulent dans l’étonnement du silence.
Nuit
Kiko, par Sara
La nuit tombe et l’ourson frappe à la porte. Tout prend un air de crèche. C’est la fête émerveillée.
L'ourson, à peine éclos, prend place dans la fratrie totémique : un frère-Dieu, deux sœurs-fleuves et un frère-fleuve, qui l'entraîneront sur les routes puissantes du rêve éveillé.
Loin du Sud, à Paris, au fond d’une cour de Montparnasse, quelqu’un songe : quel est cet enfant assez étrange pour naître lors de la trêve des confiseurs ?
Premier matin
Le soleil d’hiver s’est levé sur le premier matin d’Orso sur la terre. Il a entrevu le ciel à travers le rideau. Il a tété sa mère, sucé son pouce. Il a voulu que son premier soir d’homme soit un réveillon de nouvel an, parce que la vie qu’il commence est une révolution.
Bienvenue dans ce monde ! Et pour t'accompagner, une phrase de philosophe :
"Quel vin est aussi pétillant, savoureux, enivrant, que l'infini des possibles!"
Søren Kierkegaard
Edith de Cornulier-Lucinière, pour Orso B, né le 30 décembre 2011 au bout d'une longue journée.
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