samedi, 09 mai 2020
Pour en finir avec la colère stérile
Considérant que :
L’État français a, par des suites de ratifications, transféré les éléments nécessaires à sa souveraineté à une autre entité (l'UE), d'une part ;
puis, a réduit son Parlement à l'état de marionnette, via la technique des ordonnances et l'agenda législatif du quinquennat, d'autre part ;
Nous devons constater que, malgré les statuts de la constitution,
nous ne sommes plus un peuple avec une nation,
et que les députés élus par le peuple n'ont plus d'occasion réelle de le représenter ;
nous sommes devenus des gens qui croient vivre sous un régime qui n'existe plus, comme les occidentaux se croyaient sous la férule de l'empereur romain d'Occident alors même que l'empire n'existait plus.
Dans les années 400, même les roitelets rendaient hommage à un empereur qui ne régnait plus ! A notre époque aussi les gouverneurs de nos cités ne sont pas plus clairement conscients que les citoyens de l'état de fait.
Critiquer le gouvernement (pour son capitalisme, pour son socialisme, pour son étatisme, peu importe), revient à insulter le dieu de la pluie quand il pleut trop : c'est mal diriger sa colère, c'est éprouver une colère qui n'a pas lieu d'être. Car le gouvernement, comme les administrés, sont des monstres juridiques, dont la définition officielle ne trouve plus d'effet dans la réalité.
Seul l'Etat existe, mais face à la déliquescence de la chaîne peuple-représentants-gouvernement-nation, il est comme une grosse machine qui tourne, un fonctionnement qui ne s'arrête pas, sans direction politique.
Il faut donc attendre patiemment la reconfiguration d'une structure consciente, conscientisée, cohérente, en se souvenant qu'on a souvent beaucoup plus de prise qu'on ne le pense sur les circonstances et situations que nous subissons. Individuellement et collectivement. Mais pour trouver cette prise, ces multiples prises, il faut d'abord constater que les prises traditionnelles ne sont plus accessibles à nos mains.
Que nous soyons de gauche ou de droite, au centre ou aux extrêmes, notre colère est l'expression de cette impuissance. Le monde a changé mais nos catégories mentales et nos institutions n'ont pas changé. Nous sommes comme un mutant qui réagit encore selon la biologie de son état précédent, ou comme un cerveau qui n'a pas compris l'amputation de certains membres du corps qu'il dirige.
Dans 30 ans (2050), c'est certain, nous aurons mis des mots sur cette période charnière durant laquelle des Etats-nations de régime républicain démocratique sont devenus cet autre chose que nous ne savons pas encore nommer et qui sera notre nouveau monde. Redevenus conscients de notre statut, du fonctionnement de nos institutions, nous serons à nouveau en mesure de penser la politique et la cité sans cafouiller dans des colères et angoisses induites par l'aberration psychique d'un régime politique qui ne décrit plus la réalité.
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La traversée d'une époque troublée
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dimanche, 07 octobre 2018
(Re)naître à la vie légale
J'ai relu cette nuit ce très beau livre écrit par Laurent Gbagbo, en 1983, alors qu'il était exilé à Paris pour éviter de retourner encore en prison, après la grande purge des enseignants de 1982.
En voici un extrait :
« La démocratie suppose la reconnaissance du droit à la différence. En effet, par leurs origines sociales, par leurs éducations, par leurs formations, par les positions qu'ils occupent dans l'appareil de production, par leurs intérêts individuels et collectifs, etc, les citoyens jettent forcément des regards différents sur la société dans laquelle ils vivent et conçoivent ainsi des projets différents pour l'avenir de leur pays. Et ce sont la rencontre, le croisement, le choc, le jeu de ces différences qui font la grandeur, la puissance d'un pays, la richesse créatrice d'un peuple. Vouloir gommer artificiellement ces différences en mettant en œuvre des méthodes de coercition morales et physiques, c'est choisir la voie de la dictature. Face à la dictature, je dis non.
La démocratie, c'est aussi un acte d'humilité. C'est la prise en compte de la relativité des intelligences individuelles et des doctrines. C'est le respect accordé à ses concitoyens. Être démocrate, c'est reconnaître qu'on a ni le monopole de la vérité, ni le monopole de la sagesse, ni le monopole de l'amour de son pays. De ce point de vue, alors que le choix de la dictature est toujours un acte de facilité et une marque de manque de confiance en soi-même et dans le peuple, un acte de peur et de fuite en avant, la démocratie est au contraire un acte de grandeur, de confiance et de clarté. Le choix démocratique est la pleine conscience du fait que la politique que l'on mène peut être erronée, ou peut être jugée comme telle.
La démocratie, c'est aussi l'éducation politique du peuple. Bien sûr, cette éducation politique a toujours des limites et les quelques pays que nous avons visités nous ont instruit à cet égard. Mais on ne peut pas demander à quelqu'un de jeter un bulletin de vote dans une urne alors qu'il ne sait même pas ce à quoi il s'engage. L'éducation politique d'un peuple se fait par le développement public des idées contradictoires, par l'exposé de plusieurs voies possibles pour résoudre les problèmes nationaux. Ce sont les informations contradictoires, et par là même complémentaires, qui peuvent permettre à notre peuple de se former politiquement et de choisir une politique conforme à ses intérêts. La démocratie responsabilise alors que la dictature assujettit. De ce points de vue, le débat démocratique fait apparaître des hommes politiques alors que la dictature engendre des courtisans. Sans débat politique, un vote est un viol.
La démocratie c'est la suppression de la peur au quotidien, la fin de la délation permanente, la fin de la toute-puissance des secrétaires généraux du P.D.C.I. qui écrivent à tort et à travers des rapports sur leurs concitoyens ; c'est la réhabilitation de la justice républicaine. La démocratie, c'est la fin des arrestations arbitraires. C'est la fin de l'auto-censure, la suppression des tabous en matière politique. C'est donc le plein épanouissement moral des individus et de la collectivité.
La démocratie c'est la naissance à une vie légale. J'ai déjà indiqué l'implication heureuse qu'une vie légale peut avoir sur l'existence des citoyens qui n'auront plus à craindre d'être incarcérés arbitrairement, au gré de l'humeur d'un homme. La Cote-d'Ivoire a une Constitution. Elle n'est pas très bonne. Mais elle a au moins l'avantage d'exister. Or cette Constitution qui a été écrite et adoptée par le P.D.C.I. N'est même pas respectée par lui. En son article 7 la Constitution de Côte-d'Ivoire reconnaît l'existence de « partis et groupements politiques » ; j'ai montré plus haut le sort qui a été réservé à tous ceux qui ont voulu créer des partis. En son article 6 la Constitution met hors la loi ceux qui font une « propagande particulariste de caractère raciale ou ethnique » ; j'ai montré comment lors de l'affaire Sanwi, de l'affaire Gnagbé et du « complot de février 1982 », Houphouët et le P.D.C.I. Ont mobilisé tous les médias du pays pour lancer l'anathème et jeter le discrédit sur telle ou telle ethnie. En son article 3, la Constitution proclame que la « souveraineté appartient au peuple » et précise qu' »aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice » ; or depuis l'Indépendance Houphouët s'attribue cette souveraineté du moment que, dans sa tête, le P.D.C.I. c'est le peuple et que lui, Houphouët est le « Père de la Nation ». Non, il faut que la Côte-d'Ivoire » naisse à la vie légale.
La Côte-d'Ivoire est un pays sous-développé. Il nous faut donc nous battre contre cette situation que nous ne considérons ni comme une malédiction, ni comme une fatalité. Or l'histoire nous enseigne qu'aucun peuple asservi ne peut faire face efficacement aux défis de l’humanité sans avoir au préalable brisé ses chaînes. Le sous-développement dans la servitude accentue le sous-développement. Nous savons bien que la démocratie n'est pas un remède miracle qui va résoudre par enchantement tous nos problèmes. Mais elle constitue un préalable indispensable. Nous avons une agriculture à repenser pour sortir des pièges que nous a légués l'ère coloniale ; nous avons une politique énergétique à mettre en place et à mener avec constance et raison de façon à créer les conditions d'une industrialisation véritable sur l'ensemble du territoire national ; nous avons à redéfinir le rôle de l'école et l'orientation de la médecine ; en sommes nous avons à combattre la faim, la maladie, l'ignorance, la rigueur du marché international et l'appétit vorace des impérialismes ; bref, nous avons un pays à bâtir. Et cette tâche n'est pas au-dessus de nos forces. L'exécution d'une œuvre aussi gigantesque que la construction nationale exige que chacun se sente concerné ; il faut pour cela que les Ivoiriens soient impliqués dans un débat politique national, qu'ils aient une prise quelconque sur les choix fondamentaux de leur pays ; qu'ils sachent qu'ils ne sont pas des robots à qui l'on demande de produire, rien que produire, sans savoir à quoi (ou à qui) cela sert de produire. Il faut responsabiliser nos concitoyens depuis les paysans jusqu'aux plus hauts responsables de l'administration en passant par les ouvriers et les cadres du secteur privé. Une telle mobilisation implique que les Ivoiriens fassent consciemment et librement le choix d'une politique. À ce niveau, la liberté n'est plus simplement un concept moral ni une donnée politique ; la liberté est le levier le plus puissant du développement économique ».
Laurent Gbagbo, IN Côte-d'Ivoire, Pour une alternative démocratique
(Zones africaines d'AlmaSoror :
Ouverture de l'Histoire de l'Afrique noire
Charte du Mandé et autre faux historiques
Lettre d'un Suisse à une Allemande
L'homme des villes, sortie du livre
France-Maroc-Mali, XVIIème siècle
La philosophie de la révolution, extrait
Abd-el-Kader : préface de la lettre aux Français
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jeudi, 18 avril 2013
Les dictatures douces
Voici quelques signes qui peuvent démontrer que vous subissez une dictature douce, dans votre couple, dans votre famille, votre religion, votre société, votre pays.
Certains de ces points concernent aussi les dictatures dures.
Il va de soi qu'éprouver quelques uns de ces ressentis ne transforme pas votre société en dictature douce ! Nous devons tous nous interroger sur notre propre responsabilité. Mais nous devons aussi refuser de porter toute la charge de notre échec lorsque toutes les portes de la société nous sont fermées de façon insidieuse.
Vous avez mauvaise conscience de vos pensées.
Vous avez honte de votre origine, de vos parents.
Vous manquez de volonté à agir dans le domaine professionnel.
Vous éprouvez un sentiment d'échec personnel face à un monde qui semble parfait mais vous est mystérieusement inaccessible.
Vous avez peur de dire des bêtises, de vous laisser aller à parler, d'aller trop loin quand vous vous exprimez avec d'autres.
Vous êtes habité par le sentiment diffus que les places au soleil vous sont inaccessibles, alors que « sur le papier » tout n'est que justice et raison.
Vous n'avez aucune prise sur votre quartier, votre environnement, votre ville.
Vous n'avez aucune maîtrise de l'évolution du monde.
Vous êtes en désaccord avec la majorité des lois, décisions prises, mais n'osez pas trop le montrer.
Vous avez envie que tout s'écroule, vous n'éprouvez aucun respect pour les institutions de la société (école, justice, police, santé...)
Vous n'avez pas bonne conscience de faire des enfants.
Vous idéalisez un passé où les possibles semblent avoir existé ; vous subissez votre propre absence de capacité à imaginer l'avenir. L'avenir paraît sans saveur.
Vous ne voyez aucun signe extérieur de censure mais vous n'avez aucune place pour vous exprimer.
Vous avez le sentiment que l'héroïsme n'est plus possible (« c'est d'un autre temps »).
(Dans le cas d'une dictature dure, en général l'apathie et la dépression sont remplacées, soit par une trouille mortelle de lever le petit doigt, soit par une exultation imprudente qui pousse à agir radicalement)
Aucun énorme barrage ne se dresse face à vous, mais vous faites face à de successives petites entraves.
Le « citoyen lambda » a une image détérioré, il ne présente aucun intérêt pour personne. Il est vu comme n'ayant rien à apporter d'autre au monde qu'un fonctionnement normal, non problématique.
Vous rêvez à des temps de guerre, de famine, de « vrais problèmes ».
(Dans une dictature dure, vous rêveriez à un monde normal, où tout roule)
Vous ressentez la désintégration de l'individu au quotidien (queues aux inscriptions à la faculté, à l'ANPE, queues dans les magasins).
Vous passez par des mini-actions dégradantes pour obtenir votre dû (remplissage de papiers administratifs, déplacements répétés sans but réel, queues).
Vous faites face à l'impossibilité légale de mener votre barque seul, de vous en sortir financièrement seul (entraves administratives et légales, taxes, interdictions d'exercer sans conditions contraignantes, interdiction de faire commerce hors des clous...)
Vous assistez à la multiplication des taxes.
Vous assistez à la multiplication des lois, règlements, etc.
Vous assistez à la multiplication des fonctionnaires et personnes payées par l’État.
Vous assistez à la multiplication des subventions.
(Ces multiplications se vérifient aussi dans beaucoup de dictatures dures)
Des programmes scolaires, que vous avez suivi docilement, vous n'avez retenu aucune connaissance précise (faits, chronologie raisonnée...)
Vous constatez la dégradation de la langue commune (appauvrissement de la syntaxe, réduction du vocabulaire).
Toute plainte de votre part sur ces ressentis est niée, ou ridiculisée par les autres au nom des vraies souffrances que vous avez bien de la chance de n'avoir jamais connues.
La moralisation des opinions augmente : s'opposer au fonctionnement des choses (administratives, scolaires, etc) revient, dans l'esprit général, à vouloir le mal d'autrui : c'est égoïste, inconscient.
à lire aussi : Comment s'effectue la traversée d'une époque troublée ?
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