samedi, 23 novembre 2019
L'ombre d'une foi
Between the bars, le verre d'alcool s'exprime à travers la voix d'Elliott Smith, ce matin je vois le monde en noir et blanc. Le Christ s'est arrêté aux Sables d'Olonne, probablement à cause de la brume poussiéreuse qui balaye les plages et les vagues. Mousse d'écume, musique douce, silhouettes passantes, ordinateurs statiques. Moi intérieur stoïque, sans frontière précise, sans identité définie. Quelque chose de soluble nous mélange ce matin, le monde et moi. Le manque de café, l'amour du rien, l'appel du vide, la voix lointaine des êtres aimés, perdus, s'efface. Comme sont complexes les inextricables liens de la famille et du compagnonnage amical, professionnel. Chaque mouvement du moindre être serre les cordes et blesse les encordés. Au fond des salles de shoot, d'ailleurs, somnolent les souffrances des étouffés. Dans la nuit noire et glaciale de la ville, sous les ponts, demeurent ceux dont les liens ont été tranchés. Délivrés, et, par la même occasion, assassinés. La lenteur de nos morts contraste avec celle de ceux que le destin a frappé plus clairement. Sachons toutefois, sachons-le sans l'ombre d'un doute, qu'à l'intérieur de l'âme, inextinguible, brille une joie.
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lundi, 11 novembre 2019
Novembre ou autre
Je n'ai jamais eu envie de fournir un morceau d'amour mort à une femme infirme ou un homme imberbe. Je n'ai jamais cru en autre chose qu'à une bouteille de Pommard qui t'attend au fond d'une cave. J'ai lu plus de mille bandes dessinées, bu plus de dix-mille cafés lyophilisés. J'attends que le sens de ma vie se dévoile sans regarder le ciel par la fenêtre. Il est trop gris. Le mur d'en face est laid. Le cactus survit sans arrosage depuis trois ans.
NOVEMBRE sur AlmaSoror :
La messe du voisin acnéïque (à onze heures cinquante trois du matin dans cette rue de novembre)
Désir novembre, novembre désirs
La solitude des champs de blogs
La solitude des champs de blogs II
Succomber à une tentation (novembre est ce mois où l'on se doit de boire de la bière)
Dix allumettes s'éteignent un soir de tempête à Concarneau
Mélanie des Vosges (Elle, née il y a presque vingt ans d'un père togolais au chômage et d'une mère lorraine au chômage, par un soir glacé de novembre, au fond d'une cour de Cornimont.)
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dimanche, 10 novembre 2019
Un don doux et amer
« Le temps d'une vie est une opportunité donnée à l'homme pour prendre conscience de lui-même et de son aspiration à la vérité en tant qu'être moral. Un don à la fois doux et amer. Une vie alors est comme un délai au cours duquel l'homme peut, et a le devoir, de mettre son esprit en accord avec la compréhension qu'il a du but de l'existence humaine. Ce cadre étroit ne fait qu'accentuer sa responsabilité devant lui-même et devant les autres. Ainsi, la conscience humaine est tributaire du temps. Elle n'existe qu'à travers lui. »
Andreï Tarkovski IN Le temps scellé, Chapitre intitulé Fixer le temps
Traduit du russe par Anne Kichilov et Charles H de Brantes – Petite Bibliothèque des Cahiers du Cinéma
Tarkovski sur AlmaSoror :
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mercredi, 06 novembre 2019
L'immersion mécatronique
Quand la mécanique, l’automatique, l’électronique, l’informatique, unissent leurs génies en un seul et même système, il s’agit d’un système mécatronique. Ces systèmes interdisciplinaires sont dits autonomes et intelligents. Autonomes, parce qu’ils sont programmés pour réagir par rapport aux événements, sans intervention de l’homme. Intelligents, parce qu’ils s’adaptent et se déclinent en fonction de la demande de l’homme ou de l’événement.
L’autorégulation du système est au cœur de la mécatronique. Des outils rendent possible cette régulation intégrée, comme le correcteur PID (Proportionnel, Intégral, Dérivé), bien connu dans l’industrie, fondé sur un algorithme capable d’agir pour corriger la différence entre la commande et la mesure. La notion de logique floue, quant à elle, est exploitée dans la reconnaissance des formes, dans la météorologie. Les Réseaux de Neurones Artificiels, calqués sur le fonctionnement organique du cerveau, rendent possible dans le domaine de l’industrie l’apprentissage par induction : l’objet ou la machine apprend de ses expériences, accumule son savoir et engendre de nouveaux comportements adaptés.
La mobilité des robots autonomes, la reconnaissance des visages, les estimations boursières ou autres, commencent à adopter ce type de réseaux.
Les systèmes micro-électromécaniques (MEMS), tel le radar à ondes millimétriques qui détecte les objets dans le paysage, mesure la distance et la vitesse de l’obstacle en temps réel et propose des régulations au conducteur, ou bien guident le conducteur afin qu’il se gare parfaitement, permettent de parler de voiture intelligente, d’autoroute intelligente. La vie routière est radicalement bouleversée par ses apports. Les ingénieurs ne cachent pas leur projet de concrétiser le rêve d’une voiture entièrement autonome, au sein de laquelle la seule activité de l’homme sera d’exprimer son désir à la machine.
Le secteur automobile et le secteur aérospatial ont été les phares de l’avancée mécatronique, ainsi que le secteur médical.
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lundi, 04 novembre 2019
Le repli et l'ouverture
Une vieille rengaine éculée, agrémentée souvent d’un soupir de mépris, dit que les jeunes Français qui se déclarent en faveur d’une fermeture des frontières, d’un chacun-chez-soi et de la remise en valeur des modes de vie traditionnels et locaux sont les victimes, non innocentes, et même coupables, d’un « repli identitaire ». Ce repli serait négatif, mesquin, voué à une impasse morale et politique, contrairement aux opinions d’ouverture, d’acceptation, de cohabitation et de tolérance qui, eux, seraient de belles attitudes chargées de grandeur et tournées vers l’avenir.
Le mot « repli » évoque, dans ceux qui accusent le repli identitaire, une attitude défiante et fielleuse face à l’avenir inéluctable, une pensée rabougrie incapable de reconnaître la beauté de l’autre et du nouveau.
Mais c’est une analyse un brin condescendante. Un repli, quelquefois, peut permettre de se retrouver soi-même, pour observer la situation sans la subir et décider en conscience de son destin. Tandis qu’une acceptation de l’autre par principe, un accord avec tout ce qui vient et advient, ressemble à un aveu d’incompétence, une lâcheté face aux tâches de discernement et de résistance, une absence de vision volontaire.
Il faut reconnaître que bien souvent, soucis personnels, échecs intimes, déceptions profondes, peuvent aboutir à un repli qui n’a de politique et de collectif que les noms. Mais lorsque les soucis personnels, les échecs intimes, les déceptions profondes et la honte de ce que l’on est atteint une grande masse de gens, comme une épidémie, alors le repli n’est plus le renfermement d’un destin personnel, mais une option politique collective.
Il en va de l’ouverture à l’étranger et de l’adhésion au nouveau comme du repli identitaire : elles peuvent tour à tour constituer une marque de courage ou une démission. Si elles témoignent fréquemment d’une belle qualité de cœur doublée de l’intelligence de la situation, elles traduisent tout aussi bien, et assez souvent, l’excuse publique de la personne ou du groupe qui n’a pas le cran de défendre son intégrité.
En effet, un repli survient lorsque l’avancée ou même le sur-place ne sont plus compatibles avec le maintien de l’intégrité. En cela, il est la conséquence d’un constat lucide, un constat d’impuissance. Constater son impuissance n’est pas honteux en soi. Un individu face à mille hommes n’est pas minable lorsqu’il constate que le rapport de force est à son détriment ; au contraire, il fait preuve de lucidité.
Si nous tremblons de peur devant l’ennemi, avant même d’avoir eu le temps de nous rendre compte que ce sentiment bloque notre esprit, nous qualifions l’ennemi d’ami et nous lui tendons servilement la main, espérant ainsi, vainement, obtenir sa clémence. Nous pouvons même inverser les rôles et nous imaginer que l’ennemi est la victime que l’on doit aider, sauvegardant, par cette inversion, notre stature à nos propres yeux. Pendant ce temps, parmi ceux qui sentent la peur et la regardent en face, certains choisissent d’opérer un repli identitaire. Ils soulèvent ainsi le problème de l’intégrité menacée et augmentent la peur des premiers qui ne veulent pas en entendre parler et qui, furieux face à cette expression tranquille d’une peur qu’ils ont éludée, jettent les anathèmes de la couardise et de la médiocrité sur les repliés.
Dès lors, le débat réel sur les modalités de l’aventure collective d’un peuple n’a jamais lieu. C’est le rapport de forces qui assignera les rôles de vainqueurs et de vaincus aux uns et aux autres.
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samedi, 02 novembre 2019
Umor Bacchi
« Si aqua désigne l'eau comme objet, unda sera, le plus souvent, l'eau en mouvement, et l'on s'en servira pour évoquer les vagues de la mer : mare plenum undarum, écrira Plaute. Lumpa est l'eau des sources, qui surgit miraculeusement des entrailles de la terre, et qui est d'une grande transparence – d'une grande « limpidité » disons-nous encore. Le terme de lumpa sera, dans l'usage, rapproché du nom grec des « nymphes », elles aussi divines et habitantes des sources. Umor sera l'humidité qui pénètre les plantes et les objets ; ce terme pourra désigner les larmes aussi bien que le « sang de la vigne », la « sève de Bacchus » (umor Bacchi), cette sève qui se dissimule dans le cep, puis passe dans la grappe et devient enfin du vin. Ros se dit de l'humidité sous la forme de gouttelettes : la rosée matinale, mais, aussi, les larmes, qui roulent goutte à goutte sur les joues. Latex, enfin, est l'eau qui sourd à gros bouillons (profluens aqua), mais aussi tout liquide rencontré ou imaginé sous cet aspect. On voit que la notion abstraite de « liquide » doit être induite à partir de différentes spécifications. Est-ce marque de pauvreté, est-ce richesse ? Certes, pour un chimiste, le vocabulaire latin se révélera peu commode, et source de confusions. Mais pour le poète ? Et pour cette sorte de poètes que sont les orateurs ? Encore conviendrait-il de regarder de près la manière dont Lucrèce, qui, lui, a besoin de notions « abstraites », utilise ce vocabulaire, jouant habilement des nuances et des ressources qu'il offre, avec une subtilité et, finalement, une précision que ne saurait approcher notre langage abstrait. Par exemple, ayant à sa disposition, pour exprimer l'idée de chaleur, les deux mots : calor et vapor, il réserve le premier à la chaleur directement perçue par nos sens (à peu de chose près, et précision numérique en moins, notre « température ») et le second à la chaleur comme substance, comme fluide imprégnant les corps ».
Pierre Grimal, IN La littérature latine, Chapitre La langue littéraire
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