Le repli et l'ouverture (lundi, 04 novembre 2019)

Une vieille rengaine éculée, agrémentée souvent d’un soupir de mépris, dit que les jeunes Français qui se déclarent en faveur d’une fermeture des frontières, d’un chacun-chez-soi et de la remise en valeur des modes de vie traditionnels et locaux sont les victimes, non innocentes, et même coupables, d’un « repli identitaire ». Ce repli serait négatif, mesquin, voué à une impasse morale et politique, contrairement aux opinions d’ouverture, d’acceptation, de cohabitation et de tolérance qui, eux, seraient de belles attitudes chargées de grandeur et tournées vers l’avenir.

Le mot « repli » évoque, dans ceux qui accusent le repli identitaire, une attitude défiante et fielleuse face à l’avenir inéluctable, une pensée rabougrie incapable de reconnaître la beauté de l’autre et du nouveau.

Mais c’est une analyse un brin condescendante. Un repli, quelquefois, peut permettre de se retrouver soi-même, pour observer la situation sans la subir et décider en conscience de son destin. Tandis qu’une acceptation de l’autre par principe, un accord avec tout ce qui vient et advient, ressemble à un aveu d’incompétence, une lâcheté face aux tâches de discernement et de résistance, une absence de vision volontaire.

Il faut reconnaître que bien souvent, soucis personnels, échecs intimes, déceptions profondes, peuvent aboutir à un repli qui n’a de politique et de collectif que les noms. Mais lorsque les soucis personnels, les échecs intimes, les déceptions profondes et la honte de ce que l’on est atteint une grande masse de gens, comme une épidémie, alors le repli n’est plus le renfermement d’un destin personnel, mais une option politique collective.

Il en va de l’ouverture à l’étranger et de l’adhésion au nouveau comme du repli identitaire : elles peuvent tour à tour constituer une marque de courage ou une démission. Si elles témoignent fréquemment d’une belle qualité de cœur doublée de l’intelligence de la situation, elles traduisent tout aussi bien, et assez souvent, l’excuse publique de la personne ou du groupe qui n’a pas le cran de défendre son intégrité.

En effet, un repli survient lorsque l’avancée ou même le sur-place ne sont plus compatibles avec le maintien de l’intégrité. En cela, il est la conséquence d’un constat lucide, un constat d’impuissance. Constater son impuissance n’est pas honteux en soi. Un individu face à mille hommes n’est pas minable lorsqu’il constate que le rapport de force est à son détriment ; au contraire, il fait preuve de lucidité.

Si nous tremblons de peur devant l’ennemi, avant même d’avoir eu le temps de nous rendre compte que ce sentiment bloque notre esprit, nous qualifions l’ennemi d’ami et nous lui tendons servilement la main, espérant ainsi, vainement, obtenir sa clémence. Nous pouvons même inverser les rôles et nous imaginer que l’ennemi est la victime que l’on doit aider, sauvegardant, par cette inversion, notre stature à nos propres yeux. Pendant ce temps, parmi ceux qui sentent la peur et la regardent en face, certains choisissent d’opérer un repli identitaire. Ils soulèvent ainsi le problème de l’intégrité menacée et augmentent la peur des premiers qui ne veulent pas en entendre parler et qui, furieux face à cette expression tranquille d’une peur qu’ils ont éludée, jettent les anathèmes de la couardise et de la médiocrité sur les repliés.

Dès lors, le débat réel sur les modalités de l’aventure collective d’un peuple n’a jamais lieu. C’est le rapport de forces qui assignera les rôles de vainqueurs et de vaincus aux uns et aux autres.

 

| Lien permanent | Commentaires (1) | |  Facebook |  Imprimer | | | |