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mardi, 17 juillet 2018

Desastre des débats impossibles

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(Auparavant sur AlmaSoror :

Cas de consciences et conscience des cas

Une marche humaine

Le mariage et la moraline)

Plus de 90% d'un certain genre de personnes sont supprimées avant leur naissance alors qu'elles sont en pleine forme. Aussi ce n'est peut-être pas idéal de qualifier ces avortements de "thérapeutiques", puisque ni la vie de l'enfant ni celle de la mère ne sont en danger. Juste une paire de chromosomes supplémentaire.

J'ai dit ça à table mais on m'a dit que j'étais fasciste parce que "ce discours est celui de gens d'extrême-droite".

"La femme est libre de faire ce qu'elle veut de son corps", m'a-t-on encore dit.

Je me pose des questions, sans fanatisme ni certitude. 

Le corps d'un enfant viable, âgé de 5 mois déjà dans un ventre, n'est-il qu'un morceau du corps de celle qui le porte ?

Je ne suis pas entrain de dire qu'un avortement est un crime, ni de m'opposer radicalement au droit à l'avortement.

Je trouve pénible de n'entendre que deux points de vue tranchés et cyniques sur la question.

- Celui qui traite de criminelles des femmes qui, tombées enceintes dans une situation pénible et sans courage ni moyens d'assumer le bébé, décident d'interrompre la grossesses dès que celle-ci est connue.

- Celui qui trouve fascistes tous ceux qui n'apprécient pas qu'on dispose de la vie vulnérable et merveilleuse des bébés in utero jusqu'aux dernières extrémités de la grossesse sans avoir aucunement à justifier l'acte.

Lorsque on criminalise d'office la pensée de l'adversaire, le débat devient impossible et le désastre augmente.

 

Sur AlmaSoror :

la propagande parisienne

france

T21

mercredi, 20 novembre 2013

Le soldat inconnu

Jean Bouchenoire, notre frère égaré dans des zones mentales sans ozone, nous autorise à publier quelques extraits de son roman Baksoumat. IMG02632-20131014-1833.jpg

C'était il y a vingt ans, encore ; le jour d'une fête nationale du mois de novembre 1984 ou 1985 ; un grand soleil d'hiver éclairait la colline de Montmartre. La ville était somptueuse, les passants de bonne humeur.
Le petit groupe d'amis qui naviguaient entre l'angoisse et la nonchalance, entre la bande et la solitude, s'était retrouvé sur une place montmartroise, pour flâner sans rien accomplir, comme ils faisaient si souvent. Claire Bourdette, Charles Nattua, Karim Fangue, Tugdual Dieubarre et Douglas Jackstone s'étiraient comme des chats sur la place des Abbesses, attendant les amies qui n'arrivaient pas. C'était le 11 novembre, jour où le président de la République française, un bleuet à la boutonnière, dépose un bouquet de fleur sur la tombe disposée sous l’arc de triomphe où repose le Soldat Inconnu devant lequel un pupille de la nation française a déposé, un jour de novembre 1920, dans la chapelle ardente de la froide citadelle de Verdun, une gerbe d’œillets blancs et rouges.
Les jeunes femmes qu'on attendait arrivèrent au rendez-vous sur la place montmartroise, pavoisées de papiers collés à leurs vêtements, portant des pancartes vindicatives.

Elles annoncèrent qu’elles allaient, sous la bannière du féminisme, se recueillir sur la tombe de la femme du soldat inconnu.

- La femme du soldat inconnu ? S'étonnèrent leurs amis.

Estelle Valpré, Catherine Lemanesco, Muriel Labouje, Danièle Galiéreau et d'autres jeunes femmes dont Douglas avait depuis oublié les noms, démontrèrent à quel point la cérémonie du soldat inconnu était misogyne. La femme, qui avait porté seule la société, durant les deux guerres mondiales du XXème siècle, en 1914-18 et en 1939-45, quand les hommes étaient tous sur le front, ne méritait-elle pas un hommage ?
Douglas, Charles et Karim, placides, acquiesçaient. On remarqua trop tard la pâleur extrême qui s'était faite sur les joues de l'archange. Les babillages anodins des jeunes gens allaient reprendre, quand la foudre monta du tréfonds du corps de Tugdual.
Il hurla comme le tonnerre.
Debout face à ces femmes qu'il toisait de haine, il cracha sa révolte. Ainsi, elles osaient comparer le sort du soldat esclave, déchiqueté dans la boue des tranchées, et la femme restée dans son village ? Sans honte, elles commémoraient la femme du soldat inconnu comme si son statut avait droit à autant de commisération et d’amour que celui du Sacrifié.

- S'il faut commémorer une victime féminine inconnue, criait-t-il, érigez une statue à la femme enceinte de père inconnu. La domestique violée, la jeune cousine bousculée, la femme enceinte d’un homme qui a passé son chemin et la laissera seule élever un enfant dont il ne s'est pas soucié d'empêcher l'existence. Laissez sa misère au soldat inconnu, laissez-lui  sa  misère, laissez-lui sa gloire !

Les touristes japonais et américains que la place des Abbesses accueillait écoutaient, médusés, cet homme accabler des manifestantes bariolées de pancartes féministes.

- Agenouillez-vous, lâches, devant la mémoire de celle qu'on appela la fille-mère, dont l’enfant n’aura pas les mêmes chances que celui que son géniteur aura reconnu : combien d’enfants sans père ont ignoré que l’homme qui leur avait, dans un geste de mépris souverain, donné la vie, avait épousé une autre femme et remplissait ses devoirs paternels en méprisant beaucoup les femmes seules avec leurs bâtards ? Combien de chrétiens défilent pieusement à des manifestations contre l'avortement, en oubliant les coups qu'ils ont tirés chez des prostituées de treize ou quatorze ans, durant les deux années de service militaire en Afrique ? Chantez celle que les bourgeoises mariées ont moqué ou considéré avec condescendance, sans savoir que c'était leur père, leur mari, leur fils l'auteur du péché. Remémorez-vous le courage de la mère seule, l'ignominie du riche qui pistonne ses légitimes aux places de patrons et refuse les droits sociaux à ses bâtards ignorés, mais paix ! Paix ! Paix à celui qui s'est battu à votre place. Paix à celui qui tremblait de peur au milieu des obus, dans une fraternité de désespoir avec les autres mâles sacrifiés comme des bêtes, pendant que les mères, les femmes, les sœurs leur tricotaient tranquillement des chaussettes dans leurs chaumières. La femme du soldat inconnu a eu faim ? Pauvre petite ! Elle a remplacé l’homme à l’usine ? Comme c’est triste ! Et elle se plaint de ne pas avoir la même flamme allumée que celui qui rendait ses tripes dans la boue ? C’est donc cela, le féminisme, la revendication des larves à être admirées autant que les papillons ?

Murmures et grondements s'emparaient des badauds. Tugdual se tourna vers la foule et cria :

- Agenouillez-vous devant le soldat éventré, tailladé, mutilé, abandonné dans la boue !

Tugdual signait, ce jour là, sur la place des Abbesses, son arrêt de mort dans l'esprit de presque toutes ses amies. Seule Catherine - l’étrange, la sympathique Catherine Lemanesco - l’avait pris par l’épaule et lui avait murmuré des secrets. Une conversation chuchotée dont Tugdual n’avait jamais répété la teneur à Douglas. Que s'étaient-ils raconté de leurs vies respectives, jusqu'où avaient-ils marché après s'être éloignés du groupe et descendu une rue dégagée de la butte Montmartre, d'où on voyait Paris s’étendre sur la plaine ? Ils étaient descendus vers le ventre de la ville et en étaient revenus silencieux.
Estelle Valpré et Danièle Galiéreau n'avaient plus jamais adressé la parole au « monstre » ; Muriel, toute jeune, n'avait pas paru insensible aux arguments de l'archange. Elle était hésitante, ne sachant à qui donner raison.

Extrait de Baksoumat, de Jean Bouchenoire

 

samedi, 07 septembre 2013

Rue du Hasard

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« Je n'ai jamais réussi à définir le féminisme.
Tout ce que je sais, c'est que les gens me traitent de féministe à chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec une prostituée ou un paillasson. »

Rebecca West (1892-1983)


Elle doit vraiment s'appeler la rue du Hasard, puisqu'à sept heures du soir j'y ai reconnu ton visage, sur lequel le temps avait laissé la trace de son passage.

Et ta voix peu à peu redevenait semblable à celle qui choisissait ses lunettes de soleil et ses bottines dans la rue de l'Annonciation.

Passy, années 2000 : tu marchais au bras d'un jeune homme si élégant que vous aviez l'air d'un petit couple de marquis des temps modernes. Les autres filles disaient "comme elle a de la chance !" et les garçons savaient que jamais ils n'auraient une fille comme toi, Héloïse.

Mais nous égrenions les prénoms du temps passé et je te répondais : oui, je le revois, il vit ici, oui, j'ai des nouvelles, elle fait cela. Et toi ? Toi, aux noms que je mentionnais, tu disais que tu ne sais plus rien d'eux.

Ce si beau jeune homme, que tu avais laissé un matin, seul dans son joli appartement du XVI°arrondissement où il révisait ses plaidoiries de la semaine à venir, je n'ai pas osé te le dire en apercevant la lueur inquiète valser dans ton regard : il s'est marié cet été, avec une autre belle, tout aussi belle que tu l'étais. Et dans le ventre d'Astrid un fœtus lentement se forme.

Mais je regardais dans cette rue du hasard tes mains crispées et tu me disais que non, tu ne retournais plus à Passy, chez tes parents.

Derrière toi, un homme tatoué faisait cling cling quand il bougeait, avec ses bagues, ses anneaux, ses colliers. Il portait dans ses bras sans amour un bébé endormi.

- Nous vivons rue Le Rouge et le Noir, là-bas. Et tu montrais une direction, vers le douzième et le vingtième arrondissement.

Nous nous quittâmes sans échanger de numéro. Tu marchais derrière lui, et en vous regardant disparaître au fond de la rue du Hasard dissipé, je me souvenais de tes bottines, de tes lunettes et de ton bras dans celui dont le nom t'a fait trembler.

Comment s'appelle ton destin ?

 

 

(Et si la musique de Schnittke qui accompagne ce billet vous a plu, c'est peut-être que vous ressemblez à Héloïse ou à J-F de Passy, ou à moi. Peut-être...)

 

mercredi, 07 mars 2012

1974, discours d'Arlette Laguiller

 

Nous choisissons ce discours d'une dame étonnante pour effectuer une petite manipulation informatique, chose qui nous paraît insurmontable mais que nous devons accomplir absolument. Bien que vous n'y compreniez rien, 9NSC8E8CVDNQ devait apparaître dans l'un de nos billets !

 

En espérant que cette étrange manip ait marché, nous vous souhaitons de beaux rêves, des rêves qui transforment un être, un jour, une vie.

 

9NSC8E8CVDNQ

mardi, 08 décembre 2009

Dans la chambre à côté...

 

Into the next room... A husband of own’s own ?

Olivia et Edith.jpg
Photo Sara

 

1 Une chambre à soi

En 1929, dans son essai Une chambre à soi, Virginia Woolf notait qu’on ne peut écrire - être écrivain - si l’on ne possède pas une chambre à soi, que l’on peut fermer à clef, dans laquelle on peut s’isoler... 
Certes. Mais elle, qui écrivait, n’avait pas seulement une chambre à soi. Elle avait, comme elle le dit encore, de l’argent qui lui permettait de ne pas travailler - ou de travailler très peu. 
Comme Virginia Woolf l’expliquait très bien, la possibilité d’écrire était accordée de fait et de droit à tous les hommes d’une certaine classe sociale... Elle rappelle qu’elle parle des hommes et des femmes de la grande bourgeoisie. Elle sait, et elle dit, que les hommes des autres classes n’ont pas accès à ce qu’elle demande pour les femmes de sa classe. Non qu’elle soit " castiste " ; tout simplement, son sujet est le féminisme, c’est lui qu’elle traite. 
Aujourd’hui que la classe cultivée à laquelle elle s’adressait représente une plus grande partie de la population que celle d’alors, et que les femmes de cette classe ont, pour la plupart, une chambre à soi et un salaire, il est bon de revenir sur les idées novatrices de Virginia Woolf. 
De faire le point. 
Si, selon Virginia Woolf, peu de femmes écrivaient au XIXème siècle, c’est parce qu’elles n’en avaient pas les moyens matériels. L’argent, l’espace et le temps leur manquaient. Ainsi, elle refusait l’existence d’une différence d’essence entre les hommes et les femmes, qui rendrait les premiers plus aptes à la création artistique et intellectuelle. Elle montrait que pour écrire, une femme avait tout simplement besoin " d’avoir cinq cents livres de rente et une chambre dont la porte est pourvue d’une serrure ".

2 Une femme à soi

Mais j’ajouterais quelque chose. Cinq cents livres de rentes, une chambre pourvue d’une serrure, et aussi ...la reconnaissance par au moins une autre personne que sa propre parole a de la valeur... 
Non, un appartement ne suffit pas. L’argent même est secondaire. 
Fritz Lang, le cinéaste, doit à sa première femme les scénarios de ses beaux films ; Einstein, le physicien, doit à sa première femme les calculs qui lui permirent d’élaborer et de démontrer sa théorie ; Norstein, l’animateur, doit à sa femme ses personnages et ses maquettes. 
Une étude de l’anthropologue François de Singly,
Fortune et infortune de la femme mariée, a d’ailleurs montré que la réussite des hommes dépend beaucoup de leurs femmes. Au sein des couples hétérosexuels, la répartition des rôles donne à la femme celui de soutien de l’homme, de sa carrière, de son œuvre. Il soutient même que les hommes dont les femmes ne travaillent pas ont plus de facilité à " réussir " que leurs confrères dont les compagnes travaillent. L’alliance de deux personnes actives, engagées professionnellement dans la société, ne serait donc pas plus rentable que la solitude de l’homme chef de famille... Donc, résolument, les services d’un conjoint anonyme, d’une femme, furent essentiels à beaucoup de réussites.

3 Un mari à soi

Mais justement Virginia Woolf, l’écrivain, bénéficiait de ce soutien. 
Virginia Woolf avait aussi un mari. Un mari qui criait au chef d’œuvre quand elle lui livrait les premières épreuves de
La Promenade au Phare. Un mari bien en vue et qui la publiait. Un mari qui agréait sa parole, sa pensée, lui offrait l’écoute et la confiance nécessaire pour qu’elle s’exprime. Leonard Woolf remplit ce rôle au point que certains, tel l’auteur d’un livre sur le groupe de Bloomsbury, ont dit qu’elle n’aurait pu écrire une ligne sans lui. 
Cet accueil admiratif, c’est ce qui manque à la plupart des femmes, qui demeurent muettes aujourd’hui, bien qu’elles aient une chambre à soi. 
Voilà ce qui leur manque encore : la confiance en soi, la conscience de sa valeur, un droit reconnu à l’expression, en quelque sorte être " agréée " à penser, à parler, à déployer une autorité.

4 Un public à soi

Pourtant, ce rôle de soutien au sein du couple, qui rend celui-ci si essentiel dans notre société, reflète l’absence de formes différentes de solidarités, de fraternité, d’échange. Nous devrions mettre en œuvre et en valeur d’autres formes d’aide et de soutien, plus libres et souples, et qui ne soient plus liées à la vie familiale et amoureuse. Car il y a peu de réussites sans groupe de soutien. L’auteur, pour oser son autorité, doit bénéficier d’une considération, qui le porte à croire qu’il a le droit à son audience. Il faut une confiance immense. Et pour que cette confiance vous réchauffe dans les moments les plus pénibles de la création, d’autres doivent la placer en vous - c’est une première nécessité. La seconde nécessité est qu’elle soit inconditionnelle.

5 Une voix à soi

- Il n’y a pas que les femmes qui ne peuvent s’exprimer par leur art. 
- Aujourd’hui, les femmes accèdent à des professions et des postes qui leur étaient fermés du temps de l’œuvre de Virginia Woolf ; et l’on ne peut plus dire que les hommes d’une certaine "classe" possèdent de fait et de droit la prise de parole publique : ils doivent, comme les autres, montrer leur légitimité. Celle-ci s’obtient non plus par le sexe ou la naissance, mais par le diplôme. 
- A l’heure où des procédés de discrimination positive (en faveur des femmes notamment) sont mis en oeuvre, il serait intéressant de renoncer à considérer telle ou telle catégorie momentanément lésée de la population pour s’interroger plus vastement : quels sont les besoins de la " personne" pour que chacun parvienne à déployer pleinement sa parole dans la société. 
- Virginia Woolf réclamait l’entrée des femmes dans les lieux élitistes - professions intellectuelles, savantes, universitaires ; nous réclamons la suppression de l’élitisme et de ses lieux gardés. 
- Pourquoi ? Parce que chacun devrait pouvoir être accueilli comme un penseur et un locuteur de première classe. C’est à cette condition que l’on peut se targuer d’offrir à tous les mêmes droits et la même valeur.

Edith de Cornulier-Lucinière,
21 avril 2006

 

lundi, 27 juillet 2009

Ma rencontre avec Anne-Pierre Lallande, chrétien, anarchiste, antispéciste

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Phot Sara

 

Par Katharina Flunch-Barrows

Anne-Pierre avait de longs jeans qui pendaient autour de ses longues jambes et il flottait dans des chemises blanches, bleues, vertes, toutes délavées. Il avait une voix légère comme celle d’un oiseau et rassurante comme certaines voix des hommes. Il avait des cheveux blonds un peu ondulés qui voletaient autour de son visage, dans le vent du matin. Il parlait peu ; il parlait bien. Il mangeait peu ; il mangeait bien. Il aimait peu ; il aimait dans l'abnégation de lui-même.
C’était Edith qui me l’avait présenté. Elle me présentait les hommes qu’elle aimait parce qu’elle ne savait que faire avec eux. Elle sentait cette proximité, et en même temps une immense barrière qui lui interdisait de se rapprocher d’eux. C’eut été trop dangereux. Je parlais déjà bien français et j’étais heureuse de pouvoir échanger des idées avec cet homme beau, ou plutôt aimable et frais, charmant et secret. 

J’ai tout découvert peu à peu, au fur et à mesure que nos relations s’approfondissaient : la croix autour du cou ; son chien Jumbo-Roi ; le vieux manoir de son amie Esther, où il allait se ressourcer et faire courir son chien. Et les vieux livres des anarchistes d’alors et d’antan. Raoul Vaneigem et La Boétie ; Bakounine et Tolstoï ; Victor Serge et Pic de la Mirandole. Il y avait aussi, dans sa bibliothèque, Giordano Bruno et les Cahiers antispécistes, James Douglas Morrison et Sainte Thérèse d’Avila.
Il avait aimé Catherine de Sienne et avait cessé de manger lors de longues séances d’adoration de la sainte. Il avait allumé des cierges dans des églises et brûlé des affiches dans les rues de la révolte. Il avait couru dans les manifs et mangé dans les camps de gauche et dans les camps de droite. Il avait vécu et senti beaucoup de choses et il en était revenu profondément triste. Quelque chose n’allait pas, mais son sourire tendre, teinté d’humour, plus rassurant que rassuré, nous berçait et empêchait, par une paresse toute confortable, toute égoïste, de s’intéresser au fond du cœur d’Anne-Pierre. On croyait l’aimer : c’était qu’on était content qu’il nous aime.
Bien sûr, beaucoup de regrets surgissent, en cascade, navrants, navrés. Je ne suis pas la seule : perdre quelqu’un, c’est se rendre compte, bien souvent, de tout ce que l’on n’a pas su dire ; de tout ce que l’on s’est retenu de donner. Un voile de pudeur métallique empêche ceux qui s’aiment de se le dire, surtout si leur amour n’est pas d’une forme reconnue. Hors la vie amoureuse et la vie de famille, quel est le statut de l’amour ? Et pourtant n’est –ce pas l’amour, ces tendresses et ces souffrances que l’on ressent pour ceux qu’on croise, et qu’on recroise, auxquels on pense et qui, un jour, partent et ne reviennent plus. Ils n’existent plus. Ils ont disparu. Le monde continue sans eux et ils ne reviennent qu’en images lointaines peupler les cerveaux de ceux qu’ils ont aimé. 

Anne-Pierre, anarchiste, catholique, antispéciste, féministe, et si modéré au fond. Modéré, pas par lâcheté, mais par une connaissance trop parfaite de trop d’univers trop différents. Ma vie, au moins, aura été changée par ta présence, par ce que tu étais. Je ne suis sûrement pas la seule. Je ne regrette pas que Jumbo-Roi soit parti avec toi (qui t’aurait remplacé auprès de lui ?) Et il me reste le ciel et les oiseaux, les nuages et la lumière du boulevard dans le matin, pour rêver de toi et te parler tout bas. 

 

Katharina F-B, lundi 27 juillet 2009, après un dîner de crêpes et bière à Buenos Aires, in mémoriam.

 

Traduit de l’espagnol argentin par Edith CL et Kyra Portage

 

 

dimanche, 18 janvier 2009

Les Dames

 

Les Dames

 

V8-COUV.jpgPhoto VillaBar

 

 

Lire :

 

Le Livre de la Cité des Dames

LaCitdesDames-full.jpg

 

 

Christine de Pizan

Traduction de l'ancien français en français actuel : Thérèse Moreau et Eric Hicks

Stock

Ecrit en 1404/1405

 

Une Chambre à soi

unechambresoi-medium.jpg

 

 

 

Virginia Woolf

Traduit de l'anglais par Clara Malraux

Denoël/Gonthier

Publié pour la première fois en 1929

 

Au début du XV° siècle paraissait "Le Livre de la Cité des Dames" écrit par Christine de Pizan. Blessée et humiliée par le mépris dans lequel les hommes tiennent les femmes à son époque, Christine de Pizan propose de construire une forteresse imaginaire dans laquelle se regrouperaient toutes les femmes de grande qualité afin de prouver au monde qu'elles ne valent pas moins que les hommes.

Au début du XX° siècle, Virginia Woolf, blessée et humiliée par le sort inférieur fait aux femmes, imagine que ce qui leur manque pour valoir autant que les hommes, c'est "Une chambre à soi", du loisir et de l'argent qui permettent aux femmes de penser, de réfléchir, d'écrire.

Le féminisme est né de cette douleur. L'éphémère journal "Le torchon brûle" des années 68 était tout rempli de ces plaintes.

Aujourd'hui encore, un certain nombre de femmes n'en reviennent pas du sort qui leur est fait. Ou plutôt elles se creusent la tête pour comprendre ce qui fait d'elles des parias, des esclaves, des moins que rien.

La tentation de beaucoup d'entre elles est de considérer que les hommes sont des brutes et que les femmes sont opprimées en vertu de leur supériorité.

Aujourd'hui de nombreuses femmes ont accédé à des postes de pouvoir, certaines sont devenues astronautes, chercheuses, ont traversé l'Atlantique en solitaire, etc…. Il n'est pas de domaines dans lesquels certaines femmes n'ont pas brillé. Les êtres humains de sexe féminin n'ont plus grande chose à prouver à ceux de sexe masculin.

Cependant, nous qui sommes des gens ordinaires, hommes ou femmes, ou mêmes animaux, nous qui avons vu des femmes réussir aux plus hauts postes dans les entreprises ou à l'université, nous avons pu prendre bonne note que, oui, les femmes réussissent admirablement quand elles en ont les moyens ; nous avons pu vérifier également qu'elles ne valent pas mieux que les hommes quand elles sont dans la même situation de pouvoir.  Nous avons pu vérifier cent fois qu'il n'y a pas de nature féminine de meilleure qualité que celle des hommes.

La lecture de ces deux livres est essentielle pour comprendre la nécessité, le bien-fondé de la lutte féministe. Il faudrait pourtant changer de point de vue. Il ne s'agirait plus de lutter contre l'oppression de tel ou tel groupe particulier - serait-ce celui des femmes -  mais de se battre pour le libre développement de chacun quel que soit son sexe, sa couleur de peau, son origine sociale. Contre la sottise, l'arrogance, la méchanceté, quel que soit le sexe, la couleur de la peau, l'origine sociale de son détenteur.

 

 

Sara Univers de sara