mercredi, 22 août 2012
Florent Schmitt, l'éclat de votre musique nous fascine...
Un hommage à Florent Schmitt,
par Hélène Lammermoor,
Chagrin de mélomane, par H.B
De Lorraine et de France, Florent Schmitt est aujourd'hui bien boudé. En quelques mois, grâce à un professeur de musique mélomane bien intentionné, le lycée de Saint-Cloud a perdu son nom de lycée Florent Schmitt pour s'appeler désormais lycée Alexandre Dumas. Presque rien n'a eu lieu pour le cinquantenaire de sa mort, et une bonne partie de ses oeuvres n'est pas enregistrée. Pourtant, n'est-ce pas un des plus grands musiciens du XX°siècle ? Si, bien sûr ! Et cela éclatera comme une évidence... Un jour, pour toujours.
Florent Schmitt, les amoureux de la musique ne t'oublient pas. Même ils t'aiment et te soutiennent dans cette traversée du désert post-mortem.
Et ils savent que ton oeuvre profonde, puissante, douce, qui touche au sublime, durera plus longtemps que les sentences qui t'ont condamné.
Tu vis dans nos coeurs, ta musique se joue dans nos maisons, et celle qui n'est pas enregistrée, se rêve, surtout dans les après-midi de juin, quand l'orage éclate et que le jaune-tonnerre envahit l'air du jour.
La sauvage et le musicien, par H.L
(Florent Schmitt, est-vous qui inspirâtes à Jean Anouilh son personnage de Florent, le beau, le lisse, l'élégant musicien de la Sauvage ? J'ai lu cette pièce bien jeune encore, et n'ai découvert votre œuvre que bien après. Eh bien, je vous ai reconnu !)
Comme vous êtes oublié aujourd'hui ! Moins que d'autres grands artistes, certes, mais plus que ce que vous méritez. Eh bien, vous reviendrez ! C'est certain : vous reviendrez sur le devant de la scène, et votre musique prendra la place qui lui revient, au soleil de notre culture.
Hélène Lammermoor, un jour du début de l'été...
Grands artistes et pauvres pécheurs, par Edith de CL
Il y avait un lycée de Saint-Cloud qui portait votre nom. Le zèle d'un professeur de philosophie y remédia, et le lycée de Saint-Cloud est devenu le lycée Alexandre Dumas. Il est heureux que toutes les bien-pensances n'aboutissent pas avec autant de facilité : combien d'écoles, de rues, faudrait-il débaptiser !
Lorsqu'on lit certaines phrases de Jean Cocteau, d'André Gide, de Voltaire, sur les Juifs ; lorsqu'on découvre les idées de Victor Hugo, de Cuvier, et de tant d'autres, sur les Noirs, sans compter les myriades de jugements comminatoires sur les femmes, qui n'ont pas moins d'impact sur le bonheur de millions d'êtres, on se dit que les fourches caudines de l'épuration intellectuelle pourraient bien détruire le meilleur de la littérature, de la musique, de la science des deux derniers siècles.
Oui, les grands artistes ne sont que des êtres humains, et passée l'inspiration qui les élève au-dessus des foules, ils redeviennent des individus bien critiquables. Et l'on peut dire en retour que beaucoup de personnes qui n'inspirent pas l'admiration artistique ou intellectuelle, et ne se font remarquer en aucune sorte, ont l'âme plus élevée que bien des génies.
Un mathématicien invente un théorème essentiel ; il commet ensuite une série de meurtres, ou prône l'extermination des Irlandais. Son théorème en devient-il caduc pour autant ? Certes, non.
Il en va de même pour les arts : « Incorruptibilité de l'art », notait l'anarchiste Victor Serge en rencontrant Paul Claudel, dont il admirait l’œuvre et détestait la personnalité.
Alors pourquoi se priver de l’œuvre de Florent Schmitt, qui n'est ni un assassin, ni un dénonciateur, et dont la musique, comme celle de César Franck, d'Alexis de Castillon ou de Maurice Duruflé, restera certainement comme une flamme de beauté illuminant les amoureux de l'art ?
Sur AlmaSoror, on peut lire et entendre d'autres notes musicales.
Ainsi, l'auteur de Musiques de notre monde propose une balade à travers les musiciens préférés de notre temps.
Hanno Buddenbrook a consacré un billet au musicien anglais Herbert Howells et au requiem qu'il écrivit dans la douleur à la mort de son enfant.
Edith CL s'est extasiée sur le Miserere d'Allegri et quelques interprétations dans une note de juin 2012.
Arvo Pärt a eu sa part sur notre plateforme.
Elle a aussi payé son tribut à la sonate 959.
Par ici, allez voir Alfred Cortot et Debussy. Par là, Louis Vierne le désespéré.
Paul Rougnon, grand pédagogue, a eu son billet en fanfare.
Miles Davis et Franz Schubert se sont rencontrés, le temps d'une note, le temps d'un bout de film, le temps d'une sonate.
La mémoire de l'opéra de chasse Actéon !
Et nous avons plongé dans les les mots sublimes que Romain Rolland a dédiés à la musique : tu es la mer intérieure, tu es l'âme profonde...
Dans le domaine de la chanson, on trouve sur notre blog divers billets doux, dont celui d'Esther Mar, Nostalgie des chansons de la comtesse au coeur brûlé.
AlmaSoror a rendu un hommage à John Littleton, l'homme de Louisiane et de Reims.
Chanson d'antan et de révolte, voici Filles d'ouvriers.
Atmosphère, atmosphère ! Edith et Axel ont joué à Mood Organ Playlist.
Quant aux pochettes des vieux vinyles, elles n'ont pas été oubliées !
Pochette d'un Concerto de Aranjuez
Pochettes des concertos pour mandoline
Pochette d'un disque schubertien
Une pochette Deutsche Grammophon
Et la pochette d'un CD, qui vaut son pesant de cacahuètes, certes
En vrac, il y eut aussi...
Lle film A quai (de Sara) et sa musique de Radikal Satan.
Un petit extrait (sur Verdi) de l'Histoire musicale de Rebatet ; Un extrait du même, sur le club des cinq Russes
La mémoire de l'origine grégorienne de la gamme
Quelques mots de Siobhan Hollow sur la musique qu'elle écoute au ciel
La chanson de Valentine Morning (nièce d'Edith) Lubitel Tszalaï
Luke Ghost interprète le Songe solitaire de l'oiseau en cage (c'est particulièrement mal enregistré, très cher Luke)
Du côté de la politique : un article sur le rock antispéciste
La Bretagne (oui, elle) a eu des miettes, dont celle-ci.
Ce n'était rien.
Ce n'était rien, tout ces liens.
Ce n'était qu'un peu de ce que nous fîmes. En voyageant à travers AlmaSoror vous découvrirez encore beaucoup d'autres chansons, références, mélodies...
Ce n'était rien qu'un peu de pluie musicale dans votre mois d'août. Ne vous inquiétez pas. Partez. C'est fini.
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mercredi, 09 mars 2011
Concierto de Aranjuez
« Pour moi, un instrument est un rêve vivant qui croît et évolue selon les nécessités de la musique ».
Continuons, continuons, continuons ce long, lent et étrange travail de recopiage des pochettes de disques vinyles, ces pochettes dont on relisait sans cesse les textes bien pensés et bien écrits. Voici deux textes issus de la pochette du disque Concierto de Aranjuez, publié par Deutsche Grammophon nous ne savons quand, puisque comme souvent sur les pochettes de microsillons, celle-ci n’indique pas de titre.
Les deux textes sont de l’interprète, le guitariste Narciso Yepes. L’un concerne les œuvres qu’il interprète dans ce disque ; l’autre est une note explicative à propos de sa particularité de jouer sur un guitare à dix cordes.
Deutsche Grammophon
Joaquin Rodrigo
Concierto de Aranjuez
Fantasia para un gentilhombre
Narciso Yepes, guitare
Orchestre symphonique de la R.T.V. espagnole
Direction Odon Alonso
139 440 Gravure universelle
Pas de date !
Le Concerto d’Aranjuez a été écrit pour Regino Sainz de la Maza. La Fantaisie pour un Gentilhomme a été dédiée à Andrés Segovia. Je les ai faits miens parce que, pendant de longues années, j’ai appris à les comprendre et à les aimer. Les deux concertos ont des traits communs : la verve de Rodrigo et sa tendresse à exprimer des mélodies pures. Ils divergent par leur esprit.
Le Concerto d’Aranjuez est le premier concerto pour guitare et orchestre écrit par un compositeur contemporain. Rodrigo lui a donné le nom de la ville d’Aranjuez, parce que la petite ville verdoyante au bord du Tage, avec ses Palais et ses jardins tracés à la française, est caractéristique du XVIIIème siècle espagnol. Pour moi, le Concerto d’Aranjuez est un jeu de lumières et de sentiments.
Le premier mouvement est la pointe du jour en Castille. La terre est recouverte de lumière en quelques instants. Tout est frais, tout est jeune, avec cette pointe de piquant qui fait le cachet de la musique de Rodrigo. C’est pourquoi je joue le premier mouvement avec une intention de joie et de jeunesse.
Le deuxième mouvement est l’après-midi sans hâte, qui se prête aux confidences. La lumière est plus douce, le temps ne compte pas : ce sont des moments de paix qui tiennent de l’éternel. Les contrebasses et les cordes marquent, avec persistance, le rythme d’un cœur géant. Je laisse chanter la guitare en toute liberté, mais toujours à l’intérieur de ce battement du cœur, égal à lui-même. Ma version est différente de celle qui se trouve dans la partition : Rodrigo et moi avons fait des modifications alors que la partition était déjà publiée. J’enchaîne aussitôt le troisième mouvement pour ne pas briser la tension créée au second. Rodrigo le pensait ainsi puisqu’il a commencé le troisième mouvement dans la tonalité du second. La jonction se fait sans coupure, puisque dans le « tutti » de l’orchestre, il revient au ré majeur, tronc tonal du concerto.
Le troisième mouvement est le soleil de midi, quand la lumière est cinglante et que les ombres n’existent pas. Rodrigo fait une pirouette pour ne pas s’attacher au dramatisme du second mouvement. C’est pourquoi j’essaie de lui donner un ton enjoué et dynamique.
La Fantaisie pour un Gentilhomme évoque le XVIIème siècle espagnol. C’est le Siècle d’Or, l’Espagne prestigieuse. Très souvent on m’a posé la question : « Quel est le Gentilhomme pour qui est écrite la « Fantaisie » ? » Le Gentilhomme est Gaspar Sanz, guitariste, organiste, compositeur, musicologue et licencié en théologie. Rodrigo emprunte à ce parfait gentilhomme du XVIIème siècle espagnol, les thèmes qui constituent la Fantaisie.
Villano est une danse d’origine villageoise. Ricercare est le nom italien du « Tiento » espagnol, ou improvisation à plusieurs voix.
Españoletas est une danse majestueuse toujours en mode mineur.
Fanfare de la Caballeria de Nàpoles est une danse guerrière d’une armée en marche.
Danza de las Hachas est une danse très ancienne, la danse espagnole des flambeaux.
Canarios est écrit sur les rythmes caractéristiques de la musique espagnole : le ¾ alternant avec le 6/8, que l’on trouve déjà dans les Cantigas d’Alphonse le Sage. Rodrigo a dit à propos de sa Fantaisie pour un Gentilhomme : « J’aimerais que Gaspar Sanz, s’il pouvait l’entendre, dise : ce n’est pas moi, mais je m’y reconnais ». J’ajouterais volontiers que j’aimerais qu’à travers Gaspar Sanz, à travers Rodrigo et aussi à travers moi-même, on reconnaisse le sceau de la musique espagnole et qu’on l’aime.
Narciso Yepes
La guitare à dix cordes
J’ai beaucoup réfléchi avant d’ajouter quatre cordes à ma guitare. Depuis bientôt dix ans que je donne des concerts dans le monde entier avec mon instrument ainsi transformé, je me félicite sans cesse d’avantage de ma décision.
En premier lieu, les quatre cordes supplémentaires lui confèrent un équilibre sonore que la guitare à six cordes est loin de posséder. En effet, au moment où l’on joue une note sur une corde, une autre se met à vibrer par résonance sympathique. Sur une guitare à six cordes, ce phénomène se produit seulement sur quatre notes tandis que, sur la mienne, les douze notes de la gamme ont chacune leur résonance par sympathie. Ainsi la sonorité boiteuse de la guitare à six cordes se transforme-t-elle en une sonorité plus ample et égale sur une guitare à dix cordes.
En second lieu, je ne me contente pas de laisser vibrer passivement par sympathie les cordes ajoutées, je les utilise, je les joue selon les exigences de la musique à interpréter. Je peux régler le volume des résonances, je peux aussi les supprimer. Je peux en éteindre une si celle-ci me gêne dans un passage donné mais, si je puis le faire, c’est précisément parce que je dispose des résonances. Cela me permet de modifier à mon gré non seulement le volume, mais aussi les couleurs sonores.
En troisième lieu, la guitare à dix cordes m’ouvre des possibilités très vastes dans le domaine de la musique ancienne, surtout celle écrite originellement pour le luth. J’accorde les quatre cordes supplémentaires de différentes manières : je dispose de basses dont la guitare à six cordes est dépourvue et il m’est ainsi possible de jouer sans transcription grand nombre de manuscrits. La quatrième qualité est l’intérêt que la guitare à dix cordes a suscité parmi les compositeurs contemporains. Elle offre des ressources nouvelles et la musique écrite pour ma guitare à dix cordes en est le vivant témoignage.
Quelques personnes m’ont accusé de dénaturer la guitare traditionnelle. Je ne l’ai ni changée, ni appauvrie ; je l’ai agrandie. Pour moi, un instrument est un rêve vivant qui croît et évolue selon les nécessités de la musique. Tous les instruments suivent une évolution. La guitare, elle aussi, a connu à travers les siècles des formes diverses et un nombre de cordes différent. Je possède des manuscrits fort intéressants de Antonio Jimenez Manjon, compositeur et guitariste espagnol du XIXème siècle, qui a écrit pour une guitare à onze cordes !
A ceux qui m’objectent la difficulté du jeu, je répondrai ceci : la guitare a dix cordes m’a posé des problèmes et me les pose encore. Elle m’a forcé à une recherche plus profonde, plus créatrice. Jamais je n’ai reculé devant l’effort quand cet effort a un sens. J’ajouterai encore que le domaine de l’art ne s’ouvre qu’à ceux qui ne reculent pas devant un travail honnête de concentration et d’approfondissement.
N. Yepes
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lundi, 07 février 2011
Deutsche Grammophon : Concerto n°1 pour piano en ré mineur, op 15. Le texte de la pochette (I)
Phot E.T.
Nous poursuivons notre entreprise de recopiage des pochettes de certains disques 33 tours, parce que ces textes étaient intéressants et bien écrits, et qu'ils risquent de tomber aux oubliettes.
Voici le texte de la pochette du disque Deutsche Grammophon, collection PRESTIGE, « Johannes Brahms, Concerto n°1 pour piano en ré mineur », interprété par le pianiste Émile Guilels et dirigé par Eugen Jochum (orchestre philharmonique de Berlin).
1972
Voici la première partie du texte, celle qui traite de Brahms. Une autre, que nous recopierons ultérieurement, traite du fabuleux pianiste Émile Guilels et du chef d'orchestre Eugen Jochum.
Les deux concertos pour Brahms occupent une place à part dans l'histoire du genre, non seulement à cause de leur valeur intrinsèque mais aussi par leur rôle dans l'évolution artistique du compositeur.
Avec celui en ré mineur terminé en 1857, le jeune Brahms se libérera des conflits qui l'oppressaient depuis la fin de ses années d'études à Hambourg. Il avait pris, non sans atermoiement, la résolution d'être un créateur plutôt qu'un interprète, c'est-à-dire un compositeur plutôt qu'un pianiste, pensant ainsi pouvoir réussir bien que – ou contraire parce que – s'unissent indissolublement dans l'élaboration d'une oeuvre musicale problèmes personnels et problèmes techniques. La genèse du concerto reflète clairement les tourments qui présidèrent à la domination de ces conflits. Il en résultat une oeuvre non exempte certes de scories mais dont la sincérité passionnée ne pouvait laisser personne indifférent, une oeuvre dont l'ambition était d'élever le concerto au niveau de la symphonie et apporter ainsi un ton nouveau au genre. Si cette ambition se réalisa pleinement sur le plan émotionnel, ce ne fut que partiellement sur celui technique et formel. Les réactions du monde musical furent partagées. Accueilli jusque là favorablement sans toutefois être reconnu comme le génie annoncé par Schumann en 1853 dans un article retentissant, Brahms se vit pour la première fois placé au centre de controverses artistiques passionnées. Pour la première fois aussi, il devint évident qu'on avait à faire à un compositeur dont dépendrait l'avenir de la musique.
À l'origine, le Concerto en ré mineur devait être une sonate pour deux pianos. Brahms commença à y travailler en avril 1854. Deux mois plus tard, il écrivait à son ami Joseph Joachim qu'il voulait l'abandonner car deux pianos ne lui suffisaient plus. En juillet 1854, il essaya d'en remanier le premier mouvement sous une forme symphonique mais dut bien vite reconnaître que ses connaissances de l'orchestre étaient encore trop limitées pour réussir un tel travail. L'oeuvre resta donc en souffrance. C'est seulement six mois plus tard qu'il trouva la solution du conflit existant entre sonate et symphonie et son manque de connaissance dans ce domaine, solution qui lui apparut en rêve : « Imaginez ce que j'ai rêvé cette nuit, écrivit-il à Clara Schumann, « j'avais fait de ma symphonie avortée un concerto pour piano ». Il était à prévoir cependant que d'autres problèmes allaient à plus forte raison s'accumuler autour d'un tel projet. C'est seulement après trois ans et demi de travail pénible entrecoupé de crises de doute et de désespoir que Brahms pouvait dire fin décembre 1857 que ce travail était « enfin terminé ».
La création de l'oeuvre eut lieu le 22 janvier à Hanovre et reçut un accueil favorable mais, lors de la première exécution à Leipzig, fief du conservatisme, cinq jours plus tard, elle connut un échec total : un critique anonyme la massacra de fond en comble, ne voyant en elle que des déchaînements chaotiques de sonorités nouvelles. Des critiques plus compréhensifs, qui surent ultérieurement apprécier l'oeuvre comme « symphonie avec piano obligé », ne changèrent pas grand'chose à l'attitude du parti conservateur : Brahms était catalogué « progressiste » ; c'est seulement quand il se fut nettement désolidarisé de Liszt et de Wagner et que les composantes classiques de son oeuvre se furent clairement dégagées, que les partis devaient changer de front.
Que le concerto en ré mineur ne puisse pas renier sa genèse n'est guère étonnant : la sonorité orchestrale souvent surchargée et les problèmes formels du premier mouvement parlent assez clairement dans ce sens et les tendances configuratives de l'ensemble, souvent contradictoires et non entièrement clarifiées, ne font pratiquement corps que par la grandiose puissance de la conception initiale, que par la subjugante et débordante profusion des thèmes. « Symphonique », l'oeuvre l'est principalement par cette grandeur d'intentions, par les ambitions externes et internes et aussi par le fait que la virtuosité pianistique y est entièrement subordonnée au travail symphonique ; d'autre part elle se désolidarise de la forme du concerto « symphonique » en quatre mouvements (avec scherzo), établie par Litolff et Liszt, en faveur des trois mouvements traditionnels.
Le premier mouvement constitue sur le plan formel une grandiose tentative pour résoudre d'une manière nouvelle le problème fondamental du concerto, à savoir l'union de la forme sonate et du principe concertant. Cette solution ne réside pas, comme chez Mendelssohn et Schumann, en un dialogue permanent du tutti et du soliste, mais dans l'extention de l'exposition, dans la combinaison de la reprise de l'exposition au piano avec le développement thématique, dans la variation thématique progressive et dans la superposition à l'ensemble formel d'un dialogue largement développé entre tout l'orchestre et le piano. Du fait de la multiplicité de ses thèmes et de son extension, ce premier mouvement ne laisse que difficilement reconnaître la logique musicale ; son sens ne se révèle clairement que lorsqu'on l'aborde sous l'optique du caractère des thèmes. La grandiose gestique du début domine la forme et le caractère de l'ensemble : tout ce qui y succède est une confrontation thématique avec ce motif dont la puissance fatidique, symbolisée par les points d'orgue menaçants, reste finalement victorieuse. La forme musicale, tout à fait dans le courant de la conception beethovénienne qui a marqué la musique symphonique du milieu du siècle, est une « mise en action « dramatique des thèmes.
C'est ce à quoi répond l'Adagio qui, présentant comme le finale de multiples attaches thématiques avec le premier mouvement, fait succéder au drame une atmosphère de tranquillité lyrique et un sentiment de résignation dans l'épisode médian en si mineur. Dans la partition autographe, Brahms a placé sous les cinq premières mesures des cordes les mots « Benedictus qui venit in nimine Domine », allusion directe tant à la parenté du thème avec celui de la « Missa Solemnis » de Beethoven qu'au caractère expressif qu'il a voulu donner au mouvement.
Le Finale, rondo en forme sonate de dimensions gigantesques, conclut en résolvant les conflits dans une héroïque activité et une détente bucolique. Là encore, le parrainage de Beethoven est manifeste et ce n'est pas par hasard si la coda en ré majeur, qui célèbre la victoire remportée, est introduite par une cadence du piano à la fin de laquelle apparaît une nette allusion au passage «wo dein sanfter Flügel weilt » de la 'Neivième Symphonie ».
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