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lundi, 17 juin 2013

17 juin : billet d'anniversaire

AlmaSoror, que faisiez-vous le 17 juin l'année dernière ?

Je publiais un chapitre de l'enquête de Jean-Luc Daub dans les abattoirs français, intitulé Ces bêtes qu'on abat : des images qui marquent.

Que faisiez-vous le 17 juin 2011 ?

Je dormais. Le 17 juin 2010 et 2009, je dormais aussi.
Auparavant, AlmaSoror était un journal mensuel, qui arrivait dans vos boites le 20 du mois.

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dimanche, 27 janvier 2013

Ces bêtes qu’on abat : Une coche assoiffée

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Une coche assoiffée

 

Voici comment on pourrait définir prosaïquement un abattoir : c’est un lieu où l’on abat des animaux pour la consommation humaine. Cela répond à une demande sociale, qui est celle de consommer de la viande. Notons tout de même qu’il existe des personnes qui ne mangent pas de viande, selon un choix délibéré. Cependant, le passage brutal de la vie à la mort doit s’effectuer avec le moins de souffrance possible. Des responsables d’abattoir font cet effort. Ils agissent ou mettent en place des aménagements qui permettent d’améliorer les conditions d’abattage. Il existe des aménagements qui répondent à un cahier des charges, lui-même parfois établi pour répondre à un objectif de marketing. La prise en compte du bien-être animal dans la publicité séduit souvent le consommateur. Il faut être vigilant et s’assurer que les actions entreprises sont réellement destinées au bien-être des animaux.

 

Truie en très mauvais état, laissée sans soins dans un élevage et emmenée à l’abattoir, déposée encore vivante sur le quai de l’abattoir…
Phot Jean-Luc Daub

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Cette année encore, je remercie les responsables d’abattoirs qui agissent dans leur établissement de façon désintéressée pour éviter un mal-être animal et cela même cinq minutes avant la mort de l’animal. Je sais qu’il n’est pas évident d’installer ou de mener des actions dans ce cadre, alors même que cela ne rapporte pas plus d’argent et qu’aucune personne extérieure à l’abattoir n’est là pour le voir. Mais, chaque effort n’a pas forcément besoin d’être vu et d’être en attente d’une reconnaissance. Le simple fait de l’entreprendre est une démarche humaine qui grandit l’individu.

 

Ô combien il est important pour l’animal de ne pas être mené avec brutalité, d’être abreuvé à son arrivée, de ne pas assister à la mise à mort de ses congénères, d’être isolé des bruits métalliques et des cris poussés par les autres animaux dans le couloir de la mort, d’être étourdi convenablement afin de ne pas être saigné en pleine conscience, d’être abattu avec le matériel approprié et sans brutalité.

 

Truie ne pouvant pas marcher présentant des traces de frottement sur le sol qui sont dues à son chargement coûte que coûte dans le camion qui l’a emmenée à l’abattoir.
Phot Jean-Luc Daub

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Je sais que de nombreux responsables travaillent déjà dans ce sens alors même que les normes sanitaires prennent bien souvent la priorité. L’amélioration des conditions de travail, le respect et la prise en compte de l’animal, permettent à l’individu de participer à une démarche humaine qui, dans un pays développé comme la France, ne devrait aller qu’en s’améliorant.

 

Vache abattue sur place à ma demande car elle ne pouvait plus marcher. Les employés voulaient la traîner vivante avec un petit tracto-pelle jusqu’au poste d’abattage.
Phot Jean-Luc Daub

 

 

Lorsque je visitais un abattoir, un seul animal gisant sur le quai de déchargement où agonisant dans un box retenait toute mon attention. Et cela, même si l’abattage des 500 à 800 cochons tués par heure se déroule normalement.

 

J’ai une pensée particulière pour une coche (une truie, vous le savez maintenant) qui, dans un abattoir, gisait à terre sur le flanc, dans l’incapacité de se relever. L’état dans lequel elle se trouvait n’avait rien à voir avec la responsabilité de l’abattoir (mais elle avait quand même été déchargée, et tirée par un câble actionné électriquement jusqu’au poste d’abattage. Cette coche provenait d’un élevage intensif où, durant sa courte vie, elle était restée prisonnière d’une cage métallique. Le rendement lui imposait de mettre au monde des porcelets à une grande fréquence. Ces porcelets eux-mêmes étaient destinés à grandir dans des élevages concentrationnaires, pourtant autorisés.

 

La pauvre bête était trop usée. Faute de n’avoir pu se reposer entre les mises bas et de n’avoir pu gambader dans des espaces sans barreaux, elle ne pouvait ni marcher, ni se tenir debout. Elle était restée affaiblie et sans soins durant plusieurs semaines sur le lieu d’élevage. Souvent, comme d’autres dans le même état, ces coches ne partent à l’abattoir que lorsque le départ d’un lot entier est prévu. Une économie de transport et de soins vétérinaires peuvent-ils justifier de laisser sur place un cochon ou une coche blessés, en attente du départ d’un camion. Certains abattoirs ou coopératives ont prévu des navettes spéciales pour ce genre d’animaux. Mais cela n’est pas encore répandu.

 

Arrivée à l’abattoir, cette coche attendait son tour dans le local d’abattage. Elle avait auparavant été tirée au bout d’un câble métallique à même le sol, du quai de déchargement jusqu’au poste d’abattage, éraflant un peu plus les plaies qui recouvraient son corps. Son chargement dans le camion s’était effectué de la même façon.

 

Le regard livide et empreint de tristesse reflétait la vie misérable qu’elle avait eue. Même son attente vers la mort ne lui laissait présager aucun réconfort.

 

Il m’était inconcevable de ne rien faire pour elle, même si dans l’absolu, je ne pouvais pas la sauver. La seule chose possible était d’exiger que son abattage intervienne rapidement. Mais avant cela, pris d’un sentiment de pitié (ce qui ne devrait rien avoir d’exceptionnel), je me suis saisi d’un tuyau de nettoyage dont j’ai actionné le robinet. Attirée par l’eau fraîche et claire qui coulait agréablement, la coche à relevé la tête. Je me suis approché d’elle et je l’ai fait boire. J’ai cru qu’elle ne s’arrêterait plus jamais. Pourquoi cette truie était-elle si assoiffée ? Au bout d’un moment, après avoir été observé en train de faire quelque chose de peu habituel, j’ai retiré le tuyau de sa bouche. Elle a reposé sa tête sur le sol. Son regard semblait montrer de l’apaisement. Je ne pouvais rien faire de plus, excepté lui gratouiller la fine peau juste en dessous de ses yeux bleus.

 

J’ai fait ensuite quelques pas en arrière et j’ai laissé le personnel de l’abattoir accomplir son travail.

 

S’inscrire dans une logique de productivité et d’économie, de procédures administratives, pousse l’homme à devenir lui-même une machine incapable de réagir dans l’immédiat aux situations qu’il n’a pas prévues ou qu’il n’a pas voulu prévoir. En raison du conditionnement, l’homme se dépersonnalise et refoule sa sensibilité sous prétexte de servitude à la production et à l’économie humaine. À tous ceux du milieu de l’élevage, des abattoirs, aux représentants des services d’inspection de ces milieux, je dis qu’aucune action menée pour l’animal n’est futile, inutile et encore moins honteuse. Agir dans ce sens ne déprécie pas l’intervenant, mais au contraire cela permet de faire humblement grandir la personne humaine. De nombreux professionnels sont déjà soucieux du bien-être animal et de son respect, ainsi que de l’application des textes réglementaires relatifs à la protection animale. Mais force est de constater qu’il y a encore beaucoup à faire dans le milieu des abattoirs !

 

Toutefois, l’indifférence anime encore des professionnels qui laissent en situation de souffrance de nombreux animaux.

 

Truie déchargée au treuil, ce qui est interdit.
Phot Jean-Luc Daub

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Notre rôle est de leur faire prendre conscience de ce véritable problème et de les pousser à réagir en faveur de ces êtres innocents et dotés d’une réelle sensibilité.

 

 

 

 

dimanche, 06 janvier 2013

Ces bêtes qu’on abat : Agression sur un marché aux bestiaux

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.



Agression sur un marché aux bestiaux

 

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 Dans le cadre de mes activités, j’ai également été amené à faire des contrôles sur des marchés aux bestiaux. Ce sont des endroits particuliers, où les actions de protection animale ne sont pas toujours les bienvenues. C’étaient des lieux où l’on se faisait tout petit car l’ambiance pouvait vite se dégrader et tourner aux tentatives d’intimidation. Les contrôles des services vétérinaires étaient mal vus, nombre d’entre eux durent à freiner leurs investigations, quand il ne leur fallait pas complètement renoncer à venir sur les marchés. Je me souviens que dans un des marchés du département de la Manche, le responsable m’avait demandé d’arrêter de faire du zèle et m’avait conseillé de quitter les lieux, si je ne voulais pas me retrouver pendu sous la charpente. Lorsque j’informai la direction des services vétérinaires de l’état piteux des bêtes que j’y avais vues, elle m’indiqua qu’elle ne pouvait pas intervenir, car sur ce marché, elle était en danger, et qu’il lui faudrait un escadron de gendarmerie pour y pénétrer. Elle ajouta que deux techniciens avaient déjà été enfermés dans un local.

 

La réglementation stipulait que la présentation d’animaux malades ou blessés était interdite sur les marchés (art. 3 de l’arrêté du 25/10/82 modifié par l’art. 1 de l’arrêté du 17 juin 1996). Or pendant longtemps, ce genre d’animaux fut malgré tout présenté à la vente, car ils faisaient l’objet d’un commerce lucratif. Ils étaient achetés pour trois fois rien aux éleveurs, contents de s’en débarrasser, et étaient revendus en lots avec une plus-value. Il arrivait souvent que ces animaux à bout de force meurent en cours de transport ou sur les marchés. La réglementation permettait qu’ils soient euthanasiés sur le marché en cas de souffrance extrême. Encore fallait-il pour cela que quelqu’un appelle un vétérinaire, et il aurait fallu qu’il y ait davantage de contrôles pour venir en aide à ces animaux. Les marchés devaient être équipés d’abreuvoirs, mais la plupart ne l’étaient pas. Certains étaient équipés d’abreuvoirs mobiles, mais on ne s’en servait pas. La législation interdisait une attache trop courte des bovins, et pourtant bon nombre étaient attachés la tête au ras du sol durant des heures.

 

Certains marchés se préoccupaient du bien-être des animaux, mais ils étaient trop rares. Encore une fois, la crise de la vache folle a permis de faire reculer la présentation d’animaux malades ou blessés dans ces lieux de vente. Ces derniers, interdits d’abattoirs, devaient être présentés à l’abattoir sous 48 heures avec un certificat vétérinaire. Ces animaux ne sont en principe plus présentés sur les marchés. Ce n’est donc ni grâce aux efforts des services vétérinaires, ni au courage des associations de protection animale que ces bêtes ont disparu des marchés. Lorsqu’il s’agissait simplement de protéger ces animaux, l’administration se faisait timide. Les vaches en question finissaient en steak haché, et on a pris conscience pendant la crise de la vache folle qu’elles représentaient un risque sanitaire, puisque des vaches potentiellement atteintes par la maladie prenaient le chemin des abattoirs.

 

Je vais relater la visite d’un marché aux bestiaux de Loire-Atlantique sur lequel je me suis fait agresser. Je précise que cela ne se passait pas à l’identique sur tous les marchés, mais ce récit témoigne de l’ambiance générale en pleine période de crise de la vache folle.

 

Comme chaque négociant, j’avais payé mon entrée sur le marché en question. J'ai ensuite effectué un tour global des lieux, puis je me suis présenté au bureau, en demandant un responsable.

 

J'ai été reçu par un agent administratif de la mairie. Je lui ai montré ma carte d'enquêteur, il connaissait l’association pour laquelle je travaillais. Je lui ai parlé de quelques bêtes en mauvais état que j'avais repérées sur le marché, et qui n'auraient pas dû être présentées à la vente. Il m'a alors accompagné vers un autre responsable, un conseiller municipal délégué au foirail (marché aux bestiaux). C’était donc cette personne qui avait, en principe, le pouvoir de police et de faire appliquer la loi. Je lui ai gentiment demandé s’il pouvait venir voir les animaux qui posaient un problème. « D’accord, m’a t-il dit, je viens avec vous les voir, mais je ne les bouge pas, les ventes sont faites, on s'arrêtera là pour aujourd'hui ». Les ventes n’étaient bien évidemment pas terminées et il aurait encore été possible d’intervenir. Le décor était planté et je savais à quoi m’en tenir : une inertie habituelle. Dans ce domaine, il n’y a pas mieux que de faire des reportages télévisés pour sensibiliser le public et faire pression face à l'inaction des intervenants et des pouvoirs publics.

 

Nous avons discuté longuement en cours de chemin. Il m'a présenté à des négociants avec qui je devais m’expliquer. Il m'a présenté au président du syndicat des négociants en bestiaux avec qui je devais également m'expliquer. Il m'a semblé qu'on perdait beaucoup de temps. Je tentais d’emmener le conseiller municipal vers les bêtes en question. Il n’était pas bon d’être présenté à tout le monde : cela ne faisait qu’accroître la tension. D'habitude, me dit-il, il fait le tour du marché, mais ce matin-là, il n'avait pas pu, comme par hasard. Il m’avait dit que s’il constatait la présence de bêtes en trop mauvais état, il les faisait recharger, en disant au propriétaire « qu'il ne veut pas de ça ici ». Il leur demande de les garder dans le camion. Puis il a rajouté que ces derniers se les échangeaient ensuite de camion à camion, ici, ou alors sur le parking dehors (ce qui est interdit).

 

Devant l'une des bêtes en mauvais état, le conseiller municipal m’a à nouveau présenté. Cette fois à la personne qui effectuait le commerce de vaches de réforme. J'étais inquiet, car cette personne m’avait frappé sur un autre marché, à coups de bâton. Il m’a reconnu et me dit que sur le marché en question, qui était situé à une centaine de kilomètres en Ille-et-Vilaine, j’aurais dû lui montrer ma carte d'enquêteur. Il ne m'aurait alors rien fait. Il rajouta : « je vous avais confondu avec un touriste » ! Il va de soi que les touristes peuvent être frappés !

 

Ce monsieur précisa qu'il ne prenait plus les vaches qui « crèvent » dans les étables, qu’il les laissait à l'éleveur. Devant la vache en état de misère physiologique, il expliqua que son état était la faute de l'éleveur, qu’il n’y était pour rien. C’est vrai, mais il n’empêche qu’il n’aurait pas dû la prendre, ou qu’il aurait dû appeler un vétérinaire. Pourquoi, en outre, ces bêtes en piteux état, sans grande valeur marchande, étaient-elles souvent rouées de coups lorsqu’elles se déplaçaient difficilement dans l’enceinte du marché ? Des vaches tellement maigres qu’elles étaient appelées communément « des tréteaux », comme je l’ai déjà précisé.

 

Les regards devenaient de plus en plus hostiles, ma présence était gênante, je tombais dans un guêpier.

 

Le conseiller municipal et moi avons continué d’évoquer les arrivages de vaches en mauvais état et souvent en état de souffrance, ce qu’il ne niait pas. Si nous pouvions faire quelque chose, dit-il, pour empêcher que des animaux traînent sans soins dans les fermes, ce serait bien. Cela l’arrangerait qu’il n’y en ait plus sur le marché, mais il y en a toujours eu. Cela l’arrangerait aussi que le grand nettoyage soit fait par un organisme extérieur, pour ne pas à avoir à le faire lui-même. Il m'a suggéré de faire une réunion rassemblant des négociants, éleveurs, services vétérinaires afin de mettre sur la table les problèmes de protection animale concernant les bovins en mauvais état. Cela serait bien, et chacun saurait une fois pour toutes ce qu'il doit faire.

 

Je lui ai proposé de faire des photos des animaux en question pour avoir des preuves comme base de travail et monter un dossier. Il était tout à fait d'accord et n'y voyait pas d'inconvénient. Cependant, il souhaitait demander l'autorisation au président du syndicat des négociants en bestiaux. Nous l’avons cherché, mais en vain ; il était introuvable. Pour avancer un peu, je lui proposais d’appeler le vétérinaire attitré au marché ou alors les services vétérinaires pour qu’ils puissent venir constater l’état des bêtes et qu’ils prennent des mesures. Il était d'accord et me dit :  « Vous faites comme vous voulez, s’ils viennent tant mieux, comme cela ils prendront les responsabilités eux-mêmes et je serai couvert ».

 

Nous sommes allés au bureau pour téléphoner. J'ai appelé la Direction des Services Vétérinaires de Loire-Atlantique, la personne du bureau de protection animale s'occupant du marché étant en déplacement, on m’a alors passé le directeur de la D.S.V. Je lui ai fait part de ma présence sur le marché et lui ai demandé qu’il envoie un vétérinaire. Il était intéressé par ma visite, puisque justement ce marché faisait l'objet d'un gros dossier. L’idée d’y mettre notamment une permanence des services vétérinaires était dans l’air. Mes constatations seront les bienvenues, me dit-il, ajoutant qu’il aimerait avoir un courrier pour appuyer ses démarches. Il déplorait qu'actuellement, il ne fût plus possible d'effectuer des contrôles, mais cette question était en cours de démarches, une permanence devait être mise en place, avec deux techniciens vétérinaires.

 

Comme il y avait un abattoir juste à côté, je lui ai demandé si un représentant des services vétérinaires ne pouvait pas venir. Le directeur m’annonça qu’il allait leur téléphoner et m’envoyer quelqu'un. Je l’interrogeais aussi sur la possibilité de prendre des photos avant que les négociants fassent disparaître les vaches. Il me mit en garde et m’invita à faire très attention, car je risquais d’être malmené. J’attendis au bureau pendant un bon moment, mais personne ne vint.

 

J'ai demandé au conseiller municipal à pouvoir retourner sur le marché de peur que les bovins ne soient discrètement enlevés. Je voulais prendre des photos, mais il n’y tenait plus car la tension montait. Le président du syndicat des négociants en bestiaux s’y opposa aussi, prétextant qu’ils avaient eu des ennuis avec des journalistes. Une équipe de télévision de France 2 était venue filmer, en leur disant que c'était un reportage qui ne leur porterait pas préjudice. Les images se retournèrent contre eux, et lorsqu'une autre équipe de TF1 vint, elle fut accueillie à coups de bâton.

 

Nous sommes retournés à l’entrée voir si le vétérinaire était arrivé, mais personne n’était là. Le conseiller municipal me proposa d’aller à la rencontre du vétérinaire de l'autre côté de l'abattoir. Ce que je fis. Nous nous quittâmes.

 

Je me rendis à l'abattoir et dans les bureaux. Le vétérinaire était au téléphone avec le directeur de la D.S.V. Nous avons conversé. Il s'est rendu dans l'abattoir voir des carcasses de veaux, puis nous sommes allés sur le marché. Il m'indiqua qu’il ne s'occupait pas du marché, d'habitude.

 

Sur le foirail, le vétérinaire serrait des mains. Il connaissait du monde. Nous allâmes voir la première bête. Nous ne pûmes, en raison de la suite des événements, voir les pires bêtes. L’une présentait une énorme infection sur la partie droite des mamelles, elle n'était pas maigre. Le vétérinaire s'écria : « Ah, en effet ». Le propriétaire de la bête s'est avancé vers nous. Tout le monde nous regardait froidement, il était malvenu de s’attarder sur une bête pour des questions autres que transactionnelles.

 

Pendant que je relevais le numéro de la boucle, des négociants se sont approchés et l'un d'entre eux est venu derrière moi en me saisissant par les vêtements au niveau des épaules. D'autres arrivèrent et m’empoignèrent. On me tenait fermement par les bras, dans le dos, et l'un me serrait fortement la gorge en m'étranglant d'une main. Ils devenaient de plus en plus agressifs. Le vétérinaire est intervenu, en leur disant d'arrêter et de me laisser tranquille. Il fut empoigné à son tour. Après, je ne sais pas trop se qui s'est passé car ils me brutalisaient tellement que je ne voyais plus rien. Ils m'ont menacé et insulté. Un négociant m'a demandé si je me souvenais des établissements pour lesquels il travaillait, il disait à tout le monde que je l'avais fait condamner par la justice à payer 610 euros. En effet, une plainte contre lui avait été déposée lors d'une visite d'abattoir dans la Manche. Il leur a raconté l’histoire. Ce récit envenima la situation. Il dit que j'avais pris des photos très compromettantes pour lui. Je n’étais pas fier, et je savais que j’allais passer un sale quart d’heure !

 

J’étais en mauvaise posture, je ne maîtrisais plus la situation. Comme ils connaissaient le vétérinaire, ils le relâchèrent et le laissèrent repartir. Ce dernier rejoignit l’abattoir pour se mettre à l’abri. Ce qui est déplorable, c’est qu’il n’ait pas jugé bon de faire intervenir les gendarmes pour me sortir de cette situation. À un moment donné, j’ai pu me dégager et j'ai tenté de m'enfuir. J'ai couru tout droit, aussi vite que je le pouvais. J'ai sauté une barrière. Les négociants courraient derrière moi, en criant « attrapez-le ». Il m’était impossible de fuir, car il y avait du monde partout, prêt à m’intercepter. Je me suis retrouvé coincé, et j'ai été empoigné par d'autres personnes. La première fois, ils étaient une dizaine et la deuxième fois, ils devaient au moins être une vingtaine, peut-être même vingt-cinq.

 

Cette fois, ils m'écrasaient contre des barrières métalliques, au point que tout mouvement m’était impossible. Ceux qui se trouvaient de l'autre côté des barrières me tiraient vers eux. L’un d’eux me saisit de nouveau à la gorge et serra de toutes ses forces. J’eus alors l’idée de faire semblant d’étouffer afin qu’il me libère, mais il n’en fut pas impressionné et continua à serrer. Les négociants me menaçaient et m’agressaient verbalement. Ils me disaient de les laisser faire leur travail, qu'ils avaient une famille à nourrir et que ça allait mal se passer pour moi. Ils me disaient : « Tu vas voir ce qu'on va te faire », ou « il faut lui donner une leçon ! ». On comprend mieux pourquoi les services vétérinaires ne prenaient pas le risque de se rendre sur les marchés aux bestiaux. La personne qui m’avait déjà frappé avec un bâton sur un autre marché leur a demandé qu’on me prenne les notes qu’ils trouvèrent dans ma poche. Encore et toujours la même personne les excitait et leur disait qu’ils devaient me fouiller pour voir si je n’avais pas caché d’autres notes. J’avais sur moi mon carnet de chèques qui me servait à acheter, en cas de nécessité, des animaux malades ou blessés, malheureusement pour les faire euthanasier suivant les recommandations de l’association pour laquelle je travaillais alors. Quelqu’un me prit mon carnet de chèques en disant que j'y avais certainement dissimulé des numéros de bouclages. À ce moment, ils s’emparèrent de ma carte d'enquêteur, de ma carte de la Fédération des marchés et de mon portefeuille.

 

Les négociants étaient surexcités, ils m'arrachèrent mon anorak et le fouillèrent, ils prirent mon petit appareil photo qu’ils écrasèrent sur le sol. Ils regardèrent si je n'avais rien d'autre sur moi. Les différents responsables du marché, qui avaient assisté à la scène, au lieu d’intervenir m’ont simplement reproché de les avoir fait se déplacer des bureaux et d'avoir fichu en l'air et interrompu les cotations qu'ils effectuaient en réunion. Ils m’ont dit les avoir trahis en venant avec un appareil photos et un vétérinaire. C’est alors qu’un négociant qui avait trempé mon carnet dans de la bouse de vache me l’appliqua sur la figure. Une personne a tout de même crié : « Mais vous êtes fous, laissez-le. »

 

La personne qui m’avait molesté sur un autre marché leur lança qu'il fallait m'emmener sur le parking pour fouiller ma voiture. Ils étaient en train de m’emmener lorsque je leur ai dit que je n’avais rien d’autre. Très en colère, ils me demandaient : « Qui sont tes patrons et qui t’envoie ? ». Et d’ajouter : « Viens avec nous au bureau, on va leur téléphoner et tu vas leur dire ce quit’arrive ». L’un d’eux me lança que tout le monde avait mémorisé ma tête et que je ne n'avais plus intérêt à revenir sur le marché ou ailleurs. Que s’ils m'attrapaient encore une fois, c'en serait fini pour moi. Et surtout, je ne devais pas envoyer quelqu'un d'autre à ma place.

 

En me traînant vers les bureaux, d'autres venaient tour à tour m'agripper, en m'insultant et en me demandant qui j'étais. Certains ne savaient même pas ce qui se passait, mais voulaient quand même me frapper. Celui qui avait été condamné à payer une amende a voulu me parler. Du coup, les autres m’ont lâché. Nous avons marché un peu. Il m'a expliqué que ce jour à l’abattoir dans lequel nous nous étions rencontrés, il ne pouvait pas décharger les bovins dans d'autres conditions qu’il ne l’avait fait, que l’abattoir était en travaux (ce n'est pas vrai), mais que c’est lui qui avait tout pris, les responsables et les services vétérinaires de l’abattoir n’avaient, eux, pas été inquiétés. Il avait payé, dit-il, il ne m'en voulait plus, mais il souhaitait que je le sache. La tension était retombée. Une bonne partie des négociants me laissèrent tranquille.

 

Je pensais en être quitte, mais un groupe est revenu me chercher pour m’emmener dans les bureaux.

 

Là, le conseiller municipal, devant les autres, a dit qu'il pensait que j'étais parti et ne s’attendait pas à me voir revenir avec un vétérinaire. C’était ma parole contre la sienne que je devais défendre. On m'a conduit dans la salle de buvette, et devant les escaliers montant aux bureaux, des négociants devaient me surveiller pendant que d’autres allaient téléphoner. Dans cette salle, d’autres m’empoignaient, certains ne savaient même pas ce qui s’était passé, mais lançaient qu’il fallait « m'écraser ». Sous le regard passif du conseiller municipal, on me brutalisait encore et je n'en pouvais plus. J’attendais qu’il me secoure, mais rien ne venait.

 

Petit à petit, j’ai pu m’éclipser en montant les escaliers pour me mettre à l’abri. La personne qui avait été condamnée à payer une amende est revenue me parler de sa condamnation et a rajouté que si elle ne m'avait pas pris à part pour me parler, je ne m'en serais pas sorti vivant. Je pouvais donc la remercier. Je ne pouvais toujours pas m'enfuir, parce qu'en bas des escaliers, des personnes me surveillaient. J'attendais et soudain, les responsables du marché qui étaient allés téléphoner me dirent furieusement de partir, tant qu'il en était encore temps.

 

Je suis reparti en prenant soin de me retourner pour voir si l'on ne me suivait pas. J'ai roulé à toute vitesse vers Rennes, avec la peur au ventre. Je me suis rendu chez un médecin, car je n'étais pas bien. Il m'a examiné et a relevé les traces de violence dont j'avais été victime. Il m'a remis un certificat médical et un arrêt de travail. Cependant, j’ai fait l’erreur d’aller chez un médecin rural, qui a certainement aussi ménagé son diagnostic, car les conséquences pour lui, du fait d’avoir peut-être comme clients des personnes du marché, n’étaient pas négligeables.

 

Je voudrais évoquer maintenant les constations que j’ai faites sur ce marché aux bestiaux de Loire-Atlantique. 1814 animaux ont été présentés à la vente, dont : 49 Génisses; 24 Bœufs; 332 Vaches; 5 Taureaux; 4 Jeunes Bovins; 1386 Bovins Maigres; 14 Veaux de moins huit jours.

 

Pratiquement tous les animaux (vaches, veaux, gros bovins...) étaient, pour ceux qui se trouvaient sous le hall, attachés la tête au ras du sol. Et ceci de façon plus généralisée que sur d'autres marchés. On pouvait voir des bovins s'énerver, tant les postures contre nature qu’on leur imposait étaient inconfortables ; il y avait de nombreuses vaches de réforme, cachectiques, boiteuses, avec des escarres, des mammites et des mamelles si gonflées que le lait s’en écoulait. Dans les lots de vaches de réforme, il n'y avait pas que des bêtes maigres de fin de parcours, il y avait des bêtes en état de misère physiologique, ayant traîné dans les étables avec des maladies ou des traumatismes anciens. Une vache atrophiée qui se déplaçait difficilement a été conduite vers un lot de réforme. Elle est tombée à terre, on lui a matraqué la tête, mais elle ne s’est pas relevée tout de suite. On lui a tordu la queue pour la faire bouger. Au bout d'un moment, elle s'est relevée complètement épuisée.

 

Les marchands, en se servant de bâtons, matraquaient les bovins qui ne réagissaient pas comme ils le désiraient. Ils les faisaient courir dans les allées pour les charger. Les couloirs étaient très dangereux, il fallait tout le temps faire attention, car il y avait des bovins qui couraient en tout sens, et qui glissaient. Les négociants et les personnes qui chargeaient les bêtes étaient brutaux et se servaient largement de leurs bâtons pour les frapper sans ménagement. Des négociants avaient des aiguillons au bout de ces bâtons. Aucun point d'abreuvement ne se trouvait sur le marché. Aucune visite n'était effectuée par un vétérinaire attitré ou par les services vétérinaires. Des bovins avaient des cornes cassées avec le sang qui s’écoulait sur le sol. En raison de l’absence de quai, le déchargement et le chargement s'effectuaient à même le sol. J'ai vu des bovins trébucher plusieurs fois, en montant dans un camion tant la pente de la rampe était raide.

 

J’avais bien sûr déposé une plainte à la gendarmerie de la ville où se situait le marché. Ce n’est pas moi qui en ai eu l’idée, j’étais tellement choqué que cela ne m’était pas venu à l’esprit. Auparavant, j’avais pris un hôtel afin de pouvoir me doucher, car, comme toute personne agressée ou violée, je me sentais sale. J’ai été mal accueilli par les gendarmes. Je devenais de surcroît l’auteur des faits et non plus la victime. Le gendarme que j’avais en face de moi me reprocha le fait que personne n'ait appelé la gendarmerie au moment des faits, ajoutant que maintenant ils allaient être obligés de s’y rendre. Chose qui manifestement ne les enchantait guère. Les gendarmes m’ont dit que d’habitude, ils faisaient un tour sur le marché, mais évidemment pas ce jour-là !

 

J’avais les noms de quelques témoins des faits et de deux personnes qui m’avaient agressé. Pourtant, la plainte a été déclarée sans suite, parce que les témoins incriminés attestèrent qu’il y avait juste eu une bousculade !

 

Après ces événements, j'ai appris que plusieurs mois auparavant, une opération de contrôle commanditée par le Ministère des Finances et le Ministère de l'Agriculture avait été réalisée sur un marché aux bestiaux du même département. Pas moins de cinquante gendarmes, avec l’intervention d'hélicoptères, services des douanes, services vétérinaires, avaient entouré le marché. Mais cette opération de contrôle n'avait pas été fructueuse, puisqu'un repli stratégique avait été effectué en raison du trouble que cela avait occasionné et du risque de possibles confrontations physiques, à cause de la résistance des négociants en bétail. Il est facile de comprendre qu’après cet événement, ce n’était pas le simple enquêteur d’une association de protection des animaux qui allait intimider les négociants.

 

Ce que j’ai également appris plus tard, c’est qu’un membre du conseil d’administration de mon association était contrôleur général des services vétérinaires du département en question. On peut se demander quelle était sa part active au sein de l’association, et pourquoi dans le département dont il avait la charge, on trouvait autant de problèmes de mauvais traitement des animaux.

 

On pourra comprendre que, par la suite, je n’ai plus osé visiter de marchés aux bestiaux. J’en ai fait, malgré tout quelques-uns, la peur au ventre. Mais, heureusement, sur un marché d’un autre département, je fus bien accueilli par un directeur qui tenait soigneusement son marché et était vigilant quant au bien-être des animaux y séjournant. Et cela bien avant que les mots « bien-être animal » deviennent une formule de marketing, que tentent de s’approprier bien des filières et des instances qui ignorent ce qu’est le bien-être animal. Ce directeur m’avait beaucoup rassuré en me disant que sur son marché, je ne risquais rien, j’étais sous sa protection. Il faut dire que sur son marché, le déroulement des activités se passait bien et qu’il n’avait rien à se reprocher.

 

Le marché où a eu lieu l’agression n’existe plus, un autre a été construit dans la même ville. Je l’ai visité cinq ans après, et j’ai encore constaté quelques infractions à la réglementation. Par contre, on ne retrouvait plus ces vaches en état de misère physiologique, et ceci pour les raisons sanitaires que j’ai exposées plus haut (craintes liées aux problèmes de la vache folle). Notons que les actions d’une certaine association de protection animale a largement contribué à l’amélioration des conditions de bien-être des animaux sur les marchés. Un guide des bonnes conduites sur les marchés aux bestiaux, qui sert de base de travail pour les responsables de marché, a été édité par la Fédération des marchés aux bestiaux.

 

Je me suis aussi senti lâché par l’association pour laquelle j’avais fait cette visite, parce qu’aucun communiqué de presse n’ébruita l’incident, qu’aucune remontée vers les instances responsables ne signala les dysfonctionnements de ce marché. Il est certain que cela pouvait « faire tache », puisque l’un des membres du conseil d’administration était contrôleur général des services vétérinaires, et qu’une telle affaire pouvait avoir lieu dans son département…

 

C’est une affaire qu’il fallait étouffer. Même la plainte avait été classée sans suite, car les témoins n’avaient observé qu’une simple bousculade… Et les animaux maltraités sur ce marché, qui s’en est soucié ?

 

 

dimanche, 30 décembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Un appareil d’anesthésie innovant

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

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Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Un appareil d’anesthésie innovant

 

 J’ai pu visiter, en Bretagne, le premier abattoir de volailles français à s’être équipé d’un appareil d’anesthésie à CO2. Il en existait déjà pour les porcs, mais ils étaient souvent décriés à cause du stress qu’engendre ce genre de machine. En effet, il existe des fosses à CO2 où, pour y entrer, les porcs doivent être convoyés dans une nacelle (sorte de cage métallique) qui descend dans une fosse à plusieurs mètres. L’enfermement et la descente sont source de peur pour les porcs. De plus, le manque d’oxygène provoque chez eux une panique et des convulsions respiratoires.

 

Avec ce nouvel appareil, les volailles sont anesthésiées en douceur sans aucun stress. C’est le premier abattoir en France à s’être doté de ce matériel d’anesthésie à CO2 appelé CAS (Controlled Atmosphère Stunning). Le système d’anesthésie par atmosphère contrôlée permet d’obtenir un évanouissement des volailles sans aucune convulsion. La durée du passage des volailles dans l’appareil est d’environ 3 minutes. L’ensemble pouvant fonctionner à un rythme de 500 à 18 000 bêtes par heure. Dans cet abattoir, la suspension des volailles vivantes, par les pattes, accrochées sur une longue chaîne, a disparu. C’est également le cas de l’immersion de la tête dans un bac à électrolyse qui permettait, par un choc électrique, d’étourdir les volailles, mais souvent, celles qui avaient relevé la tête n’étaient pas étourdies, et étaient donc saignées conscientes.

 

L’installation répond à une demande de l’abattoir qui visait à l’origine l’amélioration de la qualité du « produit » abattu et transformé. C’est plus tard que les dirigeants se sont rendu compte des avantages que cet appareil présentait en termes de bien-être animal. L’éventail des équipements s’étend de l’abattoir ou des camions jusqu’aux conteneurs de ramassage. Ces derniers sont plus faciles à remplir. Un système d’ouverture en tiroir a été étudié sur les casiers. Les risques de

blesser les animaux ont été réduits. Je tiens à préciser ici que nous restons dans un contexte industriel et que les volailles proviennent d’élevages intensifs. Il est permis de penser que si elles n’ont pas eu de belle vie dans leur milieu d’élevage, par cet appareil elles ont une mort moins cruelle en comparaison d’autres abattoirs de volailles où elles sont suspendues par les pattes sur de longs rails.

Les camions de ramassage ont été modifiés. Ils comprennent 22 conteneurs de 8 casiers chacun, composés d’un système de tiroir et de canaux pour l’écoulement des fientes et des ouvertures pour l’aération. Les casiers ont été conçus afin que les ailes et les pattes ne restent plus accrochées dans les ouvertures. À l’abattoir, les conteneurs sont déchargés très rapidement à l’aide d’un chariot élévateur qui les déplace un par un. Les conteneurs sont déposés dans une zone d’attente afin de laisser les volailles se reposer. L’attente recommandée est de 1h 30 à 2h. Dans cet abattoir, la lumière sera réduite et un ventilateur plus puissant sera mis en place.

Vidange des conteneurs : après un temps de pause, les conteneurs sont de nouveau déplacés et posés délicatement sur un système de chaînes qui les emmènent vers « un poste de vidange ». Cet endroit s’appelle « unité de déchargement autonome ». Aucune main d’œuvre n’est nécessaire, tout se passe automatiquement. Un système de chaîne, muni de crans de blocage, évite que les conteneurs ne s’entrechoquent. Les coups et les secousses qui stresseraient et apeureraient les volailles sont soigneusement évités. Les conteneurs arrivent devant un caisson cloisonné afin d’y être déversés l’un après l’autre. Une inclinaison du conteneur, provoquée mécaniquement, permet de faire sortir les volailles et de les faire glisser à l’intérieur du caisson. L’inclinaison est progressive et la chute est douce. Les volailles tombent sur un tapis épais qui amortit le moindre choc. (J’ai testé le tapis en mettant mon pied à l’intérieur, il absorbait les chocs, ce qui n’empêche pas que les volailles aient peur d’atterrir dans ce caisson.

Les ouvertures des grilles qui composent les casiers des conteneurs sont étudiées afin qu’aucune patte ni aile ne soient coincées. Ainsi, les casiers peuvent se vider sans que des volailles restent accrochées aux parois. Par sécurité, la présence éventuelle de volailles est détectée par des capteurs de mouvement qui effectuent une vérification du conteneur. Le cas échéant, il s’immobilise et une alarme avertit de la présence d’une bête. Le conteneur à vide continue son chemin vers un poste de nettoyage automatique. Il en ressort propre et prêt à être chargé pour un autre voyage.

J’en viens maintenant au poste d’anesthésie. Le tapis à l’intérieur du caisson entraîne les volailles à petite vitesse sur un autre tapis perpendiculaire au premier. Celui-là les dirige vers le tunnel d’étourdissement. Ce tapis reste à améliorer, car les volailles glissaient légèrement sur leurs pattes en tentant de reprendre leur équilibre. Le responsable m’a assuré que l’amélioration de ce tapis était en cours et qu’il allait être changé. L’anesthésie des volailles est relativement bien étudiée. Elles entrent et sortent dans le tunnel en restant sur le tapis toujours en mouvement.

L’anesthésie se déroule en deux temps : une première phase d’une minute en hyper-oxygénation. Oxygène + du CO2 à 30% où elles sont rendues somnolentes et inconscientes. Une deuxième phase de 2 minutes où, inconscientes, elles respirent du CO2 à 80%. Cette phase est irréversible. Après cet étourdissement, elles ne se réveillent plus en raison d’une mort cérébrale. Le cœur, lui, continue de battre. Des études ont démontré que si elles respiraient directement le CO2 sans l’oxygène, elles s’agiteraient et seraient dans un état de panique. Tandis qu’avec le passage d’une minute en oxygène, elles ne se débattent absolument pas pendant l’arrivée du CO2. Ce système permet donc d’éviter l’affolement, toute souffrance et, au bout du tunnel, une mort sans stress.

Accrochage et saignée. Les volailles sortent du tunnel par le tapis, et tombent dans un bac circulaire en inox disposé en forme de carrousel mobile. Des employés saisissent les volailles par les pattes et les accrochent sur un rail qui les emmène vers un poste de saignée automatique. Je n’ai vu aucune volaille réveillée lors de la saignée.

Une personne contrôle l’état des volailles à l’entrée du tunnel. Celles qui sont déjà mortes, celles qui sont en mauvais état, et celles qui n’ont pas la taille standard sont retirées et jetées dans une poubelle à côté du poste. En principe, les volailles sont tuées avant d’être jetées. Cependant, et c’est un des bémols de cette visite, j’ai aperçu un poulet vivant dans la poubelle. Je l’ai signalé au responsable qui a demandé à l’employé de le tuer. Ce dernier l’a saisi par le cou et a exercé une torsion pour le briser. La dislocation du cou est autorisée pour la mise à mort des volailles à usage gastronomique traditionnel reconnu selon l’annexe IV point 4 de l’arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d'immobilisation, d'étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs.

Cependant, son application est subordonnée à l’étourdissement préalable des animaux. Il serait préférable, pour que les volailles refusées aient également une mort sans douleur, de leur apposer un signe distinctif, comme un élastique rouge autour du cou, de les laisser passer dans le système et de les enlever à la sortie du tunnel, une fois qu’elles sont mortes après respiration du CO2.

 

Bien que ce matériel et son installation aient un coût élevé, l’anesthésie des volailles pratiquée avec ce nouveau système le rend à mes yeux très concluant. Le déchargement des camions est effectué avec douceur, les conteneurs sont manipulés sans brutalité. Ils sont vidés automatiquement, sans contact physique, sans attraper les ailes ou les pattes des animaux (comme cela se pratique dans les autres abattoirs) et dans une sorte de calme continu. Un tapis roulant achemine les volailles à petite vitesse, mais permet d’en réguler un grand nombre. Cela est préférable à la suspension des volatiles en pleine conscience par les pattes, les obligeant à se débattre sur de longues distances jusqu’au poste d’abattage. Le directeur lui-même reconnaissait que le système antérieur était plutôt cruel (et dire qu’il en reste beaucoup en fonction !). Les conditions de travail du personnel sont également améliorées.

Enfin, l’anesthésie comprend une première phase de somnolence, par l’apport d’oxygène, ce qui empêche les volailles de s’agiter et d’être apeurées en recherchant de l’air. Le CO2 intervient en deuxième phase et les endort définitivement, mais toujours en douceur. Lors de la suspension et de la saignée, elles ne ressentent plus rien, car sur le plan cérébral, elles sont déjà mortes. Le cœur continue de battre et la saignée s’effectue sans problème. Ce système devrait être étendu aux autres abattoirs de volailles, palmipèdes, lapins…. Il serait également souhaitable d’étendre ce système d’anesthésie aux abattoirs de porcs et notamment dans les abattoirs industriels. Les systèmes actuels et les appareils à CO2 existants apeurent terriblement les animaux et les mettent même dans un état de souffrance.

Alors, au risque de choquer ceux qui sont pour l’abolition des abattoirs (qui n’interviendra que lorsque les consommateurs cesseront de manger de la viande, ce qui ne serait pas pour me déplaire), je recommande vivement ce nouvel appareil aux responsables d’établissements d’abattage.

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Bovin déchargé mort loin des quais d’un marché à bestiaux…
Phot Jean-Luc Daub

 

 

dimanche, 23 décembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : La crise de la vache folle et les veaux de la Prime Hérode

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


La crise de la vache folle et les veaux de la Prime Hérode

 

Je voudrais évoquer maintenant le cas des bovins qui ont fait l’objet de destruction massive lors de la maladie de la vache folle, ne serait-ce que pour leur rendre hommage et afin de ne pas les oublier si vite. Si elle a permis au consommateur de découvrir enfin les coulisses de l’élevage, la crise de la vache folle a envoyé au bûcher des millions de bovins. L’incinération des bovins, par principe de précaution (enrayer la maladie) permettait surtout de rassurer le consommateur.

 

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Vache déchargée morte sur un tas de fumier d’un marché à bestiaux.
Phot Jean-Luc Daub

 

La consommation de viande bovine était en baisse. Un déclin économique se fit sentir. L’Union Européenne décida de racheter des millions de vaches laitières et de vaches allaitantes. Une prime était versée à l’éleveur qui envoyait à l’abattoir des animaux en bonne santé, et qui finissaient à l’équarrissage. De même, les troupeaux suspectés de comporter un cas d’Encéphalite Spongiforme Bovine finissaient d’office, tout entiers, en tuerie organisée dans le cadre d’un abattage systématique, puis étaient envoyés sur un bûcher (tout cela, loin des journalistes, sur des lieux bien gardés par nos gendarmes).

 

L’Encéphalite Spongiforme Bovine est une maladie incurable qui entraîne la mort de l’animal porteur, après une atteinte dégénérative du système nerveux central (cerveau, moelle épinière). La période d’incubation est assez longue, en moyenne 5 ans.

 

Les premiers cas d’ESB ont été rapportés officiellement en 1985 au Royaume-Uni. Dans ce pays, ce fut le début d’une importante épidémie chez les animaux. Plus de 184 000 cas ont été recensés. En France, alors que la maladie sévissait aussi, les premiers cas furent déclarés en 1991 : au total 978 cas d’ESB furent confirmés début février 2006. Une possible contamination entre l’animal et l’homme par la voie alimentaire fut déclarée. Connue depuis 1920, la maladie de Creutzfeldt-Jakob, similaire à l’ESB à bien des égards, n'était pas une maladie nouvelle chez l'homme. C’est une forme de démence incurable qui apparaît, en général, chez des patients âgés de 60 à 65 ans. Depuis 1996, au Royaume-Uni, 159 cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob ont été constatés chez l’homme. En France, 14 personnes sont mortes de cette maladie. Les causes de la propagation de l’ESB au Royaume-Uni ont rapidement été circonscrites. Le lien fut établi entre l’incorporation, dans les compléments alimentaires des bovins, de farines de viande et d’os contaminés par l’agent de l’ESB, et la rapide diffusion de la maladie dans le cheptel bovin. L’abattage systématique de tout le troupeau dans lequel une vache manifestait les symptômes de la maladie a été mis en place. Le ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation britannique avait pris la décision d’interdire de nourrir les bovins avec des farines d’origine animale le 18 juillet 1988. Par contre, les exportations de ces mêmes farines animales dites contaminées restaient autorisées. Et quels sont les pays qui, tout en n’ignorant pas le problème de l’ESB du Royaume-Uni, continuaient d’acheter et de donner allègrement ce « poison » aux animaux d’élevage ? Je ne citerai que le pays le plus proche, la France. C’est seulement en 1990, que la France interdit l’emploi des farines de viandes dans l’alimentation des bovins. Ce n’est que cette même année qu’éleveurs et vétérinaires furent obligés de déclarer les cas d’ESB sur le territoire. Et curieusement, ce n’est qu’en 1991 que le premier cas d’ESB fut déclaré dans les Côtes-d’Armor. Mais puisque les premiers cas ont été déclarés en 1985 de l’autre côté de la Manche, n’y en avait-il pas eu chez nous avant 1991 ? En 1994, les farines étaient interdites pour les autres ruminants d’élevage. Et en novembre 2000 seulement, cette interdiction s’étendit à tous les animaux d’élevage dont nous consommons les produits. C’est pourquoi lorsque vous trouvez sur les produits une mention indiquant qu’il s’agit d’animaux issus d’élevage intensif (c’est le cas pour les œufs de batterie où il est mentionné « animaux nourris avec de l’alimentation 100 % végétale »), on vous fait croire à l’honorabilité d’éleveurs, alors que finalement cela leur a été imposé par la loi. Le choix de donner des protéines animales était volontaire en raison du prix, proposé par les firmes, moins élevé que celui des protéines végétales (qui constituent pourtant la base naturelle du mode alimentaire des vaches). Savez-vous que dans les farines animales qui étaient données aux animaux d’élevage provenaient du traitement des cadavres de chiens et de chats morts sur les routes ou euthanasiés chez le vétérinaire ou à la SPA, de vaches ou de cochons morts de n’importe quelles maladies, enfin de tout type de cadavre transformé en farine animale et « recyclé » en alimentation animale ? Actuellement, tous les bovins âgés de 24 à 30 mois entrant dans la chaîne alimentaire subissent un test rapide de dépistage de l’ESB à l’abattoir. Si des carcasses testées se révèlent contaminées par l’ESB, elles sont obligatoirement détruites par incinération. Ce qui veut dire qu’après avoir laissé s’écouler des stocks de farines potentiellement contaminées par le biais des fabricants d’alimentation pour animaux d’élevage, les précautions pour rassurer le consommateur et relancer les ventes des produits carnés ont été soigneusement mises en place. Ce fut également le cas des dispositions sécurisantes. Le coût de cette surveillance sanitaire est supporté par les consommateurs et par l’Etat (donc le contribuable), et cela même si vous êtes végétarien !

 

Sans l’ESB, les vaches mangeraient encore aujourd’hui des farines de viandes, tout comme les cochons et les poules...

 

Retenons que l’interdiction des farines animales pour tous les ruminants a été mise en place en Grande-Bretagne dès juillet 1988, alors que cette interdiction n’a eu lieu en France qu’en juillet 1990, et seulement pour les bovins. Ceci fut étendu à d’autres animaux, en décembre 1994, mais seulement pour les ruminants (soit 8 ans après la Grande-Bretagne). L’interdiction des farines animales pour l’ensemble des animaux de rente date en Grande-Bretagne de mars 1996, en France de novembre 2000. Le retrait des SBO (abats spécifiques des bovins) a été mis en place en Angleterre et au Pays de Galle dès novembre 1989 à cause de la possible transmission de la maladie à l’homme. Ce n’est qu’en août 1996 que la France a retiré les MRS (Matériaux à Risque Spécifique, « certains abats »), ainsi que les cadavres d’animaux de la fabrication des farines animales. Les cochons, les poules pouvaient encore être nourris avec de la farine qui n’intégrait plus les cadavres d’animaux (vaches mortes, chiens et chats). Ce n’est qu’en novembre 2000 que les farines animales furent interdites à l’ensemble des animaux de rente. Les ministres de l’Agriculture et de la Santé ont mis du temps à appliquer le principe de précaution. La même chose se produit pour les pesticides dans notre alimentation, ils sont reconnus néfastes pour notre santé, ainsi que pour l’environnement, et pourtant le principe de précaution n’est toujours pas mis en place. Seule une réduction de la moitié de leur usage est en projet pour… 2018 ! Seront aussi retirés du marché (progressivement…) ceux qui sont reconnus les plus dangereux et dont les agriculteurs sont les premières victimes ! Le tout, dans le respect de la compétitivité de notre agriculture, ainsi que l’annonce le site Web du ministère de l’Agriculture.

 

« L’annonce, en mars 1996, par les autorités britanniques, de la possible transmission à l’homme de l’ESB déclenche la première grande crise sanitaire pesant sur la consommation de viande des ménages. Elle est le point d’orgue d’une forte hausse de défiance, depuis la révélation concernant le rôle des farines animales dans l’ESB et leur interdiction en juillet 1990 dans l’alimentation des bovins »1. Mais ne vous inquiétez pas, le retour des farines animales est discuté au sein de la Commission Européenne. Pour les éleveurs, l’intérêt est économique, et il ne semble pas qu’ils soient opposés au retour des farines animales si l’on en juge par les propos, parus dans le Figaro du 25 février 2008, du président de la Fédération des industries avicoles : « Ces derniers temps, le prix du blé a augmenté de 150 % et celui du soja a doublé ». Pour eux, ce type de farine serait une source de protéines à bon marché pour compléter les rations alimentaires des animaux. Les résultats de ces recherches et palabres seront connus dans le courant de l’année 2009. Point sécurisant annoncé, les porcs mangeront de la farine de volailles, et les volailles de la farine de porcs. C’est un exemple. Ce qu’il faudrait, c’est interdire la vente de produits, carnés notamment, venus de pays extérieurs à l’Union Européenne. C’est vrai qu’il y a un manque d’équité de ce côté-là. Mais la France, pour l’instant, est contre la réintroduction de ces farines dans l'alimentation animale. Cependant, il n'y aurait eu que deux cents cas de bêtes touchées par l'ESB l'an dernier en Europe. Le nombre de cas serait en diminution d'environ 40 % tous les ans, d’après les experts de la Commission européenne. Donc, attendons-nous au retour des farines animales.

 

L’Europe produirait chaque année 16 millions de tonnes de déchets bruts animaux. Avant la crise de la vache folle, ils étaient recyclés dans l’alimentation animale et représentaient un marché de 500 millions d’euros. Alors qu’aujourd’hui, leur destruction coûte annuellement environ 1 milliard d’euros2. Le problème ne se poserait pas si tout le monde était végétarien. Qui plus est, l’économie réalisée sur les dépenses qu’occasionne la destruction des farines permettrait de nourrir un grand nombre de personnes défavorisées, ou d’apporter de l’aide aux pays où la famine sévit.

 

Revenons aux veaux qui ont également été victimes de la crise de la vache folle. En 1996, à cause de l’ESB, les autorités européennes mettaient en place une subvention accordée aux éleveurs qui envoyaient leurs veaux de huit jours et plus à l’abattage et à l’équarrissage. C’était la « Prime Hérode », du nom du gouverneur romain qui ordonna le massacre des jeunes enfants à l’époque de la naissance du Christ. Quel symbole !

 

La prime d’abattage de 754 francs (115 euros) par veau de moins de 20 jours était versée jusqu’en 1999. Elle avait été mise en place pour retirer un grand nombre d’animaux du marché. Il s’agissait de limiter les excédents dus à la baisse de consommation pendant cette crise de la vache folle. Notons que la « prime Hérode », instituée en 1996, ne profita guère aux producteurs nationaux, puisque la moitié des veaux alors abattus était d'origine étrangère, ce qui laisse sous-entendre que ces petites bêtes subissaient de longs transports, parce qu’elles étaient cherchées par des grossistes dans les autres pays. La « prime Hérode », de 1996 à 1999, a encouragé la destruction pure et simple de 2,8 millions de veaux européens et a rempli les poches de certains marchands et responsables d’abattoirs.

 

Rappelons que c’est grâce aux soi-disant professionnels que nous avons connu la maladie de la vache folle, car il a été permis de donner des farines animales provenant de carcasses ou de déchets d’animaux aux vaches pourtant herbivores.

 

Considérés comme des sous-produits dans le système de production, plusieurs millions de veaux de huit jours et plus ont été tués pour rien. Ils étaient éliminés pour rétablir l’équilibre économique ébranlé par la baisse de consommation de viande bovine.

 

Certains faisaient des trajets en camion sur de très longues distances, puisqu’ils pouvaient venir d’autres pays de l’Union (qui ne voulaient pas pratiquer cet abattage) pour être abattus en France. Souvent, le voyage était fatal à ces très jeunes veaux à cause du temps de trajet trop long, du manque d’alimentation et d’abreuvement.

 

Dans ce cadre, un abattoir en France les tuait de façon horrible. Des images avaient été tournées par un journaliste allemand. Elles avaient été diffusées au journal télévisé. Le journaliste avait embarqué avec le chauffeur d’un camion qui transportait des veaux de moins de huit jours en provenance d’Allemagne qui devaient être abattus en France. A l’abattoir, en caméra cachée, il avait pu filmer la mise à mort des veaux qui arrivaient en si grand nombre que le pistolet à tige perforante, appliqué sur le crâne des veaux, surchauffait. Le rythme de son utilisation, à la chaîne, était si intense (un veau derrière l’autre, toute la journée) qu’il en devenait brûlant. L’utilisateur ne pouvait plus le tenir, ni même remettre de nouvelles cartouches.

 

Un nouveau pistolet a alors été commandé pour effectuer des rotations, mais en attendant, au lieu de différer les abattages de veaux, on a continué à les tuer de façon monstrueuse. Pour cela, les employés utilisaient les crochets (qui servaient d’ordinaire à la suspension des carcasses par une patte) pour frapper violemment sur la tête des veaux. Ces derniers perdaient plus ou moins connaissance, ils étaient ensuite jetés (encore vivants, car ils ne mouraient pas tout de suite) dans des bacs, les uns sur les autres. Les images montraient les veaux agonisants qui bougeaient encore, livrés à une mort lente.

 

Des pratiques qui surprennent. Comment en est-on arrivé là ? Les services vétérinaires qui se trouvaient sur place ne pouvaient-ils pas intervenir ? N’aurait-il pas été possible d’emprunter à un autre abattoir un pistolet à tige perforante ?

 

Pourquoi un animal, à partir du moment où il est décrété « sous-produit », sans grande valeur marchande, fait-il l’objet d’un manque de considération ? Que le petit veau fût en bon état ou non en arrivant à l’abattoir, peu importait : dans tous les cas, les 754 francs tombaient dans la poche.

 

Dans un autre abattoir, où je n’avais pas assisté aux abattages des veaux de la « prime Hérode », j’avais pu observer dans un camion immatriculé en Allemagne, les petits bébés des vaches qui étaient dans un état lamentable. Les différents trajets (le rassemblement et le regroupement en lots en partance de pays de l’Union européenne vers les abattoirs français) provoquaient la déshydratation et le mal-être des veaux. Certains étaient même déjà morts avant d’arriver. Enfin, ce n’était pas vraiment le trajet qui causait les souffrances, mais plutôt les éleveurs, les négociateurs, les transporteurs et les abatteurs qui en faisaient le commerce. Évidemment, pourquoi agir avec soin pour de petites bêtes destinées à l’équarrissage ?

 

Il était important pour moi de vous parler, même s’il n’a plus cours, de cet épisode misérable qu’ont vécu des centaines de milliers d’animaux.

 

 

 

 

1 http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1166

 

2 Source www.cite-sciences.fr

 

 

 

 

dimanche, 09 décembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Un chien dans un fossé

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Un chien dans un fossé

 

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Transport de canards pour l’abattoir.
Phot Jean-Luc Daub

 

Un jour, alors que j’étais en déplacement dans le Finistère, je fis une drôle de rencontre sur le bord de la route. Après avoir visité un abattoir, je cherchais mon chemin en voiture. Je fus amené à faire un demi-tour sur un petit croisement. Après une manœuvre bien exécutée, j’allais reprendre ma direction quant une forme aux taches blanches attira mon regard vers le fossé. C’était un chien, apparemment mort.

 

Quoi de plus banal qu’un chien mort au bord d’une route, qui aurait été renversé par une voiture ? Tellement banal que le conducteur de la voiture qui me précédait n’avait pas jugé utile de vérifier l’état du chien. Pour ma part, il fallait que je m’en rende compte. Il était étalé dans le fossé, maigre, et semblait bien mort. Mais quand je me suis penché sur lui, il m’a surpris en remuant sa queue en signe de contentement. Il semblait heureux de voir quelqu’un, mais il était dans l’incapacité de se lever. Ce chien avait dû marcher durant plusieurs jours sans s’alimenter et avait dû tomber d’épuisement dans ce fossé.

 

Lorsque je lui demandais ce qu’il faisait là, il remuait encore plus la queue. C’était émouvant. Je pris une couverture pour l’enrouler et je le mis dans ma voiture. Je partis en direction du centre-ville à la recherche de la mairie. Après avoir fait plusieurs fois le tour du centre, j’ai enfin trouvé l’établissement administratif. Je suis rentré avec le chien et j’ai demandé à la secrétaire d’accueil quelle était la démarche à suivre lorsque l’on trouve un chien. Elle me demanda tout simplement, sans y jeter un coup d’œil, de le déposer dans le bâtiment des services techniques. Là mon sang ne fit qu’un tour. Je lui ai demandé si elle plaisantait, car le chien était en mauvais état et avait besoin de soins. Elle m’indiqua alors l’adresse d’un vétérinaire.

Je partis à la recherche du vétérinaire. Je fus accueilli dans sa clinique. Je lui expliquai la situation et lui présentai le chien. Ronchonnant, pas très content d’être sollicité pour un chien perdu, il l’examina quand même. Il me confia qu’il allait le mettre sous perfusion. Je lui demandai ce qu’il comptait faire de l’animal une fois qu’il serait remis sur patte. Il me répondit qu’il le ferait prendre par un refuge qui le proposerait à l’adoption. J’ai caressé le chien, remercié le vétérinaire, et suis reparti sur la route vers d’autres aventures, cependant peu rassuré sur le devenir du chien. Si j’avais pu, je l’aurais adopté, mais j’avais déjà le mien dans la voiture. Aujourd’hui, je regrette de ne pas l’avoir pris avec moi, j’aurais été plus tranquille quant à son devenir.

 

 

 

 

dimanche, 02 décembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Un chariot de lapins blancs

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

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Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

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Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Un chariot de lapins blancs

 

  En Moselle, la visite d’un abattoir de lapins et de l’élevage attenant à l’abattoir s’était révélée pitoyable. La production en tuerie était de 8000 à 10000 lapins blancs par semaine, provenant d'élevages intensifs de Bretagne, de Hollande et de la région. 1000 lapins par semaine provenaient de l'élevage personnel du propriétaire de l’établissement. Les lapins, arrivés par camion, étaient entassés dans des caisses en plastique très basses, les unes sur les autres. Lors de l'abattage, l’employé attrapait un des lapins dans la caisse, et plaçait la tête de l'animal sur une petite table où se trouvaient des broches électriques : deux broches qui, en entrant en contact avec la tête, provoquaient l’électrocution de l’animal. Le choc électrique provoquait des résultats différents suivant la manière dont l’employé s’y prenait. On pouvait d’ailleurs voir certains lapins suspendus se débattre beaucoup. Il fallait alors les saigner immédiatement, et un peu plus que les autres. Le propriétaire m’indiqua recevoir la visite régulière des services vétérinaires. L’appareil à électronarcose, qui doit toujours être agréé avant sa mise en service, n’était pas pourvu de la plaquette mentionnant la date et le numéro de l’agrément. Le directeur de l’abattoir n’avait pas les papiers qui m’auraient prouvé que l’agrément avait été bien donné. L’appareil avait été installé par un électricien, mais le directeur m’avoua que l’appareil n’avait pas reçu de procédure d’agrément. Pourtant, comme il me l’indiqua, les services vétérinaires visitaient régulièrement son abattoir, certainement pour l’hygiène et la salubrité des viandes, mais à l’évidence pas pour la protection des animaux. Le directeur m’avoua aussi que toute la matinée, l’appareil électrique était tombé en panne, et que cela les mettait dans une situation de crise, car une commande devait partir à 14 heures.

 

Lors de ma visite, la machine est d’ailleurs une nouvelle fois tombée en panne. Le directeur décida alors d'arrêter les abattages et d'apporter l'appareil chez un électricien. Naïvement, je pensais que les lapins allaient rester dans les caisses en attendant la réparation de l’appareil. Mais alors que je réécris cette histoire, je me rends compte qu’après ma visite, les abattages ont dû reprendre sans étourdissement préalable, c’est-à-dire en saignant les lapins directement. Cela me paraît tout à coup évident : on n’aurait pas laissé les lapins sans boire et sans manger dans les caisses en attendant la réparation du matériel, alors que la commande de 14 heures devait être honorée.

 

Au moment où j’arrivai à l’abattoir, une employée revenait de l’élevage qui se trouvait à proximité. Elle se dirigeait vers le local d'abattage avec un chariot métallique (une sorte de grand caddie) rempli de lapins (il y avait trois à quatre couches de lapins vivants, superposés les uns sur les autres). Le Directeur, un peu gêné, me dit que d’habitude, il lui demandait de les mettre dans deux chariots ! Comme par hasard, alors que j’étais là, elle n’avait pas suivi ses recommandations. Ces lapins restèrent entassés dans le chariot au moins une heure. Je m’aperçus que ceux qui se trouvaient tout à fait en dessous étaient écrasés, compressés contre les grilles métalliques. Des lapins avaient les yeux qui leur sortaient véritablement des orbites. Il était inutile d’être pourvu d’une âme sensible pour lire la détresse et juger préjudiciable la situation que vivaient ces lapins. Je suis allé demander au directeur de faire décharger (immédiatement) ce chariot. Pendant ce temps, ce dernier, qui n’avait pas l’apparence d’un être sans cœur, me fit visiter l'élevage.

 

À notre retour, cinq lapins étaient morts au fond du chariot qui avait enfin été vidé de son contenu. Le directeur me dit que ce n'était rien, que c’était habituel et sans gravité. Il se justifiait en disant qu’il s’agissait de lapins de réforme qui seraient morts de toute façon. Je lui ai répondu que cela, de toute façon, ne se faisait pas. Il m'a assuré qu’on ne procédait pas de cette manière d'habitude. Cela paraît peu probable puisque cette façon de faire semblait coutumière, et que c’était moi qui me suis inquiété du sort des animaux. Lui jugeait cela sans importance. J'ai donc eu du mal à le croire. Manifestement, aucune considération pour ces petites bêtes n’émanait de la part des employés. J’ai aussi vu que, sans ménagement, des lapins qui se trouvaient sur une caisse en hauteur avaient été jetés vers d'autres caisses en contrebas.

 

Lors de la visite de l'élevage de type intensif, j’observai une multitude de cages alignées dans un bâtiment au plafond assez bas, avec un nombre important de lapins par cage, laissant ainsi peu de place pour chaque animal. Je vis que le sol grillagé des cages provoquait des blessures aux pattes et de l’inconfort. Il n’y avait pas d’éclairage naturel. Le directeur m’assura que durant les deux dernières semaines de vie, un lapin par cage est enlevé, ceci afin que les animaux gagnent du poids, tout en reconnaissant qu'ils se sentent aussi un peu mieux avec cet espace supplémentaire. Au total, ils sont engraissés pendant trois ou quatre mois. Quant aux lapines reproductrices, elles donnent des petits durant une année. Lorsqu'elles sont abattues, elles ne sont plus bonnes pour la consommation. Ce qui explique le manque de considération que j’ai constaté à leur égard : on les empile dans un chariot métallique, en ne leur épargnant aucune souffrance, puisque les lapines de réforme n’ont pas de valeur marchande. J'ai également pu constater les blessures aux pattes dues au grillage qui revêt le sol de leur cage. Faute de ne pouvoir ronger, leurs incisives sont extrêmement longues et provoquent des blessures dans la bouche. Certains lapins perdaient leurs poils par plaques entières. Enfin, leur charpente osseuse est si misérable, qu'ils semblaient pouvoir se casser comme du verre. Amis consommateurs, pratiquement 100 % des lapins sont élevés ainsi.

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Transport de dindes pour l’abattoir.
Phot Jean-Luc Daub

 

 

 

 

dimanche, 25 novembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Infractions en abattage rituel

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Infractions en abattage rituel

 

Dans un abattoir près de Paris, dont le responsable s’était converti à l’islam, tous les animaux étaient abattus selon le mode rituel, y compris ceux qui, précisément, n’étaient pas destinés à l’abattage rituel. Ce qui est interdit, car les animaux destinés à l’abattage classique doivent faire l’objet d’un étourdissement préalable, juste avant la saignée. Pire encore, le matériel d’étourdissement avait été enlevé et proscrit, car il avait été déclaré « impur ». Dans cet abattoir, un jeune technicien vétérinaire s’était opposé à un abattage barbare. En effet, une personne voulait tuer un bovin selon le mode opératoire de son pays, en lui sectionnant les tendons des pattes à l’aide d’un couteau pour le faire tomber au sol et l’égorger par la suite. De plus, les bovins étaient suspendus par les deux pattes arrières avant d’être égorgés rituellement. L’abattoir, connu des services vétérinaires, existait alors qu’il n’avait aucun agrément administratif. Il n’avait théoriquement pas le droit de fonctionner. Pourtant, les activités se déroulaient au quotidien, avec la présence d’un technicien vétérinaire.

 

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Mouton suspendu par une patte, ce qui est interdit !
Phot Jean-Luc Daub

 

Voici encore d’autres cas d’infractions relevées, concernant l’abattage rituel dans un abattoir du sud-ouest de la France. Il s’agissait d’infractions commises lors de l’abattage rituel musulman. En effet, après avoir mis une quinzaine de moutons dans la case où avait lieu l’abattage, l’employé les suspendait un par un par une patte arrière. Un stock tampon de moutons se créait, car l’égorgeur prenait tout son temps pour les saigner. Non seulement, l’infraction était caractérisée par la suspension des ovins mais, de plus, plusieurs moutons en attente la tête en bas se débattaient pour se dépêtrer de cette situation.

 

À mon arrivée, l’abattage rituel des veaux avait été interrompu. Après avoir demandé des explications, le directeur de l’abattoir m’indiqua évasivement qu’un sacrificateur venant de Nîmes devait arriver. Comme je le questionnais encore, il

m’avoua que celui que je venais de voir n’était pas en possession de l’autorisation officielle de sacrificateur, et que par conséquent il n’avait pas le droit d’égorger les veaux.

 

Dans un autre abattoir, du Puy-de-Dôme, il en était de même concernant l’abattage rituel musulman. Les moutons étaient suspendus par une patte arrière à plusieurs mètres du sol, le rail de suspension étant très haut. Les moutons étaient égorgés loin de l’enclos de départ. Ils se débattaient tout au long du parcours. De plus, le poste de saignée était très en hauteur. Les deux sacrificateurs n’étaient pas en règle concernant leur agrément. Ils n’avaient pas d’autorisations délivrées par les grandes mosquées agréées ou par les préfectures. L’un deux, lorsque je lui demandai s’il pouvait me montrer son agrément, me dit qu’il n’en avait pas besoin puisqu’il était imam, que cela était suffisant et que je devais aller me faire voir !

 

En abattage classique, l’employé était seul à effectuer l’acheminement, la suspension et l’étourdissement. Il accrochait les moutons sur la rampe de montée, se saisissait de la pince électrique qu’il appliquait en même temps que les moutons étaient tirés en hauteur par la rampe. Dans l’ensemble, les moutons étaient suffisamment étourdis, mais certains avaient tendance à se réveiller une fois arrivés au poste de saignée, qui se trouvait très loin du poste d’étourdissement.

 

Quant à la formation obligatoire du personnel concernant la protection des animaux au cours de l’abattage, rien n’avait été mis en place, ainsi que me l’ont dit les employés eux-mêmes. La réponse du bureau de la protection animale du Ministère de l’Agriculture concernant cet abattoir fut laconiquement administrative : « Les problèmes d’hygiène de l’établissement sont prioritaires sur la protection animale, aucune action ne pourra être prise par le Bureau de la Protection Animale. Les manquements à la protection animale sont imputés à un employé qui mettrait de la mauvaise volonté. Les conséquences d’une fermeture seraient trop importantes pour la situation économique générale ». Sans commentaire !

 

 

 

 

dimanche, 18 novembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Des chevaux qui attendent

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

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Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

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Des chevaux qui attendent

 

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C’était en région parisienne, il y a plusieurs années. Je me rappelle les deux étables. Les chevaux étaient attachés de chaque côté d'un large abreuvoir en béton. Au-dessus, du foin était fourni pour les chevaux séjournant plusieurs jours. Les abreuvoirs étaient sans eau, l'un était sale avec des gravats dedans, quant à l'autre, le robinet d'eau était cassé et rouillé.

 

J'en ai parlé au directeur, lui signalant que cela avait été constaté par une association allemande, lorsque des personnes avaient observé, à l'issue du déchargement d'un convoi de chevaux qu'elles avaient suivi, que les animaux n'avaient pas été abreuvés alors qu'ils avaient effectué un long parcours. Le directeur, qui ignorait le mauvais état du matériel d’abreuvement, a alors téléphoné au responsable des arrivées de chevaux et à celui de l’entretien, pour régler le problème.

Les chevaux sont généralement déchargés la nuit du vendredi à 2 heures du matin. Étaient en attente dans les stabulations : deux chevaux, un âne et un poney. Les chevaux étaient conduits par un couloir dans un piège, avec une ouverture latérale, pour sortir l'animal après étourdissement au matador. L’abattage des chevaux avait essentiellement lieu le lundi, mais également le jeudi. Les chevaux peuvent très bien séjourner une semaine en stabulation, ils reçoivent du foin pour nourriture.

 

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Vieux cheval attaché que l’on fait attendre durant une nuit devant un abattoir.
Phot Jean-Luc Daub

 

Dans cet abattoir, les bovins étaient rituellement abattus dans un box rotatif de marque FACOMIA type F4 1992 AGR 306 GB. Quant aux veaux, ils étaient égorgés dans le box rotatif des gros bovins. L’appareil a subi une modification depuis août 1997, pour adapter l'appareil aux veaux. Il n’y a à ce jour toujours pas de changement d'agrément. Cette amélioration est intervenue à la suite d'une visite des services vétérinaires il y a plusieurs mois. Auparavant tous les veaux étaient suspendus conscients avant la saignée. Lors d'un courrier des services vétérinaires pour la remise en conformité, que m'a lu le directeur, il était précisé d’une façon curieuse pour une autorité ayant compétence (même le directeur en a ri) : « La suspension des veaux est une infraction que pourrait relever la société de protection des animaux d'abattoirs ! ». Autrement dit, il était demandé au directeur de se mettre en conformité seulement parce que l’association de protection des animaux d’abattoirs pourrait s’apercevoir de l’infraction !

 

Un local équipé pour les abattages d’urgence était accessible aux camions. Les animaux ne pouvant marcher étaient sortis à l'aide d'un treuil et sont ensuite tués. Si l'un des animaux souffre beaucoup, ils l'abattent immédiatement (4 à 5 bêtes par semaine). Un jeune bovin famélique gisait mort dans la cour ; il avait été amené en abattage d'urgence par la personne qui effectue un ramassage des bêtes de réforme, mais il était mort dans le camion.

 

Pour l’Aïd-el-kébir (sacrifice du mouton par les pratiquants musulmans) : 2000 moutons ont été égorgés l’année précédente. À l'intérieur de l'abattoir, ce sont des sacrificateurs qui tuent. À l'extérieur, des parcs provisoirement aménagés sont à la disposition des particuliers qui égorgent eux-mêmes les animaux. Une partie des moutons est achetée sur place, mais pour le reste, les musulmans emmènent leurs moutons les pattes ficelées dans les coffres des voitures. Cette journée requiert de la part du directeur une organisation considérable et qui dépasse le déroulement d'une activité normale. Les musulmans viennent en voiture, ce qui crée des problèmes de circulation. Par ailleurs, des scènes d'atrocité se déroulent aux yeux de tous et font l'objet de plaintes de la part de civils à la mairie, qui se trouve en face. Le directeur ne souhaite pas organiser l'Aïd-el-kébir l'année prochaine. Il se sent seul pour cette journée, alors qu'on lui demande de faire de gros efforts et qu'on ne lui en donne pas les moyens.

L'abattoir abat en grand nombre des animaux de réforme. Un grossiste est installé dans la même ville. De nombreux animaux de réforme en provenance des marchés arrivent tous les jours suivant les achats effectués régulièrement sur les différents marchés (Arras, Nancy, Rethel, Sancoins...).

Des camions de Bretagne arrivent également à l'abattoir, chargés de bêtes de réforme. Dans les lots, on peut voir des bovins en très mauvais santé et en état de misère physiologique avancé. Pour les camions de Bretagne, il semble que des courriers ont été envoyés aux personnes concernées, grossistes, et services vétérinaires afin que des contrôles et des tris soient effectués à la source, pour éviter des souffrances qui se traduisent souvent par des agonies menant à la mort lente des vaches réformées. Pour les bêtes arrivant des différents marchés des alentours, les services vétérinaires constatent également la présence d’animaux en état de misère physiologique avancé, d’animaux qui n'ont pas été abreuvés depuis plusieurs jours, d’animaux qui souffrent de leurs blessures.

 

De nombreuses saisies partielles, totales et sur pied sont effectuées. Les services vétérinaires de l'abattoir s'insurgent, ils ont écrit à leur direction, en donnant les adresses des éleveurs qui méritaient d'être poursuivis, car outre les mauvais soins que font endurer les intermédiaires des fermes aux abattoirs, beaucoup d'animaux présentent des pathologies dues à une absence de soins. Les animaux sont délaissés plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Pour autant, les procès-verbaux sont rarement dressés. L'absence de contrôle des services vétérinaires et de répression sur les marchés aux bestiaux, favorisent le non-respect des règles de protection animale dans les fermes, sur les marchés, dans les transports, et pendant les séjours entre les intervenants avant l'abattoir.

 

Cet abattoir se sent montré du doigt en raison des bovins de réforme qui y sont abattus. Pourtant, c’est le type d’activité qu’ils avaient choisi de pratiquer. De grandes marques de viande viennent s’y approvisionner, et les grossistes en boucheries hallal également. Au déchargement, des bovins tombent d'épuisement sur le quai. Pas question de prendre la pile électrique, me dit le directeur, nous avons un bouvier qui s'en occupe. Il prend un seau d'eau, fait boire l'animal et au bout d'une demi-heure, celui-ci se relève. Ce qui prouve bien que les animaux ne sont pas abreuvés sur les marchés, dans les centres de rassemblement, et pendant les transports.

Des bovins sont abattus au pistolet Matador dans les camions et saisis sur patte, tant ils sont en état de dégradation et de souffrance extrêmes ; ils sont emmenés par des chevillards en abattage d'urgence et toujours au dernier moment. Par contre, ce matin, une flaque de sang teintait le sol des stabulations des chevaux. Je me suis renseigné, on m'a dit qu'un bovin qui ne pouvait plus marcher au sortir d'un camion avait été tiré au treuil, le plus près possible du poste d'abattage et a été ensuite tué dans les stabulations des chevaux. Il faut savoir qu'un treuil a été installé pour tirer les bêtes de réforme qui se trouvent dans le couloir d'amenée et qui tombent d'épuisement.

 

Le directeur me dit que, normalement, ils auraient dû partir du quai, étourdir la bête au Matador et ensuite la tirer avec le treuil vers le poste d'abattage. C'est d'ailleurs plus logique et plus facile, et c'est ce qu'il souhaite, a-t-il ajouté. Mais, le vétérinaire n'aime pas cette façon de procéder en raison des problèmes d'hygiène que cela pourrait poser ! En fait, le technicien vétérinaire m'a dit qu'ils ont procédé ainsi ce matin, étant donné que l'animal « est plus maniable vivant que mort » ! Il faut dire également que de nombreuses personnes téléphonent à l'abattoir et à la mairie, en traitant d'assassins et de bourreaux le personnel de l'abattoir, qui abat les bêtes sur le quai. Il faut savoir que le centre de tri postal se trouve juste en face. Ces personnes sensibles qui se trouvent là ne savent pas faire la différence entre le fait d’abréger les souffrances d'une vache sur le quai de déchargement et l’horreur d’une mise à mort standard qui se dissimule derrière les murs de l'abattoir.

 

Le directeur est très embêté par ce problème. Il aimerait très sincèrement ne plus recevoir d'animaux qui mériteraient d'être abattus par un vétérinaire, soit à la ferme soit sur le marché.

 

Il est à signaler qu'un bouvier qui s’était montré extrêmement brutal avec les animaux avait été dénoncé par des personnes extérieures. Il a été réprimandé et changé de poste.

 

 

 

 

dimanche, 11 novembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Des hurlements de porcs

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

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Des hurlements de porcs

 

Dans un abattoir de Bourgogne, l’étourdissement des porcs s’effectuait en pleine infraction, et sans que quiconque soit inquiété par les autorités compétentes présentes dans l’abattoir. À mon arrivée, j'assistai à l'étourdissement des porcs. Ceux-ci étaient conduits hors des stabulations par un large chemin d'amenée qui traversait la cour vers le local d'étourdissement. Ils y étaient entassés par dizaine et étourdis, sans piège d'immobilisation, à l’aide d’une pince électrique utilisée manuellement. Les porcs étaient étourdis et suspendus par la même personne, cependant, elle les étourdissait deux par deux (ce qui est interdit). Lorsque le premier s'effondrait, l’employé en étourdissait un autre dans le lot mis en place dans la case d’abattage. L'employé se saisissait d'un crochet pour enchaîner l'un des deux cochons afin de le suspendre, mais il avait beaucoup de mal, car la panique s’emparait des autres qui piétinaient ceux qui venaient d’être étourdis et qui gisaient sur le sol. Il fallait tenter de les dégager pour faire de la place. L'agitation était telle que l'employé devait s'équiper de protège-tibias. Non seulement la procédure était incorrecte, mais en plus l’employé perdait du temps en ne se pressant pas et en discutant avec d’autres employés. De façon générale, il s'écoulait trop de temps entre l'électronarcose et la saignée, alors que cela doit être réalisé le plus tôt possible et avant que l’animal ne reprenne conscience. Plusieurs cochons se réveillaient pendant la saignée : en effet, lorsque j’effectuais le test occulopalpébral, certains cochons clignaient des yeux et suivaient mon doigt du regard. L’étourdissement n’avait servi à rien.

 

Les vétérinaires et les techniciens vétérinaires travaillant dans l'enceinte de l'abattoir semblaient ne pas s’en préoccuper. Le responsable m'a même demandé ce que je pensais de l'abattage des porcs. Je lui avais répondu que l'électronarcose était insuffisante, qu'il fallait étourdir les porcs un par un et les saigner immédiatement. Mais l'activité s'est poursuivie de la même façon jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de porcs.

 

L'abattage des porcelets se déroulait d’une façon identique. Étourdies deux par deux, les petites bêtes donnaient l'impression d'agoniser au sol tant elles s’agitaient. L'employé, muni de sa pince électrique devait leur courir après et pratiquement leur sauter dessus pour pouvoir les étourdir. Affolés, les porcelets couraient partout, parfois jusque dans le local d'à côté. Une fois suspendus, ils s'agitaient énormément et, même saignés, bougeaient encore. Certains tombaient en se décrochant, se vidaient de leur sang dans le bac de récupération du sang ou directement sur le sol.

 

L'étourdissement des porcs et des porcelets était extrêmement critiquable. Il n’était pas difficile, pour les services vétérinaires, de faire procéder à un étourdissement individuel, suivi de la saignée, en prenant les porcs un par un. Pour l'abattage rituel des veaux et ovins, les animaux étaient suspendus vivants avant la saignée. Le responsable de l’abattoir m'avait dit que la direction des services vétérinaires le savait, qu’elle était au courant et qu'elle n'avait jamais rien dit, alors pourquoi devrait-il faire autrement ?

 

Dans un petit abattoir de Bretagne, je suis rentré par ce qui me semblait être une remise ou un vestiaire où étaient entreposés des caisses, du matériel, des affaires de bureau, des papiers. C'était humide. On s'échangeait du poisson et on ouvrait une bouteille de cidre. Mais en fait, je crois qu’il s’agissait des bureaux. Dans la salle d'abattage, ce n'était pas mieux. On pouvait y circuler en habit civil. C'était d'une grande insalubrité : du papier brûlé, du matériel sale était entreposé, des lattes de bois... Je ne sais pas si cet abattoir est encore en fonction, mais des bâtiments en construction étaient visiblement destinés à une mise en conformité.

 

L’abattage des porcs était à la hauteur des lieux, c’est-à-dire plus que catastrophique. À mon arrivée, je vis dans la porcherie un porc blessé à l'arrière-train. Il était en position assise et avait perdu beaucoup de sang. J’assistais à l’abattage de cinq porcs. Deux employés ont rentré trois cochons dans un petit local. L'un a présenté la pince d'étourdissement sur la tête d'un cochon. La bête hurlait de douleur pendant l'électronarcose, car l'intensité du courant n'était pas assez forte pour effectuer un électrochoc. L’application de la pince durait longtemps. Voyant le cochon souffrir, j'ai crié pour que les employés arrêtent d’appliquer la pince inefficace. L'un d'entre eux est alors allé chercher un tuyau pour arroser d'eau les cochons. On a repris la pince pour continuer l'anesthésie de celui qui avait été assommé par les chocs électriques, mais encore tout à fait conscient et souffrant.

 

Cela allait un peu mieux, l’eau permettant une meilleure transmission du courant. Toutefois, l’électronarcose était inefficace, les cochons hurlaient et s'agitaient sous les décharges électriques. Suspendus par une patte arrière pour être ensuite saignés, ils n’étaient pas vraiment étourdis, leurs yeux étaient grands ouverts, regardant ce qui se passait autour d’eux, voyant le tueur s’approcher avec son couteau, et pratiquer la saignée. Le test occulopalpébral confirmait que les animaux étaient encore conscients.

 

Un employé est ensuite allé chercher celui qui était blessé, en le traînant par les deux pattes de devant. L'étourdissement de ce dernier fut effectué dans les mêmes conditions.

 

Dans un autre petit abattoir de Bretagne, l’abattage des porcs était également plus que critiquable. En raison de travaux, la porte d'accès au poste d'étourdissement était condamnée. Les employés faisaient entrer les porcs par l'intérieur, c'est-à-dire qu'ils traversaient la salle de dépouillage. Avec des planches et des palettes, on avait obstrué les endroits où les bêtes ne devaient pas aller. Toutefois elles passaient entre les carcasses, allaient se coincer sous le bac d'eau chaude et sautaient dans le bac d'égouttement du sang. Les employés avaient beaucoup de difficulté à mener les cochons jusqu’au poste d'étourdissement. Cinq petits cochons avaient été conduits dans l'étroit local d'étourdissement et de saignée. Quatre d'entre eux ont été tués. Le cinquième, un cochon appartenant à un particulier, était resté dans le local sans être abattu pendant une heure. Celui-ci avait

assisté aux abattages de ses congénères et s'était réfugié dans un coin du local. Il tremblait de tout son corps, sans oser bouger tellement il avait peur. J’en garde une image assez triste, tellement on pouvait lire la peur dans l’attitude de repli de cet animal. J’ai envie de dire ici : « Mais comment peut-on faire cela ? »

 

Dans l'étroit local, les employés avaient fait rentrer dix cochons alors que pour travailler dans de bonnes conditions cinq aurait été un grand maximum. Un employé s'était muni d’une pince électrique dont je n’avais jamais vu le modèle, mais qui datait de Mathusalem. Une longue barre en fer avec au bout des cosses en laiton fixées sur un support métallique en V. L'intensité de la pince était très faible, on me l'a confirmé en me disant que l'on pouvait la toucher avec les mains sans rien risquer. Aucun numéro d’agrément n'y figurait, pas même le type et la marque de la pince. Lorsque le responsable se servait de la pince pour étourdir les animaux, il tentait d'immobiliser les porcs dans un coin et plaçait celle-ci convenablement, mais malgré cela les bêtes restaient insuffisamment étourdies. Par contre, l'employé, lui, plaçait la pince n'importe comment, dans la gueule, sur le côté ou sur le groin. De plus, les cochons affolés montaient les uns sur les autres, au point que parfois celui qui subissait l'électronarcose se sauvait. Ce qui faisait que l’employé ne savait plus sur lequel il avait commencé l’étourdissement. Les cochons recouvraient complètement celui dont l'employé était en train d'effectuer l'étourdissement, si bien qu'il ne voyait pas ce qu'il faisait au risque d'électrocuter les autres et de faire n'importe quoi avec la pince. L'électronarcose durait de quarante secondes à plus d'une minute. Les porcs étaient mal étourdis, et subissaient des douleurs dues aux décharges électriques. Ils reprenaient connaissance dés la suspension et étaient conscients pendant la saignée. J'ai effectué le test occulopalpébral qui confirmait l’inefficacité de l’étourdissement.

 

Les abattages des porcs étaient effectués dans de mauvaises conditions. Je m’étais rendu compte de la médiocrité des tueries ; les employés en furent irrités et m'invitèrent à le faire moi-même pour me rendre compte de la difficulté. Je mis en avant le fait que cela n'était pas mon travail et de toute façon avec une pince aussi inefficace ce n'était même pas la peine d'y penser.

 

 

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Cochons morts pendant le transport et déchargés à l’abattoir.
Phot Jean-Luc Daub

 

 

 

 

 

dimanche, 04 novembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Dernier sursaut d’un veau

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

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Dernier sursaut d’un veau

 

Dans un abattoir de Bretagne qui abattait des veaux provenant d’élevages en batterie (élevés les uns à côté des autres dans des cases en bois si étroites qu’ils ne pouvaient pas se retourner et étaient condamnés à garder toujours la même position), j’assistais aux égorgements de l’abattage rituel juif. Les veaux empruntaient un chemin d’amenée bien aménagé qui montait progressivement vers un piège de contention mécanique. Ce piège était fixe, en forme de case, il était en inox et en plastique blanc. Les veaux étaient saignés debout. Tandis qu’une mentonnière relevait la tête des veaux, le sacrificateur juif les saignait en passant son couteau par-dessous la gorge. Il était équipé d’un couteau extrêmement tranchant. Entre les saignées, il passait son temps à l’entretien du couteau. Le piège de contention debout était moins stressant pour les veaux. Néanmoins après la saignée, on pouvait se rendre compte de la façon et de la durée que mettaient les veaux à mourir en se débattant, après l’égorgement, de toutes leurs forces.

 

Durant la journée réservée à l’abattage rituel, c’est avec dégoût que l’ensemble du personnel travaillait. Selon ses dires : « Cela s’apparente à un massacre ». Tels sont les propos tenus par des bouchers professionnels. Ils me disaient ne pas comprendre pourquoi cette forme d’abattage est encore autorisée. Ils préféraient, de loin, l’utilisation d’un procédé d’étourdissement avant la saignée, car selon leurs expériences cela fait moins souffrir les animaux.

 

Après avoir été saigné par le sacrificateur, et alors que la porte latérale du piège avait été ouverte trop tôt, un des veaux s’est relevé alors qu’il agonisait et s’est mis à courir en direction de la chaîne d’abattage où les employés étaient postés. Il a fallu lui sauter dessus pour l’intercepter. La bête fut ramenée devant le piège pour y être suspendue par une patte, alors même qu’elle n’était pas encore morte. Le veau avait été suffisamment égorgé, mais avant de perdre suffisamment de sang pour s’évanouir, il avait trouvé la force de tenter d’échapper à sa situation en voyant la porte du piège ouverte. Cela prouve qu’une bête saignée sans étourdissement ne meurt pas tout de suite. Les autres veaux se débattaient aussi beaucoup dans le piège après l’égorgement. Étant prisonniers du piège, ils donnaient des coups de pattes contre les parois.

 

Le plus consternant était l’attitude du sacrificateur, car lorsque le veau sortit du piège en courant, il ne bougea pas d’un pouce, ne manifesta aucune émotion, n’eut pas même le réflexe d’attraper le veau. Impassible, indifférent, il a continué à s’occuper de son couteau, à l’affûter, alors que le veau passait devant lui. La responsable et les employés étaient dégoûtés. L’activité rituelle représentait 25% de l’activité de cet abattoir sur les 62 400 veaux abattus l’année précédente.

 

 

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Égorgement rituel d’un mouton, suspendu par une patte.
Phot Jean-Luc Daub

 

dimanche, 28 octobre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Les poussins refusés

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Les poussins refusés

 

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Poussins et œufs non encore éclos jetés dans une benne d’un couvoir.
Phot Jean-Luc Daub

 

Il existe une autre situation dramatique, c’est celle des poussins refusés. Cette situation n’a rien à voir avec les abattoirs directement, elle concerne les couvoirs de poussins. Il s’agit de poussins d’un jour qui font l’objet d’une destruction massive. Dans un couvoir, par exemple lorsque 800 000 poussins naissent par semaine, il y en a 400 000 qui sont jetés, parce que non conformes. Si l’on fait naître des futures poules pondeuses, la moitié des poussins seront des mâles qui ne seront pas gardés. Les poussins estropiés, les naissances tardives, les œufs non éclos, les « non conformes » sont également jetés. Pendant longtemps, ces poussins refusés étaient simplement jetés vivants dans des bennes avec les coquilles vides. Dans un abattoir, en l’an 2000, un chauffeur m’avouait chercher des bennes dans un grand couvoir rempli de poussins vivants en partance pour l’équarrissage. Ce qui est interdit, car aucun animal vivant ne peut entrer dans un centre d’équarrissage. J’ai fait une enquête auprès du couvoir en question qui refusa de me laisser visiter les lieux. Le directeur m’indiqua que les poussins refusés passaient dans le système d’aspiration sur lequel trois coudes avaient été installés, censés tuer les poussins au passage.

 

Dans d’autres couvoirs, les poussins sont jetés dans des poubelles qu’on entasse l’une sur l’autre afin de les faire mourir par écrasement. Dans d’autres encore, les poussins sont enfermés dans des sacs où ils meurent d’étouffement. Il existe des établissements où l’on tue les poussins en les mettant dans des caissons sous vide d’air dans lesquels on injecte parfois du gaz carbonique. D’autres possèdent des broyeurs qui, comme leur nom l’indique, broient les poussins. D’autres encore possèdent des rouleaux écraseurs : les poussins passent entre deux cylindres qui les écrasent et leur assurent la mort. Dans tous les cas, bien qu’atroces, la loi exige un appareil qui correspond à « un dispositif mécanique entraînant une mort rapide », conformément aux dispositions de l’article 7 de l’arrêté du 12 décembre 1997. Donc, le broyeur et les rouleaux écraseur. Pour que leur mort soit la plus douce possible, la méthode du caisson avec injonction de CO² serait préférable pour ces millions de poussins dont se débarrassent les couvoirs.

 

 

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Élevage industriel de poules pondeuses (Code 3 sur les œufs)
Phot Jean-Luc Daub

 

 

 

dimanche, 21 octobre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Une petite vache dans le box rotatif

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Une petite vache dans le box rotatif

 

Je me souviens tout particulièrement d’un abattoir qui était classé « lanterne rouge » parmi les abattoirs, et juste en face duquel se trouvait le siège de la Direction des Services Vétérinaires. Arrivé vers 5 heures du matin, je me suis présenté à un responsable. Cette personne n’avait pas de temps à me consacrer et m’a laissé visiter les lieux seul. Je me suis équipé de ma blouse, mes bottes et mon casque et me je suis dirigé vers la porcherie. Il faisait un froid glacial ce jour-là. Des cris d’animaux s’échappaient des postes d’abattage. Une intense activité régnait.

 

Dans la porcherie, les porcs se comptaient par centaines. Ils attendaient leur tour avant la mise à mort. Le mélange des lots ne provenant pas du même élevage faisait que les porcs, déjà stressés par le changement d’environnement et par le transport, s’agressaient mutuellement en se mordant les uns les autres.

 

Un employé est venu chercher un groupe de cochons. Ces derniers ne voulaient pas avancer dans l’étroit couloir qui menait au poste d’abattage. L’employé les frappait sans ménagement à l’aide d’un bâton. Il les faisait entrer un par un dans un Restrainer où ils étaient étourdis en recevant un choc électrique entre les oreilles. Les cochons étaient ensuite expulsés sur une table, un employé les suspendait par une patte arrière et effectuait une saignée sous la gorge, en principe avant que l’animal ne se réveille.

 

Les cochons qui ne voulaient pas entrer dans le tunnel étaient poussés au moyen d’un fil électrique qui leur envoyait des décharges. Les animaux hurlants entraient de force dans le tunnel. Certains étaient mal étourdis et c’est en pleine conscience qu’ils étaient suspendus et saignés.

 

L’abattage rituel musulman était pratiqué dans le local d’abattage des bovins. L’employé avait fait rentrer une vache de petite taille dans le box rotatif. Il a fait basculer le box, mais la vache, petite, se plaça mal à l’intérieur. Il fit alors plusieurs mouvements de rotation. L’animal étant toujours mal positionné, l’employé laissa le box en position tête en bas. La tête était de travers. L’employé, alors, prit un bâton qu’il enfonça dans la gueule de la vache pour tenter par des mouvements de mettre la tête en position droite. N’y parvenant pas, il décida alors, d’enfoncer ses doigts dans les cavités orbitales des yeux de l’animal. C’est ainsi qu’il parvint à tourner la tête. Étant sacrificateur, il égorgea ensuite la vache en pleine conscience. Des employés m’ont dit que ce n’était pas la première fois qu’il s’y prenait de la sorte vu que le box rotatif était inadapté, et que personne ne lui disait rien.

 

Ce même jour, une vache était couchée, attachée dans un passage à l’extérieur. Avec un petit tractopelle, les employés voulurent la traîner sur le sol jusqu’au local d’abattage d’urgence. Ils avaient déjà attaché une patte arrière de l’animal avec une chaîne et étaient prêts à la tirer avec leur petit tracteur. Je me suis interposé. J’ai pu obtenir son abattage sur place, là où elle se trouvait immobile. Il a fallu que je négocie avec le vétérinaire pour empêcher la manœuvre qui allait être exécutée.

 

Avant de quitter l’abattoir, je m’assurai de l’état des porcs qui se trouvaient dans la porcherie pour y être abattus le lendemain. Je fis l’étrange découverte de voir deux animaux dans une caisse. Un petit cochon au regard triste, qui était blessé, avait été déposé dans un chariot roulant. Une truie avait été mise dans une caisse roulante assez étroite puisqu’elle n’avait que la place de s’asseoir. C’est dans cette position qu’elle se trouvait. Les abattages sur la chaîne des porcs étaient terminés, et les locaux, le Restrainer, le matériel avaient été nettoyés. Autant vous dire que j’ai vu rouge ! Je suis allé trouver le vétérinaire inspecteur pour lui montrer les deux animaux qui n’avaient pas été pris en charge et qui devaient vivre une nuit supplémentaire, péniblement, dans l’abattoir. Le vétérinaire, dont les compétences étaient larges, mais qui se limitait à l’inspection des carcasses de viande avait bien compris mon mécontentement. Il est alors parti rechercher les employés dans les vestiaires. Il les a obligés à remettre toute la chaîne d’abattage des porcs en route pour mettre fin à la vie de ces deux animaux. Les employés n’étaient pas très contents et me jetaient des regards haineux. Ils rétorquèrent au vétérinaire, qui ne semblait pas être au courant : « Mais, on fait toujours comme cela… ». L’inspecteur vétérinaire mandaté par les services vétérinaires répliqua : « Ah, je comprends maintenant pourquoi je retrouve tant de cadavres de porcs le matin lorsque j’arrive ! ».

 

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Vache n’en pouvant plus d’être prisonnière dans un camion au plafond très bas.
Phot Jean-Luc Daub

 

 

 

dimanche, 14 octobre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Marie

 

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Bovins qui cherchent de l’air à travers la lucarne d’un camion.
Phot Jean-Luc Daub

 

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Marie

 

 Marie était une vieille femme de bonne santé, à la chevelure grise et longue. Elle portait les cheveux lâchés. Son visage buriné par le temps et ses mains trahissaient un intense travail de la terre.

Marie a toujours été agricultrice. Dès sa plus tendre enfance, elle travailla avec ses parents, et poursuivit cette activité jusqu’à aujourd’hui, à l’âge d’une retraite bien méritée. Marie ne savait pas s’arrêter, c’était le temps qui tentait de l’arrêter, en dressant devant elle maints obstacles, toujours plus difficiles à surmonter. Mais cette dame, âgée aujourd’hui de 94 années, ne se démontait pas et survivait malgré ses vieux os en continuant à travailler la terre et à s’occuper de ses bêtes. Au moment où je l’ai connue, elle possédait six vaches, quelques chiens et de nombreux chats qui se reproduisaient sauvagement. Elle vivait entourée d’animaux, de chiens affectueux, et de chats à moitié sauvages qui la considéraient comme la chef de meute. Marie était veuve. Elle habitait seule en centre Bretagne, dans un lieu-dit où il y a peu d’habitants. Elle ne faisait plus ses courses elle-même. Une jeune femme dévouée et possédant un véhicule les faisait pour elle. Marie habitait à cinq kilomètres du bourg, elle ne possédait pas de voiture, elle n’avait d’ailleurs pas le permis et, à son âge, elle ne pouvait plus s’y rendre à pied. Son mari agriculteur n’avait pas connu la mutation moderne de l’agriculture. Il est mort il y a maintenant trente ans. Cependant elle pensait le voir encore, et notamment lorsqu’il revenait accompagné des gendarmes qui le recueillaient parfois sur la route en état d’ébriété. Marie me disait que les « gens d’arme » le ramenaient souvent à la maison, car il avait la fâcheuse habitude d’aller au bourg pour se livrer à la consommation d’alcool dans un bar fréquenté. Marie se soignait avec des remèdes à elle, des plantes. Elle n’avait pas la télévision, mais elle n’avait pas non plus l’électricité. Pourtant, elle possédait un frigidaire pour y ranger sa nourriture, et après tout, un frigidaire même sans électricité, cela sert à ça !

Marie cuisinait, elle préparait des pommes de terre de son jardin, de la soupe et des omelettes grâce aux œufs pondus par les quelques poules qui vivaient comme elle, dans un lieu dégradé par l’œuvre du temps et les éléments du ciel. Notre gentille dame ne se servait pas d’une cuisinière ou d’un four pour la cuisson de sa nourriture. Lorsqu’elle m’invita dans une sorte de pièce à vivre, je fus surpris de voir une marmite bouillonnante léchée par les flammes d’un feu de cheminée. Du bois de chauffage était éparpillé sur le sol. Il ne faut pas s’imaginer de belles bûches bien rangées, il s’agissait de morceaux de troncs d’arbres pourris, de branchages. Le sol de cette pièce, qui était la cuisine, était composé de terre battue, comme dans l’ancien temps. Le sol était creusé par le va-et-vient incessant de toute une longue vie. Un tas de détritus s’amoncelait sur une table, (des assiettes, des bols, de la nourriture avariée, des journaux pourris…). Sa cuisine était un peu insalubre, pour nous autres qui vivons en appartement ou possédons une maison bien ordonnée. Des monticules de vêtements déchirés, salis par les animaux traînaient dans la boue, laissés çà et là. Tant d’objets encombrants occupaient la pièce qu’il n’y avait plus de place, juste une chaise pour s’asseoir devant… la télévision j’allais dire, non, la cheminée ouverte. Sur les murs, il n’y avait plus de fenêtres, et il n’y avait pas de porte non plus. La cuisine donnait directement sur l’extérieur et la pluie se donnait un malin plaisir à s’y engouffrer. Par mauvais temps, l’eau s’écoulait du plafond dans les parties habitables. C’était pareil pour sa chambre, qui se trouvait de l’autre côté du bâti avec l’étable des vaches, l’eau s’y infiltrait sans complexe. Des tas d’objets encombrants et des vêtements usagés traînaient partout, tout était livré à l’abandon.

Sa maison, faite de plain-pied, était devenue vétuste. Le toit n’était plus étanche, des murs s’écroulaient. Oh… Marie a bien voulu faire refaire sa cuisine avec l’aide d’un homme bricoleur de confiance, qu’elle paya malheureusement d’avance. Profitant de la vulnérabilité de Marie, cet homme qui s’avéra sans scrupule disparut sans faire les travaux.

Marie était gentille et accueillante. Pourtant, j’étais venu pour un problème de protection animale. Lorsque j’arrivai sur la propriété, je dus me glisser sous les fils barbelés qui clôturaient l’espace des animaux, qui était aussi le sien, pour tenter de la trouver. Après avoir fait le tour des lieux, je compris vite que j’avais affaire à une situation sociale critique. Au loin, dans un champ labouré, je vis une silhouette qui déambulait entre de vastes et profonds sillons de terre. C’était Marie. On m’avait parlé d’une femme de 80 ans, je ne pensais pas la voir traverser un champ retourné, suivie d’une meute de chiens. Elle avait une chevelure longue et décoiffée, une démarche chaotique, des jambes arquées, un pantalon dans les bottes et un gros pull.

Tout cela ne me permettait pas de porter mon regard sur l’apparence d’une personne classique, ni même sur une dame d’un certain âge. Bien des personnes âgées se déplacent difficilement, alors que Marie marchait sans peine dans les crevasses. Elle vint vers moi. On m’avait dit qu’elle avait un fusil, mais je n’ai rien vu de cela. Je me suis présenté, elle était ravie de ma présence, je pense qu’elle n’avait pas compris que je venais pour voir l’état de ses animaux. Je suis allé voir avec elle les animaux. Aucun ne semblait souffrir. Par contre une génisse me suivait et se collait à moi. Marie me dit alors qu’elle se comportait comme cela parce qu’elle était amoureuse de moi.

Marie me proposa un café que j’acceptai. Nous allâmes dans sa cuisine. Elle prépara le café dans une casserole noire de crasse, puis elle nettoya devant moi les tasses avec l’eau de la gamelle des chiens. Que pouvais-je faire ? Me sauver en courant ? Non, j’avais décidé de lui tenir compagnie en buvant le café de l’amitié. Nous nous sommes installés dehors sur deux chaises devant la maison, les tasses étaient posées sur une cuisinière toute rouillée qui ne servait à rien, sinon à remplacer une vraie table. J’ai quitté cette dame avant la tombée de la nuit en lui promettant de revenir. Ce que je fis. Un été, je suis revenu avec un ami. Nous lui avons coupé du bois pour sa cheminée, et nous avons un peu rangé. Mon ami refusa de boire un café, trop sale à son goût. Il faut dire que lorsqu’elle sortit du pain, un asticot y faisait sa vie. Mon ami, un vaillant jeune homme, osait à peine s’asseoir sur la chaise proposée par Marie. Il s’y tenait en équilibre en y posant le bout de ses fesses, prenant appui sur ses jambes. Quant à moi, je n’avais de telles réserves. Marie ne semblait pas malade, pourquoi l’aurait-elle été ?

Marie était généreuse, elle voulut nous récompenser. Avec sa bêche, elle sortit du sol des pommes de terre qu’elle nous donna. Puis, elle me dit : « Un homme, il faut que ça mange, je vais vous faire des œufs », et là j’ai dit non, en prétextant que ce serait pour une autre fois. Nous ne savions pas trop si les œufs étaient frais. Mais Marie ne voulait pas nous laisser partir, elle ne recevait pas beaucoup de visite.

J’ai connu Marie parce qu’une plainte avait été déposée à l’association, concernant ses vaches qui auraient été victimes de maltraitance. Je n’ai rien vu d’anormal. J’ai rencontré Marie parce que quelqu’un lui voulait du mal, quelqu’un qui avait entendu quelqu’un, qui avait dit à quelqu’un d’autre que les vaches étaient maltraitées ! Je lui avais pourtant dit, à Marie, que je venais pour ça, mais je crois qu’elle ne comprit pas bien, car elle m’accueillit à bras ouverts. Elle était une voisine dérangeante parce qu’atypique. C’est vrai, ses vaches divaguaient parfois, ses chiens aussi, de plus ils aboyaient, elle avait aussi une multitude de chats. Des gens convoitaient son terrain. Une voisine n’était pas contente parce qu’une génisse s’était retrouvée sur sa belle pelouse. Les chiens qui posaient des problèmes allaient être euthanasiés. Un marchand de bestiaux lui faisait du chantage en tentant de la voler. Il voulait acheter son taureau pour une bouchée de pain, et il menaçait de venir le lui prendre de force. Les gendarmes s’étaient déplacés plusieurs fois. Un agriculteur lui avait vendu du foin, mais il était de très mauvaise qualité. Que de gens malhonnêtes gravitaient autour d’elle !

Par la suite, j’ai pris contact avec l’assistante sociale de la MSA (Mutuelle Sociale Agricole) pour voir ce qui pouvait être fait pour ne pas laisser à l’abandon cette vieille dame, qui vivait hors du temps et de tout lien social. J’ai également contacté la mairie du bourg. Marie aurait refusé les services d’une aide ménagère, ainsi que la vente au marché à bestiaux de ses bovins, car elle avait peur de ne pas recevoir le « bon prix ». Marie était devenue méfiante à l’égard de tout le monde.

Quelques années ont passé sans que j’aie eu le temps de la revoir ou de m’occuper d’elle. Habitant en Alsace, et ayant d’autres occupations, j’ai laissé les voisins et les professionnels de son secteur s’occuper d’elle. J’ai repris contact avec une dame qui se consacrait un peu à elle. J’ai donc pu avoir des nouvelles et connaître l’évolution de sa situation. Aujourd’hui Marie est dans une maison de retraite, elle ne peut plus marcher, elle vit en fauteuil roulant. Elle a 94 ans. Sa situation s’était dégradée dans la propriété où elle vivait. Le maire de la commune et l’assistante sociale de la MSA n’auraient rien fait pour l’aider. Un homme, dont je ne connais pas l’identité, appela un jour le médecin du bourg. Il se préoccupait de l’état de santé de Marie. Elle ne s’alimentait plus, et ne pesait plus que trente kilos. Elle était mourante selon le médecin.

De plus, elle avait perdu la tête, et c’est en psychiatrie qu’elle fut orientée de force pour y être soignée. Avant de s’en sortir, et bien qu’étant d’une certaine manière placée dans un cadre sécurisant, Marie a connu l’enfer car sa prise en charge psychiatrique dura trois ans : trois années d’enfermement, pour elle qui a toujours vécu en toute liberté, et constamment à l’extérieur. Il a fallu la maintenir en service fermé, car elle n’avait qu’une idée en tête : quitter l’hôpital et retourner chez elle. Souvent, avec ses affaires sous le bras, elle prenait la direction de la sortie. Mais les portes étaient closes. Lors de son hospitalisation, il lui restait quatre vaches qui ont été vendues. Une dame de la SPA la plus proche, Loudéac, réussit à placer seize chiens. D’autres sont partis vers la SPA de Saint-Brieuc, deux se seraient échappés de cette SPA et trois ont dû être « piqués », parce qu’ils n’étaient pas « adoptables » m’a-t-on dit. Il y avait une trentaine de chats, dont la plupart ont été tués à coup de fusil. Un voisin excédé aurait même crevé l’œil d’une vache à coup de fourche. Sa maison et sa propriété ont été vendues à des Anglais.

La dame qui m’a gentiment renseigné lui rend visite régulièrement en lui apportant du chocolat et des gâteaux. Il semblerait que Marie évoque les visites que je lui faisais, elle se souviendrait de moi. Cette dame m’a prié de venir voir Marie à la maison de retraite, lors de mon prochain séjour en Bretagne. Sur son lit de chambre, là-bas, elle a un chien en peluche comme animal de compagnie.

 

 

 

dimanche, 07 octobre 2012

Ces bêtes qu’on abat : La fin des coches à l’abattoir

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


La fin des coches à l’abattoir

 

Dans les abattoirs, je pouvais voir des coches regroupées dans des cases d’accueil, présentant des abcès, des escarres, des cachexies, des tétraplégies, des boiteries, des prolapsus1, retournement de matrice… Bref, des animaux en souffrance qui auraient dû faire l’objet de soins vétérinaires, voire d’une euthanasie en élevage. Mais selon les dires d’un éleveur, les soins vétérinaires reviennent plus chers que le prix de l’animal lui-même. Le calcul est donc vite fait. Il arrivait souvent qu’un éleveur envoie à l’abattoir une coche douteuse, tout en sachant qu’elle ferait l’objet d’une saisie, mais cela permet de s’en débarrasser : l’abattoir s’occupe de la mise à l’équarrissage si une euthanasie est faite.

 

Traces de blessures sur tout le corps de cette pauvre truie qui ne peut pas marcher.
Phot Jean-Luc Daub

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En 1997, j’avais déjà soulevé le problème de la prise en charge des coches blessées. Dans un abattoir des Pays de la Loire, un vétérinaire souhaitait mener des actions conjointes avec l’association pour laquelle je travaillais. Mais les dirigeants de l’association n’ont jamais donné suite à la demande du vétérinaire soucieux d’enrayer la maltraitance que subissaient les coches. Le dossier était trop lourd, et puis nous aurions dérangé le Ministère de l’Agriculture, les services vétérinaires et les professionnels de la filière porcine. Le Ministère de l’agriculture, la Direction Générale de l’Alimentation plus précisément, qui avait été informée de ce dossier à la suite de mes enquêtes, n’avait pas donné suite, ni en 1997, ni en 1998, ni en 2001, ni en 2002 et ni en 2003. Pourtant, c’était un gros problème que bien des responsables d’abattoir auraient aimé voir résolu par une action radicale de la part du ministère.

 

L'origine du problème, outre les conditions d’élevage, vient du fait que rien n'est prévu en élevage industriel quand une coche se démarque du lot en ne pouvant plus se tenir debout ou en étant blessée. On ne fait toujours pas venir un vétérinaire. Une inertie de la part des éleveurs est constatée. « On ne fait pas appel au vétérinaire. Trop cher ! On tente parfois de soigner soi-même, et il pouvait y avoir trente à soixante injections sur le même animal », me disait le vétérinaire inspecteur, écœuré des pratiques et du laxisme. La pratique voulait que l’éleveur tente de soigner lui-même la truie malade ou blessée en jouant aux apprentis sorciers. En cas d’échec, il laissait l’état de l’animal se dégrader jusqu’à l’agonie lente pour le faire partir avec un lot. Il faut également savoir qu'aucun contrôle des services vétérinaires n'est prévu dans les élevages intensifs en matière de protection animale. Seules des visites sur les installations classées sont effectuées. « On nous demande de ne pas intervenir, il y a des pressions », m'indiquait le vétérinaire.

 

Les responsables d’abattoirs se seraient bien passés de ces animaux qui souillent les chaînes d’abattage, me confia l’un d’entre eux. Les transporteurs ont beaucoup de mal à charger ces coches qu’ils vont chercher dans les élevages durant la nuit. Elles peuvent peser jusqu’à 250 kilos, voire 300 kilos. Il faut s’imaginer que si l’une d’entre d’elles s’écroule sur le lieu d’élevage dans sa misérable cage métallique, c’est parce qu’elle est arrivée au bout de ce qu’elle pouvait supporter, parce qu’elle n’en peut plus d’être sans cesse inséminée artificiellement et sans cesse, qu’elle devient encombrante et ne répond plus à une prise en charge classique. Tout est mis en œuvre pour, coûte que coûte, charger dans le camion cette coche incapable de marcher. Un chauffeur se plaignait d'être seul pour charger les bêtes. Il commençait sa tournée à une heure du matin. Lorsque des coches blessées étaient mises en évidence afin d’être chargées, il faisait face à d'énormes difficultés pour les emmener. Soit elles étaient chargées à l'aide d'un treuil, soit elles étaient tirées par les oreilles ou par les pattes. Son patron lui demandait de ne pas les emmener, mais les éleveurs insistaient. Cette pression est toujours d’actualité, puisque dans le dernier abattoir de coches que j’ai visité, le directeur m’a dit que les éleveurs obligent les transporteurs à prendre celles qui sont pourtant déclarées inaptes au transport en raison de leur état de santé. De même, le directeur d’un abattoir de coches que j’ai visité récemment m’avoua qu’il était bien obligé de prendre des bêtes qui ne devraient pas arriver en abattoir, sans quoi, ses clients (éleveurs ou groupements d’éleveurs) allaient voir la concurrence, souvent vers des abattoirs plus complaisants. De plus, une baisse des approvisionnements en coches est actuellement importante, car de nouveaux acheteurs comme l’Espagne, l’Allemagne, la Belgique sont plus offrants, et moins regardant dans leurs abattoirs sur la législation européenne à appliquer. C’est encore ces pauvres coches qui en font les frais. Imaginez ces bêtes qu’on a enfermées dans des cages en fer, qui n’ont jamais marché, ni fait d’exercice fortifiant leurs muscles, et qui doivent se tenir en équilibre dans les camions qui partent de Bretagne vers les pays que j’ai énumérés ! Là encore, bien qu’il soit humain de comprendre le souci financier des éleveurs, pensent-ils seulement à ce qu’ils font subir à leurs animaux ?

 

L’arrêté du 5 novembre 1996, modifié par l’arrêté du 24 novembre 1999 relatif à la protection des animaux en cours de transport précise : Art 2 – sont considérés comme inaptes au voyage : les animaux malades ou blessés. Cette disposition ne s’applique ni aux animaux légèrement malades ou blessés dont le transport ne serait pas cause de souffrances…

 

Le décret n° 99-961 du 24 novembre 1999 modifiant le décret n° 95-1285 du 13 décembre 1995 relatif à la protection des animaux en cours de transport stipule qu’il est interdit à tout transporteur ainsi qu’à tout propriétaire, expéditeur, commissionnaire, mandataire, destinataire ou tout autre donneur d’ordre d’effectuer ou de faire effectuer un transport d’animaux vivants si les animaux sont malades ou blessés, ou sont inaptes au déplacement envisagé ou s’il s’agit de femelles sur le point de mettre bas, sauf dans le cas de transports à des sanitaires ou d’abattage d’urgence.

 

La réglementation européenne (n°1/2005 CE) protégeant les animaux lors des transports renforce ces dispositions en précisant la notion d'aptitude au transport. Sont notamment considérés inaptes au transport : « les animaux incapables de bouger par eux-mêmes sans souffrir ou de se déplacer sans assistance et les animaux présentant une blessure ouverte grave ou un prolapsus ». Avec ces réglementations, il ne devrait pas y avoir de problème. Mais tel n’est pas le cas.

 

Dans l’abattoir où travaillait le vétérinaire dont j’ai rapporté les propos, les abattages des porcs et des coches n'avaient lieu que le matin. Or, les camions déchargeaient toute la journée des animaux. Ce qui faisait que toutes les coches en mauvais état, à partir de midi, devaient attendre le lendemain matin avant d'être abattues. Elles étaient déchargées dans une case à part et sans possibilité d’être abreuvées. Certaines agonisaient avant leur abattage, d’autres mouraient tout simplement des suites de leurs blessures. Le vétérinaire n’osait pas euthanasier celles qui étaient mourantes, parce qu’il fallait faire ensuite face au mécontentement de l’éleveur à qui il devait justifier son acte. Sa compétence était souvent remise en cause par certains éleveurs qui voulaient tirer quelque argent des bêtes accidentées ou malades.

 

Dans cet abattoir de Mayenne, j’avais pu assister au déchargement de plusieurs camions. Dès le matin, le chauffeur d’un groupement avait déchargé une coche blessée qui présentait des hématomes, des escarres et un abcès volumineux survenu à la suite d’une fracture ancienne à la patte arrière. Elle était dans un état de maigreur extrême : elle avait été laissée sans soins et sans nourriture plusieurs semaines, selon le vétérinaire. On la descendit du camion en la traînant sur le sol, tirée par une patte au bout d’un câble métallique. Le sol agissait comme une râpe qui lui arrachait la peau. La pratique était courante et ne choquait personne. La coche fut euthanasiée sur place à l’initiative du vétérinaire qui avait effectué une saisie de l’animal, mais sans dresser de procès-verbal pour avoir laissé une truie dans un tel état, pour avoir transporté un animal déclaré inapte au transport et pour l’avoir déchargé au treuil. L’ensemble des faits était pourtant sujets à sanction par procès-verbaux, mais la pression et les menaces étant une chose réelle, le risque de faire perdre le client à l’abattoir aussi, ces paramètres n’étaient pas négligés par les services vétérinaires. Il m’a été dit par un vétérinaire inspecteur : « Si je dressais des procès-verbaux, je ne ferais plus que cela ! ». S’ensuivit le déchargement d’une autre coche présentant un renversement de rectum qui avait été réduit, coupé et pincé. Une autre avait une paralysie arrière. Un petit cochon avait une queue nécrosée qui était tombée (blessure ancienne). Une autre coche boitait de façon prononcée. Une autre présentait des abcès multiples, des traces profondes de la ceinture d'attache qui la fixait au sol sur son lieu d'élevage et des traces d'injection importantes. Trois coches furent amenées ensemble par un transporteur, aucune ne pouvait marcher, elles étaient dans un état critique. Elles furent déchargées à l'aide du treuil. Le chauffeur attacha les coches par une patte arrière et les tira en dehors du camion en les suspendant l’une après l'autre de façon à ce qu’elles ne touchent plus le sol en les poussant, comme si elles n’étaient déjà plus que des carcasses de viande, vers la case de stockage. Par deux fois, le chauffeur déposa les coches sur un petit cochon noir souffrant et couché. Celui-ci, ne pouvant se dégager, hurlait de toutes ses forces et faillit mourir étouffé. J’ai dit au vétérinaire : « Faites quelque chose ! », et ce n’est que sur mon intervention que le petit cochon noir fut libéré. Le cochon agonisait, il resta ainsi jusqu'au lendemain matin, parce que les abattages étaient terminés ce jour-là. Malgré son état, il ne fut pas immédiatement abattu, ni aucune des coches blessées et souffrantes.

 

Les services vétérinaires avaient été informés par courrier des constatations effectuées sur des coches, dont certaines étaient accompagnées d’un relevé d'identité. Mais le vétérinaire m’indiqua que la Direction des Services Vétérinaires concernée suivrait, ou non, l’affaire. Ici, elle ne donna pas suite.

 

Des courriers ont été envoyés aux éleveurs, producteurs de porcs et groupements, à la suite des constatations et des saisies sur patte, rappelant la législation en matière de protection animale. Mais aucun changement réel ne survint. L’abattoir n’a pas intérêt à être trop strict, sans quoi les clients vont ailleurs, vers d’autres abattoirs qui ferment les yeux, m’indiqua-t-il.

 

Le vétérinaire de l’abattoir avait également constaté un manque de soins dû à une malnutrition volontaire sur les lots de porcelets réformés pour raison de surproduction. Il avait noté que certains étaient en très mauvais état. Il n’était pas question pour un éleveur de nourrir convenablement des porcelets, victimes de surproduction, qui finissaient à l’abattoir accompagnés d’une prime à l’abattage volontaire pour réguler le marché. Les éleveurs industriels et intensifs ne sont pas seuls coupables ; nous, les consommateurs, le sommes aussi, car pour l’équilibre de l’économie de la production porcine, il faudrait que l’on mange du porc matin, midi, et soir ! Le vétérinaire me disait que sur certains lots, les trois quarts étaient parfois saisis. Sur un des lots concernés, trente-six porcelets avaient été saisis le même jour.

 

L'absence de contrôle en amont dans les élevages, en matière de protection animale, et le devenir des coches malades ou blessées étaient déjà préoccupants il y a plusieurs années, mais rien n’a été fait par les instances responsables. Le vétérinaire inspecteur chargé de cet abattoir a fini par démissionner tant il lui était difficile de supporter d’être seul à agir. Il souhaitait établir une ligne d'action commune avec les Directions des Services Vétérinaires et l’association, au niveau des groupements, des élevages et des collectes afin qu'on ne retrouve plus de coches en état de misère physiologique dans les abattoirs. Le vétérinaire resta seul à se préoccuper du sort des coches de réforme. « Il y a trop de pression », me disait-il, son entourage et sa hiérarchie ne le suivaient pas. Il était même considéré comme la « bête noire », car il décelait aussi des problèmes sanitaires au niveau des viandes.

 

Concernant les coches réformées et blessées, le directeur de l’abattoir m’avait dit « qu'elles étaient bien mieux agonisantes à l’abattoir à attendre d'être abattues le lendemain, qu'agonisantes dans les élevages sans soins », prétextant qu'elles étaient ici au calme et au repos ! (…et sans une goutte d’eau à boire !).

 

Bien que les abattoirs reçoivent encore des coches blessées et que les conditions de chargement en élevage et de déchargement en abattoir soient à revoir, la situation s’est un peu améliorée pour les coches gravement malades. En effet, depuis la crise de la vache folle, les professionnels ont dû faire attention à l’état des animaux entrant dans les abattoirs. Si cette vigilance partielle des autorités compétentes (puisqu’il y encore des problèmes et des difficultés à dresser des procès-verbaux) a été mise en place, ce n’est pas par pitié pour ces pauvres bêtes ou à cause d’une prise de conscience des éleveurs porcins en intensif, mais parce que la crise de la vache folle a montré, et j’avais pu le constater dans les abattoirs, que des bêtes douteuses ou dites « à risque » passaient sur les chaînes d’abattage et se retrouvaient dans le circuit alimentaire. Toutefois, cela permit de faire baisser le nombre de coches « douteuses » arrivant en piteux état. Du moins, les services vétérinaires sont dorénavant contraints (pour des raisons liées à des risques d’hygiène alimentaire) de saisir les coches en trop mauvais état. Ils sont alors passés à des contrôles plus vigilants, qu’ils auraient pu faire auparavant pour des raisons de protection animale. De plus, les animaux malades sont maintenant théoriquement interdits d’abattoir. Ils doivent en principe être euthanasiés sur le lieu de l’élevage. C’est la crise de l’Encéphalite Spongiforme Bovine qui a impulsé ce changement de comportement. Mais le problème des coches ne pouvant se déplacer par elles-mêmes reste entier étant donné que les conditions d’élevage n’ont pas changé. Une inspectrice vétérinaire travaillant en abattoir m’a récemment confié qu’il y avait moins de coches en piteux état et que, dans le cas échéant, elles faisaient l’objet d’une saisie. En revanche, elle ajouta que celles qui étaient blessées n’arrivaient pas avec un certificat vétérinaire, alors que c’est obligatoire. Les coches « abîmées » peuvent être acceptées, mais l’éleveur doit justifier l’état de l’animal. Elle avoue qu’il n’est pas aisé de faire la différence entre « blessé et abîmé » et que, de ce fait, la situation n’était pas encore parfaite. On peut se demander ce que deviennent les coches malades si elles n’ont plus accès aux abattoirs. D’après la vétérinaire, il faut qu’elles soient soignées ou euthanasiées sur le lieu de l’élevage. Mais qui vérifie l’état de ces animaux, si les éleveurs ne font pas appel aux vétérinaires ? Il m’a été rapporté qu’une des pratiques à laquelle les éleveurs recourent pour tuer une coche qui ne sera pas admise à l’abattoir, au risque d’un procès-verbal, consiste à injecter du vermifuge dans les poumons et de la laisser mourir.

 

Pour nuancer un peu ce tableau très sombre, il y avait des abattoirs où l’on se préoccupait du bien-être animal. Ils ont en effet anticipé la demande actuelle du consommateur qui souhaite que le bien-être animal soit respecté tout au long du parcours, ce qui ne sera jamais effectif, tant que des cochons seront élevés dans des élevages intensifs qui pullulent, en Bretagne par exemple. Un abattoir m’avait particulièrement surpris, puisque des installations avaient été aménagées pour améliorer le confort des coches qui ne pouvaient plus se mouvoir. Il s’agissait, d'une berce, sorte de plateau suspendu sur un rail, qui permettait de faire basculer du camion des animaux blessés et de les transporter dans le box d’attente. On pouvait les déplacer sans les faire souffrir. Cependant, je n’en avais pas vu l’utilisation. Seules des pinces électriques avaient été installées dans le box afin d’étourdir les coches sur place, au lieu de les tirer coûte que coûte vers le poste d’abattage pour les faire passer sur la chaîne. Ainsi, les manipulations semblaient largement limitées. De plus, un service de ramassage spécial avait été mis en place par la coopérative de l’abattoir. Il fonctionnait sur simple appel téléphonique, ce qui permettait de ne plus laisser les coches blessées attendre dans les élevages. De tels aménagements sont à encourager, mais le mieux serait que les éleveurs fassent intervenir un vétérinaire sur le lieu d’élevage (comme l’exige la loi), afin qu’il effectue des soins ou qu’il euthanasie l’animal malade ou blessé. Il serait également préférable, en abattoir, de tuer dans le camion les coches qui ne peuvent se déplacer. Il faut espérer une réaction ferme pour responsabiliser les différents acteurs de cette filière afin que ce problème soit réglé une fois pour toutes.

 

Entre la fin de 2007 et le début de 2008, lors d’enquêtes faites par une association de protection animale auxquelles j’ai participé, nous avons encore constaté des problèmes concernant la prise en charge des « mal à pied » et des coches en question. Nous avons pu obtenir des résultats au cas par cas, les responsables étant soucieux d’apporter une action corrective, et peut-être de ne pas passer au journal de 20h, connaissant le pouvoir médiatique mais aussi toute la compétence et le sérieux de cette association.

 

Pour l’un des abattoirs visités en 2008, nous avons rendu compte le déchargement critique d’un porc charcutier qui ne pouvait pas marcher. Il a été soulevé par une patte avant, au bout d’un treuil, à plusieurs mètres de hauteur. Il a été sorti d’une case pour être mis dans un chariot et dirigé vers le poste d’abattage. Façon de faire assez courante, mais interdite malgré la présence des services vétérinaires. Nous avons par la suite contacté l’abattoir par courrier ce qui a permis d’obtenir un rendez-vous, puis une action corrective.

 

Dans d’autres abattoirs, nous avons vu des coches en piteux état qui n’auraient même pas, selon la réglementation, dû être transportées jusqu’à l’abattoir. Lors de deux contrôles effectués de nuit, nous avons pu voir que des coches incapables de marcher, couchées sur le flanc sur le bord du quai, étaient laissées toute la nuit en situation de souffrance. Elles avaient été déchargées au treuil, l’une d’entre elles avait encore la chaîne autour de la patte. Elles auraient pu arriver pour un abattage d’urgence, avec un certificat vétérinaire d’information, mais ce n’était pas le cas (selon les informations que nous avons obtenues). L’inspecteur vétérinaire ne dresse que six à sept procès-verbaux par an ! Là encore nous avons obtenu un rendez-vous avec la direction, qui nous a pris très au sérieux. Des mesures concrètes ont été prises comme l’interdiction de décharger la nuit, l’interdiction d’utiliser le treuil, alors même qu’un panneau était déjà en place de longue date pour rappeler au chauffeur l’obligation de faire appel à un employé spécialisé au cas où une truie serait couchée dans le camion sans pouvoir se relever. Elle serait alors euthanasiée dans le camion. Cependant, l’animal est euthanasié avec la pince électrique qui sert normalement à étourdir les animaux par un choc électrique. Mais beaucoup d’abattoirs, avec l’aval des services vétérinaires, utilisent la pince électrique pour tuer les coches ou les porcs en mauvais état. Pour moi ce n’est pas vraiment bien, car cela équivaut à une mise à mort par électrocution. Une injection intraveineuse pourrait être faite avec le produit T61, mais il est vrai qu’il est difficile de trouver une veine sur les pattes des porcs.

 

Dans tous les cas, lorsqu’une coche en mauvais état, déclarée inapte au transport, arrive à l’abattoir, elle devrait systématiquement faire l’objet d’un procès-verbal que sont habilités à dresser les services vétérinaires de l’abattoir, et cela contre le transporteur et l’éleveur. Mais, ce n’est que très rarement fait. On prend en considération les difficultés économiques que subissent les éleveurs de porcs intensifs, c’est humain. Mais prend-on en considération la souffrance des animaux provenant de ce genre d’élevage ? Cependant, dans un des abattoirs que j’ai visités, j’ai pu constater un renforcement des actions des services vétérinaires. De nombreuses coches étaient systématiquement saisies et euthanasiées. Des courriers étaient envoyés aux éleveurs, mais hélas, la réticence à dresser les procès-verbaux demeure. En ma présence, alors que le vétérinaire ne savait pas encore que nous étions là, il a effectué une saisie totale (sur pied) d’un verrat paralysé de l’arrière-train. Mais l’animal ne fit l’objet d’aucun procès-verbal alors qu’il était inapte au transport : il ne pouvait pas se déplacer par lui-même. Dans un autre abattoir, une coche blessée qui gisait sur le sol a été étourdie dans la case de stockage, puis dirigée vers le poste de saignée. Elle n’a pas fait l’objet d’un PV, alors que son état de détresse physiologique le justifiait.

 

L’amélioration, pour certains abattoirs, porte sur le fait que les animaux sont maintenant étourdis ou tués dans les camions ou dans les cases de stockage, au lieu d’être tirés coûte que coûte vers le poste d’abattage comme cela se faisait auparavant (en les traînant par les oreilles, au bout d’un câble métallique actionné par un treuil, ou à l’aide d’une barre à mine, comme je l’ai vu faire dans un abattoir de Mayenne).

 

Le problème reste entier, car si certains abattoirs ont fait des efforts en n’acceptant plus les animaux malades ou trop blessés, que deviennent-ils sur le lieu d’élevage ? Il n’est pas fait appel à un vétérinaire et l’éleveur n’a pas le droit de les tuer lui-même. Dans ce cas, que deviennent les coches en mauvais état ? Sont-elles vouées à une mort lente ? Il reste que si certains abattoirs étourdissent dans le camion ou pratiquent l’euthanasie avant le déchargement, cela doit se faire en présence des vétérinaires. Or ces derniers ne sont pas tout le temps présents, notamment la nuit. Les chauffeurs déchargent donc quand même les coches ne pouvant se déplacer. Ce n’est que le lendemain que le vétérinaire inspecte les animaux déchargés en son absence, et qu’il prend une décision. Le sort des coches blessées et malades n’est pas encore satisfaisant, bien que les services vétérinaires en abattoirs soient plus sévères, et il était temps. Le règlement européen (CE n°1/2005) qui a vu le jour en 2005, et qui est applicable au 1er janvier 2007, concernant la protection animale en cours de transport, est un nouvel outil juridique qui devrait permettre de donner plus de poids à l’action des services vétérinaires. Mais le problème des coches mal à pied ne sera réglé que lorsque le mode d’élevage intensif et concentrationnaire sera banni.

 

Pour clore ce chapitre, je voudrais vous dire combien les coches ne sont prises par les éleveurs en intensif que pour des machines à produire des porcelets qui alimentent les centres d’engraissement en porcs charcutiers. Dans un abattoir de la région Rhône-Alpes, un lot de coches se trouvait dans des cases d’attente avant abattage. J’effectuais en dernier la visite de la porcherie et de la bouverie, car il faut circuler pour des raisons d’hygiène, de la partie propre (post abattage) vers la partie sale (ante abattage). J’ai assisté à l’une des choses les plus marquantes qui soient : c’est la mise bas en abattoir, j’en ai déjà parlé précédemment. Une des coches a mis bas des porcelets dans la case, alors qu’elle se trouvait coincée par le peu de place qu’il y avait et que pouvait lui laisser les autres. La pauvre bête n’a pu faire autrement que de faire naître ces petits au milieu des autres coches, sans pouvoir s’isoler.

 

Le vétérinaire inspecteur m’indiqua qu’il allait euthanasier les petits, nés pour mourir ! Sur mon insistance, il m’assura qu’il allait envoyer un courrier à l’éleveur en me laissant croire que ce dernier n’y était pour rien. Ce n’est pas si sûr. Savez-vous qu’il est fréquent que des coches qui sont éventrées pour en sortir les viscères laissent parfois découvrir qu’elles sont porteuses de porcelets. Pourquoi ? Parce que les éleveurs inséminent plus de coches qu’ils n’auront ensuite de place pour les mettre en maternité (dans des stalles en fer). Ils font cela pour être certains de ne pas avoir un problème de rotation et un manque à gagner lié aux places vacantes. Tant pis, de ce fait, si elles portent toutes des petits. Celles qui sont gravides et en trop partiront à l’abattoir lorsqu’un lot de coches réformées y sera envoyé.

 

Une coche est réformée au bout de trois années de mise bas. La gestation dure trois mois, trois semaines et trois jours. La portée est en moyenne de 28 porcelets en intensif, contre 13 à 18 en bio. Le sevrage est de 21 à 28 jours, mais plus souvent 21 jours contre 6 semaines en bio. La fréquence des portées est de 2,5 par an. En bâtiment intensif, il y a au moins 20 % de perte, et très peu en plein air ou bio. En plein air, si une truie écrase un porcelet en se couchant, elle l’entend hurler et se relève aussitôt. En bâtiment intensif, la cage est si étroite, et les truies si faibles qu’elles ne peuvent pas se relever. En intensif, on mélange directement à l’aliment des facteurs de croissance. On leur donnait aussi de la farine animale jusqu’à l’interdiction de cet aliment. En bio, la farine animale était naturellement interdite, l’apport en protéine de soja étant un aliment riche. La castration des porcelets ne peut se faire après 8 jours, c’est une obligation légale. Mais en Bretagne, j’ai surpris un éleveur qui le faisait sur des porcelets de plus de trois semaines, bien entendu il avait un casque sur les oreilles pour ne pas s’abîmer ses tympans à cause des cris de douleur des porcelets. J’avais pu l’observer avant de me présenter à lui. Pas de « mal à pied » en plein air ou en bio, on ne retrouve pas non plus de coches en piteux état ne pouvant plus se mouvoir. En une année, un éleveur bio me disait qu’il n’avait pas vu un seul cas d’abcès à une patte parmi toutes ses truies. Les inséminations se faisaient naturellement par un verrat.

 

Et comme si le sort s’acharnait contre ces animaux de reproduction, un directeur d’abattoir me disait qu’actuellement les éleveurs économisent l’aliment. Vu l’augmentation des denrées destinées aux animaux, les coches sont sous-alimentées. Avant, lorsqu’elles faisaient l’objet d’une orientation vers l’abattoir, en passe d’être réformées, les éleveurs respectaient une période de « retape » en les alimentant davantage pour leur faire prendre du poids. Le directeur reconnaît qu’elles sont plus maigres qu’avant, j’ai pu le constater : les os de la colonne vertébrale étaient saillants sur certaines d’entre elles. La restriction sur l’aliment semble se généraliser.

 

Sachez enfin que les coches sont destinées à faire de la saucisse, du salami, du pâté…

 

 

 

 

 

1 Prolapsus : glissement pathologique d’un organe vers le bas.