Ces bêtes qu’on abat : Une coche assoiffée (dimanche, 27 janvier 2013)

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Une coche assoiffée

 

Voici comment on pourrait définir prosaïquement un abattoir : c’est un lieu où l’on abat des animaux pour la consommation humaine. Cela répond à une demande sociale, qui est celle de consommer de la viande. Notons tout de même qu’il existe des personnes qui ne mangent pas de viande, selon un choix délibéré. Cependant, le passage brutal de la vie à la mort doit s’effectuer avec le moins de souffrance possible. Des responsables d’abattoir font cet effort. Ils agissent ou mettent en place des aménagements qui permettent d’améliorer les conditions d’abattage. Il existe des aménagements qui répondent à un cahier des charges, lui-même parfois établi pour répondre à un objectif de marketing. La prise en compte du bien-être animal dans la publicité séduit souvent le consommateur. Il faut être vigilant et s’assurer que les actions entreprises sont réellement destinées au bien-être des animaux.

 

Truie en très mauvais état, laissée sans soins dans un élevage et emmenée à l’abattoir, déposée encore vivante sur le quai de l’abattoir…
Phot Jean-Luc Daub

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Cette année encore, je remercie les responsables d’abattoirs qui agissent dans leur établissement de façon désintéressée pour éviter un mal-être animal et cela même cinq minutes avant la mort de l’animal. Je sais qu’il n’est pas évident d’installer ou de mener des actions dans ce cadre, alors même que cela ne rapporte pas plus d’argent et qu’aucune personne extérieure à l’abattoir n’est là pour le voir. Mais, chaque effort n’a pas forcément besoin d’être vu et d’être en attente d’une reconnaissance. Le simple fait de l’entreprendre est une démarche humaine qui grandit l’individu.

 

Ô combien il est important pour l’animal de ne pas être mené avec brutalité, d’être abreuvé à son arrivée, de ne pas assister à la mise à mort de ses congénères, d’être isolé des bruits métalliques et des cris poussés par les autres animaux dans le couloir de la mort, d’être étourdi convenablement afin de ne pas être saigné en pleine conscience, d’être abattu avec le matériel approprié et sans brutalité.

 

Truie ne pouvant pas marcher présentant des traces de frottement sur le sol qui sont dues à son chargement coûte que coûte dans le camion qui l’a emmenée à l’abattoir.
Phot Jean-Luc Daub

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Je sais que de nombreux responsables travaillent déjà dans ce sens alors même que les normes sanitaires prennent bien souvent la priorité. L’amélioration des conditions de travail, le respect et la prise en compte de l’animal, permettent à l’individu de participer à une démarche humaine qui, dans un pays développé comme la France, ne devrait aller qu’en s’améliorant.

 

Vache abattue sur place à ma demande car elle ne pouvait plus marcher. Les employés voulaient la traîner vivante avec un petit tracto-pelle jusqu’au poste d’abattage.
Phot Jean-Luc Daub

 

 

Lorsque je visitais un abattoir, un seul animal gisant sur le quai de déchargement où agonisant dans un box retenait toute mon attention. Et cela, même si l’abattage des 500 à 800 cochons tués par heure se déroule normalement.

 

J’ai une pensée particulière pour une coche (une truie, vous le savez maintenant) qui, dans un abattoir, gisait à terre sur le flanc, dans l’incapacité de se relever. L’état dans lequel elle se trouvait n’avait rien à voir avec la responsabilité de l’abattoir (mais elle avait quand même été déchargée, et tirée par un câble actionné électriquement jusqu’au poste d’abattage. Cette coche provenait d’un élevage intensif où, durant sa courte vie, elle était restée prisonnière d’une cage métallique. Le rendement lui imposait de mettre au monde des porcelets à une grande fréquence. Ces porcelets eux-mêmes étaient destinés à grandir dans des élevages concentrationnaires, pourtant autorisés.

 

La pauvre bête était trop usée. Faute de n’avoir pu se reposer entre les mises bas et de n’avoir pu gambader dans des espaces sans barreaux, elle ne pouvait ni marcher, ni se tenir debout. Elle était restée affaiblie et sans soins durant plusieurs semaines sur le lieu d’élevage. Souvent, comme d’autres dans le même état, ces coches ne partent à l’abattoir que lorsque le départ d’un lot entier est prévu. Une économie de transport et de soins vétérinaires peuvent-ils justifier de laisser sur place un cochon ou une coche blessés, en attente du départ d’un camion. Certains abattoirs ou coopératives ont prévu des navettes spéciales pour ce genre d’animaux. Mais cela n’est pas encore répandu.

 

Arrivée à l’abattoir, cette coche attendait son tour dans le local d’abattage. Elle avait auparavant été tirée au bout d’un câble métallique à même le sol, du quai de déchargement jusqu’au poste d’abattage, éraflant un peu plus les plaies qui recouvraient son corps. Son chargement dans le camion s’était effectué de la même façon.

 

Le regard livide et empreint de tristesse reflétait la vie misérable qu’elle avait eue. Même son attente vers la mort ne lui laissait présager aucun réconfort.

 

Il m’était inconcevable de ne rien faire pour elle, même si dans l’absolu, je ne pouvais pas la sauver. La seule chose possible était d’exiger que son abattage intervienne rapidement. Mais avant cela, pris d’un sentiment de pitié (ce qui ne devrait rien avoir d’exceptionnel), je me suis saisi d’un tuyau de nettoyage dont j’ai actionné le robinet. Attirée par l’eau fraîche et claire qui coulait agréablement, la coche à relevé la tête. Je me suis approché d’elle et je l’ai fait boire. J’ai cru qu’elle ne s’arrêterait plus jamais. Pourquoi cette truie était-elle si assoiffée ? Au bout d’un moment, après avoir été observé en train de faire quelque chose de peu habituel, j’ai retiré le tuyau de sa bouche. Elle a reposé sa tête sur le sol. Son regard semblait montrer de l’apaisement. Je ne pouvais rien faire de plus, excepté lui gratouiller la fine peau juste en dessous de ses yeux bleus.

 

J’ai fait ensuite quelques pas en arrière et j’ai laissé le personnel de l’abattoir accomplir son travail.

 

S’inscrire dans une logique de productivité et d’économie, de procédures administratives, pousse l’homme à devenir lui-même une machine incapable de réagir dans l’immédiat aux situations qu’il n’a pas prévues ou qu’il n’a pas voulu prévoir. En raison du conditionnement, l’homme se dépersonnalise et refoule sa sensibilité sous prétexte de servitude à la production et à l’économie humaine. À tous ceux du milieu de l’élevage, des abattoirs, aux représentants des services d’inspection de ces milieux, je dis qu’aucune action menée pour l’animal n’est futile, inutile et encore moins honteuse. Agir dans ce sens ne déprécie pas l’intervenant, mais au contraire cela permet de faire humblement grandir la personne humaine. De nombreux professionnels sont déjà soucieux du bien-être animal et de son respect, ainsi que de l’application des textes réglementaires relatifs à la protection animale. Mais force est de constater qu’il y a encore beaucoup à faire dans le milieu des abattoirs !

 

Toutefois, l’indifférence anime encore des professionnels qui laissent en situation de souffrance de nombreux animaux.

 

Truie déchargée au treuil, ce qui est interdit.
Phot Jean-Luc Daub

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Notre rôle est de leur faire prendre conscience de ce véritable problème et de les pousser à réagir en faveur de ces êtres innocents et dotés d’une réelle sensibilité.

 

 

 

 

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