Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 30 août 2017

Langue de feu, esprit de sécheresse

Il eut fallu que la langue fut notre ramage charmant, notre plumage fier et sauvage, plutôt qu’un outil à saccager la nature et la vie, l’amour et la sexualité, la fraternité et la joie. Elle eut dû nous servir à traverser le temps, plutôt qu’à le compter, à baigner l’espace, plutôt qu’à le quadriller, à parader dans la jungle animale, plutôt qu’à nous en extirper. Nous aurions fait de nos textes des huttes pour l’esprit, de nos jouxtes des feux de joie, nous aurions été alors beaux, et libres, et sauvages, et notre langue aurait été aussi parlante, aussi puissante que le mutisme des autres bêtes. Et le monde serait resté beau, et les hommes acceptant d’être parfois ennemis seraient restés frères. Mais ceux qui ont connu cette langue-panache ont été foudroyés comme des bêtes puisqu’ils leur ressemblaient, puisqu’ils fraternisaient avec elles. Ils disaient vivre dans la tranquillité, n’être qu’une voix parmi les autres voix de la nature. Ils appelaient les poneys, les cerfs, les aigles et les arbres leurs frères. C’est pourquoi les autres hommes tentèrent, et parvinrent à écraser leur langue qui ne possédait pas les deux mots qui séparent l’homme des autres bêtes : humanité et animalité. Ils gisent dans des zoos humains aujourd’hui, aujourd’hui que l’humanisme règne dans les discours du monde entier. Le temps de vivre reviendra-t-il un jour ? Le chef Sokulls Smohalla ne voulait pas que les jeunes de sa tribu travaillent, parce que la sagesse vient des rêves et que les travailleurs ne rêvent plus. Alors pourquoi suis-je née dans un monde où le travail a détruit plus de la moitié de la planète, où les langues qui ne possèdent pas assez de mots destructeurs meurent saison après saison, où les espèces animales et végétales disparaissent, et où l’on qualifie d’assassin quiconque veut donner autant de valeur à son chien qu’à son frère ? Je ne comprends plus ce monde. Heureusement que je sais conduire, et que cette femme est folle, que l’océan n’est pas loin, que les routes sont dangereuses ! Heureusement que j’ai trop bu. Sans quoi il me semble que je traverserais à cet instant même une crise d’angoisse.

 

Sur AlmaSoror :

La langue peut-elle être officielle ?

Ne me quitte pas, ma langue

La langue mise à l'écrit

Dette vitale

Lubitel Tszalaï

Le roman de la conversion

Esprit, qui peut t'enchaîner ?

Saul dans la ville atlante

L'humanisme et les droits de l'homme au regard des langues quechua et tahitienne

Valentine Morning Interview

A la vesprée mathématique

Identité (appartenance)

Occident

Sens et mystique des sens

jeudi, 24 août 2017

Stances d'existence

Dans d'autres siècles, la mort avait sa place au soleil, on la côtoyait souvent d'une manière familière, tandis que le sexe était tabou (caché, atténué, dissimulé, menti). Sexe et mort ont inversé leurs pôles : la mort est exclue (cachée, atténuée, dissimulée, mentie), le sexe a pignon sur rue.

L'humain civilisé est aujourd'hui celui qui pleure, console, aime, palpite en public. Avant-hier, on montrait son humanité par la retenue de ses émotions, réservée à la sphère secrète. La discrétion à propos de la vie privée et des affects n'est de nos jours pas de mise : il faut être vu tel que l'on est affectivement, c'est d'ailleurs devenu une revendication politique, un droit réclamé : être visible ! La forme ultime de pouvoir et d'influence symbolique n'est pas, comme en d'autres temps, dans l'éloignement ; le prestige actuel naît de l'accessibilité. Le visage reconnu, accessible à la connaissance de chacun, est un visage supposé puissant tandis qu'un visage inconnu par le plus grand nombre est relégué à l'inexistence sociale.

Autres temps, autres mœurs. Ce qui ne varie guère, c'est la souffrance sociale engendrée par la compétition. Exister à ses propres yeux, pour ce que l'on est, c'est si difficile...

Je cherche ce visage qui ne ressemble à nul autre, que je n'ai jamais vu et qui parle immédiatement à un endroit inconnu de mon cœur. Je cherche une voix aux intonations inédites. Je cherche un ailleurs si proche qu'il en fait presque peur.

Niklaus Manuel Deutsch Jeune fille et mort.jpg

La jeune fille et la Mort, de Niklaus Manuel Deutsch, 1517

 

 

Sur AlmaSoror :

Nos vaillances sociales

mardi, 22 août 2017

Le piéton sobre

Un jour il y a quelques années, Paul de Cornulier s'amusa à broder sur le thème du Bateau ivre d'Arthur Rimbaud, une sorte de jeu avec les thèmes et les expressions du poème. Cela donna le Piéton sobre :

 

Entre deux bornes, moi je recherche des Guides,
Car je veux me sentir bridé par des haleurs .
Sans eux je suis perdu, incertain et languide,
Et souvent envahi par une horrible peur.

Colmatons avec soin les opaques frontières
En béton surarmé qui m'offrent protection,
M'imposent une vie tranquille et régulière,
Et protègent mon cœur contre les invasions.

Loin de ces nuits sans fond où s'endort et se cache
L'Or d'un brillant futur porté par les oiseaux,
La promesse rêvée d'un beau monde sans tache,
Loin des cieux archipels, et loin de toi, Rimbaud,

Je déambulerai sur la terre, dans l'Ordre,
Mes deux pieds tout blindés de semelles de cuir.
L'inconnu terrifiant ne pourra plus me mordre.
Si l'Aube exaltée vient, je suis prêt à la fuir.

J'écrirai sanglotant sur ces rêves idiots
S'il me demeure encore un brin de nostalgie.
Et je regretterai, hypocrite badaud,
Ma niaise illusion d'ineffables magies.

 

Sur AlmaSoror :

Quelle fortification...

vendredi, 18 août 2017

Vox lactea

Ta voix voilée, lunaire, s'écoule dans mon réseau de veines comme un rayon de lune qui purifie le passé et allume la blancheur des saisons de paix. 

jeudi, 17 août 2017

Messe des morts à quatre voix

J’ai lu Etunwan, de Thierry Murat. Sur le radiateur auprès du lit, elle a posé Les derniers géants, de François Place. Même thème, même beauté du style littéraire et des images. (Je me souviens de l'enfance, la civilisation et le monde sauvage). Les tours aux milliers de pâles lumières scintillent dans la nuit très bleue et la lune est cachée derrière une antenne. Urbs, urbis, et pourtant, j’éprouve des émotions que j’ai connues sous un tapis d’étoiles, à la campagne, la nuit, allongée dans un champ invisible. Comparaison et jalousie s’effacent devant la beauté inouïe, inattendue, de l’instant présent. Je reconnais la musique qu’écoute le mystérieux voisin de l’étage au-dessous, celui qu’on ne croise jamais. C’est la messe des morts à quatre voix de Marc-Antoine Charpentier.