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samedi, 30 mai 2009

La langue peut-elle être officielle ?

 

 

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Inventer pour se déployer

 

Les auteurs anciens ne se lassaient pas d’inventer des mots : ils pensaient en inventant, ils inventaient en parlant, ils parlaient comme ils vivaient. Leur langue française était souple comme une gamme des premiers temps du jazz et autorisait des créations orthographiques, grammaticales et lexicales, qu’on n'aurait même pas eu besoin de qualifier de « création ».

On ne jugeait pas la langue en disant : « c’est bien » ou « c’est faux », mais le critère de la beauté, qui ne se confondait pas avec l’idée de justesse ou de conformité aux règles, primait.

Il n’y avait pas de difficultés pour féminiser les mots d’ordinaire réservés aux hommes. On féminisait comme on voulait, quand la situation l’exigeait.

 

L’académie française et la scolarité de masse ont changé les choses. « Il ne sait pas écrire, il ne sait pas parler un français correct », ces phrases signifient que la personne n’use pas de la langue française officielle. En outre, l’Académie et les commissions de néologismes surveillent de près la création des mots.

Peut-on surveiller la langue ? Peut on l’empêcher de pêcher des mots dans d’autres langues, de faire évoluer sa grammaire ? L’encadrement de la langue dans une grammaire et un lexique officiels ne traduit-il pas un pouvoir totalitaire sur les mots et les locuteurs ?

 

 

La langue interdite

 

Les Tahitiens du Tahiti ancien ne pouvaient prononcer certains mots qui étaient tapu (d’où l’emprunt français tabou). Ainsi, lorsque Pomaré devint roi son nom devint tabou. Or pö signifie la nuit, et mare, la toux. Il fallut inventer deux nouveaux mots pour dire nuit et toux parce que les prononcer conduisait à la mort. C’est le contraire de la liberté d’expression et de pensée.

 

Le pouvoir religio-politique des rois tahitiens est imité par certaines grandes entreprises.

Une autre entrave au déploiement de la langue aujourd’hui est la privatisation de certains mots ou sigles. Je ne peux employer certains mots librement dans un article car ils appartiennent à des marques, qui m’empêchent de les citer sans citer le possesseur (GO, caddie). Les mots, donc, ne sont économiquement pas libres !

 

Peurs

 

Les peurs de dégénérescence (contamination par l’anglais, appauvrissement lexical et grammatical) sont fondées : toutes les langues du monde peuvent en mourir.

Une langue pauvre rend difficile l’expansion expressive des êtres et de la culture. L’inculture, l’abrutissement des foules devant les divertissement de masse, leur allégeance tacite aux journaux, aux télévisions et aux produits culturels à la mode écrasent la langue.

Mais comment pourrait-elle être sauvée d’en haut, par des ingénieurs agréés de la langue française ?

Eteignons définitivement la télévision, créons notre propre pensée, vivons libres, lisons les siècles passés et les mots que nous inventerons seront aussi culturels que ceux de nos auteurs classiques.

 

Si l’on veut favoriser une langue française belle et culturelle, on ne le fera pas par des restrictions et des instructions de gens dont le savoir et la culture ont été sanctionnés par un diplôme d’Etat, mais en créant de la beauté et de la culture en français.

Parler une langue riche ce n’est pas parler une langue bonne - c’est parler une langue vaste, qui s’ouvre à l’avenir et ajoute sans cesse le présent et l’avenir au passé.

 

Laissons la langue être parlée et écrite et elle s’enrichira. Avons-nous peur de la culture que nous pourrions faire naître ?

 

Administrer, formaliser, officialiser

 

Notre vie entière se traduit en numéros, en formulaires, en précisions. Je suis M ou F (masculin ou féminin) ; ma naissance est calculée au jour près et je dois sans cesse répéter ce jour exact au long de ma vie ; mon adresse postale est rigoureusement exacte, je dois en informer un grand nombre d’institutions si j’en change ; ma situation de famille est régulièrement contrôlée et doit être exprimée de façon précise.

 

Au fil de temps la langue s’est codifiée comme toute notre vie.

 

La langue est la pensée humaine. Codifier la langue, c’est codifier la pensée. On étouffe dans une langue officielle, où certaines phrases sont « françaises », d’autres « en mauvais français ». Une langue trop codifiée est une langue qui prescrit la pensée.

 

Administration et conformité

 

Parce que nous officialisons, administrativons et entérinons tout ce que nous faisons (orientation sexuelle, identité (état-civil), langue, circulation, logement, entreprise, vie familiale, enseignement, etc), nous en oublions la liberté qui se cache derrière la théorie de la liberté.

 

De même que les obligations administratives sont des restrictions qui annihilent l’initiative et la liberté de création (culturelle ou économique), de même, les obligations linguistiques constituent un accaparement de la langue, créant la peur de la sanction, annihilant les tentatives d'expression.

Tout cela participe d'une normalisation de nos vies...

Le cinéaste Pasolini déplorait que la télévision rendait les gens conformes ; il faisait la différence entre les acteurs ayant un visage personnel et les acteurs ayant un visage conforme, télévisuel. Il était dur, n’est-ce pas ? Je dirais que la langue est comme le visage : si elle est standard, elle n’a pas beaucoup d’autres intérêts que de « passer », d’être « correcte ».

 

Comment pourrions-nous être heureux dans une langue étriquée ?

Nietzsche : « Il faut encore porter du chaos en soi pour donner naissance à une étoile dansante ».

Quelles portes faut-il ouvrir pour libérer la langue qui dort, perdue entre le chaos des incultures et la culture officielle et administrative ?

 

 

 

Edith de Cornulier-Lucinière

 

Commentaires

Oui, vous avez raison,cela donne envie de ne plus chercher à parler français,cela me rappelle F.Dolto qui disait que dès sa naissance l'être humain ne devait plus cesser de se "castrer"( cqvd:de s'empêcher de faire ce qu'il désire),afin de rentrer dans le moule que la société lui impose.Bien sur cela se fait mais le prix c'est la névrose ,ce qui n'est guère réjouissant.Alors quid d'un monde ou plus rien ne serait interdit?

Écrit par : mauriceK | mardi, 02 juin 2009

Maurice K a raison de nous rappeler cette phrase de Dolto. La langue, c'est vrai, est une façon d'emprisonner ou de libérer (soi même ou les autres). Parler librement, c'est dur mais c'est la condition de la santé morale, mentale, affective.

Écrit par : Agatha Duplessis | dimanche, 07 juin 2009

Aucun risque qu'on maintienne la langue de toute façon. Mais la différence depuis Richelieu, c'est que l'oral essaie de se calquer sur l'écrit, alors qu'auparavant l'écrit rendait compte de l'état oral de la langue.

S'en est-elle réellement appauvrie pour autant ?

Écrit par : DavidLeMarrec | mercredi, 24 juin 2009

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