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samedi, 30 mai 2009

La langue peut-elle être officielle ?

 

 

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Inventer pour se déployer

 

Les auteurs anciens ne se lassaient pas d’inventer des mots : ils pensaient en inventant, ils inventaient en parlant, ils parlaient comme ils vivaient. Leur langue française était souple comme une gamme des premiers temps du jazz et autorisait des créations orthographiques, grammaticales et lexicales, qu’on n'aurait même pas eu besoin de qualifier de « création ».

On ne jugeait pas la langue en disant : « c’est bien » ou « c’est faux », mais le critère de la beauté, qui ne se confondait pas avec l’idée de justesse ou de conformité aux règles, primait.

Il n’y avait pas de difficultés pour féminiser les mots d’ordinaire réservés aux hommes. On féminisait comme on voulait, quand la situation l’exigeait.

 

L’académie française et la scolarité de masse ont changé les choses. « Il ne sait pas écrire, il ne sait pas parler un français correct », ces phrases signifient que la personne n’use pas de la langue française officielle. En outre, l’Académie et les commissions de néologismes surveillent de près la création des mots.

Peut-on surveiller la langue ? Peut on l’empêcher de pêcher des mots dans d’autres langues, de faire évoluer sa grammaire ? L’encadrement de la langue dans une grammaire et un lexique officiels ne traduit-il pas un pouvoir totalitaire sur les mots et les locuteurs ?

 

 

La langue interdite

 

Les Tahitiens du Tahiti ancien ne pouvaient prononcer certains mots qui étaient tapu (d’où l’emprunt français tabou). Ainsi, lorsque Pomaré devint roi son nom devint tabou. Or pö signifie la nuit, et mare, la toux. Il fallut inventer deux nouveaux mots pour dire nuit et toux parce que les prononcer conduisait à la mort. C’est le contraire de la liberté d’expression et de pensée.

 

Le pouvoir religio-politique des rois tahitiens est imité par certaines grandes entreprises.

Une autre entrave au déploiement de la langue aujourd’hui est la privatisation de certains mots ou sigles. Je ne peux employer certains mots librement dans un article car ils appartiennent à des marques, qui m’empêchent de les citer sans citer le possesseur (GO, caddie). Les mots, donc, ne sont économiquement pas libres !

 

Peurs

 

Les peurs de dégénérescence (contamination par l’anglais, appauvrissement lexical et grammatical) sont fondées : toutes les langues du monde peuvent en mourir.

Une langue pauvre rend difficile l’expansion expressive des êtres et de la culture. L’inculture, l’abrutissement des foules devant les divertissement de masse, leur allégeance tacite aux journaux, aux télévisions et aux produits culturels à la mode écrasent la langue.

Mais comment pourrait-elle être sauvée d’en haut, par des ingénieurs agréés de la langue française ?

Eteignons définitivement la télévision, créons notre propre pensée, vivons libres, lisons les siècles passés et les mots que nous inventerons seront aussi culturels que ceux de nos auteurs classiques.

 

Si l’on veut favoriser une langue française belle et culturelle, on ne le fera pas par des restrictions et des instructions de gens dont le savoir et la culture ont été sanctionnés par un diplôme d’Etat, mais en créant de la beauté et de la culture en français.

Parler une langue riche ce n’est pas parler une langue bonne - c’est parler une langue vaste, qui s’ouvre à l’avenir et ajoute sans cesse le présent et l’avenir au passé.

 

Laissons la langue être parlée et écrite et elle s’enrichira. Avons-nous peur de la culture que nous pourrions faire naître ?

 

Administrer, formaliser, officialiser

 

Notre vie entière se traduit en numéros, en formulaires, en précisions. Je suis M ou F (masculin ou féminin) ; ma naissance est calculée au jour près et je dois sans cesse répéter ce jour exact au long de ma vie ; mon adresse postale est rigoureusement exacte, je dois en informer un grand nombre d’institutions si j’en change ; ma situation de famille est régulièrement contrôlée et doit être exprimée de façon précise.

 

Au fil de temps la langue s’est codifiée comme toute notre vie.

 

La langue est la pensée humaine. Codifier la langue, c’est codifier la pensée. On étouffe dans une langue officielle, où certaines phrases sont « françaises », d’autres « en mauvais français ». Une langue trop codifiée est une langue qui prescrit la pensée.

 

Administration et conformité

 

Parce que nous officialisons, administrativons et entérinons tout ce que nous faisons (orientation sexuelle, identité (état-civil), langue, circulation, logement, entreprise, vie familiale, enseignement, etc), nous en oublions la liberté qui se cache derrière la théorie de la liberté.

 

De même que les obligations administratives sont des restrictions qui annihilent l’initiative et la liberté de création (culturelle ou économique), de même, les obligations linguistiques constituent un accaparement de la langue, créant la peur de la sanction, annihilant les tentatives d'expression.

Tout cela participe d'une normalisation de nos vies...

Le cinéaste Pasolini déplorait que la télévision rendait les gens conformes ; il faisait la différence entre les acteurs ayant un visage personnel et les acteurs ayant un visage conforme, télévisuel. Il était dur, n’est-ce pas ? Je dirais que la langue est comme le visage : si elle est standard, elle n’a pas beaucoup d’autres intérêts que de « passer », d’être « correcte ».

 

Comment pourrions-nous être heureux dans une langue étriquée ?

Nietzsche : « Il faut encore porter du chaos en soi pour donner naissance à une étoile dansante ».

Quelles portes faut-il ouvrir pour libérer la langue qui dort, perdue entre le chaos des incultures et la culture officielle et administrative ?

 

 

 

Edith de Cornulier-Lucinière

 

vendredi, 29 mai 2009

Apéro-dînatoire chez les voisins

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12 novembre 2005, Paris 17
(Réunion de voisins rue Rennequin)

 

 

Chère Bathilde,

 

Tu as du te demander quelles étaient les raisons de ce silence des derniers jours. Ah ! Elles tiennent simplement à une petite baisse de moral, une sorte de dépression qui suivit un dîner chez mes voisins Evène. Les Evène, tu sais, dont je t’ai souvent parlé. Ils fêtaient l’autre soir l’obtention du doctorat de physique par leur fille S.. S., tu t’en souviens ? S., qui eut une histoire d’amour avec un garçon extrêmement étrange, que son père brisa comme on brise un bâton, par la force, S. qui se maria peu après avec un garçon niais et névrosé, un grand dadais beaucoup trop sérieux et raide pour on âge, S., qui aujourd’hui est enceinte et qui nous accueillait, froide et courtoise, il y a trois soirs de cela, dans la grande maison de ses parents. 

Je m’ennuyais beaucoup, n’ayant rien à dire à personne. La plupart des gens n’étaient pas encore arrivés, et les quelques membres de la famille présents étaient absorbés par l’organisation de cette petite sauterie. Je m’ennuyais, et, habillée, maquillée, je souriais agréablement au vide. Le père, Philippe, au chômage depuis peu – personne n’est censé le savoir, chacun le sait – s’occupait de mettre des disques de sa jeunesse, et battait la mesure opiniâtrement, pour ne pas parler à son gendre, ce fameux Pierre. Celui ce se tourna donc vers moi et m’interrogea sur ce que je fais cette année. Je sais, bien sûr, parfaitement comment répondre à cette question. Je sais toujours, tout le temps, partout, comment répondre à cette fameuse, à cette inévitable, à cette imperturbable, à cette épouvantable, à cette fatigante, à cette éprouvante, à cette fatidique question. D’ailleurs, chaque fois que je sors, je relis avant ma leçon : dans mon ordinateur j’ai créé un document au doux titre interrogatif : « qui je suis ? » et qui répond implacablement à la question éternelle. J’ai des réponses pour les bourgeois, j’ai des réponses pour les étudiants, j’ai des réponses pour les émigrés et d’autres pour les immigrés. J’ai des réponses pour les gens d’orientations politiques diverses. J’ai des réponses pour les militants antiracistes et des réponses pour les gens relevant des minorités identitaires vindicatives. 

Je me répète ma leçon sur la route, et toute la soirée je récite patiemment, sagement ma réponse, deux, dix ou trente fois, aux gens qui m’interrogent. 

Ne me trouvais-je pas, ce soir là, en face d’un bourgeois bon teint, au teint jaunâtre, raide et méprisant, bien pensant, orgueilleux de ses études ? Je lui répondis donc que n’ayant pas obtenu d’allocation de recherche pour achever mes études universitaires aux frais de l’Etat, je me lançais dans des activités d’écriture – de scénarios, de documentaires – pour gagner ma vie, tandis que je cherchais, parallèlement, une université où faire ma thèse l’année prochaine. 

Ses lunettes me scrutèrent inhabituellement. 

Et, euh… Tu ne cherches pas à partir ? Tu n’as pas envie de partir ? Tu es certaine qu’il ne serait pas intéressant de partir ? 

Il avait l’air terrifié à l’idée que je ne parte pas. La vie que je mène, sans doute, ici, lui paraît, justement, ne pas mériter ce mot : vie. Je n’ai pas de vie. Cela me rappela la conversation entendue au café Chez Mimi, rue Rennequin, entre deux jeunes filles surmaquillées et surcoiffées, qui s’apprêtaient sans doute à embrasser, l’une la profession d’assistante publiciste, et l’autre, celle de secrétaire bilingue, et qui parlaient d’une troisième, sans doute moins maquillée, et à la coupe démodée. « Elle n’a pas de mec, elle n’a pas de vie. » 

Enfin, après quelques habiles phrases me laissant entendre qu’il faudrait peut-être que je parte habiter ailleurs, il me dit, convaincu :

il faudrait peut-être que tu trouves une thèse à faire, parce que tu ne vas tout de même pas écrire des scénarios toute ta vie. 

Euh, eh bien… C'est-à-dire… Certes.

Je m’étais rendu compte que mon métier lui paraissait plus que ridicule. Evidemment. Qu’y a-t-il de mieux, de toutes façons, qu’être ingénieur-gestionnaire chez Renault ? Comment peut-on avoir l’idée absurde et dégénérée de vivre de l’écriture de scénarios quand on peut être ingénieur-gestionnaire chez Renault ? Il était gonflé de mépris, rempli de pitié, un mépris, une pitié, qui fort heureusement se tournèrent vire en désintérêt total : des ingénieurs, des gestionnaires et des spécialistes du marketing, assortis de quelques chercheurs dans des disciplines scientifiques sérieuses, venaient d’arriver. 

Je demeurai coite, moite, hébétée, dépitée, amusée et terrifiée, tandis qu’il se balançait avec des airs de secrétaire de sénateur vers l’entrée pour aller accueillir ses joyeuses relations. 

Plus tard, je me remettais tranquillement, tandis qu’on s’affairait autour d’S. pour la féliciter. Elle a obtenu son doctorat brillamment, au terme de trois ans d’un travail sérieux et endurant. De surcroît, elle est enceinte, ce qui, comme chacun sait, est admirable, surtout quand on est mariée. Certes le mari n’est pas polytechnicien. Mais il est tout de même ingénieur-gestionnaire chez Renault. 

La mère d’S. (Christa, mais si, tu te souviens, qui boit un tout petit peu trop, parfois), oui, elle, qui sait que je n’ai pas reçu mes allocations de recherche, sembla l’oublier pour quelques instants, puisqu’elle interrompit le concert de félicitations qui de toutes façons faiblissait, pour se tourner vers moi et me crier à la cantonade, si je puis dire :

ben alors et toi !!! quand esketunoulafè, cette thèse ? 

Un grand silence suivit. Je m’accrochai à mon verre de vin pour ne pas tomber. Les gens s’étaient tous tournés vers moi, et eux et moi restions interdits.

Ben alors, et toi alors ? Hein ? cria-t-elle, déchirant le silence récent. 

Eh bien, moi, je n’ai pas obtenu mon allocation de recherche, commençai-je.

AH ! cria-t-elle d’un ton triomphant.

Eh oui, comme tu le sais. Je cherche donc à…

Mais elle s’était détournée de moi, et parcourait l’assistance d’un sourire satisfait. 

Un peu écrasée par les évènements, j’entrepris de finir méthodiquement, par gorgées égales, sirotées à intervalles égaux, mon verre de vin rouge. 

Je me souvins alors qu’il y a quelques jours – je ne suis pas censée le savoir, mais, vois-tu, tout le monde le sait -, lors d’une réunion de famille, entre les frère et sœurs, elle se disputait avec sa sœur Marie (si, je t’en ai parlé, la juriste, professeur à l’université chic d’une banlieue bien fréquentée), elle lui jeta à la figure :

Va te faire soigner à Sainte-Anne !

Nul ne dit rien. La conversation reprit sur autre chose. 

Le fils de Marie avait été interné la veille, à Sainte-Anne, aux urgences psychiatriques, ramassé dans la rue par la police alors qu’il divaguait. 

J’achevai mon verre et me remis à sourire au vide.

Plus tard, Pierre se tourna à nouveau vers moi, terrifié. De nouvelles personnes – un couple- venaient d’arriver. Il semblait affolé.

Je ne les connais pas, je ne les connais pas, me répéta-t-il plusieurs fois. J’eus soudainement l’impression que nous faisions partie du même clan. Il ne me donne pas très souvent cette impression. J’eus la tentation de lui faire un clin d’œil. Je n’y cédai pas.

Eh bien, lui dis-je, voyant que sa belle-famille s’affairait avec plaisir autour des nouveaux venus, un homme simple et fort d’apparence, plutôt sympathique, et une très jolie femme, tous les deux entre quarante-cinq et cinquante ans, eh bien, je pense que ce sont des amis de tes beaux-parents.

Je ne les connais pas, je ne les connais pas, répéta-t-il, buté.

Je compris alors ce qui se passait. L’homme était en jean et pull over. Il ressemblait à un travailleur manuel. Quant à la jolie femme, très charmante, elle semblait une femme d’origine populaire, intelligente et très courtoise. Pauvre Pierre. Il allait devoir leur serrer la main !

Je ne pus m’empêcher de lui mettre la main sur l’épaule, pour l’encourager. Mais alors il eut un mouvement nerveux de cette épaule là, que j’avais eu l’idée incongrue de toucher. Il eut quelques petits sursauts, et ses lunettes me scrutèrent de travers. Nous n’étions plus du même clan. 

 

Nadège Steene

 

 

La meute revient


Il faut cliquer sur le triangle qui signifie play. Le loup d'AlmaSoror s'est laissé allé à geindre et au milieu de la bande des chants diphoniques se sont laissés aller à sortir. Alleluia

jeudi, 28 mai 2009

Jour de Soldes à Pau

 

 

 

Salut la familia!


eh oui nous sommes vivants! nous avons effectivement survécu à la tempête. Ayant le sommeil assez lourd, je prenais un bain de soleil sur une plage antillaise quand les conditions se déchainaient autour de moi! J'ai loupé tout le spectacle!
Enfin du coup, point de randonnée ni de descente à grande vitesse sur les pistes enneigées des Pyrénées, mais je dois vous avouer que, la météo aidant, E a réussi à me traîner dans les magasins, à la recherche de pantalons!!!
Tout avait bien commencé: premier magasin, premier essai: parfait! voila de l'efficacité!
Tant qu'on y est, me dis-je, prenons en d'autres, ainsi n'aurai je pas à y retourner de sitôt!!!
Je n'ai aucun mal à convaincre E en prononçant le mot magique: S O L D E S!
Deuxième essai moins glorieux: mes abdominaux volumineux m'empêchent de fermer le bouton! C'est alors Qu'E a une inspiration que je qualifierai de... désastreuse!!! A peine lui ai je communiqué mon petit problème intime, la voila qui s'enfuit vers le centre du magasin en appelant bruyamment et devant une foule ébahie un vendeur et professionnel du pantalon! 
En moins de temps qu'il ne faut pour le dire (pour preuve: je n'ai même pas eu le temps de me cacher dans la cabine d'essayage), un jeune homme, l'occiput rasé de près, le menton affichant un négligé de quelques jours, pantalon moulant et tea-shirt échancré sur torse épilé, accourt et ajuste ses lunettes fluo pour mieux regarder mon arrière train ... 
"très joli", s'écrit il!
Moi, foudroyant du regard l'organisatrice de cette mascarade et reine de la délation, je serre les fesses...
Rouge de honte et de fureur, je marmonne quelques mots qui le font s'éloigner quelques instants à la recherche de la taille supérieure!
N'osant apostropher l'indélicate en public, qui ne se rend compte de rien, elle suit le pro, enfin persuadée qu'il me faut effectivement la taille au dessus.
Quant à moi, la terre entière me regarde rentrer maladroitement dans la cabine pour retirer le maudit froc!!
Les deux complices reviennent après que j'eusse retrouvé mes esprits, avec un pantalon d'une autre couleur, n'ayant pu mettre la main sur la taille supérieure du précédent...
Une fois enfilé, la taille étant acceptable cette fois, je ne dis trop rien, donnant pour tout avis une moue maussade, échaudé par ma première expérience!
L'affaire est presque conclue, le type m'a suffisamment maté et je me réjouis intérieurement de pouvoir très bientôt quitter cet endroit malsain ou je n'ai que trop trainé!!!
Mais fatale erreur! il était dit qu'E ne lâcherais pas si facilement sa proie et me ferait boire le calice jusqu'à la lie!
Considérant ma moue, sachant pourtant pertinemment qu'elle n'était que la manifestation d'une lassitude certaine, l'impertinente se ravise soudainement et clame haut et fort que la couleur du futal n'est finalement pas si plaisante, un peu démodée, et même carrément moche, limite insupportable!!!
Le tout bien évidemment en arrivant à la caisse, sur le point de payer, pantalon emballé, alors qu'une file d'attente interminable s'est formée derrière nous, avec pour conséquence directe qu'une foule immense assiste à la scène!!! On va se faire lyncher!!!! Je regarde le sol, à la recherche d'un défaut, puis le plafond, superbe...
Devant l'esclandre, le bonhomme de la caisse lève les yeux au ciel, considérant une bonne paire de farfelus. Son acolyte, celui aux lunettes fluos se précipite à la rescousse pour argumenter sur le produit qu'il tente de nous refiler!
"Mais il est très bien ce pantalon, et cette couleur est magnifique!"
Tournant son regard globuleux sur mon torse avantageux, écartant (lui même!) les pans de ma veste, il s'exclama devant le public enthousiaste que la couleur m'irait à merveille, moyennant le port d'une chemise... rose, par exemple!!!!
sentant mon teint rosir à vue d'œil, je reste sans voix!
E aussi, retenant péniblement un fou rire, sachant évidemment ce que donne à penser une telle évocation...
Une chemise rose! non mais je rêve!!!
N'y tenant plus, je prends mes jambes à mon cou, abandonnant femme et pantalons, me promettant qu'on ne m'y prendrait plus, et retrouvant enfin à la maison mes vieux jeans si seyants!!
Voila mes aventures peu glorieuses d'un WE de tempête! Le Dimanche a été beaucoup moins riche en terme d'émotions, puisque j'étais à mon avantage pour initier E au bricolage...


Kenavo

Olivier du Chélas

lundi, 25 mai 2009

Black Agnès

Quand AlmaSoror rend hommage à nos étoiles des temps proches et lointains,
quand AlmaSoror salue des êtres dont le souffle, la vision, la parole nous aident à vivre et à penser.

Etrange coïncidence autour d'une appellation : Black Agnès

Le surnom Black Agnes (Noire Agnès, ou Agnès la Noire) correspond à deux héroïnes, l'une historique devenue légende, l'autre, légende peut-être historique. La première Black Agnes est une femme qui vécut à au XIVème siècle en Ecosse. Son souvenir est associé au courage et à la jeunesse, entre Antigone et Jeanne d'Arc.

L'autre Black Agnes est une statue habitée par une très jeune fille qui vécut vers à Baltimore, il y a longtemps. Sa mémoire erre dans les limbes de l'horreur et de la tendresse, qui sont les atours tristes de l'adolescence.

Black Agnes I est courageuse ; Black Agnes II est vengeresse. Black Agnes I est arrogante ; Black Agnes II est exaltée. Black Agnes I est victorieuse nonchalante ; Black Agnes II est victime cruelle...

Intéressons-nous à leurs vies et rêvons à leurs secrets, en attendant, peut-être, que fasse irruption dans la mémoire anglo-saxonne une Black Agnes III.

 

Black Agnes I

 

Sir Walter Scott dit d'elle : "From the record of Scottish heroes, none can presume to erase her."

Epouse de Patrick Dunbar, comtesse de Moray, elle devait son surnom à ses cheveux très noirs. Elle était seule dans son château d'Ecosse, en 1338, au milieu des guerres anglo-écossaises. Entourée d'une poignée d'hommes et de ses servantes, elle refusa de se rendre lorsque les Anglais, menés par le Comte de Salisbury William Montague, assiégèrent son château.

Le siège dura six mois. Pendant six mois, Black Agnes nargua l'armée qui l'assiégeait, envoyant ses servantes, habillées richement, nettoyer les traces de la guerre sur les remparts. Elle ne céda à aucun chantage : quand on fit mine d'assassiner son frère aux portes du château, elle parut se réjouir, expliquant aux Anglais qu'elle hériterait avec joie de ses titres et de sa fortune. Joués par cette ruse, ne voulant pas satisfaire leur ennemie, ils laissèrent son frère en vie ! Elle reçut un appui extérieur au moment où, les vivres arrivant à leurs fins, on crut qu'elle devrait se rendre.

Le Comte de Salisbury, un des plus grands guerriers anglais, finit par abandonner la bataille et repartit avec ses troupes.

 

Black Agnes II

 

Une statue de Baltimore s'appelle Black Agnes. Black Agnes représente un personnage sans doute féminin, vêtu d'une longue robe, en position assise.

Des jeunes filles pétries de mystère et de malsain chuchotent tard dans la nuit à propos d'une certaine statue du cimetière : on dit qu'à minuit, les yeux de Black Agnes deviennent rouges et fixent intensément au loin. Car elle est habitée par l'esprit d'une femme morte de chagrin, après une infidélité de son fiancé, il y a très longtemps. Elle veut se venger de la femme qui en fut la cause.

Exaltée, téméraire, une jeune fille se porte volontaire pour aller passer la nuit dans le cimetière, auprès de Black Agnes. Ses amies, excitées et effrayées, tentent en vain de l'en empêcher. Le soir où l'adolescente a prévu de tenir son pari, ses amies l'accompagnent aux grilles majestueuses du jardin funèbre. Elles laissent l'héroïne s'engouffrer seule dans les allées et s'en vont se réfugier dans la maison de l'une d'entre elles. Dès l'aube, elles attendent, impatientes, le retour de leur amie. Mais celle-ci ne revient pas.

A la fin de la matinée, les jeunes filles mortes d'inquiétude se mettent en marche vers le cimetière.

Au fond des allées de tombes, sur les genoux de la statue de pierre, elle git, assassinée. Black Agnes s'est enfin vengée.

Plusieurs versions de la légende urbaine et sépulcrale de la jeune fille et du cimetière sont racontées dans différents endroits des Etats-Unis. Cette histoire faisait peut-être déjà frissonner l'Europe moyen-âgeuse.

Aujourd'hui, Black Agnes ne repose plus dans le cimetière de Baltimore : les autorités de la ville ont dû la déplacer plusieurs fois pour échapper aux messes noires et aux rituels morbides que les adolescents perpétraient, de nuit, à son chevet.

 

vendredi, 22 mai 2009

Psalmodie atone souffle

jeudi, 21 mai 2009

la traduction de l'humanisme

 

 

L'humanisme et les droits de l'homme au regard
des langues quechua et tahitienne

N&B1600_47.12.jpgphot Edith CL pour VillaBar

Par Edith de Cornulier-lucinière

 

L’humanisme n’est pas la seule façon que les humains ont inventée pour respecter les êtres humains dans leur ensemble, dans leur diversité, dans leurs individualités. D’autres cultures, d’autres expériences du monde existent. Remettre en cause l’humanisme comme seule idée généreuse fait peur. Certes, nous avons des raisons d’avoir peur d’un relativisme sans éthique, qui consisterait à dire que toutes les idées se valent, que le jugement qu’on porte sur elle n’est jamais que l’expression d’un point de vue ; que celui-ci ne saurait s’ériger en vérité universelle. Pourtant, la négation des réalités culturelles, sous le prétexte que certains pourraient s’en servir pour émettre des interprétations violentes, n’est pas une solution durable. L’humanisme est une notion très occidentale, et sa diffusion dans le monde s’est faite souvent par la violence. Nous voudrions montrer comment l’évangélisation constitua la première forme de diffusion de l’humanisme à travers le monde, et comment, aujourd’hui, la théorie des droits de l’homme ne se traduit et ne se comprend dans des cultures que grâce à ce précédent évangélisateur. Une telle démonstration ne veut pas s’attaquer à l’humanisme, ni le dénigrer. Il s’agit de montrer, en premier lieu, que ce qui paraît évidence dans notre pensée ne l’est pas forcément dans d’autres, tout aussi dignes d’intérêt ; il s’agit aussi d’ouvrir la porte à d’autres façons de vivre le monde et de respecter les êtres.

Notre étude porte sur la façon dont les missionnaires chrétiens, catholiques du Pérou au XVI et XVIIèmes siècles, et protestants de Tahiti au XIXème siècle, s’y sont pris pour remanier les langues indigènes afin d’y importer les concepts nécessaires à l’évangélisation qu’ils entreprenaient.

Claude Levi-Strauss, dans son livre "La Pensée sauvage", rappelle qu' "on s'est longtemps plu à citer ces langues où les termes manquent, pour exprimer des concepts tels ceux d'arbre ou d'animal, bien qu'on y trouve tous les mots nécessaires à un inventaire détaillé des espèces et des variétés. Mais, invoquant ces cas à l'appui d'une prétendue inaptitude des "primitifs" à la pensée abstraite, on omettait d'abord d'autres exemples, qui attestent que la richesse en mots abstraits n'est pas l'apanage des seules langues civilisées".

Prenons le mot humain, tel que nous l'entendons, en français, lorsque nous définissons notre espèce, dans un double sens scientifique et "identitaire"- c'est-à-dire quand nous apparaissent à la fois les caractéristiques physiques de l'espèce humaine, et le sentiment diffus de sa place particulière, l'extrayant du monde des autres espèces. Ce sens particulier que prend humain ne trouve pas de synonyme dans les langues polynésiennes et amérindiennes. Il en découle que beaucoup de traductions, bilatérales, sont imprécises ou erronées.

A travers l'étude de textes missionnaires quechuas et tahitiens, on peut mettre au jour comment des concepts issus de la tradition judéo-chrétienne européenne ont été traduits et "installés" dans les langues quechua et tahitienne en vue de prêcher le christianisme. Cette comparaison dévoile qu’en quechua comme en tahitien, les problèmes rencontrés par les missionnaires pour christianiser concernaient plus les oppositions entre les mots que le manque de mots. Ainsi, l'absence du mot animal dans ces deux langues, pour parler de tous les animaux non humains, souligne cette impossible correspondance entre le mot humain et ceux qui lui correspondent en quechua et en tahitien. Nous verrons comment, dans les Andes et en Polynésie, ces missionnaires s'y prirent pour surmonter le gouffre culturel auquel ils durent faire face pour leur entreprise de colonisation intellectuelle - en fait, le remaniement du lexique des langues de réception.

La filiation entre cette démarche et celle de la traduction de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, texte fondamental de l'époque contemporaine, est claire : fondée sur l'humanisme, elle fait appel aux concepts que les missionnaires avaient importés dans ces langues. Cette traduction moderne doit à la précédente autant que les droits de l'homme doivent au christianisme.

 

I L’animal, une catégorie humaniste

 

Sa solitude dans la parole est l’une des grandes interrogations de l’être humain, seul animal à penser sa propre particularité avec des mots. Le lexique est un témoignage de cette expérience. A travers la façon dont elle classe les êtres animés, inanimés, connus et imaginés, la langue dévoile des interrogations sur le monde, et des tentatives de réponses.

Dans les langues scientifiques occidentales, l'homme érige une frontière entre lui et les autres animaux en les classant sous le nom générique animal. Elle nous paraît évidente, la conception extrême d'une animalité englobant une somme énorme d'êtres différents, des poissons, insectes, limaces, mammifères, primates, pour y opposer l’humain. Si la possession de catégories est commune à toutes les langues - les langues polynésiennes, qui ne connaissent pas animal, ont bien "i'a", pour poisson - la catégorie animal, qui place invertébrés et primates dans la même catégorie, ne s'explique bizarrement que par l'anthropocentrisme. Cette tentation partagée de focalisation sur sa propre espèce, sorte de protectionnisme philosophique, a été poussée à fond chez nous. D’autres cultures, en n'érigeant pas cette frontière radicale, proposent une vision de l'homme différente du questionnement "occidental". Il est d'ailleurs facile d'imaginer l'absence du mot animal dans des cultures où l'identité personnelle ne se réduit pas à l’état humain, qu'on vive sous le signe d'une espèce animale, ou qu'on ait des relations familiales avec des animaux, par exemple un frère réincarné en bison.

Comme l'explique l'anthropologue Philippe Descola : «À la différence du dualisme moderne qui distribue humains et non-humains en deux domaines ontologiques plus ou moins étanches, les cosmologies amazoniennes établissent entre les hommes, les plantes et les animaux une différence de degré et non pas de nature (…) Les Achuar établissent certes des distinctions entre les entités qui peuplent le monde. La hiérarchie des êtres animés et inanimés qui en découle n'est pourtant pas fondée sur des degrés de perfection de l'être, sur des différences d'apparence ou sur un cumul progressif de propriétés intrinsèques. Elle s'appuie sur la variation dans les modes de communication qu'autorise l'appréhension de qualités sensibles inégalement distribuées".

L'inexistence de cette dualité "humains- animaux" amène inévitablement l'absence de la dualité "culture- nature".

En tahitien, animal se dit ‘animara, un emprunt à l’anglais animal. Le quechua, a emprunté animal à l’espagnol. En hawaiien, langue très proche du tahitien, il existe un néologisme de animal forgé sur des racines hawaiiennes, englobant tous les animaux non humains. Ce mot date évidemment de la rencontre avec l'Occident. En effet, il est impossible que holoholona, forgé à partir du mot holo : courir, (holoholo : courir beaucoup, très vite) ait pu désigner autant une chauve-souris, un otarie, un oiseau ou un poisson dans la langue hawaienne pré-européenne… C’est une définition conceptuelle, chrétienne et humaniste, de l’animal.

Comme le mot « hommes » dans les langues latines, le tahitien et le quechua ont un mot qui prend le double sens "humain / humain mâle" (quechua : runa ; tahitien, ta’ata). Pour rendre son sens équivalent au sens latin, il a suffit aux missionnaires de l'opposer à un nouveau mot : "animal", dont la création a eu la même histoire dans les deux langues. On a tenté d’élargir le sens du mot quechua uywa et du mot tahitien puaa, qui signifiait bétail, animaux de la maison. Cette solution figure dans les premiers prêches écrits des missionnaires. Mais bientôt l’emprunt animal s’est imposé.

 

Nous, les êtres humains

L’idée courante que les amérindiens et Inuits s'appellent eux-mêmes les êtres humains, revêt dès lors un aspect frelaté. Elle laisse entendre que ces peuples considèrent qu'ils ont une primauté à l'humanité. En fait, les Indiens peuvent par ce mot exprimer le nom de leur ethnie (nous les Sioux), la notion d'indigène (nous les Indiens), ou, effectivement, le fait qu’il s’agit de gens humains.

Nous les êtres humains. Tel est le titre du livre des anthropologues péruviens Valderrama et Escalante, qui transcrit la parole de deux paysans andins. Etant donné le contexte de paysans quechuaphones interrogés par des universitaires citadins, la traduction fidèle de l’expression quechua Ñuqanchik runakuna eut été nosotros los campesinos, nous les paysans, ce qui signifie : nous, les paysans qui vivons dans les montagnes, loin des villes, selon les règles des communautés andines. Il arrive qu'un paysan hispanophone blanc des Andes, par exemple, soit plus runa, dans l'esprit des deux hommes interrogés dans ce livre, que deux quechuaphones d'ethnie andine vivant en citadins à Lima. Runa est souvent employé comme "Indien" ou "campesino," paysan de la montagne, et correspond plus à un mode de vie qu'à une quelconque référence ethnique, linguistique, ou spéciste. La traduction par humanos, humains, des anthropologues ordonne ainsi au lecteur une interprétation erronée, qu'une traduction sobre aurait évitée. Elle crée un "homme andin" qui aurait une définition précise de l'humanité, dont il serait la forme la plus évoluée, ou tout au moins la plus représentative, puisque les autres humains n'en feraient pas partie. En faisant comme si ces cultures s’excluaient elles-mêmes d’une pensée globale sur le monde, elle les place en outre dans une situation d'éternel objet de travail pour l’ethnologue.

La recherche de la publicité et de l’exotisme, doublée d’un désir de s’apitoyer sur des gens en situation dominée, justifie-t-elle une telle tromperie ? On retrouve ce type de traductions publicitaires pour les amérindiens des Etats-Unis et du Canada, par exemple dans l’expression "homme-médecine", qui signifie soignant ou guérisseur. Lorsqu'on traduit un texte de l'anglais, on ne dit pas "l'homme-feu" pour le pompier –fire-man.

 

 

La notion d’occident, d'usage répandu mais flou

Puisque nous comparons des langues dites occidentales et des langues comme le quechua ou le tahitien ; il est nécessaire de clarifier la notion d’Occident, et celle de langue occidentale.

Pour le Petit Robert, le sens courant d’occident donne "région située vers l'ouest, par rapport à un lieu donné ; partie de l'ancien monde située à l'ouest. L'empire romain d'Occident". Le sens politique englobe l'"Europe de l'Ouest, les Etats-Unis et, plus généralement, les membres de l'Organisation du Traité de l'atlantique Nord". Ce qui est "occidental" est "à l'Ouest", ou bien "se rapporte à l'Occident, à l'Europe de l'Ouest et aux Etats-Unis". Enfin, "occidentaliser" signifie "modifier conformément aux habitudes de l'Occident".

Comme le rappelle Joseph Earl Joseph, dans son livre sur la standardisation des langues "Eloquence and Power", la civilisation occidentale et l’Occident ne se confondent pas. La civilisation occidentale n’est pas européenne, mais s’est développée en Grèce parmi une élite, puis s’est transmise à Rome pour se disséminer dans le Proche Orient puis en Europe. Peu à peu, elle a touché un nombre de plus en plus grand de gens, de peuples, en Europe et ailleurs, souvent avec violence. Ainsi une langue occidentale ne doit pas se confondre avec une langue de civilisation occidentale. Le basque, n'ayant pas participé de la construction de ce qui fait l'organisation de notre vie contemporaine, technique et humaniste, ne serait alors pas une langue occidentale, moins en tout cas que le japonais. Lorsque nous parlons des langues de civilisation occidentale, nous devrions accoler l’épithète scientifique. Les "langues scientifiques", au sein desquelles le système de vie moderne actuel s'est créé, sont le passage obligatoire, le lieu à partir duquel on étudie et commente les autres cultures. Nul échange culturel ou linguistique direct n'a lieu entre une communauté sioux et une communauté quechuaphone, ou une communauté parlant une langue bantoue et les Tchouktches. Ce résultat d'un ordre économique et politique altère ainsi l'intensité des rencontres interculturelles.

 

 

II La langue christianisée

 

« Que Jéhovah (…) me rende capable de renoncer à toutes mes coutumes perverses pour devenir un des siens, et être sauvé par Jésus-Christ, notre seul Sauveur". Lettre du roi Pomaré du 25 décembre 1812, quinze ans après l'arrivée, sans armes, des premiers missionnaires à Tahiti

 

Deux siècles séparent l'évangélisation andine de celle des îles sous le vent. La découverte de l'Amérique latine, lors des premières grandes explorations européennes, ouvre l'ère missionnaire. Dans l'ex-empire inca, renversé facilement, la colonisation et la christianisation vont de pair ; pouvoirs colonial et religieux sont liés. L'exploration de la Polynésie commence en 1767, le partage de l'Océanie insulaire entre les puissances colonisatrices a lieu à partir de 1870. La christianisation a de loin précédé la colonisation. A Tahiti, la conversion volontaire du roi Pomaré change la nature de l'évangélisation : elle est promue "de l'intérieur". Les missionnaires ont oeuvré à la transformation radicale de la Polynésie en toute indépendance, réalisant les théocraties missionnaires du Pacifique Sud.

Le regard sur les peuples autochtones oscille entre l’image d’un peuple préservé du péché par Dieu, qui les a maintenu dans l’ignorance et la pureté, les préparant ainsi à une conversion idéale et parfaite, et celle d’un peuple perverti par le diable. Dans les deux cas on en vint à imaginer un monothéisme originel oublié chez les Tahitiens et les peuples andins, qu’il fallait raviver. Les missionnaires versaient souvent dans l’une ou l’autre des versions, entre peuples immaculés, peuples amnésiques et peuples pervertis. Tel est le paradoxe du regard sur autrui, miroir mythique reflétant l'innocence préservée ou l’incarnation du mal. Au XVIème siècle, le Père Francisco de la Cruz (mort sur un bûcher de l’Inquisition au Pérou), convaincu que les Amérindiens constituaient l’une des tribus perdues d’Israël, voyait une filiation entre les lexique hébreu et quechua. A Tahiti, nombreux furent ceux qui décelèrent des ressemblances frappantes entre le tahitien et l’hébreu.

 

De la langue à l’esprit

La « conversion des mentalités » est un terme forgé tardivement par les missionnaires pour exprimer l’idée que la conversion s’effectue en profondeur, au-delà du conscient contrôlé des gens. Il s’agit de s’attacher à l’« élimination des structures de péché » présentes dans les cultures, en remodelant les liens qui entremêlent le champ de l’intériorité de la personne et le thème de la culpabilité. L’intériorité de l’individu doit être transformée, pour n’être plus propice aux péchés favorisés par sa culture. Dans la création linguistique missionnaire, la conversion des mentalités passe par la modification des relations sémantiques qui existent au sein de la langue.

Le prosélytisme religieux fut, dans le monde entier, la plus grande motivation de standardisation des langues et de diffusion de l’écriture. La suggestivité fluide qui lie entre eux les mots et expressions d’une langue, créée par la mémoire des paroles, des textes entendus, constitue le « contexte »  linguistique commun aux locuteurs d’une langue. Cette suggestivité forme le style et la pensée du groupe humain entier qui partage cette langue. La connaissance spontanée des nuances qui entourent chaque mot et des liens qui les unissent, permet une intercompréhension intuitive entre les gens. C’est à la modification du réseau de ces appels et de ces renvois entre les mots d’une langue, que l’évangélisation linguistique s’attelle. L’évidence n’existe pas mais se construit. Il faut que ces réseaux s’ordonnent de façon à ce qu’une pensée christianisée émerge de la langue.

 

La pensée, le corps et l’expérience du monde

Dans les Andes, les missionnaires réalisèrent que les distinctions entre pensée et sentiment n’existaient pas de la même façon, non plus que le jugement sur les degrés de réalité du monde mental et du monde physique. Dans les confessionnaires quechuas, l’alternance constante entre les questions sur les actions effectuées et les actions imaginées, rêvées ou désirées vise à distinguer la pensée et l’action, qui ont une différence non pas de nature, mais de degré - la première étant moins grave, puisque moins réelle que la seconde. Le monde réel se réduit au monde mesurable ; les autres dimensions appartiennent soit au champ de l’imaginaire et du mensonge, soit au domaine de Dieu - ou à celui du diable. Le catéchumène andin, pour qui la virtualité des choses ne constituait pas une mesure de leur irréalité, doit apprendre à se lire d’après ces critères nouveaux.

Dans les Andes, le regard, comme la parole, n’étaient pas hors du monde. Les missionnaires durent traduire une pensée ex nihilo au sein d’une culture pour qui la pensée surgissait de mundo. Ils transmirent qu’être au monde ne constitue pas en soi une pensée, que la pensée se sépare du corps. Cette insistance à modifier le rapport à la pensée et à l’action crée de nouvelles frontières entre l’intériorité et l’extériorité de la personne : la christianisation a redessiné les frontières du réel. Un exemple est la création d’un mot quechua pour dire le corps.

Ukhu (dedans, intérieur), tombé en désuétude depuis, a été utilisé pour traduire le concept, inexistant en quechua, de corps. Mais cette création missionnaire corps (ukhu), signifie au départ intérieur, profond. Il n’est pas inintéressant de relever que Ukhupacha (ukhu, intérieur, pacha, monde) « monde intérieur », ou inframonde, a été créé pour signifier « enfer ». Donc Enfer, littéralement, veut aussi dire « monde du corps ». Le corps est à l’âme ce que l’animal est à l’homme : une entité matérielle inférieure et nécessaire.

 

La traduction des "oppositions" chrétiennes

Les missionnaires, pour introduire des idées nouvelles, telle un dieu unique et créateur, la place spéciale de l'homme dans la nature parce qu'il est fils de Dieu, l'âme, usent d’outils linguistiques que sont l'emprunt, le néologisme, ou l'altération d'un mot indigène. Un emprunt est l'adoption d'un mot étranger, tel quel ou en l'adaptant à la phonologie de la langue qui emprunte. Le néologisme est la création d’un nouveau mot, au moyen de racines de la langue locale, mais en copiant la formation dans la langue originale. L’altération d’un mot consiste, par un procédé rhétorique de répétition, à vider un mot indigène de son sens initial pour lui faire porter une définition chrétienne. Ainsi, le mot quechua musquy a été vidé de ses connotations religieuses et divinatoires pour signifier simplement « rêve ».

L’historien Juan Carlos Estenssoro énonce que ce n’est souvent pas le manque de mot correspondant qui gêne les missionnaires, mais la profusion de notions qui ne relèvent pas du dualisme chrétien. Dès lors, traduire, c’est installer des oppositions dans la langue. Au dela de la difficulté à traduire un mot, il est souvent impossible de traduire l'implication de ce mot, par rapport à un autre mot. On peut éventuellement trouver au sein de la langue réceptrice un mot qui conviendrait, mais comment traduire les nuances qu’il porte, et surtout la nuance d'opposition à un autre mot ? C'est la traduction de cette opposition qui constitue tout le travail intellectuel du missionnaire. Ainsi, le mot "supay", "démon", présent en quechua, pourrait traduire diable, mais il ne s'impose pas absolument et catégoriquement comme l'opposé parfait de "Dieu". Or, cette opposition est précisément ce dont la foi chrétienne témoigne, et ce qu'elle veut transmettre.

L'emprunt (ou le néologisme) systématique "animal" dans les langues christianisées ne le possédant pas relève de ce phénomène ; ce n'est pas qu'on a besoin d'un terme décrivant la catégorie animale, mais bien d'un terme s'opposant de façon radicale à celui d'humain, isolant l'humain. C'est parce que le missionnaire a besoin d'extraire l'humain du "reste" de la "nature", qu'il a besoin du mot animal. Ce n'est donc pas l'existence préalable, ou la traduction de humain et animal dont on a besoin, c'est de leur opposition. Cette opposition n'est jamais sans ambiguité ; le jeu des oppositions se complexifie par un réseau hiérarchique d’assimilations. L’âme s’oppose au corps, Dieu s’oppose à Satan, le chrétien s’oppose à l’Indien, l’homme s’oppose à l’animal, ce que l’on peut traduire par : le bien s’oppose au mal. Mais l’humain est un animal, l’Indien peut être un chrétien, et l’esprit est contenu dans la matière. La catégorie humain s'oppose à animal tout en en faisant partie. Dans animal, il y a humain, mais humain est presque le contraire de animal (grâce à âme). Dieu est plus grand que humain qui est plus grand que animal. Et au sein de humain, il y a les chrétiens, qui reconnaissent la vérité, et les autres. Chrétien, englobe indien, et s’y oppose.

Ce que les missionnaires traduisent, ce sont les relations entre les mots. Au-delà des mots, ils traduisent le silence de leur propre langue. En convertissant les indigènes à leur idée de Dieu, les missionnaires les ont finalement converti à leur idée de l'homme. Au delà de la foi chrétienne, c'est leur vision de l'homme, et la place que celui-ci doit occuper au sein du monde, que les missionnaires imposent. A cet égard, les missionnaires laïcs, traducteurs de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen héritent de cette opposition amenée par les missionnaires : tacitement, en donnant la valeur ultime à l'homme, ils l'enlevent aux animaux. L'homme n'a pas de valeur en lui-même, mais revêt toute sa dignité (son âme) dans cette opposition - l'animal étant l' « antéhomme » le plus pertinent du fait même de cette appartenance commune avec l'homme au… Monde animal.

 

La fusion des notions et des cultures

Les traducteurs de la foi chrétienne ne peuvent maîtriser toutes les interprétations auxquelles leurs textes donnent lieu. Les glissements de sens des mots locaux, l’inexistence d’oppositions dans la pensée locale pouvaient semer de grands écarts théologiques dans les esprits récemment convertis. Il fallait risquer des mésinterprétations en établissant un texte compréhensible ; ou bien réinventer une langue ; mais un pasteur protestant relate qu’à Tahiti, l’abondance de mots empruntés au grec et à l'hébreu rendait les textes tahitiens si obscurs qu’il fallait un interprète pour expliquer le sens des nouveaux mots tahitiens aux Tahitiens.

Au Pérou comme dans les îles sous le vent, en même temps que la langue était christianisée, le christianisme était indigénisé. Il y a eu rencontre des cultures et influence mutuelle. La façon de penser leur propre histoire lointaine par ces peuples a été influencée par des concepts datant du christianisme ; le passé préeuropéen est interprété en fonction d’idées chrétiennes. Il n’est pas rare que des termes « importés » ou forgés pour les causes de la christianisation soient devenus emblèmes de la langue d’accueil. Suite aux évangélisations andine et tahitienne, les gens donnent une origine étrangère à des mots locaux, croyant la notion importée par le christianisme alors qu’elle est antérieure ; inversement, ils pourront croire à une origine autochtone de mots en réalité « importés » par les missionnaires. « C’est ainsi que les mêmes idées, les mêmes images, les mêmes mots qui servaient autrefois à justifier la colonisation, alimentent aujourd’hui les luttes des autochtones contre leurs colonisateurs », explique Bruno Saura dans son ouvrage "La société tahitienne au miroir d'Israël". A Tahiti, le principal parti indépendantiste s’appelle Tavini huiraatira. Tavini, de l’anglais servant, désignait les serviteurs de Dieu, puis son sens s’est étendu aux serviteurs de la population. Dès le XIX ème siècle, le terme ture, lois (vient de l’hébreu torah), remplace presque l’usage de l’ancien mot tapu (tabous, interdits), au point que dans ses mémoires, Marau Taaroa, épouse de Pomaré V et dernière reine de Tahiti, évoque sans cesse les « lois » des arii (chefs/rois) des temps pré-européens à l’aide de ce mot. Dans le texte de la relation de Huarochiri, manuscrit quechua du XVIIème siècle relatant les coutumes et croyances andines au temps des Incas, Gérald Taylor note le même phénomène. Toute rencontre, même violente, même "colonisatrice", est faite d'interactions ; tant qu'une culture, tant qu'une langue, n'est pas morte, non seulement elle participe à sa propre vie, à sa perpétuelle reconstruction, mais elle en est même la principale actrice, puisqu'elle en est en même temps le moyen.

 

 

III La monothéisation du religieux andin et tahitien

 

Le message essentiel qu'il fallait transmettre aux peuples catéchumènes, était une nouvelle hiérarchie du monde : à un dieu unique et créateur étaient soumis l'humanité, unique, à laquelle étaient soumis les animaux et toutes les créations de la planète.

 

Vers un dieu unique, supérieur, créateur

Dans les Andes comme dans les îles sous le vent, une nouvelle idole, Dieu, est venue remplacer les idoles traditionnelles. Des chercheurs ont soutenu que les évangélisateurs des Andes ont voulu que les Indiens assimilent l'Esprit Saint au soleil, puisqu’il est plus facile de remplacer une croyance par son équivalence, plutôt que de l'effacer. A ce propos, il est curieux de noter que dans un des plus vieux pays chrétiens du monde, l'Ethiopie, c'est la trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, qui trônait dans les églises, et que les révolutionnaires communistes, convertis au marxisme par des professeurs d'université anglais, ont essayé de remplacer par les portraits de Marx, Lénine et Staline.

Ce sermon quechua, qui fait partie du catéchisme établi lors du troisième Concile de Lima (1584), lutte de façon didactique mais virulente contre les idoles et pour l'instauration du vrai et unique dieu :

 

83. Intiqa manam animaqyuqchu, manam yuyayniyuqchu, manataq imaktapas riqsinchu, rimaytapas yachanchu.

Le soleil n'a pas d'âme, pas d'intelligence, il ne connaît rien, ne sait pas parler.

 

85. Diosmi hanaqpachapi runakunap illariqinchikpaq churarqan.

C'est Dieu qui l'a mis dans le ciel pour éclairer les humains.

 

86. Killari quyllurkunapas intimanta aswan pisi yupaymi.

Et la lune et les étoiles ont encore moins de valeur que le soleil.

 

98. Warmakunaraqmi ari aswan sunquyuq chay usupa machuykichikkunamanta.

Mêmes les enfants ont plus de "jugeotte" que vos ancêtres inutiles.

 

102. Diospa siminmantam munasqanmantam parapas asllapas achkapas hamun.

La pluie tombe doucement, ou beaucoup, selon la parole et la volonté de Dieu.

 

103. Puyukunari paypa simillantam yupaychanku.

Et les nuages n'obéissent qu'à lui.

 

104. Dios sapallantaqmi tukuy hinantinpa apunchik kamachikuqinchik.

Dieu seul est notre seigneur, qui nous commande.

 

105. Mayukunapas urqukanapas hatun quchapas kay tukuy hinantin pachapas pukyukunapas hachakunapas llapa kawsaqkunapas Diospa rurasqan kamam.

Les fleuves, la mer, la terre entière, les puits, les arbres, et les êtres vivants (animaux) ont tous été créés par Dieu.

 

(Pour tous les sermons quechuas : Gérald TAYLOR, El sol, la luna y las estrellas no son Dios…, La evangelizacion en quechua (siglo XVI), Lima, Instituto Francés de Estudios Andinos, 2003. Ils datent tous du XVIème siècle).

 

Notons que l'humain est le seul être de valeur parce qu'il peut parler, et raisonner. La parole est le signe extérieur de l’âme. Le soleil a été créé pour éclairer expressément l'humain, qui est le soleil de toute la création. Cet humain supérieur, auquel toutes les autres créatures sont soumises, se trouve sur terre dans la même situation que Dieu par rapport à l'humanité. Enfin, la sentence est surprenante, qui juge que la lune et les étoiles ont encore moins de valeur que le soleil. Comment, quand seul ce qui raisonne a de la valeur, le soleil, dont il est clairement indiqué qu'il n'a ni âme ni intelligence, peut-il être supérieur à la lune et aux étoiles ?

Un autre sermon, issu du même catéchisme que le sermon précédent, « invente » étrangement que certains des commandements de "Dieu" concernent précisément le cas andin ; la fin justifie les moyens :

 

22. Ama umukunaman "imap hamunqanta yachasaq" nispa minkakuq rinkichu nispam.

N'allez pas demander de l'aide aux sorciers, croyant qu'ils connaissent l'avenir.

 

23. Diosninchik qillqanpi kamachiwanchik ñakarikuspari "amam paykunaman "imanam kasaq" ? nispa tapukuq watuchikuq rinkichu" niwanchikmi.

Notre Dieu nous ordonne dans ses écritures, sans quoi il nous punit: " ne les interroge pas sur ton avenir, ne leur demande pas non plus qu'ils fassent des sortilèges".

 

24. "Kay huchakta huchallikuqtaqa rumiwan chuqachakuspa wañuchichun" ninmi.

Dieu exige que l'on lapide ceux qui commettent une telle faute. (Sermon 19)

 

La guerre des dieux

Dans les Andes comme à Tahiti, le meilleur moyen de convaincre fut de prouver l'efficacité supérieure du dieu chrétien, ce qui n'est pas sans rappeler certain passage de la Bible : le bâton changé en gros serpent (nous citons la Bible d'Osty).

 

"Yahvé dit à Moïse et à Aaron : " Lorsque Pharaon vous parlera, en disant : Opérez un prodige en votre faveur, - tu diras à Aaron : Prends ton bâton et jette-le devant Pharaon : qu'il devienne un gros serpent. " Moïse et Aaron se rendirent chez Pharaon et firent ainsi qu'avait commandé Yahvé ; Aaron jeta son bâton devant Pharaon et devant ses serviteurs : il devint un gros serpent. Pharaon aussi convoque les sages et les sorciers. Et les magiciens d'Egypte, eux aussi, en firent autant par leurs pratiques occultes. Ils jetèrent chacun leur bâton : les bâtons devinrent de gros serpents, mais le bâton d'Aaron engloutit leurs bâtons."

 

Les prêcheurs andins n'ont pas résisté à déployer cette preuve, la plus convaincante, bien qu'elle ne corresponde pas à la théologie catholique qui rend gloire aux pauvres de cœur et aux perdants :

 

131. Ma,wakaykichikkunachu nawpa pacha machuykichikkunakta yayaykichikkunakta wiraquchap makinmanta qispichirqanku, amachakurqanku ?

Voyez, vos huacas vous ont-ils protégé et sauvé vos ancêtres et vos pères de la main des Espagnols ? (Sermon 18)

 

Et à Tahiti ? Cet épisode, raconté par un missionnaire des premiers temps, a lieu cinq ans après l'arrivée des missionnaires protestants :

"En mars 1802, monsieur Nott, accompagné de monsieur Elder, effectua la première tournée missionnaire sur l'île de Tahiti. Ils furent en règle générale, bien reçus et traités comme des hôtes. (…)

Certains disaient qu'ils aimeraient prier le vrai Dieu, mais craignaient que les dieux de Tahiti ne les détruisent s'ils le faisaient (…) En rentrant chez eux, ils traversèrent le district d'Atehuru. Là, le roi Pomaré tenait conseil sur le grand marae (…) Les missionnaires virent une quantité de cochons sur l'autel et plusieurs corps humains sacrifiés.(…) Les missionnaires dirent à Pomaré que Jéhovah seul était Dieu ; qu'il n'acceptait pas de cochons en offrandes ; que Jésus Christ était le seul rachat pour les péchés ; et qu'ils offensaient Dieu en tuant les hommes. Le chef parut d'abord ne pas écouter ; mais finalement déclara qu'il suivrait leur religion. » (Cité par Ellis)

 

Après la conversion du roi Pomaré, il y a eu une sorte de guerre des dieux rappelant celle du dieu de Moïse et du dieu égyptien. En Polynésie il s'agissait du dieu 'Oro, seul capable de faire face à la toute puissance du dieu des chrétiens. Un manuscrit anonyme, rédigé par un tahitien en 1846 cinquante ans après l'arrivée des premiers missionnaires, et publié sous le titre Histoire et traditions de Huahine et Pora Pora, raconte la guerre de Fe'i Pi, qui donna raison - au sens où les armes peuvent donner raison - aux adorateurs de "Dieu," et perdit définitivement les idoles.

Furieux contre le roi Pomaré II, qui a abandonné le culte des idoles traditionnels, des Polynésiens se rebellèrent, soutenus par le guerrier 'Öpü-hara et des prêtres de l’ancienne religion. Le roi Pomaré organisa la riposte, et une véritable bataille eut lieu entre les adorateurs du dieu ‘Oro et ceux du dieu chrétien Jéovah. Pomaré gagna contre les adorateurs d’idoles. Après la bataille, qui fit beaucoup de morts du côté des adeptes de la religion ancestrale, les habitants des îles alentour adoptèrent Jéovah et laissèrent tomber ‘Oro et les autres idoles.

Comme le fait remarquer Bruno Saura dans son introduction à ce livre, l'auteur indigène tahitien emploie l'emprunt phonologiquement aménagé Itoro pour idole, preuve de l'intériorisation de la vision de la religion tahitienne par les missionnaires. Enfin, il rappelle que la christianisation ne fut pas forcée (c'est-à-dire que l'aspect autoritaire releva du choix des chefs tahitiens, et non des missionnaires), et que la conquête missionnaire ne fut pas une conquête militaire. Ce sont d’ailleurs les chefs polynésiens convertis qui réprimèrent sévèrement le mouvement mamaïa, autre rebellion ayant lieu dix ans après la guerre des idoles. Le mouvement mamaia fut une tentative de résistance à la christianisation de Tahiti. Il commença le jour où Teao déclara qu'il avait reçu une révélation de Dieu ("Il n'y a pas d'enfer. Pas de péché et pas de châtiment futur. Chaque homme peut faire ce qui lui plait, comme s'enivrer, commettre l"adultère, etc., et il n'y a pas de mal à faire toutes ces choses.")

 

La bestialisation des bêtes, l'humanisation de l'humain

Ce sermon prépare le quechua à recevoir le mot animal et à l'assimiler : l'être humain se distingue ontologiquement de tous les autres animaux.

 

12; runakunap animanchikkunaqa manam ukunchikkunawanchu wañunku llamakunahina.

Nos âmes à nous les êtres humains ne meurent pas comme notre intérieur (nos corps), comme c'est le cas pour les lamas (animaux).

 

30. Llapa runakunam ukupacha winay nakarikuypaq nisqa karqanchik huchanchikraykumanta, machunchikkunap Diosta mana yupaychasqan huchanraykumantawan.

Tous les êtres humains, nous étions condamnés à souffrir pour toujours en enfer à cause de nos fautes et à cause des fautes de nos ancêtres qui n'honoraient pas Dieu.

 

Les âmes des animaux meurent tandis que la nôtre ne meurt pas. Descartes (1596-1650), quelques décennies après ce sermon, acceptait une âme aux animaux, commune avec celle des humains, qui leur permettait de vivre, mais mourait avec leur corps. L’âme que les humains possédaient en plus était supérieure et immortelle. L'"âme fonctionnelle" des animaux servait d'"explication scientifique" au "mystère de la vie". Les animaux vivent, ils ont donc une âme, mais c'est une âme provisoire, jetable, contrairement à l'âme humaine. Mais si les autres animaux ne sont pas éternels, ils échappent ainsi à l'enfer. Par la supériorité comme par la punition l'humanité est extraite du monde animal, pour constituer l’espèce élue de Dieu.

 

Les descendants d'Adam et Eve, supérieurs et coupables

Il n'y a plus « des humains » plongés dans le monde, mais une humanité, qui englobe tous les êtres humains, et s’extrait du reste de la création. Cette façon de penser l'humanité comme un ensemble uni est une nouveauté de taille. Instaurer une humanité unique, indivisible et supérieure revient à ancrer deux fondements de la doctrine : l’établissement de la filiation commune de tous les hommes, quelle que soit leur origine ethnique ou leurs croyances, vis à vis de Dieu, et la diffusion en chacun du péché originel. Avec un seul Dieu, une seule humanité, et le péché originel généralisé, l’évangélisation est fondée idéologiquement.

L’individualisation du péché accompagne l’implémentation du monothéisme et d’une humanité unie et unique. Elle brouille les relations prééxistentes entre les gens pour établir la solitude de l’homme face à Dieu. Le seul péché collectif est le péché originel d’Adam et Eve. Depuis, il n’y a que des péchés individuels : l’humanité est un tout ou une myriade d’individus isolés. Il n’y a plus de sous groupe. Même lorsqu’on pèche à plusieurs, (adultère, crime collectif) la faute, et donc la réparation, sont considérées individuellement. Un adultère est vu comme deux fautes individuelles, non comme une faute collective. La gestion collective des relations entre les gens est brouillée, pour ne plus passer que par le truchement de Dieu. L’individualisation est le pilier de l’universalisme.

La vision anthropocentriste du monde pose que la seule valeur au monde est la conscience que seule l’espèce humaine possède. L’homme est la valeur de la création, et toutes les autres entités lui sont inférieures et destinées. La terre et les animaux sont à la disposition de l'humain.

 

81. Qam wakcha qisa runallaraqmi qullanan kanki.

Toi, bien que tu sois un indien pauvre et maltraité, tu as plus de valeur que le soleil.

 

82. Qamqa ari animayuqmi kanki, yuyayniyuqmi kanki, rimaytapas yachankim, Diostari rikunkin.

Car vous avez une âme, vous êtes intelligents, vous savez parler, et vous voyez Dieu.

 

105. Mayukunapas urqukunapas hatun quchapas kay tukuy hinantin pachapas pukyukunapas hachakunapas llapa kawsaqkunapas Diospa rurasqan kamam.

Les fleuves, les montagnes, la mer, la terre entière, les puits, les arbres, tous les (êtres) vivants ont été faits par Dieu.

 

106. Tukuy ima haykakunapas runaraqmi aswan yupayqa aswan qulla(na)nqa.

De tous ces nombreux êtres, l'humain est celui qui vaut le plus, qui est le meilleur.

 

107. Kay llapanri runap siruiqinpaq rurasqa kamam.

Tous les autres sont faits pour servir l'homme.

(Noter que "sirui", servir, est un emprunt).

 

Refuser Dieu

Face à cette intense colonisation intellectuelle fut élaborée une réponse, adaptée à la pensée missionnaire et destinée à la contrer. Elle prit une même forme dans des endroits bien différents, à Tahiti, dans les Andes, et nous en avons relevé la trace dans le livre de Youri Rythkéou intitulé La Bible tchouktche.

Dans des Andes, certains Indiens, dans une tentative ultime d'échapper au christianisme, se prévalent d'une autre création, par d'autres dieux. Ainsi, ils n'auraient pas besoin d'adorer le Dieu chrétien ; ils seraient même contraints de rendre hommage au dieu qui les a créés, de la même façon que les personnes créées par le Dieu chrétien sont dans l'obligation de lui vouer un culte. Mais cette magie du polythéisme ne convainquit nullement les missionnaires chrétiens, pour lesquels "Dieu" est unique.

En Polynésie française, le chef du soulèvement de la guerre des adorateurs d’idoles contre les adorateurs de Jéovah, avait déclaré que, ne descendant pas du Dieu chrétien, mais de l’idole principale tahitienne (un dieu qui d’ailleurs, avant ce besoin de résistance, n’était pas créateur du monde et des hommes), il serait outrageant de sa part d’embrasser la nouvelle religion.

Enfin, Youri Rythkéou, dans son roman la Bible tchouktche, met en scène un chef de famille tchouktche, discutant avec des Tchouktches d’une autre tribu, convertis au christianisme orthodoxe. Il explique qu’en tant que descendant direct des baleines, il n’a rien à voir avec le dieu créateur des russes.

Ce discours de résistance intellectuelle est créé spécialement pour les missionnaires dans les cas tahitien, tandis que la réaction des Tchouktches, dans un contexte plus spontané, ne relève pas d’une création idéologique pour les besoins de la résistance, les Tchouktches croyant réellement à leur ascendance « baleinière ». De même les populations andines, polygénistes, descendaient d’ancêtres différents ayant établi la culture et les cultes de leurs descendants. Le point de discussion concerne un fait d’autant plus intéressant que l’unicité de l’humanité, et la communauté de destins qui en découle forment la justification de l’humanisme prôné de nos jours à l’échelle planétaire.

 

 

IV La traduction des droits de l’homme

 

Référence de l'ONU, la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, est traduite dans plus de trois cents langues. Les apports idéologiques et linguistiques des missionnaires repris pour les traductions quechua et tahitienne de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen concernent l'unicité de l'humanité ; sa valeur particulière en tant que telle ; et l'universalité de ces deux premiers points.

Ce n'est pas en tant qu'être vivant, ni en tant qu’être souffrant que l'homme est digne de respect, mais en tant que ressortissant de l'espèce supérieure : ce qui nous rassemble tous, c’est la primauté de l'humanité sur le reste. C'est l’appartenance à l'espèce humaine qui nous confère une dignité, et le devoir de se respecter soi-même et de respecter les autres humains. L'être humain est doué de conscience et de raison (article 1). C'était la raison pour laquelle les prêcheurs andins le plaçaient au dessus du soleil. On note cependant des différences entre l'humanisme chrétien et l'humanisme laïque : la notion d'âme disparaît. L'âme, support de l'humanisme chrétien, est remplacée par la dignité dans la déclaration des droits de l'homme. Car l’humain, dans le classement du monde, a pris la place suprême de Dieu.

Les exégètes de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du citoyen, comme Jeanne Hersch, philosophe connue pour sa réflexion sur les droits de l'homme, cherchent à démontrer l'universalité des droits de l'homme, en extrayant dans chaque culture une envie basique et innée de bonheur humain. Cependant, quelle que soit la valeur de vérité de cette idée, ce n'est pas tant le désir, mais la façon dont il est formulé, qui ne peut parler à toutes les cultures, qui ne peut s'exprimer dans toutes les langues :

" Si on m'interroge sur 1'universalité du concept des droits de l'homme dans toutes les traditions, je dirai : non, ce concept n'a pas été universel. Mais de façon imagée, diffuse, profondément vécue, il y a eu chez tous les hommes, dans toutes les cultures, le besoin, l'attente, le sens de ces droits."

(…)

" Mais l'essentiel, c'est que partout on perçoit cette exigence fondamentale : quelque chose est dû à l'être humain parce qu'il est un être humain. Quelque chose : un respect, un égard ; quelque chose qui sauvegarde ses chances de faire de lui-même ce qu'il est capable de devenir ; une dignité qu'il revendique du seul fait qu'il vise un futur. Cette universalité me parait d'autant plus saisissante que l'extrême diversité des modes d'expression en garantit l'authenticité".

(…)

" Ainsi, on jugera que les droits de l'homme sont fondamentalement universels ou bien qu'ils n'appartiennent authentiquement qu'au seul Occident selon le niveau de langage pris en considération. Au niveau des théories explicites, des clauses juridiques, ou même de la description ethnologique objective, on sera sans doute amené à nier l'universalité des droits. Mais on ne pourra que s'émerveiller de trouver vivantes chez tous leurs racines existentielles, pour peu qu'on consente à "mimer" en profondeur ce que signifie pour chacun : vouloir être un homme, et en être empêché."

(Jeanne HERSCH, "Le concept des droits de l'homme est-il un concept universel ?", in revue Cadmos, cahier trimestriel de l'Institut d'études européennes de Genève et du centre européen de la culture, n°14, Genève, 1991).

 

Les missionnaires avaient voulu trouver l'existence d'un monothéisme universel, oublié momentanément par les cultures indigènes ; on cherche aujourd'hui les droits de l'homme archaïques et oubliés dans les cultures qui ne les ont pas crées. L'universalité semble être une nécessité morale dans la culture occidentale-scientifique.

La quête, non universelle, de l'universalité, s’accompagne d’une pirouette intellectuelle : en oeuvrant à la transformation d’une autre culture selon sa propre vision du Bien, on n'acculture pas, on "reculture", puisqu’on redonne à la culture une notion qui est à sa source – on la fait, en quelque sorte, accoucher d’elle-même. L’universalité de l’universalisme constitue le principal thème à diffuser.

La Déclaration implique, tout au long des articles, qu'on se situe dans un monde où les principaux apports idéologiques du christianisme ont cours (l'unicité de l'humanité, sa supériorité du fait de sa conscience et de sa raison sur le monde animal). Pourtant, les Déclaration quechua et tahitienne ne sont compréhensibles par un locuteur quechuaphone ou tahitianophone que dans la mesure où il connaît déjà les " christianicismes" de sa langue. Les traducteurs ont, malgré le temps écoulé, recouru au mêmes solutions linguistiques dans leur traduction. Ainsi, ce qui dans les sermons quechuas signifiait "semblable, prochain", runamasi, est repris dès l'article 1 de la Déclaration :

 

" Tukuy ima haykakta yallispa Diosta munanki, runa masiykiktari kikiykiktahina kuyanki".

Tu aimeras Dieu par dessus toutes choses et tu aimeras ton prochain comme toi-même. (Sermon)

 

" Llapa runan kay pachapi paqarin qispisqa, "libre" ñisqa, allin kausaypi, chaninchasqa kausaypi kananpaq, yuyayniyoq, yachayniyoq runa kasqanman jina. Llapa runamasinwantaqmi wauqentin jina munanakunan. "

(Article 1 de la Déclaration)

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

 

Le terme quechua "-masi" s'emploie toujours accolé à un mot. On n'a pas de "masi" tout court, comme, en français on a un ami ; le sens de "masi" s'approche donc plus de compagnon ou camarade. Ainsi llamk'aq masi signifie compagnon de travail. Yachaq masi, camarade de classe. Ainsi runamasi a été créé pour signifier "compagnon d'humanité", "co-humain". Mais en quechua on entend plutôt : camarade humain, ce qui constitue une sorte de redondance.

Dostoïevski, Hannah Arendt, des penseurs de tout horizon ont relevé l’étrange obsession à réduire les hommes à l’Homme, cette tentation de la pensée occidentale universaliste. L'une des réalisations de cette universalisation est la modification des langues du monde pour qu'elles puissent refléter l'humanisme.

 

Edith de Cornulier-Lucinière

 

(Merci à Katharina Flunch-Barrows pour la relecture et les blagues…)

mardi, 19 mai 2009

Les étoiles parachèvent

 

Un film de VillaBar

 

Je poursuis une étoile aux quatre coins du monde

Tout au long de ma vie j’ai connu plein d’étoiles

Des étoiles filantes, étoiles vagabondes

Qui m’ont toujours quittée, et m’ont toujours fait mal.

 

Je recherche l’étoile insoumise et fidèle

Qui voudra me guider vers une belle mort

Puisqu’au bout de la vie le néant nous rappelle,

Ne pas perdre de temps, ne pas perdre le nord.

 

Je poursuis une étoile et quand j’en vois briller

Je m’approche éblouie mais l’étoile me brûle

J’insiste et quand je tends les bras pour l’attraper

Les poussières s’effeuillent et son éclat s’annule.

 

Je déambule seule et rêve d’une étoile

Qui me montre ma route une route nouvelle

Loin des routes construites aux panneaux qui signalent

Je veux tracer ma voie à l’ombre du réel.

 

Mais les étoiles hélas sont très loin dans le ciel,

Et celles que l’on voit n ‘existent déjà plus

Seule je dois franchir les broussailles cruelles

A l’écart des humains retors et convaincus.

 

J’aurais voulu trouver l’étoile de mes rêves,

Et je l’aurais suivie sans la quitter du cœur

Mais les étoiles hélas dans les cieux parachèvent

Leur songe sage et grave au large des malheurs.

 

 

paroles d'édith de cornulier lucinière

dimanche, 17 mai 2009

Smohalla

Hommage


Cet hommage à nos étoiles des temps proches et lointains veut saluer des êtres
dont le souffle, la vision, la parole nous aident à vivre et à penser.

 

Smohalla
(1815-1895)

B000878-R1-09-10A.jpgphot Sara



"My young men shall never work. Men who work can not dream, and wisdom comes to us in dreams"
Mes jeunes gens ne travailleront jamais. Les hommes qui travaillent ne peuvent pas rêver ; et la sagesse nous vient par les rêves.

Smohalla est issu de la tribu Nord-américaine Wanapum, encore nommée Sokulks. Il inventa une religion nouvelle, inspirée par la religion traditionnelle de sa culture. De cette religion nouvelle, qui connut un succès fulgurent de son vivant et dans les décennies qui suivirent, et qui trouve aujourd'hui quelques adeptes, il est le prophète.
Cette religion nouvelle est la religion des rêveurs. Les historiens américains parlent du mouvement des rêveurs.



FOI

La foi des Rêveurs est en partie une reviviscence de certains concepts de la religion traditionnelle des Indiens Wanapum et Nez-Percé. Mais Smohalla a adpaté son discours à l'état de la société indienne parquée dans les réserves et au mode de rhétorique occidental. Souvent ses principes rappellent les idées de Lafargue ou de certains anarchistes spiritualistes contre le travail et contre le progrès.

LUTTES

Non Violence
Smohalla prôna et appliqua la non violence.

Réserves
Mais il refusa d'être, ainsi que sa tribu, mis dans une réserve. Il mena une résistance intransigeante à l'Etat Fédéral sur ce plan.

Au-delà du sysème des réserves (zoos cogérés par les humains qu'ils contenaient), il s'opposait contre la propriété privée et la parcellisation de la terre, qui lui paraissait inaliénable.

MORTS,RESURRECTIONS, SUCCESSIONS

Smohalla mourut trois fois (ou cours de duels et d'accidents) et trois fois il réscussita après un coma sans espoir.

Deux successions
Il déclara que sa fille aînée serait son héritière. Elle mourut. Il en conçut un fort chagrin qui redoubla son ardeur de prêcheur politique et spiritualiste. Il vécut encore longtemps et avant sa mort nomma son fils, qui prit la suite avec moins de fougue. Les idées de Smohalla continuèrent d'inspirer des gens, principalement parmi les Nez-Percés (tribu proche) mais le mouvement était passé.

EXTRAIT (suivis d'une traduction)

«You ask me to plough the ground? Shall i take a knife and tear my mother's bosom? Then when I die she will not take me to her bosom to rest. You ask me to dig for stone! Shall I dig under her skin for her bones? Then when I die I cannot enter her body to be born again. You ask me to cut the grass and make hay and sell it, and be rich like white men, but how dare I cut off my mother's hair? It is a bad law and my people shall not obey it. I want my people to stay with me here. All the dead men will come to life again; their spirits will come to thier bodies again. We must wait here, in the homes of our fathers, and be ready to meet them in the bosom of our mother ».

Vous me demandez de labourer la terre.
Dois-je prendre un couteau et déchirer le sein de ma mère ?
Alors quand je mourrai, elle ne voudra pas me prendre dans son sein pour que j'y repose.

Vous me demandez de creuser pour trouver de la pierre.
Dois-je creuser sous sa peau pour m'emparer de ses os ?
Alors, quand je mourrai, je ne pourrai plus entrer dans son corps pour renaître.

Vous me demandez de couper l'herbe, d'en faire du foin, de la vendre pour être aussi riche que les hommes blancs.
Mais comment oserais-je couper les cheveux de ma mère ?

C'est une mauvaise loi et mon peuple ne devra pas la suivre. Je veux que mon peuple reste ici auprès de moi. Les hommes morts reviendront à la vie ; leurs esprits réinégreront leurs corps. Nous devons attendre ici, dans les maisons de nos pères, et demeurer prêtes à les retrouver dans le sein de notre mère.

mercredi, 13 mai 2009

Vous n'avez faim que de bêtes innocentes et douces...

Fragments

La rubrique Fragments offre des morceaux de textes classiques, connus ou inconnus, qu'il est heureux de relire.

Vous n'avez faim que des bêtes innocentes et douces…

Plutarque,
cité dans Emile ou de l'éducation
de Jean-Jacques Rousseau

 

"Mais vous, hommes cruels, qui vous force à verser du sang ? Voyez quelle affluence de biens vous environne! combien de fruits vous produit la terre! que de richesses vous donnent les champs et les vignes! que d'animaux vous offrent leur lait pour vous nourrir et leur toison pour vous habiller! Que leur demandez-vous de plus ? et quelle rage vous porte à commettre tant de meurtres, rassasiés de biens et regorgeant de vivres ? Pourquoi mentez-vous contre votre mère en l'accusant de ne pouvoir vous nourrir ? Pourquoi péchez-vous contre Cérès, inventrice des saintes lois, et contre le gracieux Bacchus, consolateur des hommes ? comme si leurs dons prodigués ne suffisaient pas à la conservation du genre humain! Comment avez-vous le cœur de mêler avec leurs doux fruits des ossements sur vos tables, et de manger avec le lait le sang des bêtes qui vous le donnent ? Les panthères et les lions, que vous appelez bêtes féroces, suivent leur instinct par force, et tuent les autres animaux pour vivre. Mais vous, cent fois plus féroces qu'elles, vous combattez l'instinct sans nécessité, pour vous livrer à vos cruels délices. Les animaux que vous mangez ne sont pas ceux qui mangent les autres : vous ne les mangez pas, ces animaux carnassiers, vous les imitez ; vous n'avez faim que des bêtes innocentes et douces qui ne font de mal à personne, qui s'attachent à vous, qui vous servent, et que vous dévorez pour prix de leurs services.

O meurtrier contre nature! si tu t'obstines à soutenir qu'elle t'a fait pour dévorer tes semblables, des êtres de chair et d'os, sensibles et vivants comme toi, étouffe donc l'horreur qu'elle t'inspire pour ces affreux repas ; tue les animaux toi-même, je dis de tes propres mains, sans ferrements, sans coutelas ; déchire-les avec tes ongles, comme font les lions et les ours ; mords ce bœuf et le mets en pièces ; enfonce tes griffes dans sa peau ; mange cet agneau tout vif, dévore ses chairs toutes chaudes, bois son âme avec son sang. Tu frémis! tu n'oses sentir palpiter sous ta dent une chair vivante! Homme pitoyable! tu commences par tuer l'animal, et puis tu le manges, comme pour le faire mourir deux fois. Ce n'est pas assez : la chair morte te répugne encore, tes entrailles ne peuvent la supporter ; il la faut transformer par le feu, la bouillir, la rôtir, l'assaisonner de drogues qui la déguisent : il te faut des charcutiers, des cuisiniers, des rôtisseurs, des gens pour t'ôter l'horreur du meurtre et t'habiller des corps morts, afin que le sens du goût, trompé par ces déguisements, ne rejette point ce qui lui est étrange, et savoure avec plaisir des cadavres dont l'oeil même eût eu peine à souffrir l'aspect."

 

dimanche, 10 mai 2009

L'avenir de la langue quechua, entretien avec Serafin Coronel-Molina

L'avenir du quechua... Parlons en en quechua !

Entretien en quechua avec Serafín Coronel-Molina, professeur à Princeton.

Il nous parle de sa langue maternelle, le quechua, des dangers qu'elle court et des moyens de la sauver. Il est convaincu que le quechua peut s'épanouir et tenir une place conséquente.

 

Une TRADUCTION ANGLAISE suit le texte quechua, plus bas dans la page

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Serafín Coronel-Molinawan rimanakuy, qichwa rimaq linguista Estados Unidospi Princeton Yachay Wasipi yachachiq

Tapuq: Edith de Cornulier-Lucinière

Runasimi wiñaypaqmi kawsanqa

E.C.L.: ¿Imatataq ruwanchikman runasimiqa wiñaypaq kawsakunanpaq?

S.C.M.: Ñawpataqa, qichwa rimaqkunaqa, churi-wawanchikkunatam runasimita yachachinchikman. Imatapas runasimillapim  paykunawan rimanchikman, runasimita rimastin kusi kusisqallaña wiñanankupaq. Chaykunata mana ruwaptinchikqa, qichwanchik chinkakunqachá, wañukunqachá. Hinaman, imaymana iskuylakunapipas, yachay wasikunapipas runasimipim churi-wawanchikkunaqa liyiytapas qillqaytapas yachanmanku qichwanchikta hatunyachinankupaq.

Hinaspa, kastillasimilla rimaqkunapas runasimitam yachanmanku. Chaymantaqa, tukuy rikchaq yachay wasikunapim yachachiqkuna runasimita yachachinmanku kastillasimi rimaqkunkaqa runasiminchikta yupaychanankupaq ima. Mana chay hina kaptinqa, manam allinchu kanman runasiminchikpaq.

Chaymantaqa, imaymana liwrukunata, willaykunata, periódicokunata, diccionariokunata, gramaticakunatam runasimipi qillqanchikman. Himaman, wayra wasipipas televisiónpipas qichwatam rimanchikman. Internetpipas imaymana runasimipi recursos nisqankunatam paqarichinchikman. Hinaspa, vídeokunata, grabaciónkunata, películakunata, CD-Romkunata, DVD-kunata, WebTV-nisqantapas runasimipim rikurichinchikman. Chaymantañataq, runasimillapim miskillataña qillqanakunanchik  rimayninchikkunata sinchiyachinanchikpaq ima.

Qipamanqa, llapa Andes suyukunapi kamachiqkunaqa runasiminchiktam chaninchanman tukuy runakuna mana pinqakuspalla, mana chiqninakuspalla miskillataña imay punchawkamapas runasimipi rimanankupaq.

E.C.L.: ¿Allinchu kanman runasimipaq kastillasimi hina rimasqa kaptin?  Hinaman, ¿políticapaqpas administraciónpaqpas runasimiqa allinchu kanman? ¿Runasimiqa chay dominiokunapi rimasqachu kanman utaq karu karusu urqukunap patanpi llaqtachakunallapichu kawsakunman?

 

S.C.M.: Runasimiqa kastillasimi hina rimasqa kaptin, hamuq watakunapi manamá wañunqachu. Aswanraq hatun sachakuna hinachá, sumaq waytakuna hinachá munay munaylla wiñakunqapas waytakunqapas.

Hinaspa, runasimiqa política nisqanpaqpas administración nisqanpaqpas allinmi kanman. Chaymi gobiernopi kamachiqkunaqa runasimitam rimananku, hinaman imaymana kamachikuykunatam paykunaqa rikurichinmanku runasimiqa allinllaña chaninchasqapas kusallaña amachasqapas kananpaq. Chaymantaqa, tukuy rikchaq kamachikuykunaqa runasimimanmi tikrasqa kanman. Congresopi  políticokunañataq runasimipipas kastillasimipipas llaqtanchikkunarayku, suyunchikraykumá rimanakunmanku. Kay Declaración Universal de Derechos Lingüísticos nisqanpim kusa kusa imakunapas rikurichkan. Chay hatun kamachikuyta liyiyta nunaspa, kay llika kuchuman yaykuykuyyá http://www.egt.ie/udhr-es.html

Runasimita maypipas qispillam rimanchikman. Lliw Ande llaqtakunapipas suyukunapipasmi wiña wiñaypaq takyakunman. ¿Imanasqataq urqukunap patanpi karu karusu llaqtachakunallapi kawsakunman? Astawan, llapallanchikmi qichwata mirachinanchik, kallpachananchik, hatunyachinanchik hamuq watakunapi mana usukunanpaq. Mana wañunantamá, mana chinkanantamá munanchikman. Runasiminchik chinkarquptinqa, tukuy rikchaq yachayninchikmi chinkakunqa. Chaymi achkaraq ruwananchik kachkan qichwanchik hatarichinanchikpaqpas mirachinanchikpaqpas.

E.C.L.: ¿Imaraykum runasimita awsachinchikman? ¿Imaraykum tukuy rikchaq simikunata kawsachinchikman?

S.C.M.: Runasiminchik chinkakuptinqa, tukuy yachayninchikkunapas, rimayninchikkunapas, iñiyninchikkunapas wañukunmanmi. ¿Imanasqataq chaykuna chinkakunman? Manam allinchu kanman runasiminchikpaq, chaymi sunqunchikwan, kuyayninchikwan runasimita rimanchikman. Hinaspa, llapallanchikmi qichwanchikta allinta sayachinchikman, mirachinchikman imapas. Runasiminchik chinkakuptinqa, manachá imallamantapas ayllunchikunawan rimanakuyta atipasunchikchu.

Hinaman, tukuy rikchaq simikunapas allin yupaychasqa, chaninchasqam qispilla kawsakunan. Chay simikunaqa chinkakuptinqa, imaymana yachaykunam wañukunqa. Chaymantaqa, runakayninchikmi wakchayarqunman. UNESCO nisqan hina, tukuy pachapi suqta waranqa (6,000) simimanta, pichqa chunka por ciento (50%) nisqanmi wañunayan. Sapa iskay simanam huk simi chinkan. Hamuq watakunapi, Continente Americano nisqanpi  qanchis pachak (700) simi, Africapi iskay pachak (200) simi, Asiapi pusaq chunka (80) simi, Europapiñataqmi tawa chunka (40) simi wañukunqa. Manchakuypaqmi chaykuna kachkan. Chaymi llapallanchik yanapanakuspa, rimanakuspa tiqsimuyuntinpi imaymana simikunata takyachinchikman, wañunayaqkunataqa rikchachinchikman, hatarichinchikman himanam kallpanchachinchikman. Wañusqa kaptinkupas, hebreo simita hinam kawsarichimunchikman.

E.C.L.: ¿Imaynam rimasqalla simita qillqasqa simiman kutichinchikman?

S.C.M.: Ñawpataqa, alfabeto nisqantam paqarichinchikman tiqsimuyuntinpi imaymana simikunata qillqanapaq. Hinaspa, tukuy rikchaq qillqakunatam huñuchinchikman llapa rikchaq simikunapi mana panta pantaspalla imakunamantapas qillqanapaq. Qipamanqa, ñawpapi nisqay hina, llapan rikchaq liwrukunata, diccionariokunata, gramaticakunata qillqanchikman. Hinaman, musuq rimaykunatam (vocabularies) rikurichinchikman ichaqa kuk simikunamantam chay rimaykunata mañakunchikman. Lliw simikunam musuq rimaykunata mañanakunku. Chay mañanakusqankunawanmi utqaylla musuqyakunkupas. Musuq rimaykunata  paqarichisqanchikwanñataq allillamanta munay munaylla imaymana simikunaqa hatunyakunqaku.

Puchukaypi, imaymana qillqakunatam tukuy rikchaq simikunaman tikranchikman. Chay tikrasqanchikkunawanmi chay simikunaqa sinchiyakunqaku. Kaykunata ruwaspam rimasqalla simita qillqasqa simiman kutichinanchik. Chaykunamanta wanka qichwapi qillqasqayta qawanaykipaq kay llika kuchuman yaykuyyá http://www.vjf.cnrs.fr/celia/FichExt/Am/A_24_01.htm

Sunquymanta sulpay nisqayki runasimimanta rinamakusqanchikmanta. Hu kutikama.

E.C.L: Serafín, anchatam agradisiyki kay sumaq willakuyniykikunamanta. Hamuq watakunapi sumaqllaña purikuy, sumaqllaña kawsakuy.

English Version

Interview with Serafín Coronel-Molina, a Native Quechua Speaker Linguist Teaching at Princeton University, USA

Interviewed by Edith de Cornulier-Lucinière

E.C.L.: What can be done to preserve the Quechua language?

S.C.M.: First of all, we the Quechua speakers, should teach Quechua to our children. We should speak with them in Quechua about different topics, so they can grow up happily speaking Quechua. If we do not make such an effort, it is possible that our Quechua will die. Besides, our children should learn how to read and write at any school or learning center so they can revitalize our Quechua language.

In addition to this, the Spanish speakers should also learn Quechua. After that, educators established at different learning centers should teach Quechua so the Spanish speakers learn to valorize our Quechua. If it is not that way, it will have negative consequences for our language.

On the other hand, we should write all kinds of books, stories, newspapers, dictionaries and grammars in Quechua. Then, we should use Quechua on radio and television programs. We must post on the Internet a wide variety of materials, and we must also produce in the Quechua language videos, audio recordings, films, CD-Roms, DVDs, and Web-TV programs. In addition to all this, it is necessary for us to write in Quechua to strengthen our language.

Last but not least, the authorities all over the Andes should valorize our language, so everybody can communicate in Quechua without shame and without fighting each other

E.C.L.: Would it be good for the Quechua language to be used like the Spanish language, and become a political and administrative language? Or would it better used in other functional domains or only in the rural communities themselves?

S.C.M.: If Quechua is spoken like Spanish, it will not die in the future. On the contrary, the Quechua language will grow beautifully like trees and flowers.

The Quechua language can be used in politics and administration without any problem. That is why the governmental authorities must speak Quechua. Then, different kinds of laws must be produced in Quechua, so our language will be well valorized and protected.  All legal documents should be translated into Quechua. Then, the politicians in Congress should use both Quechua and Spanish in their deliberations on behalf of our cities and country. In the Universal Declaration of Linguistic Rights I include here, information related to what I am trying to explain here can be found. If you would like to read the content of this document, please follow the following link: http://www.egt.ie/udhr-es.html

E.C.L.: Why do we have to protect the Quechua language? Why do we have to save any language?

S.C.M.: If our Quechua disappears, all our knowledge, our words and our beliefs will die. Why should they disappear? That would not be good, that is why we should speak the language with love. All of us should rouse and spread our Quechua by all means possible. If our language disappears, we will not be able to use our language to talk about anything with our family.

Every language should be well valorized and live in freedom. If those languages die, a wide variety of knowledge will disappear forever. The richness of our humanity will become impoverished. According to UNESCO, of 6,000 languages spoken around the world, 50% are in danger of extinction. Every two weeks one language dies. In the coming years, in the American Continent 700 languages will die, in Africa 200 languages, in Asia 80 languages, and in Europe 40 languages will die. These are alarming figures. For these reasons, everybody, by helping each other and through dialogue, should make efforts to preserve, awake and revitalize the wide variety of languages scattered around the world. If they are already dead, they must be revived like as was done with the Hebrew language.

E.C.L.: How can we turn a primarily oral language into a written one?

S.C.M.: First of all, alphabets should be elaborated for the different languages and dialects around the world. According to their contexts, it is essential to unify the writing system of a given language in order to avoid mistakes and misunderstanding. As I mentioned earlier, it is necessary to elaborate in Quechua a wide variety of books, dictionaries and grammars. Besides, it is crucial to coin new vocabularies or to borrow new words from other languages. All languages borrow news words from each other.  With those new loanwords languages modernize rapidly. With the coinage of new terminologies, any language develops beautifully little by little.

Finally, it is imperative to carry out translations into any language. With these translations existing languages will become vital. By making all these efforts, we turn a primarily oral language into a written one. To read what I wrote in Huanca Quechua about all these issues, please click on this link: http://www.vjf.cnrs.fr/celia/FichExt/Am/A_24_01.htm

That is all I can say.

Thank you very much for this interview. Until next time.

E.C.L.: Serafín, I am very thankful for all the information you provided me. I wish you the very best in your future endeavors.

vendredi, 08 mai 2009

The Lover and the Beloved

carson mc cullers,amour,passion,déchirure,ballad of the sad café,ballade du café triste

 

The Lover and the Beloved

 

The Ballad of the Sad Café

Penguin Books, 1963
First published in 1951 (USA)

Carson McCullers

 

 

“First of all, love is a joint experience between two persons – but the fact that it is a joint experience does not mean that it is a similar experience to the two people involved. There are the lover and the beloved, but these two come from different countries. Often the beloved is only a stimulus for all the stored-up love which has lain quiet within the lover for a long time hitherto. And somehow every lover knows this. He feels in his soul that is love is a solitary thing. He comes to know a new, strange loneliness and it is this knowledge which makes him suffer. So there is only one thing for the lover to do. He must house his love within himself as best he can ; he must create for himself a whole new inward world – a world intense and strange, complete in himself. Let it be added here that this lover about whom we speak need not necessarily be a young man saving for a wedding ring – this lover can be man, woman, child, or indeed any human creature on this earth.

Now, the beloved can also be of any description. The most outlandish people can be the stimulus for love. A man may be a doddering great grand-father and still love only a strange girl he saw in the streets of Cheehaw one afternoon two decades past. The preacher may love a fallen woman. The beloved may be treacherous, greasy-headed, and given to evil habits. Yes, and the lover may see it as clearly as anyone else – but that does not affect the evolution of his love one whit. A most mediocre person can be the object of a love which is wild, extravagant, and beautiful as the poison lilies of the swamp. A good man may be the stimulus for a love both violent and debased, or a jabbering madman may bring about in the soul of someone a tender and simple idyll. Therefore, the value and quality of any love is determined solely by the lover himself.

It is for this reason that most of us would rather love than be loved. Almost everyone wants to be the lover. And the curt truth is that, in a deep secret way, the state of being beloved is intolerable to many. The beloved fears and hates the lover, and with the best of reasons. For the lover is for ever trying to strip bare his beloved. The lover craves any possible relation with the beloved, even if this experience can cause him only pain”.

mardi, 05 mai 2009

TIEMPO

Tiempo

Por Antonio Zamora

Un fresco murmullo efervescente cubrió la arena hasta besar su mano. El roce líquido en la soleada piel desnuda provocó un leve estremecimiento del arrodillado cuerpo infantil, cuyo brazo extendido ofrecía a la luz azul un puño cerrado que destilaba gotitas de arena y agua para acumularlas en lo más alto de una montaña fantástica alzada hacia el cielo como una torre gótica. Al fondo, más allá del cuerpo estremecido y de la torre y del puño alzado, un limpio horizonte de mar y cielo brillaba poderoso y profundo como una promesa, un misterio, una aventura.

Mira ahora esa imagen en papel del niño que fue. Le resulta ajeno. La repetición, imperceptible al principio, ha sido devastadora. Puede sentir cómo actúa ahora mismo, cómo ahoga luces y apaga contrastes, cómo crispa su puño y empequeñece montañas, cómo acelera los días y encierra horizontes. Tantos ayeres que son como hoy, tantos amores que no son ninguno, tantos esfuerzos que ahora son vanos. Atrapado en un tiovivo que gira y gira y gira, no encuentra la salida, no busca la salida, no piensa si hay salida. Y sólo el vértigo anticipa un final.

Al final... un sordo murmullo de sombras  se arrastrará por la arena y morirá deshecho a sus pies. Sus ojos cansados se elevarán muy despacio y creerán vislumbrar, más allá de su propio desgaste, del oleaje gris y de la bruma invernal, el horizonte perdido. Tratarán entonces de encontrarlo, de ser al fin capaces de reconocer, atravesando el vacío vertiginoso de la repetición, al niño eterno del luminoso puño en alto para nunca más dejar de sonreírle. Pero es probable que no encuentren más que bruma y oleaje.

Antonio Zamora

vendredi, 01 mai 2009

Eloge de la mémoire

Fragment

La rubrique Fragments offre des morceaux de textes classiques, connus ou inconnus, qu'il est heureux de relire.

 

Eloge de la mémoire

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François de Chateaubriand, 1768-1848
Mémoires d'outre-tombe, 1849
&
Luis Buñuel, 1900-1983
Mon dernier soupir, 1986
(co-écrit avec Jean-Claude Carrière)
Buñuel, ouvrent leurs biographies
par un éloge de la mémoire.

« Une chose m'humilie : la mémoire est souvent la qualité de la sottise ; elle appartient généralement aux esprits lourds, qu'elle rend plus pesants par le bagage dont elle les surcharge. Et néanmoins, sans la mémoire, que serions-nous ? Nous oublierions nos amitiés, nos amours, nos plaisirs, nos affaires ; le génie ne pourrait rassembler ses idées ; le coeur le plus affectueux perdrait sa tendresse, s'il ne s’en souvenait plus ; notre existence se réduirait aux moments successifs d'un présent qui s'écoule sans cesse ; il n'y aurait plus de passé. Ô misère de nous ! notre vie est si vaine qu'elle n'est qu'un reflet de notre mémoire ».


François de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe



C’est aussi après avoir opposé les récitations par cœur, si méprisées, de sa vie d’écolier et l’amnésie de vieillesse de sa mère, que Luis Buñuel redonne à la mémoire son rôle sentimental et biographique.

« La mémoire est perpétuellement envahie par l'imagination et la rêverie, et comme il existe une tentation de croire à la réalité de l'imaginaire, nous finissons par faire de notre mensonge une vérité. Ce qui d'ailleurs présente une importance relative, puisqu'ils sont aussi
vécus, aussi personnellement l'un que l'autre.
Dans ce livre semi-biographique, où il m’arrivera de m’égarer comme dans un roman picaresque, de me laisser aller au charme irrésistible du récit qu’on n’attendait pas, quelques faux souvenirs subsistent peut-être encore, malgré ma vigilance. Je le répète, je n’en offre qu’une très légère importance.
Je suis composé de mes erreurs et de mes doutes, comme de mes certitudes. N’étant pas historien, je ne me suis aidé d’aucune note, d’aucun livre, et le portrait que je propose est de toute façon le mien, avec mes affirmations, mes hésitations, mes répétitions, mes lacunes, avec mes vérités et mes mensonges, pour le dire en un mot : ma mémoire ».


Luis Buñuel, Mon dernier soupir