mercredi, 22 mai 2013
Adieu ma concubine
Celui qui se perd dans sa passion est moins perdu que celui qui perd sa passion
Saint Augustin
Par V.A.
Et si l'indicible était inexprimable ? En fait j'ai peur de te faire peur avec mes mots. Quelquefois mon langage s'emballe comme un cheval fou, qui n'en peut plus d'être bridé et voudrait enfin courir comme il le sent, n'est-il pas né pour cela ?
Il faut pourtant que tu saches, que tu comprennes ce léger tremblement de la paupière qui parfois t'étonne, entre deux portes.
Tu sauras – et peut-être, tu t'en iras en courant.
J'ai l'impression d'avoir été, comme tant d'enfants, conscients ou inconscients, programmée par des êtres morbides pour une vie dont mon âme ne voulait pas. Comme tant d'enfants, souffrants et désolés, scandalisés au sens où il est dit dans l'évangile de Saint Matthieu, « Mais si quelqu'un scandalise un de ces petits qui croient en Moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on suspendit à son cou une de ces meules qu'un âne tourne, et qu'on le plongeât au fond de la mer ».
Alors, grandie dans la souillure et la laideur, comment reprendre ma liberté ? En changeant le Mal par le mal. Satan m'offrait la Dépravation dorée ; je me détournais de lui et choisissais la dépression marronnasse. Le Diable me proposait des tombereaux d'espèces sonnantes et trébuchantes ; je me détournais de lui et plongeait dans l'indigence. Lucifer m'attirait vers les hautes sphères du pouvoir ; je me détournais de lui et sombrais dans les zones dénuées de puissance et de liberté. Belzébuth me tendait les diplômes qui m'ouvraient les trônes où des domestiques servent ; je m'en allais les poings dans mes poches crevées.
Sur cette route sans joie du détournement majeur de mon détournement de mineur, je m'arrachais lentement aux susurrements des Crimes et des Dominations.
Un risque me guettait pourtant : celui de vêtir l'habit mesquin, râpeux, grisâtre de l'amertume.
Abstinence, abstention, voie étroite, jeûne, ce carême illimité auquel je me soumettais défaisait les fils avec lesquels des êtres malfaisants m'avaient attachée et qui m'auraient entraînée au fond des bouges, là où les adultes se défont de toute leur dignité pour sombrer dans l'horreur crue des passions sordides. Je me débarrassais des scories et des leurres, des troubles et des distorsions qui m'auraient perdue, qui m'auraient emportée jusqu'au crime un soir de beuverie, jusqu'à l'humiliation volontaire un soir d'ennui ou jusqu'au suicide un soir de conscience. Je me délivrais du mal.
Mais j'endossais la bure aride du pénitent. Je remplaçais la tentation par l'aigreur.
Je buvais du vinaigre pour ne pas tremper mes lèvres au nectar sensuel de la perdition. Dans ce combat contre l'ange du vice, je gagnais la vertu, mais je perdais mon cœur.
Je me disais : « on m'a arraché l'innocence et je suis perdue à jamais pour la découverte charmante et fraîche des arbres autorisés. Même les fruits permis se détournent de moi, parce que j'ai perdu le goût de tous les jus en m'éloignant du Serpent ».
Amertume, tu me recouvrais comme une vague. Mes lèvres, nées jolies comme celles des petites filles naïves, avaient failli connaître la moue mouillée des luxures. Elles se serraient maintenant comme de petits fils secs qui ne veulent ni sourire ni partager. Oui, mes lèvres s'asséchaient pour ne plus jamais désirer des bouches.
Car la bouche attire la langue ; puis la langue éveille les feux des enfers du cerveau ; et le cerveau allume les ventres insatiables.
Voilà : je n'ai jamais été attachée dans la salle arrière d'une luxueuse boite de nuit, au milieu d'êtres funestes et sans intelligence. Cela m'a coûté très cher : des bouteilles d'amertume, des années de dépression, des échecs choisis au dernier moment, juste avant d'approcher la réussite. Des pans de vie à l'ombre des plénitudes, à cause d'un ver qu'on m'avait mis. Pour se sauver, il faut parfois accepter de mourir à tout ce qu'il y a d'attirant dans le monde.
Mais après ? Tant que l'on vit, le salut n'est jamais acquis ; l'amertume, si fade, si vide, si pète-sec, comporte ses pentes douces qui raidissent et ne se remontent plus. Alors il a fallu éclore à nouveau. Comme un enfant s'éveille au monde sous les mains protectrices d'êtres emplis de bienveillance, il a fallu accepter de renaître et accueillir les gestes de l'échange sans serrer les dents. Il a fallu plonger dans les fontaines aux eaux trop froides et recevoir les coups involontaires des nageurs sympathiques. Il a fallu rire et partager, sans trop juger, sans trop penser. Il a fallu surtout briser le cercle de loyauté. Trahir encore, trahir celle qui s'était trop protégée. Il a fallu trahir cette héroïne traquée qui s'était sauvée.
Toi, toi qui a jeûné, qui t'es abstenue, qui a creusé de tes doigts la voie étroite dans la pierraille, qui a prié et lutté dans les ténèbres sans saveur et sans repos, je te trahis. Je laisse ta dépouille sur le chemin marron des forçats solitaires pour rejoindre la route de lumière. Je te demande pardon, je te dis merci et je t'abandonne pour toujours.
Venexiana
Venexiana sur AlmaSoror :
J'entendais ta guitare pleurer
La saga des voix lactées - 40 ans d'art européen
Et pour elle, une dédicace
Venexiana dans VillaBar
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lundi, 31 décembre 2012
Fragment d'un printemps arabe
Jacques Benoist-Méchin écrit comme un dieu de l'esthétique, un metteur en scène littéraire. Voici des lambeaux de son Printemps arabe, publié en 1959 aux éditions Albin Michel.
« Passe devant nous, semblable à une citadelle resplendissante de blancheur, l'Olympic Cloud, un pétrolier de 30 000 tonnes... Ce château de rêve glisse lentement devant nos yeux. Sa gloire immaculée domine de haut le désert, les dunes et le faîte des palmiers.
Ce palais majestueux a l'inconsistence d'un mirage. Il semble sur le point de se dissoudre dans la nuit.
...
Les réservoirs de pétrole semblent des cratères d'acier portés à l'incandescence où les damnés se tordraient dans un bouillonnement de bitume. Tout au loin, à moitié masquées par un écran de dunes, des nappes de lumière blanche, d'une lividité spectrale, semblent indiquer les points où le désastre est consommé. Sont-ce des météores tombés au-delà des horizons, des satellites qui achèvent de se désagréger dans un halo de sodium ? Non. Ce sont les raffinements de Ras-Tanura et de Bahrein. De jour, la distance ne permet pas de les apercevoir. Mais la nuit, par temps voilé comme c'est le cas ce soir, leur clarté blafarde, rétractée par les nuages, teint le ciel d'une lueur qui n'est pas de ce monde. Je reste pétrifié devant ce spectacle hallucinant, que Dante lui-même aurait hésité à décrire. Quel sens faut-il donner à ce décor luciférien, où l'orgueil de l'homme moderne rejointe celui de l'archange déchu ?
...
Si le désert est le règne du silence et de l'immensité, ici c'est le règne de la sérénité et du calme. Pas un souffle dans l'air, pas une ride sur l'eau. La mer est si paisible que ses bords ne sont même pas ourlés d'une frange d'écume. Détachées du rivage, des lagunes flottent paresseusement à sa surface. On les croirait suspendus à mi-chemin entre deux ciels, car tout est imprégné de la même pâleur nacrée. Pas de ligne d'horizon. Là où cesse la terre, commence simplement un vide au sein duquel les éléments se dissolvent en fumée. On se croirait arrivé aux confins du monde.
...
Je regarde Daraya la morte. La ville paraît ensevelie dans un linceul de lumière. »
Nous parlâmes de Benoist-Méchin déjà sur AlmaSoror :
Trois esthètes du XX°siècle : Romain Rolland, Jacques Benoist-Méchin, Raoul Vaneigem
Le style immense et plein de pensée de J B-M
L'invasion de l'Europe - années 700
Et encore un extrait du Printemps arabe :
"Les Grecs n'étaient pas les contemporains de leurs adversaires. Ils avaient mille ans d'avance sur eux. Devant cette pensée lucide, expérimentale et spéculative, que pouvait l'Orient encore tout empêtré dans ses philtres et ses incantations ?
Pour Darius, Babylone était le centre de l'univers alors qu'Alexandre était déjà au seuil de l'héliocentrisme. Ses victoires n'étaient pas seulement celles de la mobilité sur la stagnation, de l'individu sur la masse, de l'intelligence sur le rêve ; c'étaient celles de la forme sur l'informe, de l'ordre sur le chaos. C'étaient celles d'un Europa-Korps sur les foules asiatiques".
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