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Chroniques fictives

J’entendais ta guitare pleurer

J’entendais ta guitare pleurer

Un roman autobiographique de Vénéxiana Atlantica

Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s’éprennent.

Tout au long du livre un poème revient. Ce poème, c’est la Chanson de la plus haute tour, d’Arthur Rimbaud. - Vénéxiana Atlantica a vécu bercée, baignée par ce poème et elle écrit encore cette autobiographie - ce roman inspiré du réel, ou peut-être cette réalité romancée - sous l’inspiration de cette courte et majeure pièce du poète rebelle français.
Il semble que le livre entier est une suite de variations sur la chanson de la plus haute tour.

Je me suis dit : laisse,
Et qu’on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t’arrête,
Auguste retraite.

En dépit de son titre mièvre, J’entendais ta guitare pleurer est un grand livre. Un livre qui restera sur les étals des libraires longtemps après que la diva Venexiana Atlantica, qui nous livre ici son autobiographie romancée, aura quitté ce monde. Un livre qui continuera à passionner tant que la musique Beith, ce magnifique art populaire du XXIème siècle, résonnera dans les oreilles des mélomanes et des poètes en herbes, ainsi que de tous les fils et les filles de la révolte et de la liberté.

J’ai tant fait patience
Qu’à jamais j’oublie ;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.

Ce qu’Atlantica raconte, ce n’est pas seulement sa vie, mais les rêves et les combats de millions d’être humains de sa génération. "Nous rêvions de demain, qui serait mieux, mieux que le lycée, mieux que le gris des jours et le marron de la nuit, mieux que les têtes des professeurs et les têtes de nos camarades. Mais c’était illusion : nous étions libres, bien qu’esclaves, puisque ce n’étaient pas nous qui tenions les chaînes. Nous étions libres au fond de nous, et nous savions rêver".
Brûlés par les désastres écologiques des années grises, ceux qui se sont levés pour inventer la musique Beith et crier leur amour du monde animal et du catholicisme antispéciste sont décrits avec cœur par une femme qui les connut de l’intérieur, puisque elle fut un de leurs guides.

Ainsi la prairie
A l’oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D’encens et d’ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.

Quelques passages édifiants valent d’être reproduits ici : "A l’époque Bob n’était pas encore ivre tous les soirs et nous ne buvions que dix canettes de daleth lors des répétitions. Je me souviens de Lilas dansant en hauts talons, divine, sous nos regards délictueux, à lui et à moi. Je me souviens que les journaux déclaraient que la guerre allait commencer et nous crachions sur les nouvelles pour mieux laisser l’imaginaire coloniser, lentement, puissamment, notre vie. Nous lisions Edith Morning : "Si j’avais su que les rêves sont réels et le monde illusion, j’aurais inversé ma vision de la liberté et celle de la prison. Mais les menteurs amers disent décriant les images qu’elles sont illusoires, et nous entraînent dans leur " réel " qui n’existe que dans leurs sombres couloirs".
Ce style direct, vivant, enlevé, maintient tout le roman dans cette course à perdre haleine contre la vieillesse qui se fraye un chemin dans la vie de Vénéxiana et qui l’emmènera un jour de l’autre côté de la mort. Car c’est un livre qui n’oublie jamais que la mort est dans la vie, que la mort, c’est la vie, que la vie EST la mort. Vivre, c’est mourir. Refuser de mourir revient à refuser de vivre. "La vie nous a menti. Elle s’était voilée pour nous paraître facile ; nous avions cru à des avenirs beaux comme des soleils chargés d’une pluie tiède. Il n’en fut rien. Chaque pas vers le rêve est un pas vers la désillusion. Si nous bougeons, nous sombrons tous ensemble dans le noir abîme du désespoir immense".

J’entendais ta guitare pleurer est un livre qui tranche, qui blesse, qui cogne à chaque page. Vous sortez de sa lecture groggy, comme on sort d’un combat de boxe. Ce livre est un ring, où la vie danse, dense, de façon étonnamment intense. Chaque page vous balance sa dose de coups de poings qui vous renversent les idées et vous décrochent le cœur. Chaque phrase est une vague qui peut vous engloutir définitivement. Le témoignage de cette femme, qu’on a tant décriée, qui s’est battue pour sa liberté d’être elle-même et qui n’a jamais tombé les armes est un grand moment de crépuscule psychologique.

Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n’a que l’image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l’on prie
La Vierge Marie ?

Nous l’avons dit dès le début de cet article, malgré son titre presque mièvre, J’entendais ta guitare pleurer est un roman d’une puissance subjugante. Il faut dire aussi que la guitare que l’auteur aimait à écouter pleurer, c’était celle d’un ami intime qui fut aussi un grand homme, un homme qui traversa le siècle sans se passer des sommets de la misère et des bassesses de la gloire. La guitare de John Peshran-Boor.

Il ne reste plus qu’à espérer que Venexiana Atlantica trouvera le repos, dans une retraite bien méritée, maintenant qu’elle a fini son œuvre dernière. Son oisive jeunesse a passé. Elle aura été créative, fulgurante. Elle nous aura fait flamboyer. Il en reste quelques disques et un livre, ultime message d’une âme qui se crut vendue au diable quand elle n’était que trop angélique. Adieu Venexiana, puisque vous nous dîtes adieu. Nous entendrons encore longtemps votre guitare pleurer.

E CL
2054