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mercredi, 25 septembre 2013

Sur Chatterton, sur l'écrivain maudit, sur l'écrivain subventionné

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 Le professeur Henri Maugis, dans son introduction au drame Chatterton, d'Alfred de Vigny (Classiques Larousse, 1937), commente la profession de poète...

Le poète, d'après Vigny, demande à la société le droit à la vie en même temps que le droit de rêver, il réclame le pain et les loisirs. Mais la vocation du poète ou de l'écrivain est, comme les autres, une chance à courir et ne saurait constituer un droit, à plus forte raison un privilège pour les protections gouvernementales.

L'art même, sous peine de dégénérer, peut, mais ne doit pas être une source de profit. Comment la société pourrait-elle distinguer à l'avance l'être de génie du médiocre et du parasite ? Ne risquerait-elle pas le plus souvent de faire un marché de dupe, en encourageant des vocations incertaines quand elles sont sincères, intéressées quand elles sont hypocrites et mensongères ? On se plaint aujourd'hui de l'abus des concours et des prix littéraires qui n'avantagent pas toujours les plus méritants et dont les lauriers sont le bénéfice des relations et de l'intrigue au moins autant que la récompense du vrai talent. Qu'adviendrait-il si, avec tous les aléas de la politique, la distribution de cette manne officielle était confiée à quelque ministère des loisirs, voire au chef de cabinet d'un ministère d’Éducation nationale ? Ce serait un nouvel empiètement de la "République des camarades" avec ses abus si souvent dénoncés. L'Etat-Providence peut être considéré comme parfaitement incompétent pour deviner, prospecter et subventionner les vocations littéraires et artistiques. L'exemple au XVII° siècle du médiocre et plat Chapelain, distributeur des grâces et des pensions royales, sorte de sous-secrétaire d'Etat des beaux-arts in partibus ne prouve-t-il pas suffisamment le danger et l'injustice qu'il peut y avoir à confier à quelque Directeur des lettres la charge de juger les écrivains, de reconnaître les talents et de répartir les récompenses et les faveurs "du Prince" ?

Nul mieux que Sainte-Beuve, à propos précisément du drame de Chatterton, n'a souligné les périls d'une pareille revendication : "le danger est trop grand, écrivait-il en1864, en voulant favoriser le talent, de fomenter ou d'exciter du même coup la médiocrité ou la sottise. Prenez garde qu'elles ne s'élèvent par essaims, et que la nuée des moucherons et des frelons n'évince et n'étouffe encore une fois les abeilles. Et puis, pour parer au mal, il faudrait, à la tête de cet ordre de la société et dans les premiers rangs du pouvoir, je ne sais quel personnage de tact, de goût à la fois et de bonté, qui choisît, qui devinât, qui sût, qui fût comme s'il était du métier et qui n'en fût pas, qui aimât les belles choses pour elles-mêmes, qui discernât les talents, qui les protégeât sans leur rien demander en retour, ni flatterie, ni éloge, ni dépendance... un Mécène comme il ne s'en est jamais vu..."

Plus loin :

Vigny possède cette foi romantique dans l'apostolat social du poète. Les espérances de réforme sociale et d'émancipation intellectuelle, déçues dès le lendemain de 1830 par la monarchie très positive et matérialiste de Louis-Philippe, trouvèrent en Vigny un défenseur indigné, dont la grande voix de missionnaire, du fond de sa noble solitude, jette un cri d'alarme et fait entendre une véhémente protestation où il y a moins de colère que de pitié. Car ce dont au fond il s'agit, c'est de sauvegarder les élites, de sauver les droits de l'intelligence, écrasés par la seule discipline du nombre, étouffés par une civilisation sans idéal, toute aux jouissances matérielles ou aux rivalités sans grandeur. Vigny, comme Lamartine, ne croit pas au progrès fondé uniquement sur l'amélioration du bien-être et l'assouvissement de la bête humaine. Le mal qu'il dénonce n'est donc pas simplement une révolte passagère, une attitude romantique, mais il y voit le conflit éternel qui sépare le monde, soumis aux intérêts prosaïques, du penseur idéaliste et du philosophe désintéressé. Les peuples ont besoin de pain, mais aussi d'idées pour se conduire, d'idéal pour s'élever sur le plan vraiment humain. Le progrès n'est pas dans la mécanisation de l'existence, mais dans les consciences et dans les cœurs. L'économique n'est pas tout : la vie de l'esprit est un besoin, une jouissance, en même temps qu'une dignité. Qui pourrait nier l'actualité d'un si noble point de vue, dans une heure aussi tourmentée que la nôtre, où le poète, c'est-à-dire le penseur, est, comme le souhaitait injustement Platon, chassé de la chose publique en proie aux professionnels de la politique ? Le monde, ayant perdu la notion des valeurs spirituelles, semble reconnaître amèrement que les seuls perfectionnements dus aux applications pratiques de la science n'ont apporté aux hommes ni la bonté ni même le bonheur. Et voilà pourquoi la plainte si chimérique de Chatterton nous trouble pourtant et nous émeut. Entre les deux camps, celui des êtres grossiers, des habiles et des profiteurs, à qui vont le plus souvent les honneurs et l'argent, et celui des êtres délicats et fragiles qui vivent pour le rêve, pour la justice et pour l'amour, et que meurtrit ou brise la loi moderne d'airain, Vigny, avec tout l'élan d'une pitié attendrie et frémissante, a pris délibérément parti. Et son exhortation a gardé, à travers quelques outrances, de tels accents de sincérité et de grandeur que, nous aussi, ne pouvons pas, dans ce drame du suicide et de la mort, ne pas être pour les faibles contre les forts et ne pas préférer à l'égoïsme des puissants, à la dureté des bourreaux, le malheur pitoyable et fier des victimes et des vaincus.

(Henri Maugis, 1937)

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Sur l'éventuelle profession d'écrivain, AlmaSoror a déjà commis :

Profession : auteur

 

Et sur Alfred de Vigny :

Les poètes maudits

Loges d'antan

Le dédain sur la bouche

Deux portraits de Vigny

Le temps, l'ennui, la mort

Vigny aux temps électros

Fin d'un amour, rue de Bourgogne à Paris

Journal de bord

Le temps de Vigny : Chatterton

Mystique littéraire

 

Sur la littérature :

Littérateurs décadents du XIX°siècle vus par Romain Rolland

Calme du coeur. Les vents suspendus... L'air immobile (Jean-Christophe, de Romain Rolland)

Et enfin, le croiriez-vous ? L'abbé Prévost osait comparer....................................................

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vendredi, 18 novembre 2011

Vigny aux temps électros

"Toi que tes compatriotes appellent aujourd'hui merveilleux enfant ! que tu aies été juste ou non, tu as été malheureux ; j'en suis certain, et cela me suffit. - Âme désolée, pauvre âme de dix-huit ans ! pardonne-moi de prendre pour symbole le nom que tu portais sur la terre, et de tenter le bien en ton nom".

Alfred de Vigny, in Dernière nuit de travail, écrit du 29 au 30 juin 1834

 

"Vigny, attristé par la faillite de "l'esprit pur", ému par tant de suicides d'artistes, voulut porter sur la scène cette grande pitié du poète et de l'homme de lettres. En février 1833, deux jeunes poètes, Escousse et Le Bras, s'étaient asphyxiés, et déjà on avait vu succomber sous la misère un Hégésippe Moreau, un Charles Lasailly, un Aloysius Bertrand. Au moment même des représentations de Chatterton, Emile Boullaud, qui venait de commencer une traduction en vers des Lusiades de Camoëns, se laissa mourir plutôt que de tendre la main. Les journaux étaient pleins de récits désespérés. L'opinion commençait à s'émouvoir et des protestations contre cet état de choses commençaient à se faire entendre cà et là. Balzac défendait alors la même cause que Vigny dans sa Lettre aux écrivains français (1er novembre 1834).

Beaucoup plus que la lecture de Goethe où il avait rencontré la figutre de Torquato Tasso, personnage susceptible et inquiet, ces faits expliquent que Vigny ait repris la thèse qui lui était chère de l'homme supérieur victime de son propre génie. N'était-ce pas déjà le sujet de Moïse ? On retrouvera dans le désespoir du poète les accents désabusés du prophète."


Henri Maugis

 Henri Maugis, Alfred de Vigny, Chatterton, Edgar Varèse, poème électronique

Phot. Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva


A propos d'asphyxie dans une chambre solitaire au XIXème siècle, il nous faut mentionner Alexina (Herculine Abel) Barbin, hermaphrodite né(e) dans une famille paysanne de Charente. Son intelligence, sa culture, son catholicisme et son désespoir se lisent dans ses Mémoires, que l'on retrouva auprès de son lit, rue de l'Ecole de Médecine, à Paris.

Paix aux poètes, paix aux hermaphrodites. Honneur à vos âmes belles et tourmentées.

H.L.