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mardi, 13 août 2013

13 août : billet anniversaire

2012, sur Renée Vivien et 2010, la mer quand Saint Ambroise médite sur les six jours de la création et 2009 : la liberté mentale en Europe !

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vendredi, 05 juillet 2013

Catulle Mendès et Renée Vivien : quelques vers

Deux poèmes de poètes qu'on n'apprend pas à l'école, pourquoi ?

Pour les découvrir à l'écart des scolarités, quand le jour dort et que le besoin pressant de poème surgit du fond d'une douleur.

poupe_e ancienne.jpg

Reste. N'allume pas la lampe. Que nos yeux
S'emplissent pour longtemps de ténèbres, et laisse
Tes bruns cheveux verser la pesante mollesse
De leurs ondes sur nos baisers silencieux.

Nous sommes las autant l'un que l'autre. Les cieux
Pleins de soleil nous ont trompés. Le jour nous blesse.
Voluptueusement berçons notre faiblesse
Dans l'océan du soir morne et délicieux.

Lente extase, houleux sommeil exempt de songe,
Le flux funèbre roule et déroule et prolonge
Tes cheveux où mon front se pâme enseveli...

Ô calme soir, qui hais la vie et lui résistes,
Quel long fleuve de paix léthargique et d'oubli
Coule dans les cheveux profonds des brunes tristes.

Catulle Mendès

marine 2.jpg

Je t’aime d’être faible et câline en mes bras
Et de chercher le sûr refuge de mes bras
Ainsi qu’un berceau tiède où tu reposeras.

Je t’aime d’être rousse et pareille à l’automne,
Frêle image de la Déesse de l’automne
Que le soleil couchant illumine et couronne.

Je t’aime d’être lente et de marcher sans bruit
Et de parler très bas et de haïr le bruit,
Comme l’on fait dans la présence de la nuit.

Et je t’aime surtout d’être pâle et mourante,
Et de gémir avec des sanglots de mourante,
Dans le cruel plaisir qui s’acharne et tourmente.

Je t’aime d’être, ô sœur des reines de jadis,
Exilée au milieu des splendeurs de jadis,
Plus blanche qu’un reflet de lune sur un lys…

Je t’aime de ne point t’émouvoir, lorsque blême
Et tremblante je ne puis cacher mon front blême,
O toi qui ne sauras jamais combien je t’aime !

Renée Vivien

mardi, 30 octobre 2012

Trois poèmes de Renée Vivien

Renée Vivien, Chanson pour mon ombre, Sonnet à une enfant, A la perverse Ophélie

Chanson pour mon Ombre

Droite et longue comme un cyprès,
Mon ombre suit, à pas de louve,
Mes pas que l’aube désapprouve.
Mon ombre marche à pas de louve,
Droite et longue comme un cyprès.

Elle me suit, comme un reproche,
Dans la lumière du matin.
Je vois en elle mon destin
Qui se resserre et se rapproche.
A travers champs, par les matins,
Mon ombre suit, comme un reproche.

Mon ombre suit, comme un remords,
La trace de mes pas sur l’herbe
Lorsque je vais, portant ma gerbe,
Vers l’allée où gîtent les morts.
Mon ombre suit mes pas sur l’herbe,
Implacable comme un remords.

Renée Vivien, Chanson pour mon ombre, Sonnet à une enfant, A la perverse Ophélie

 
Sonnet à une Enfant
 
Tes yeux verts comme l’aube et bleus comme la brume
Ne rencontreront pas mes yeux noirs de tourment,
Puisque ma douleur t’aime harmonieusement,
O lys vierge, ô blancheur de nuage et d’écume !

Tu ne connaîtras point l’effroi qui me consume,
Car je sais épargner au corps frêle et dormant
La curiosité de mes lèvres d’amant,
Mes lèvres que l’Hier imprégna d’amertume.

Seule, lorsque l’azur de l’heure coule et fuit,
Je te respirerai dans l’odeur de la nuit
Et je te reverrai sous mes paupières closes.

Portant, comme un remords, mon orgueil étouffant,
J’irai vers le Martyre ensanglanté de roses,
Car mon cœur est trop lourd pour une main d’enfant.

Renée Vivien, Chanson pour mon ombre, Sonnet à une enfant, A la perverse Ophélie

 à la perverse Ophélie  

 
Les évocations de ma froide folie
Raniment les reflets sur le marais stagnant
Où flotte ton regard, ô perverse Ophélie !
 
C’est là que mes désirs te retrouvent, ceignant
D’iris bleus ton silence et ta mélancolie,
C’est là que les échos raillent en s’éloignant.
 
L’eau morte a, dans la nuit, les langueurs des lagunes,
Et voici, dispensant l’agonie et l’amour,
L’automne aux cheveux roux mêlés de feuilles brunes.
 
L’ombre suit lentement le lent départ du jour.
Comme un ressouvenir d’antiques infortunes,
Le vent râle, et la nuit prépare son retour.
 
Je sonde le néant de ma froide folie.
T’ai-je noyée hier dans le marais stagnant
Où flotte ton regard, ô perverse Ophélie ?
 
Ai-je erré, vers le soir, douloureuse, et ceignant
D’iris bleus ton silence et ta mélancolie,
Tandis que les échos raillent en s’éloignant ?
 
L’eau calme a-t-elle encor les lueurs des lagunes,
Et vois-tu s’incliner sur ton défunt amour
L’automne aux cheveux roux mêlés de feuilles brunes ?
 
Ai-je pleuré ta mort dans l’énigme du jour
Qui disparaît, chargé d’espoirs et d’infortunes ?…
– O rythme sans réveil, ô rire sans retour !
 
 
 Renée Vivien

Renée Vivien

lundi, 03 septembre 2012

Svanhild

 

Svanhild est l'un des textes du recueil La dame à la louve, de Renée Vivien, que quelqu'un a généreusement mis à la disposition de tous, par ici...

Nous la proposons à la lecture, cette pièce étrange, aérienne, d'une écrivain qui fit sienne la langue française et à qui nous devons beaucoup, car son style a tous les charmes de notre langue, sans jamais en avoir la pensanteur qui lui est propre - car chaque langue à ses sentiers battus, trop battus...

Svanhild

un acte en prose

Svanhild, Renée Vivien

 

SCÈNE PREMIÈRE

 

 

La scène représente une rive du Nord-Fjord. Dans le fond, des montagnes. Des jeunes filles, en costume de paysannes, forment un groupe mouvant. Elles foulent aux pieds les clochettes bleues, le thym et les gentianes. Immobile sur un rocher, Svanhild regarde au loin.

 

Thorunn

Que regardes-tu de tes yeux fixes, Svanhild ? Et que viens-tu chaque jour attendre en silence ?

 

Svanhild

J’attends le retour des cygnes sauvages.

 

Gudrid

Tu sais bien qu’ils ne sont point revenus dans la contrée depuis le jour de ta naissance. Ils s’arrêtèrent et se reposèrent longtemps sur le toit qui t’abritait. Tant que persista la clarté, ils s’attardèrent sur le toit de mousse aux fleurs bleues et dorées, et, au crépuscule, ils s’enfuirent dans un grand battement d’ailes.

 

Svanhild

Ils reviendront.

 

Bergthora

Il y a vingt ans qu’ils se sont envolés vers le Nord, et, depuis ce jour, aucune d’entre nous ne les a vus passer.

 

Svanhild

Je sais qu’ils reviendront.

 

Bergthora

Pourquoi restes-tu debout sur le rocher, immobile et contemplative pendant des journées entières ?

 

Svanhild

J’attends le retour des cygnes sauvages.

 


Des chants de fête s’élèvent. Des barques passent sur le fjord, chargées de femmes aux costumes étincelants.

 

Des paysannes, chantant

Ne t’approche point du glacier,
Car le froid brûle comme la flamme.
Ne t’approche point de la neige,
Car la neige aveugle comme le soleil.
S’éloignant.

Ne demeure point longtemps sur les sommets,
Car l’azur entraîne comme le vertige.
Ne contemple point l’abîme,
Car l’abîme attire comme l’eau.
Hildigunn

Entends ces musiques lointaines. Les barques glissent sur le fjord avec un bercement tranquille. Les paysannes rament en chantant : elles sont heureuses.

 

Svanhild

Leur bonheur serait pour moi la pire angoisse, et mon bonheur serait pour elles le plus morne supplice.

 

Gudrid

N’aimes-tu donc rien sur la terre ?

Svanhild

J’aime la blancheur.

 

Thorunn

Quel don espères-tu de la vie dans son printemps ?

 

Svanhild

La blancheur.

 

Ermentrude

Si le destin exauce miraculeusement ton espoir, si les cygnes sauvages reviennent, que feras-tu ?

 

Svanhild

Je les suivrai.

 

Bergthora

Jusqu’où les suivras-tu ?

 

Svanhild

Jusqu’aux limites du couchant.

 

Hildigunn

Quel est le but de ton rêve ?

 

Svanhild

Plus de blancheur.

Svanhild, Renée Vivien

 

SCÈNE II

 

Une Passante entre, les mains pleines de fleurs, tête nue, les cheveux mêlés de thym et de brins d’herbe.

 

La passante

Les routes sont magnifiquement larges. Je suis ivre de la poussière du chemin. J’ai dormi sur la bruyère, et, à travers mon rêve, j’aspirais le parfum des cimes. Les baies rouges et violettes ont apaisé ma faim, et la neige fondue m’a désaltérée. J’ai cueilli les roses des montagnes. J’ai dansé, nue dans le soleil. Existe-t-il sous l’azur du printemps quelque chose de plus beau que les lézards des rochers, les chardons bleus et mauves, l’étincellement entrevu des poissons et les nuances du soir ?

Svanhild

Il est quelque chose de plus beau.

 

La passante

Que peut-il exister de plus beau sur la terre ?

 

Svanhild

Les nuages, la neige, la fumée, l’écume.

 

La passante

 

Ne veux-tu point suivre, à mes côtés, la route libre comme l’horizon et vaste comme l’aurore ?

 

Svanhild

Non.

 

La passante

Pourquoi ?

 

Svanhild

J’attends le retour des cygnes sauvages.

 

 

La passante s’enfuit joyeusement.

Svanhild, Renée Vivien

SCÈNE III

 

 

Le soleil baisse. Le couchant illumine le ciel.
Le soir est gris et pâle.



Bergthora

Voici le soir. Combien les montagnes sont mystérieuses !

 

Gudrid

Que le silence est étrange !

 

Hildigunn

L’univers semble attendre.

 

Svanhild, à elle-même

Attendre… comme moi.

Thorunn

La Mort guette les égarés qui s’attardent dans les montagnes.

Asgerd

Les chemins sont périlleux lorsque la brume tombe des sommets.

 

Svanhild, dans un grand cri

Les cygnes ! les cygnes ! les cygnes !

 

Toutes, les regards vers le lointain

Nous ne voyons rien.

 

Svanhild

Le vent du Nord souffle dans leurs ailes… Ils ont franchi la mer, car l’écume argente leur plumage. Ils vont vers le large. Leurs ailes sont déployées et frémissantes comme des voiles… Entendez-vous le battement magnanime de leurs ailes ?

Toutes

Nous ne voyons que les blancs nuages qui passent au-dessus du fjord.

Svanhild

Ils sont plus beaux que les nuages. Ils vont vers les lumières boréales. Ils sont plus beaux que la neige. Comme leur vol est puissant et sonore ! Les entendez-vous passer ?

Toutes

Nous n’entendons que la brise du soir sur les fjords.

Svanhild

Je les suivrai ! Je les suivrai jusqu’aux limites du couchant !

 

Asgerd

Svanhild ! Les chemins sont périlleux, lorsque la brume tombe des sommets.

 

Thorunn

La Mort guette les égarés qui s’attardent sur les montagnes.

 

Gudrid

Songe aux brouillards qui voilent les abîmes.

Svanhild

Ô blancheur !

 

Elle s’enfuit au fond de la brume.

Asgerd

Elle se perdra dans le crépuscule.

 

Gudrid

Elle périra dans la nuit. Svanhild !

 

Toutes, appelant

Svanhild !

 

L’écho

Svanhild !

 

On entend un grand cri répercuté par l’écho.

 

Gudrid, avec angoisse

L’abîme…

 

 

 

Renée Vivien
 11 juin 1877 - 18 novembre 1909

Svanhild, Renée Vivien

lundi, 13 août 2012

Soror Renée Vivien

 

monastère.jpg

« La plus jeune sœur vint à moi comme l'incarnation de ma pensée la plus belle. Sa robe était du même violet que le soir. Cette femme m'évoquait la fragilité de la nacre et la tristesse altière des cygnes noirs au sillage obscur. Répondant à mon silence, elle murmura :

« J'ai cherché dans cette ombre non point la paix, comme l'Exilé frappant aux portes du monastère, mais l'Infini. » 

Et je vis que son visage ressemblait au divin visage de la Solitude. »

 
Renée Vivien, in Les sœurs du silence

 

lundi, 09 juillet 2012

La nuit latente de Renée Vivien

 

Renée Vivien, La nuit latente, Natalie Clifford Barney
"J'attends le retour des cygnes sauvages".

Renée, tu avais construit ton nom et ton mythe, et tu es morte d'autoépuisement à trente-deux ans, laissant derrière toi un sillon de poèmes qu'il faudra apprendre à retenir par cœur, peu à peu. Tu aimais ce prénom, cette fleur et cette couleur : violette. Tu souffrais des trahisons, tu aspirais à une violence différente de celle à laquelle s'adonnent les viveurs du monde.

 

Ton sommeil venu si tôt est souvent troublé par des frères, par des sœurs, qui viennent faire trembler ta mémoire en osant réciter, comme une prière, tes poèmes, ou bien les dialogues de Svanhild.

 

Comme Milosz, le cher lituanien qui écrivait en français, tu as choisi notre langue pour dire ton cœur. Alors nous te devons mille ans d'amour, au moins mille ans.

 

E.CL

Renée Vivien, La nuit latente,Natalie Clifford Barney

 

La Nuit latente

Le soir, doux berger, développe
Son rustique solo...
Je mâche un brin d’héliotrope
Comme Fra Diavolo.
La nuit latente fume, et cuve
Des cendres, tel un noir Vésuve,
Voilant d’une vapeur d’étuve
La lune au blanc halo.

Je suis la fervente disciple
De la mer et du soir.
La luxure unique et multiple
Se mire à mon miroir...
Mon visage de clown me navre.
Je cherche ton lit de cadavre
Ainsi que le calme d’un havre,
O mon beau Désespoir !

Ah ! la froideur de tes mains jointes
Sous le marbre et le stuc
Et sous le poids des terres ointes
De parfum et de suc !
Mon âme, que l’angoisse exalte,
Vient, en pleurant, faire une halte
Devant ces parois de basalte
Aux bleus de viaduc.

Lorsque l’analyse compulse
Les nuits, gouffre béant,
Dans ma révolte se convulse
La fureur d’un géant.
Et, lasse de la beauté fourbe,
De la joie où l’esprit s’embourbe,
Je me détourne et je me courbe
Sur ton vitreux néant.

 

Renée Vivien

 

1877-1909