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mardi, 18 août 2015

La méditation de Baalbek

 

Au milieu des années 1950, Jacques Benoist-Méchin, en voyage au Moyen-Orient, visite le temple de Baalbek, au Liban. Il y médite sur l'arbre, sur l'homme et sur la pierre, et cela forme ce fragment d'un chapitre de son ouvrage Un printemps arabe, sorti en 1959 aux éditions Albin Michel en France.

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« Il y a, dans tous les lieux du monde, un rapport intime entre les arbres et les colonnes, car c'est en regardant les uns que les hommes ont façonné les autres. Les piliers et les nervures qui soutiennent les voûtes de nos cathédrales sont à l'image des tilleuls et des hêtres de chez nous. Les colonnettes élancées des mosquées irakiennes s'inspirent des troncs sveltes des palmiers-dattiers. Les colonnes de Baalbek, quant à elles, n'ont pu naître que dans le voisinage d'arbres puissants et majestueux. Ils sont là, en effet, plus puissants et plus majestueux qu'on ne s'y serait attendu. Leur beauté ne surpasse pas seulement celle des colonnes : elle est d'un autre « ordre ». Un degré les distingue de leurs frères de pierre, mais ce degré est celui qui sépare l'inerte du vivant.

Car les arbres vivent. Ils croissent. Ils respirent. Ils dorment. Ils font l'amour. Pour qui sait les regarder, ils sont des êtres animés, constamment occupés à transformer la lumière en vie.

Comment s'opère cette transformation ? C'est un des mystères les plus profonds de la nature, un mystère que l'homme n'a élucidé que tout récemment. Cette découverte devrait le remplir d'une stupeur sans bornes et renouveler de fond en comble sa conception du monde. Mais il n'en est rien. Toujours en quête de miracles impossibles, il reste indifférent à ceux qui s'accomplissent sous ses yeux. Et parce qu'ils se déroulent au sein d'un silence qui est la signature de leur perfection, il passe à côté d'eux, sans même y prendre garde.

Je contemple ces troncs robustes où la sève monte lentement à la rencontre du soleil. À travers mille opérations fulgurantes, mais invisibles, des cataractes de lumière y sont transformées, chaque seconde, en torrents d'énergie. Chaque aiguille, chaque bourgeon, est le siège d'une activité qui laisse loin derrière elle le travail de toute une ville. Et pourtant ces arbres dégagent une sensation de calme et de sérénité. Rien ne trahit l’œuvre prodigieuse qui s'accomplit en eux. On pourrait vivre auprès d'eux pendant toute une existence sans s'en apercevoir.

Ils ne sont pas accordés au temps de la même façon que nous. La vie et la mort n'y sont pas répartis de la même manière. Quel âge ont-ils ? Sectionner leurs troncs pour compter leurs anneaux n'est pas seulement une opération grossière. C'est un leurre. Ces arbres sont incessamment occupés à naître et à mourir. Leurs troncs sont plusieurs fois centenaires. Mais à la pointe de leurs ramures, des myriades de petits bourgeons ont la verdeur innocente des choses qui viennent d'éclore. Ce sont des ancêtres dont le front se pare d'une jeunesse toujours nouvelle.

En réalité, un arbre ne meurt jamais. Il faudrait brûler jusqu'à ses dernières racines, pour tuer le courant de vie dont il est le réceptacle. Car même déraciné, terrassé, abattu, on ne peut empêcher qu'un surgeon n'en jaillisse, et ce surgeon est aussi frais et aussi jeune qu'au premier jour.

À la question : « Quel est leur âge exact ? » il est impossible de répondre. Les cèdres que j'ai en ce moment sous les yeux, ne sont que des instants dans l'existence de leur espèce. Chacun d'eux est entouré d'une forêt invisible : celle que constituerait, si on pouvait la voir, la longue lignée d'ascendants à travers lesquels il rejoint le premier cèdre du monde. Ses origines remontent à des millions d'années, à une époque où l'homme n'avait pas encore fait son apparition sur la terre, et l'expérience qui s'est accumulée depuis lors dans ses ramures, constitue une somme incalculable de sagesse.

Cette sagesse, il ne la dispense qu'à ceux qui en sont dignes. Aux autres, il n'offre que son silence et sa fraîcheur. Il faut avoir scruté ses mystères et les plus intimes pour savoir qu'il est surgi de la lumière elle-même, qu'il est, à proprement parler, une masse de lumière stabilisée. La plupart du temps, on passe à côté de cette révélation. Lorsque debout à son pied, on tend le regard vers la frondaison immense qu'il déploie dans l'azur, on n'entend que le murmure de la brise qui l'agite et, de temps à autre, le craquement de son écorce qui expulse ses éléments morts.

Nous connaissons aujourd'hui une grande partie des phénomènes qui se déroulent au fond de ses milliards de cellules, et nous les traduisons en langage scientifique. Les Anciens les ignoraient. Mais ils n'en sentaient pas moins que ces arbres contenaient un mystère insondable – le mystère même de la vie – dont la présence les remplissait d'une ivresse poétique. C'est pourquoi ils les ont entourés, à travers les siècles, d'un flot ininterrompu d'invocations et de prières. Les Psaumes et le Cantique des Cantiques font constamment allusion à leur puissance et à leur splendeur. « Ma fiancée est plus belle que l'aurore sur les neiges, mon fiancé est plus fort que les cèdres sur le Liban... Je chanterai Ta gloire comme la chantent les arbres ; mes vêtements auront l'odeur des cèdres du Liban ».

Prophètes et patriarches n'ont cessé de célébrer leur louange. Et sans doute ont-ils eu raison. Car si les colonnes de Baalbek nous donnent une idée exaltée de la grandeur de l'homme, les cèdres nous apportent un avant-goût de la majesté de Dieu ».

Jacques Benoist-Méchin

In Un printemps arabe, 1959

 

Du même auteur, à la si belle plume, sur AlmaSoror :

Epuration : l'auteur raconte sa condamnation à mort à la Libération

Trois esthètes du XX°siècle : Romain Rolland, Jacques Benoist-Méchin, Raoul Vaneigem

Le style immense et plein de pensée de Jacques Benoist-Méchin

L'invasion de l'Europe dans les années 700

Le désillusionné

Plume d'or sous un manteau d'étoiles

Fragment d'un printemps arabe

Isteamar de l'intérieur

Naissance d'un chef égyptien

 

samedi, 27 juillet 2013

Patmos

roselyne de féraudy, patmosPatmos - R de Féraudy

 

«Qu'est-ce que la photographie pour moi ? Que suppose-t-elle pour moi ?

Mes images vivent en moi, comme à mon insu. Aussi la naissance d'une image n'est-elle jamais fortuite, elle exige de l'énergie, une certaine détermination, un effort de mise en route.

La photographie est intervenue tard dans ma vie, je m'y suis consacrée, après avoir longtemps travaillé sur l'icône. J'ai découvert, un jour l'Île de Patmos, l'île des visions johanniques, et je ne l'ai plus quittée. La lumière y est si intense qu'elle anime toute surface et transforme toute chose.

Le sujet de l'image en soi a peu d'importance : murs, façades, portes, escaliers, deviennent une source inépuisable de variations abstraites que sculpte la lumière. Le ciel lui-même devient acteur d'un décor fait de masses dynamiques qui tournent, se superposent, s'entrecroisent, sans jamais se figer.

Ces photos m'ont conduite comme au-delà des apparences dans un voyage intérieur, vers une source invisible. Celles que j'aime le plus sont celles qui tendent toujours davantage vers l'abstraction, car elles expriment ainsi, le désir du silence qui m'habite.

Ruelles, murs et escaliers de Patmos en réalité, n'existent plus comme simples objets du visibles mais comme autre chose, cet autre chose que je poursuis et ne cesse de rechercher».

Roselyne de Féraudy - texte de présentation à l'une de ses expositions

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Sur AlmaSoror, à propos de la lumière, on peut lire un hommage à l'abbé Suger et Encore un peu d'Hopper ?


Ou encore :

Lumière du Sud, sang du monde

La matière du rêve


Et puis encore :

Lux et Nox

7

Où les ténèbres se font, là...

Le jour d'après

Ses galops de lumière à tous les étages du ciel

Les bras maritimes

L'ésotérisme


Et enfin :

Toute la poussière du monde

Hommage au Caravage

Hommage à Lucrèce

samedi, 20 juillet 2013

7

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«La lumière qui est à l'intérieur est mystérieuse, et là réside Celui qui ne se manifeste ni ne se révèle. Toutes les lampes sont éclairées par l'Ancien sacré, le Mystérieux des mystérieux, la Lampe suprême.

Toutes ces lumières qui se manifestent n'existent pas en dehors de la lampe suprême et non révélée».

Zohar, tome VI, p. 97.

mercredi, 19 septembre 2012

L'abbé Suger, maître de l'an 3000

 

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Saint Denys dit la messe devant Charles Martel.
Peinture du Maître de Saint-Gilles

 

Un hommage à Suger par Esther Mar

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Phot Sara

 

Lisez l'épitaphe de l'abbé Suger de Saint-Denis, immense homme d'Etat français, lumière du douzième siècle, par le chanoine Simon Chèvre d'Or de Saint-Victor, qui le connaissait et l'aimait :

 

 

« Il est tombé l'abbé Suger, la fleur, le diamant, la couronne, la colonne, le drapeau, le bouclier, le casque, le flambeau, le plus haut honneur de l'église ; modèle de justice et de vertu, grave avec piété, pieux avec gravité, magnanime, sage, éloquent, libéral, honnête, toujours présent de corps au jugement des affaires d'autrui, et l'esprit toujours présent pour lui-même. Le roi gouverna par lui les affaires du royaume ; et lui, gouvernant le roi, était comme le roi du roi. Pendant que le roi passa plusieurs années outre mer, Suger tenant la place du roi, présida au soin du royaume. Il réunit deux choses qu'à peine quelque autre à pu réunir ; il fut bon pour les hommes et bon pour Dieu. Il répara les pertes de sa noble église, en embellit le siège et le choeur, et la fit croître en éclat, puissance et serviteurs. Il était petit de corps, petit de race, et atteint ainsi d'une double petitesse, dans sa petitesse il ne voulut pas demeurer petit. Le septième jour, jour de sainte Théophanie, lui a ravi le jour ; mais Théophanie l'a fait monter au jour pur et vrai, auprès de Dieu ».

 

L'abbé Suger, né en 1080, mort en 1151, fils de Hélinand, homme du peuple, fut remarqué par l'église, cette église à l'époque si active à travers toutes les franges de la société pour sélectionner des enfants qui montraient des aptitudes brillantes et leur donner les clefs de son Institution... En leur donnant les clefs de l’Épouse du Christ elle leur donnait celles des Cours d'Europe.

Artisan de la France moderne, il eut la primeur du sens de l’État et fut un ardent édificateur de l’État français. Sans l'abbé Suger, la France d'aujourd'hui n'existerait pas. Aussi la France n'est-elle pas qu'un accident de l'histoire, comme l'a dit un homme de notre temps au cours des préparatifs de l'élection présidentielle du mois de mai 2012 ; la France, telle qu'elle nous apparaît dans tous ses aspects géographiques, politiques, intellectuels, artistiques, reflète une construction ingénieuse et obstinée de quelques hommes visionnaires et acharnés. Ils eurent parfois fort à faire, ces hérauts, pour diriger peuples et rois dont ils avaient la charge !

L'abbé Suger donna à la lumière un sens et un pouvoir immenses. Il insista pour que les églises soient inondées de lumière.

"Je suis la lumière du monde", dirent un jour le Chemin, la Vérité et la Vie. Suger l'entendit de cette oreille et il offrit aux pierres d'être le réceptacle de cette lumière et de la refléter sur les esprits aveugles, afin qu'ils s'élèvent.

Le tombeau de Suger dormit au fond de son œuvre, la basilique de Saint-Denis, durant de nombreux siècles. La fureur révolutionnaire profana la Basilique, les tombes des rois et celle de celui qui avait tant fait pour le peuple dont il était issu. On pourrait interpréter cette profanation comme le symbole de la mort de l'ancienne France, de ses vertus, de ses grandeurs et de ses inspirateurs. Que nenni, mes amis. Nous nous rendrons compte dans mille ans quel homme a été Suger, quand il brillera de toute sa gloire sur les hommes de l'an 3000 tournés vers lui avec plus d'admiration qu'ils n'en eurent jamais. Car alors ils accompliront, dans sa perfection, le rêve de lumière de l'abbé de Saint-Denis.

 

Esther Mar, 18 août 2012, pour AlmaSoror s'ils en veulent.

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Phot prise sur WP