samedi, 11 janvier 2014
Hier et ce matin
Orgueil et estime de soi
Dans le métro qui me ramenait de la rue de Rome vers Duroc à une heure avancée de la nuit, je me demandais si la présence de l'orgueil n'était pas lié à un défaut d'estime de soi. N'est-ce pas quand la dignité me semble atteinte, entravée, blessée, que l'orgueil s'engouffre dans la brèche pour ne pas laisser prise à la glu de l'humiliation ? Une personnalité sans humiliation est une personnalité sans orgueil, dans laquelle l'estime de soi peut s'écouler sans nuire à autrui (cette personnalité existe-t-elle ?).
Concurrence et jalousie
En longeant le boulevard du Montparnasse sous la lune, je croyais déceler que, contrairement à ce que j'avais cru, la comparaison n'est pas le résultat de la jalousie. Concurrence et comparaison prennent leur source dans le simple fait d'avoir des yeux pour voir l'autre et des doigts pour imiter et reproduire ce qu'il fait, ce qui mène à distinguer des différences. Ces différences, quel esprit ne peut s'empêcher de les mesurer et de les classer ? L'apprentissage amène la comparaison qui invite à la concurrence, et toutes deux créent la jalousie.
Aussi je ne crois plus que "la folie est attachée au cœur de l'enfant". L'enfant pur découvre ses dons d'imitation et tombe dans la folie de la jalousie.
Claviers d'ordinateur et chaussures
Un jeune homme m'a dit hier que les claviers de nos ordinateurs étaient les endroits les plus sales et surtout les moins sains de nos maisons. Je me suis alors demandé s'il était moins hygiénique de poser ses chaussures sur son oreiller ou de poser son oreiller sur l'écran d'ordinateur. Les méandres de ces réflexions me sont revenues le soir au moment du second verre de Gewurztraminer, qui les a recouverts de leur fleuve alcolosucré.
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mardi, 01 octobre 2013
L’Olonnois
Le capitaine Barbier se rappela le jour d’anniversaire de ses quatre ans : en trois coups de poing, Joe Ragondin, qui n’avait alors que trois ans et demi, l’avait étalé sur les pavés de la cour de récréation. Il avait saigné et la maîtresse avait grondé Joe. Mais cela ne l’avait pas consolé. Il était rentré chez lui avec une grande tristesse au fond du cœur.
Aujourd’hui, le capitaine Barbier avait cinquante-quatre ans. Il regardait la mer scintiller sous un ciel bleu étincelant. Il ne lui restait plus qu’une seule année pour attraper le vieux filou. Après, il serait mis dans les bureaux. A cinquante cinq ans, l’administration estime que vous êtes trop vieux pour faire le zouave avec un flingue et des bottes. Le capitaine Barbier, il est vrai, se sentait fatigué. Mais il ne voulait pas partir à la retraite sans avoir capturé le hors la loi, que les polices du monde entier surnommaient « l’Olonnois ». Le baroudeur qu’aucune police du monde n’avait pu attraper, lui, il l’aurait. Il le fallait. Ce serait sa vengeance. Cinquante ans plus tard, les trois coups de poing qui le faisaient toujours souffrir lui seraient enfin payés.
La mer des Sables d’Olonne était d’huile. Calme et sage, elle roucoulait doucement sous le scintillement bleu qui la traversait. Seules quelques vaguelettes crachouillaient sur le sable. Le Capitaine Barbier s’avança sur la jetée. Ses gars étaient postés un peu partout autour de lui.
La lutte avait été rude. Mais aujourd’hui, il n’y avait plus aucune chance pour que l’ennemi de toutes les polices du monde échappe au piège. Jugez plutôt : quatre sous marins planqués de chaque côté de la rade.
- Capitaine, vous croyez qu’on va vraiment l’avoir, ce Ragondin ?
- Aussi vrai que je m’appelle Barbier et que je suis capitaine de la gendarmerie maritime des Sables d’Olonne, on l’aura.
- Vous êtes un as, capitaine. Vous n’aimez pas les pirates, vous.
- Tu ne crois pas si bien dire.
Si Joe Ragondin avait trois ans et demi quand il avait dégommé le capitaine Barbier dans la cour de l’école, aujourd’hui, il avait donc cinquante-trois ans et demi. Après avoir terrifié les gendarmeries maritimes de toute l’Europe, il allait finir sa carrière au port où il avait grandi. Le capitaine Barbier tourna le regard vers le Nord ; le Palais de Justice faisait face à la mer. Il se demandait dans quelle prison les juges enverraient son pire ennemi. Il y avait des prisons partout en France, et Barbier au fond s’en fichait. Ce qui lui importait, c’était d’être enfin vengé de la plus grande humiliation de sa vie. « La vengeance est un plat qui se mange froid », se répétait-il. Quelle patience il avait fallu pour en arriver là !
Son second s’approcha de lui.
- Où en est-on ? demanda Barbier.
- Capitaine, le voilier de Ragondin est en vue. Les quatre sous marins sont prêts à ouvrir le feu.
Soudain, le voilier du bandit s'offrit à tous les regards. Il s'approchait à bonne vitesse, ses jolies voiles vertes dansaient dans le vent. Aussitôt, surgirent du fond de l'océan quatre énormes cheminées d'acier : c'étaient les sous-marins qui remontaient lentement à la surface, les armes braqués vers le petit bateau du grand braqueur des mers.
Il n'y eut pas de combat. Face aux tanks marins, Joe Ragondin avait hissé le drapeau blanc pour annoncer qu'il se rendait.
- Je ne vais quand même pas vous suicider, les gars, dit-il à ses deux acolytes, deux jeunes garçons de la DDASS que le hors-la-loi avait pris sous son aile. Vous direz que je vous ai menacé de mort et je ne vous contredirai pas. Ainsi, vous ne ferez pas trop de prison et vous aurez une seconde chance.
Les deux gars n'eurent pas le temps de le remercier. Une centaine de gendarmes prenait le voilier d'abordage. Ils faillirent couler tant ils étaient nombreux sur ce léger bateau.
Lorsque Joe Ragondin mit le pied sur la terre, il était entouré d'une volée de gendarmes qui l'avaient menotté aux poignets et aux chevilles et qui devaient maintenant le soutenir pour le faire avancer.
Le capitaine Barbier souriait de bonheur et de fierté. Sa poitrine se gonflait d'orgueil. Il avait atteint l'apothéose de sa carrière de justicier. Il s'avança lentement vers son ennemi.
- Tu as fini de rire, Ragondin ! S'écria-t-il afin que les journalistes puissent l'entendre.
Mais Joe Ragondin, qui l'avait regardé s'approcher, lui répondit à voix basse :
- Crapule ! Tu m’as eu… Allez… Tu es content, hein… Tu n’as jamais oublié la honte de tes quatre ans, pas vrai ?
Barbier baissa les yeux. Soudain, il eut honte de cette histoire. Vrai, il avait couru derrière le plus grand pirate du monde pour une baston d’enfance ?
Ragondin cracha, puis il sourit.
- Tu veux savoir pourquoi je t’ai asséné ces coups, ce jour là ? C’était, il y a, attends… Je calcule les années qui nous séparent.
- Cinquante ans, prononça Gilles Barbier dans un murmure.
Ragondin siffla d’étonnement.
- Cinquante, déjà. On se fait moins jeunes, dis.
Barbier osait à peine le regarder.
- Tiens, je te le dis. Je t’avais donné ces coups de poing parce que je t’aimais bien. C’est comme ça que je faisais pour me faire remarquer. Parce que je ne savais pas faire autrement. On m’avait appris ça, chez moi. Allez, excuse-moi, vieux. Excuse ces coups.
Barbier avait la tête baissée, toujours. Tout d’un coup, il était écrasé par les années qui avaient passé, par l’amitié qui n’était jamais venue, par la fragilité du grand filou menotté.
- Pardon, je te traite comme un vieil ami. Mais tu es le capitaine Barbier. Pardonnez-moi, Capitaine. Je vous ai tutoyé.
Les gars le tirèrent et le firent monter dans le fourgon. Barbier entendit les sirènes.
- Vous venez, Capitaine ? Lui dit un des gars, lui montrant du doigt la deuxième voiture, prête à partir.
- Un instant, murmura Barbier.
Il voulut regarder la mer un instant. Elle était belle, comme elle avait toujours été et comme elle serait toujours. Et lui, il se sentait le cœur lourd. Cinquante ans pour se rendre compte que la vengeance a un goût de cendre.
- Capitaine ! appelaient ses gars.
Alors le capitaine Barbier inspira un grand coup d’air, se détourna de la mer palpitante et suivit ses gars.
Edith de CL
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mercredi, 22 mai 2013
Adieu ma concubine
Celui qui se perd dans sa passion est moins perdu que celui qui perd sa passion
Saint Augustin
Par V.A.
Et si l'indicible était inexprimable ? En fait j'ai peur de te faire peur avec mes mots. Quelquefois mon langage s'emballe comme un cheval fou, qui n'en peut plus d'être bridé et voudrait enfin courir comme il le sent, n'est-il pas né pour cela ?
Il faut pourtant que tu saches, que tu comprennes ce léger tremblement de la paupière qui parfois t'étonne, entre deux portes.
Tu sauras – et peut-être, tu t'en iras en courant.
J'ai l'impression d'avoir été, comme tant d'enfants, conscients ou inconscients, programmée par des êtres morbides pour une vie dont mon âme ne voulait pas. Comme tant d'enfants, souffrants et désolés, scandalisés au sens où il est dit dans l'évangile de Saint Matthieu, « Mais si quelqu'un scandalise un de ces petits qui croient en Moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on suspendit à son cou une de ces meules qu'un âne tourne, et qu'on le plongeât au fond de la mer ».
Alors, grandie dans la souillure et la laideur, comment reprendre ma liberté ? En changeant le Mal par le mal. Satan m'offrait la Dépravation dorée ; je me détournais de lui et choisissais la dépression marronnasse. Le Diable me proposait des tombereaux d'espèces sonnantes et trébuchantes ; je me détournais de lui et plongeait dans l'indigence. Lucifer m'attirait vers les hautes sphères du pouvoir ; je me détournais de lui et sombrais dans les zones dénuées de puissance et de liberté. Belzébuth me tendait les diplômes qui m'ouvraient les trônes où des domestiques servent ; je m'en allais les poings dans mes poches crevées.
Sur cette route sans joie du détournement majeur de mon détournement de mineur, je m'arrachais lentement aux susurrements des Crimes et des Dominations.
Un risque me guettait pourtant : celui de vêtir l'habit mesquin, râpeux, grisâtre de l'amertume.
Abstinence, abstention, voie étroite, jeûne, ce carême illimité auquel je me soumettais défaisait les fils avec lesquels des êtres malfaisants m'avaient attachée et qui m'auraient entraînée au fond des bouges, là où les adultes se défont de toute leur dignité pour sombrer dans l'horreur crue des passions sordides. Je me débarrassais des scories et des leurres, des troubles et des distorsions qui m'auraient perdue, qui m'auraient emportée jusqu'au crime un soir de beuverie, jusqu'à l'humiliation volontaire un soir d'ennui ou jusqu'au suicide un soir de conscience. Je me délivrais du mal.
Mais j'endossais la bure aride du pénitent. Je remplaçais la tentation par l'aigreur.
Je buvais du vinaigre pour ne pas tremper mes lèvres au nectar sensuel de la perdition. Dans ce combat contre l'ange du vice, je gagnais la vertu, mais je perdais mon cœur.
Je me disais : « on m'a arraché l'innocence et je suis perdue à jamais pour la découverte charmante et fraîche des arbres autorisés. Même les fruits permis se détournent de moi, parce que j'ai perdu le goût de tous les jus en m'éloignant du Serpent ».
Amertume, tu me recouvrais comme une vague. Mes lèvres, nées jolies comme celles des petites filles naïves, avaient failli connaître la moue mouillée des luxures. Elles se serraient maintenant comme de petits fils secs qui ne veulent ni sourire ni partager. Oui, mes lèvres s'asséchaient pour ne plus jamais désirer des bouches.
Car la bouche attire la langue ; puis la langue éveille les feux des enfers du cerveau ; et le cerveau allume les ventres insatiables.
Voilà : je n'ai jamais été attachée dans la salle arrière d'une luxueuse boite de nuit, au milieu d'êtres funestes et sans intelligence. Cela m'a coûté très cher : des bouteilles d'amertume, des années de dépression, des échecs choisis au dernier moment, juste avant d'approcher la réussite. Des pans de vie à l'ombre des plénitudes, à cause d'un ver qu'on m'avait mis. Pour se sauver, il faut parfois accepter de mourir à tout ce qu'il y a d'attirant dans le monde.
Mais après ? Tant que l'on vit, le salut n'est jamais acquis ; l'amertume, si fade, si vide, si pète-sec, comporte ses pentes douces qui raidissent et ne se remontent plus. Alors il a fallu éclore à nouveau. Comme un enfant s'éveille au monde sous les mains protectrices d'êtres emplis de bienveillance, il a fallu accepter de renaître et accueillir les gestes de l'échange sans serrer les dents. Il a fallu plonger dans les fontaines aux eaux trop froides et recevoir les coups involontaires des nageurs sympathiques. Il a fallu rire et partager, sans trop juger, sans trop penser. Il a fallu surtout briser le cercle de loyauté. Trahir encore, trahir celle qui s'était trop protégée. Il a fallu trahir cette héroïne traquée qui s'était sauvée.
Toi, toi qui a jeûné, qui t'es abstenue, qui a creusé de tes doigts la voie étroite dans la pierraille, qui a prié et lutté dans les ténèbres sans saveur et sans repos, je te trahis. Je laisse ta dépouille sur le chemin marron des forçats solitaires pour rejoindre la route de lumière. Je te demande pardon, je te dis merci et je t'abandonne pour toujours.
Venexiana
Venexiana sur AlmaSoror :
J'entendais ta guitare pleurer
La saga des voix lactées - 40 ans d'art européen
Et pour elle, une dédicace
Venexiana dans VillaBar
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