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mercredi, 15 mai 2019

Un colloque intergalactique à la Cité internationale de la BD à Angoulême...

C'est le deuxième du nom, le deuxième colloque intergalactique "Telling science, Drawing science", raconter, dessiner la science, qui se déroule ces jours ci à Angoulême.

Comme je ne suis pas dans la ville poitevine, je me contente de suivre l'événement sur twitter, ce qui est amusant car des dessinateurs croquent les conférences au fur et à mesure.

Je clique donc souvent sur ce lien  et je trouve que les participants semblent bien s'amuser et s'instruire.

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https://tsds2019.sciencesconf.org/

 

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vendredi, 30 mai 2014

La tourelle du hibou

 Ondine Frager

Le temps passe, madame. Et bientôt ce que nous sommes ne sera plus qu'un souvenir qui s'efface. Comment conjurer l'impression vertigineuse que la vie nous traverse sans que nous ayons prise sur elle, ni sur nous-même ?

Enfant, j'avais songé à transformer la face du monde ; la tâche m'ayant effrayée, j'ai préféré une autre mer à boire – la mer des livres.

Lire, l'antidote au temps.

Ce soir, alors que les feuilles de tilleul rabougrissent au fond de ma tasse, je suis le fil de mes souvenirs de lecture. Dans la pénombre d'une petite pièce aux tentures rouges, au son de la musique malienne lancinante et paisible, je rencontre des livres compagnons, sans lesquels je ne parlerais pas à la même personne, lorsque je parle seule.

Du plus loin qu'il me revienne l'ombre de mes amours anciennes... Je revois les maisons de Dame-Souris. Ce charmant album destiné aux enfants et prisé des architectes en quête d'inspiration, expose les créations architecturales - des maisons individuelles adaptées au client - d'Héloïse la souris. On y admire le château du cochon, l'antre du renard, la maisonnette de l'ours, la villa souterraine de la truite, et tant d'autres.
Ma maison préférée, c'était celle du hibou. Installé dans une tourelle en plein ciel, il a vu sur la forêt, peut-être la mer scintille-t-elle au loin sous le tapis d'étoiles. Hibou peut scruter les mystères du ciel au moyen de la lunette d'astronome posée devant la fenêtre.
Les maisons de Dame souris, c'est un livre empreint d'une profonde paix, qui invite à la rêverie structurée, en quelque sorte, et créée, pour l'avenir (si on le lit à l'âge de l'enfance) des nostalgies infiniment langoureuses.

(Sur les maisons de Dame souris, quelques webécrivains se sont exprimés :

Comme avant dans mes rêves d'enfant

Lili l'archi)

Je poursuis ma route mentale à travers mes souvenirs, et je rencontre Le cheval blanc de Suho. Celui qui contient les illustrations d'Akaba - car les nouvelles éditions sont beaucoup moins belles ! Quel artiste, que cet Akaba - Suekichi Akaba ! Sur ce conte mongol de toute beauté, il livre des planches à couper le souffle et l'enfant que j'étais pleura toutes les larmes de son corps. C'était la découverte de l'amour et de la mort, du lien sacré entre l'homme et l'animal, de la musique liturgique universelle des défunts et des êtres qui s'aiment. 

Après quelques lectures déchirantes, je fermai le livre et ne l'ouvrit plus durant de longues années, car je savais que toutes les larmes de mon corps sortiraient à nouveau. Mais j'en regardais la couverture parfois, je savais, je sentais sa présence ; cette présence était taboue.

(Des traces du cheval blanc de Suho sur la Toile :

Vers Gif sur Yvette.

Ou en Romandie.)

Je pourrais encore parler de L'auberge de l'ange gardien et de l'affreux destin de Torchonnet, qui m'initia aux sordides rapports humains et à l'étrangeté sauvage des adultes. La suite de l'Auberge, la comtesse de Ségur, cette démiurge savante et sulfureuse, la raconte dans Le général Dourakine. On y découvre l'invraisemblable beauté, pâle et tragique, du Prince Romane, le polonais traqué.

Ces livres de la comtesse de Ségur, née Sofia Rostopchine, fille du terrible et majestueux aristocrate tsariste qui ne voulut pas livrer Moscou à Bonaparte, on me les lisait avant que je sache lire, je les ai entendus avant de les lire seule.

Mais le premier roman que je lus seule, et qui transforma ma vie, ce fut celui que m'offrit ma marraine Ségolène, l'année de mes six ans.

Les premiers paragraphes de Sans famille, d'Hector Malot, ne m'ont jamais quittée depuis. Maître Malot ! Je ne me suis jamais résolue à lire tes autres livres, car jamais je ne voudrais que tu tombes du piédestal où cette enfant t'avait élevé.

C'est par toi que j'ai compris la puissance de l'invention romanesque.

Je suis un enfant trouvé.

Mais jusqu’à huit ans j’ai cru que, comme tous les autres enfants, j’avais une mère, car lorsque je pleurais, il y avait une femme qui me serrait si doucement dans ses bras, en me berçant, que mes larmes s’arrêtaient de couler.

Jamais je ne me couchais dans mon lit, sans qu’une femme vînt m’embrasser, et, quand le vent de décembre collait la neige contre les vitres blanchies, elle me prenait les pieds entre ses deux mains et elle restait à me les réchauffer en me chantant une chanson, dont je retrouve encore dans ma mémoire l’air, et quelques paroles.

Quand je gardais notre vache le long des chemins herbus ou dans les brandes, et que j’étais surpris par une pluie d’orage, elle accourait au-devant de moi et me forçait à m’abriter sous son jupon de laine relevé qu’elle me ramenait sur la tête et sur les épaules.

Enfin quand j’avais une querelle avec un de mes camarades, elle me faisait conter mes chagrins, et presque toujours elle trouvait de bonnes paroles pour me consoler ou me donner raison.

Par tout cela et par bien d’autres choses encore, par la façon dont elle me parlait, par la façon dont elle me regardait, par ses caresses, par la douceur qu’elle mettait dans ses gronderies, je croyais qu’elle était ma mère.

Je trempe mes lèvres dans la tisane. La musique s'est tue, je ne m'en étais pas rendue compte - mais les timbres intenses des instruments africains résonnent encore au fond de mon corps.

Avec Jud Allan, roi des lads, de Paul d'Ivoi, j'ai appris à aimer l'existence des méchants, tel le Crâne, qui portent le crime avec panache et savent mourir en reconnaissant la valeur supérieure de leurs ennemis.

Les secrets de la lande, d'LN Lavolle, m'initièrent à l'amour des vieilles maisons. Je compris comment on fait le miel et pourquoi il faut se taire beaucoup pour savoir deviner les secrets.

Et puis, lorsque j'avais treize ans, mon grand-père Jacques me surprit alors que j'errais, pleine d'ennui, dans les rayons d'une bibliothèque que je connaissais par cœur. Je traînais entre l'escalier qui mène au pavillon et le lapinodrome, soulevant un livre par ici, le reposant.

Sa silhouette rare s'approcha de moi et je me tins coite.

- Tu n'as jamais lu cela, murmura-t-il, en passant son doigt tremblant sur un ouvrage dans l'ombre d'un rayon.

Il me tendit ce livre et me livra cette confidence : c'était le livre préféré de Dieudonné. Il le lisait l'année de sa mort et l'adorait.

Oh mon Dieu !

Je repartis dans ma chambre en le tenant entre mes mains. Le livre de Dieudonné. Ses mains l'avaient tenu. Et mon grand-père sévère me le confiait en chuchotant.

L'apôtre des lépreux, de Wilhelm Hunnerman, traduit par l'abbé Grandclaudon.

Sans cette lecture, je serais dénuée de doute et certaine d'être athée.

Mais j'ai lu L'apôtre des lépreux, dans cette édition tenue par un adolescent malade, et je l'ai relu, tout un été.

Et puis j'ai perdu de vue ce livre et ne l'ai plus jamais ouvert de ma vie. Je me souviens, c'est tout.

Des années plus tard, en cours de langues polynésiennes, j'eus un choc en entendant des mots d'Hawai'i, presqu'un malaise doublé d'une fascination, et je ne compris pas pourquoi. Ce n'est qu'encore longtemps après que je compris que j'avais reconnu les mots de l'Apôtre des Lépreux : Moloka'i. Kalaupapa.

Je pourrais encore parler de Bandini, de John Fante. Raconter ce trait incongru de ma mère, qui voulait que je dorme, et je ne voulais pas. Eh bien, alors, lis ce livre, dit-elle. Ce livre, qu'elle avait ramassé dans son étagère, c'était Bandini. J'avais onze ans je crois et ce fut le début d'une lecture répétée tous les deux ou trois ans, jusqu'à compréhension du texte.

Et que dire de La dentellière ? Un roman que j'adorais à quinze ans. Je vénérais l'auteur d'avoir écrit une œuvre si sensible, et quand vers vingt et quelques années je compris qu'il l'avait écrit pour rire, pour se moquer de la sensibilité de ses contemporains, j'en étais dégoutée. Il trouve que le reste de son œuvre vaut mieux que la Dentellière ; moi j'ai voulu ouvrir d'autres livres mais je n'aime qu'elle.

Adolescente ou adulte, j'eus d'autres lectures initiatiques. Breakfast at tiffany et les short stories de Truman Capote, dont la plus belle : One Christmas, le Noël triste d'un petit garçon à la Nouvelle-Orléans, à l'époque de la fameuse Prohibition...

La bande dessinée Lova, de Jean-Claude Servais,  Les sept piliers de la sagesse, de TE Lawrence d'Arabie, L'introduction à la langue et à la littérature aztèque, de Michel Launey, et enfin  Guerre et paix du vieux Tolstoï.

La caroline calligraphique des moines médiévaux s'est effacée devant l'imprimerie. Les ouvriers sidérurgistes ont vu leur monde s'éteindre. Nous marchons vers la numérisation de l'écriture et de la lecture, et l'apparence de l'édition traditionnelle se dissoudra bientôt dans la grande évidence du Code.

J'attends ; j'attends de voir si je deviens vieille. Si je reste encore quelques décennies dans ce monde, il me sera peut-être donné un jour de lire les nostalgies littéraires d'un enfant né en l'an 2014. A quoi ressembleront-elles ? Auront-elles des poussières et des odeurs, comme les miennes ? Ou bien d'autres sensations que mon esprit est incapable d'imaginer ?

Je les lirai, ces nouveaux-nés, quand je serai très vieille et j'écouterai leurs mémoires déjà profondes.

 

Le même thème, sur AlmaSoror :

Moineville, la ville des écrivains

Mémoires de nos lectures

jeudi, 20 juin 2013

Chronoposologie des Orteaux

saumur, piano, rue des orteaux

Entre un coup de soleil et un orage, on voyait là-bas les tours de Bagnolet, on entendait dans la pièce la musique de Cantemir par Jordi Savall.

Après quelques verres, on découvrait l'angélique sourire d'une coloc voyageuse. 

Encore plus tard on approfondissait l'apprentissage tâtonnant des symphonies fantastiques dans une pénombre qui laissait distinguer le visage émouvant d'une amatrice de hiatus.

L'aurore se levait quand même au bout d'un long silence.

Debout devant la baie vitrée, en face des étagères de bandes dessinées, on lisait un texto écrit par un revenant.

Plus tard (toujours plus tard), devant un café bizarre, un banc portait nos rêves vagues. Je refoulais les inquiétudes, je bravais le gris du ciel. Ton joli sourire flottait au milieu de ton mystère. Attendais-tu quelque chose ?

Dans les rues, la pluie lavait les traces de flou. Sous l'auvent du métro peut-être, des mots interdits dormaient au fond d'un coeur.

Personne ne connait le numéro du bus qui t'emporta, même pas toi.

C'était Paris, un jour de juin. C'était Paris. Alors pourquoi me souvenais-je d'un piano ancien, d'une maison de Saumur ?

Il semblerait qu'à vingt ans de distance, les instants fragiles s'appellent et se répondent.

jeudi, 17 janvier 2013

Qu'est-ce que le polar ? - Paralittératures

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Photos de H.L.


Né à l'aube du XX°siècle, le polar a connu un grand essor depuis.

Un jour, nous étudierons la définition de polar, ou roman noir ; ainsi que l'expression "paralittérature".

Nous parlerons de Paul d'Ivoi, à cheval entre le roman d'aventure et le roman policier ; Gaston Leroux, précurseur à la fois du roman policier français et du roman d'horreur et de fantastique ; Maurice Leblanc et son frère-ennemi, sa créature Arsène Lupin.
Nous mentionnerons l'existence de la collection, chez Gallimard, de la Série noire, pour s'introduire dans les arcanes de la collection enfantine de mini-polars Souris noire.

Un soir, nous relirons ensemble plusieurs albums illustrés directement inspirés du polar : La reine des fourmis a disparu, de Roca et Bernard ;
La série des Chatterton, d'Yvan Pommaux ;
Et le scandaleux Petit chaperon rouge, de Sarah Moon.


Qu'est-ce que le polar ?


Le mot polar correspond au mot anglais "thriller".

Avant "thriller", on disait, en anglais, "detective novel".


Pour traduire "detective novel" en français, les Français ont d'abord hésité entre "roman policier" et "roman judiciaire". Selon le Dictionnaire historique de la langue française, l'expression "roman policier" date de 1908.

Peu à peu, "roman policier" s'est imposé, on a cessé de dire "roman judiciaire".
Et puis, pour parler plus vite, on dit, "un policier" pour désigner un roman policier.

Enfin, de façon argotique, "policier" est devenu "polar".
Selon le Dictionnaire historique de la langue française, le mot "polar" date de 1970.

ROMAN NOIR
Une autre expression est employée en français pour parler du polar, c'est le "roman noir". Noir, parce que l'univers de cette littérature est sombre. Les événements s'y déroulent souvent la nuit, dans les quartiers laissés à l'abandon, dans des zones oubliées par la société. Ce qui est blanc est assimilé à la lumière, ce qui est noir à la nuit. De plus, à l'instar du polar américain, le polar a souvent une connotation sociale : on y dévoile les aspects les moins reluisants de la société, on y dénonce la corruption.
Le monde du polar est le monde du sombre, du caché, du ténébreux, l'inframonde, celui que les "gens normaux" ne voient pas ou ne veulent pas voir.

ESTHETIQUE
Enfin, sur le plan éditorial, le polar est lié à une certaine esthérique, noire et blanche avec un peu de rouge, pour le sang. L'identité visuelle du polar est présente dès la couverture du roman. Souvent, les auteurs jouent avec cette identité, s'habillant en noir, ayant des airs de personnages de leurs romans.

FESTIVAL
Il existe plusieurs Salon du polar en France. Le plus connu est celui qui a lieu dans la ville de Cognac, en Charente.

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La ville de Cognac :

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(Photo volée ici)

 

La boisson "Cognac" :

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Paralittératures

Qu'est-ce que la paralittérature ?
Le mot désigne les littératures populaires, celles qui ne sont pas considérées par les "élites" comme de la vraie littérature.
Un prestige est attaché à la littérature. Aussi, tout ce qui est écriture mais n'accède pas à ce prestige est taxé de paralittérature.

Ce mot a été inventé pour désigner le roman populaire, celui qui connait des tirages de masses, un grand succès populaire, écrit par des auteurs dénués d'élitisme.
Exemples au XIX°siècle : Alexandre Dumas, Eugène Sue. Eux, ont fini par être reconnus comme des écrivains à part entière.

Exemples de paralittératures :

Littérature pour les enfants
Roman noir (ou polar)
Science-fiction
Fantastique (fantasy)
Littérature érotique
Roman photo
Bande dessinée
Roman historique

Bien que la poésie ne soit pas vraiment de la littérature, on ne la classe pas dans les "paralittératures", car elle a un grand prestige.


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ROMANS DE GARE

Pour cette littérature dite facile (facile à lire, soi-disant facile à faire !), on emploie aussi l'expression "romans de gare" : les romans qu'on achète dans une gare pour se distraire lors d'un voyage en train.
Faciles à lire, ce sont, soit des romans policiers, soit des histoires d'amour à l'eau de rose (sirupeuses).

Exemple : Les écrivains Guy des Cars et Jean des Cars, auteurs très populaires, méprisés par les élites, étaient souvent appelés par les critiques "Guy des Gares" et Jean des Gares, pour souligner qu'ils ne faisaient pas de la vraie littérature, mais des romans de gare.

Le cinéaste Claude Lelouch a tourné un film intitulé Roman de gare... Qui raconte l'histoire d'une écrivain de romans policiers.

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En bref, le mot paralittérature a d'abord servi pour décrire tout ce qui, dans le domaine littéraire, recevait le mépris des universitaires.
Puis, peu à peu, un intérêt s'est accru pour les littératures populaires. Alors le mot paralittérature a pris le sens de "littératures marginales".
Mais, bientôt, avec Internet, l'affluence des oeuvres multimédia, il y aura certainement moins besoin de séparer radicalement la "littérature noble et pure" des autres littératures.

Alors, comment fera-t-on pour établir une différence entre l'art des élites, respectable, et l'art des masses, pitoyable ? Bah, on inventera autre chose !

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mercredi, 21 janvier 2009

Le sexe des anges

 

 

Le sexe des anges

H.L. accompagnée d'Edith de CL s'interroge sur deux des plus belles femmes du monde :

Nolimé et Véronique

 

Voir

doublevievronique-medium.jpg La double vie de Véronique

un film de Krzysztof Kieslowski

1991

sorti en DVD par MK2 en 2006

 

Lire et voir

NolimeTangere1_18012005-medium.jpgNolimé Tangéré,

dessins de Béja

Textes de Nataël

Editions Casterman, 1995

Deux œuvres

 

Comme dans le film La Double Vie de Véronique, la bande dessinée Nolimé Tangéré, grande œuvre littéraire et esthétique, propose une intéressante version d’un certain incertain donjuanisme romantique.

Le film, comme le livre, questionnent le rapport entre l’auteur et ses créatures. L’auteur fictif de la bande dessinée et le marionnettiste du film voudraient entrer dans la vie de leurs personnages mais ils n’osent pas : ils ont peur de briser leur rêve.

Le rêve sera inexorablement brisé.

Dans Nolimé Tangéré, l’auteur voit horrifié sa plus belle idole, son personnage Nolimé, renoncer à sa pureté, sortir de son œuvre pour entrer dans la vie et rejoindre un homme.

Dans la Double Vie de Véronique, la jeune femme sort de son propre rêve pour partager la vie de l’artiste qu’elle inspire.

Les deux oeuvres s'arrêtent avant que l’amant ne se lasse, avant que tout s’écroule. On finit entre deux mondes, dans une tension de réalisation, mais l’héroïne est morte en tant que telle. Elle n’est plus qu’une femme. Ce qui faisait toute la séduction de la femme inaccessible meurt avec son engagement tangible.

 

 

Qu’est-ce qu’une femme ?

C’est la question que posent ces œuvres, qui nous peignent des femmes chargées de magnificence.

Dans la vraie vie, c’est si difficile de ressembler à une image d’Epinal qui semble délivrée des charges animales quand on partage plus de 95% de son patrimoine génétique avec les orangs-outangs…

Ces hommes et ces femmes auxquels nous essayons de ressembler, nous, enfants déguisés en adultes, animaux déguisés en humains, nous ne pouvons les rencontrer que dans des œuvres d’art.

Tant qu’on la rêve, une femme est un ange. Quand on la rencontre, avec nos mains, avec notre cœur et notre corps, la femme s’estompe et fait place à l’être humain, l’être humain qui est un animal comme les autres. Alors le rêve est déchu.

 

“Thanks to the girls who fed me”, Merci aux filles qui m’ont nourri, a écrit Jim Morrison. Mais sans doute ces filles-là n’ont jamais existé. C’est son regard à lui qui les inventait pour ne plus être seul.

Car chacun sait que l’homme et la femme nus ne sont qu’un brillant artifact du passé, chante Leonard Cohen. Everybody knows the naked man and woman, are just a shining artifact of the past...

 

Mais les hommes aussi sont doubles : des archanges ou des salauds.

Tel cet homme dont parlait Virginia Woolf : le frère affectueux et protecteur envers sa sœur - mais quand elle veut le retrouver dans d’autres hommes, elle découvre son autre face : un brutal méprisant pour les femmes.

 

Nous sommes métamorphosés par nos maquillages, et ne savons plus retourner à notre vérité naturelle, qui est brisée comme l’enfance est brisée dans l’adulte. Alors, on met des masques, et quand le masque ne tient pas bien certaines se parent volontairement de déchéance : adolescentes libérées, vieilles putes.

A quoi ressemble Véronique quand le film est fini ? Qu'est devenue Nolimé quand la dernière page s'est tournée ?

 

Impossible rencontre de soi et de la pureté...

 

Don Juan est épouvanté par lui-même.

A cause de l’horreur du regard tueur ; nous désirons quelque chose, à peine nous l’obtenons, nous n’en voulons plus. Car ce qui est à nous ne peut être bien. L’amour de l’extérieur nous vient souvent de la haine de l’intérieur. Dès lors tout ce que nous touchons, ne peut-être que souillé. La haine de soi à l’extrême se traduit par le mépris de l’autre. L’homme par rapport à l’animal, l’homme par rapport à la femme, la femme par rapport à l’homme, etc.

Don Juan se hait.

 

Il est assoiffé de lui même, mais se cherche dans l’autre. S’il laisse ses victimes exsangues, sa vie à lui est un long dévidement.

C’est Don Juan vidé de lui-même, qui ne peut jamais croître, en chasse, en survie permanente – Don Juan est un vampire.


Don Juan est éternel

 

Plus que séducteur, au fond, la particularité de Don Juan est d’être séduit… jamais centré sur lui-même, il est séduit chaque fois qu’il sent palpiter un peu de vie.

 

Il est le séducteur, il est la séductrice, il est l’ethnologue ou le passionné des enfants : il voudrait ne faire qu’observer, ne peut s’empêcher de posséder et il hait et méprise tout ce qu’il touche.

Don Juan est aux femmes ce que les ethnologues sont aux peuples « primitifs », ce que les scientifiques sont à la terre vierge.

Même la science est Don Juan : la science qui brûle ou casse tout ce qu’elle touche, un peu comme Lenny dans des souris et des hommes, de John Steinbeck, parce qu’il cherche le pur, et le vierge, mais que son regard de vivisectionniste, souille et déflore. Alors, immédiatement déçu, il doit chercher ailleurs la pureté et la virginité, et le charme fugitif de la découverte.

 

Fuite éternelle de soi : Don Juan est l’être en fuite, tellement apeuré par la mort qu’il s’y précipite deux fois plus vite que les autres.

Nolimé Tangéré et Véronique sont des anges. Leurs amoureux transis croient qu’ils aiment des femmes ; mais les anges n’ont pas de sexe.

 

H.L. et E de CL