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lundi, 28 novembre 2016

Stabat memoria

 

Pergolèse, je suis si vieille par rapport à l'âge que tu connus. C'est toi pourtant qui me ravives et me consoles, les longs soirs de novembre. Jeune homme, ta musique accompagne mieux encore que l'Armagnac la lenteur des ennuis nappés de froidure. À côté de moi, dorment plus d'une vingtaine de tomes édités avant la guerre de 1939-45. Leurs titres : Les hommes de bonne volonté. Le drapeau noir ; Prélude à Verdun ; Recherche d'une église ; ces volumes dévorés par de jeunes gens devenus des vieillards aujourd'hui. Se souviennent-ils de leurs frémissements en lisant Jules Romains ?

Je divague, peut-être à cause du frimas, peur-être à cause du vin. Je divague, peut-être à cause de moi, peut-être à cause de toi à qui je pense, ce soir. Toi dont je sais le nom. Toi dont j'ai su la peau. Toi dont je ne sais plus rien.

 

samedi, 26 novembre 2016

Les silhouettes des fermes isolées

Écrire sans inspiration, sans envie, pour la simple raison qu’il y a des décennies l’enfant qu’on n’est plus a décidé d’écrire. Raconter n’importe quoi, comme cette mâchoire bloquée depuis quelques semaines. Une mâchoire qui se bloque le soir, demeure crispée toute la nuit, puis ne se desserre plus pendant les premières heures du jour. Je n’ai pas souvenir du premier jour de cette crispation qui empire.

 

Mâchoire serrée sur la route nocturne en Bourgogne. Le bitume dans la lumière des phares, les arbres le long de la route, les silhouettes des fermes isolées. Mon esprit liquide se coule dans la route, seules les mâchoires ne se coulent pas. Je me souviens d’autres routes, dans d’autres coins de France.

 

Mâchoire bloquée dans l’aube bleue des confins du Berry et de la Sologne, alors que tous les autres dorment. L’association vivra son assemblée générale tout à l’heure, pour l’heure, yeux clos, portes closes, rideaux tirés, persiennes fermées. La grande salle du petit-déjeuner n’est pas encore ouverte, j’ai faim, je contemple les armées de nuages qui passent au loin. Au-dessus des fils électriques, les passereaux dansent un ballet alors que les paquets de brume sombre ne se sont pas encore dissipés dans la lumière naissante.

Mâchoire contrainte dans cette petite gare perdue qui voit passer ses derniers trains. Bientôt, elle deviendra désaffectée, repère d’un maillage effacé par la rentabilité, repaire de fêtards lobotomisés par le tempo binaire des musiques abrutissantes, sur les bords des rails traîneront les restes de poudre de rails sniffés par les bienheureux temporaires. Le train s’arrête, trois passagers épars enjambent le marchepied, bientôt ce voyage là se fera en voiture, ou ne se fera plus.

 

Mâchoire fermée dans l’espace de méditation au fond de la banlieue mi-chic, mi-pauvre, sous la voix calme et monocorde du maître récemment converti mon corps se détend, sauf mes mâchoires qui ne se détachent pas l’une de l’autre. Que m’arrive-t-il ? Ce n’est pas grave. Personne ne le voit. Je fais illusion à tous, sauf à moi. L’éclat de mes yeux détourne l’attention, personne ne remarque l’étendue du blocage des joues. J’inspire, j’expire, doigts de yogi sur mes genoux, je repense à ma chienne qui savait courir comme une folle à la moindre occasion.

Où suis-je, à cet instant ? J’ouvre à peine les yeux. À la campagne, ou en pleine ville, je ne le sais pas encore. Des lectures anciennes, des odeurs nouvelles, un matin particulier au milieu d’une vie.

mardi, 22 novembre 2016

Insomnia mundi

Le monde est insomnie. Musique, images immobiles, images mouvantes, danse des corps, logorrhées ordonnées, les arts puisent à la grande fatigue de ne pouvoir dormir. Le temps de la souffrance est irréductible, celui de la rédemption, imprescriptible. Perspicace, je ne me lasse plus des quelques vers de Baudelaire qui décrivent le lendemain de l'illusion. Chaque renoncement m'ouvre une porte de liberté. Demain, je serai loin.

 

lundi, 21 novembre 2016

Le dernier mix

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Dernier mix dans la petite ville de l'Ouest pour Siobhan H, qui quitte ce soir la côte par le train de nuit.
La deltaplaniste s'est envolée une dernière fois, il y a quelques instants, alors qu'un coup de tabac secouait la côte. Elle a emporté sa machine à mixer dans le ciel, pour un dernier opus qui mêlera, comme à son habitude, les cris des oiseaux, les sons du ciel, de la mer et de son vol avec les rythmiques lancinantes aux tempos chevauchés qu'elle affectionne. Pour ceux qui s'ennuient au boulot ou chez eux et qui en ont la possibilité, on peut se brancher sur Radio Apsyaï et suivre ainsi en direct sa création des hauteurs.

 

 

Sur AlmaSoror :

La vie tranquille de Dylan-Sébastien M-T

Siobhan

mercredi, 16 novembre 2016

Ce sentiment

Tu as raison. Dès que le moral remonte, j'aime cet appartement qu'auparavant je haïssais. J'aime sa sombre ouverture sur une route passante, l'écrasement de ne pas voir le ciel, la longueur du couloir et la cour rectangulaire. Ce sentiment qui m'a plombée, qui pourrait trouver sa place dans le Dictionnaire des chagrins obscurs, se métamorphose en une sensation qui s'inscrirait sur la pierre ingravée des joies secrètes. Particulièrement quand la voix grave du chanteur nord-américain des années 1980, noyée dans des flux et des reflux de notes synthétisées, s'écoule comme un fleuve rauque dans l'espace du salon.

mercredi, 09 novembre 2016

Les petits refus

Tous ces petits refus pour essayer de rester quelqu’un qui décide son destin.

Refuser d’être un numéro, un membre d’un troupeau, cela commence au magasin d’habits du Faubourg Saint-Antoine, quand la vendeuse goguenarde, qui vous a donné un numéro de métal « 2 » pour indiquer vous avez pénétré dans la zone d’essayage avec deux articles en vente, frappe à la porte : « mesdames, vous n’avez pas le droit d’être deux dans la cabine ». Indiquer à ma mère que je ne prends pas les chandails et sortir sur le champ du magasin.

Cela continue au Grand Magasin de la rue de Rivoli ou du boulevard Haussmann, où vous faites demi-tour lorsqu’on vous demande à l’entrée d’ouvrir votre sac et votre manteau.

Cela se poursuit lorsque vous refusez la promotion alléchante de la SNCF qui vous enjoint à acheter votre billet entre telle heure et telle heure pour bénéficier d’un rabais, ainsi vous affirmez votre désir d’un « juste prix ».

Il faut encore renoncer à regarder une vidéo si une publicité s’impose au commencement.

Tous ces renoncements aboutissent à une vie aride. Ils peuvent apparaître comme des caprices de mauvais coucheur. Ils forment la trame quotidienne d’une affirmation du statut de personne libre, digne de respect et de confiance.

Voter avec les pieds (détourner les talons quand on veut vous fouiller), voter avec l’argent (payer des objets dont on approuve le processus de fabrication), voter avec l’esprit, en opérant des choix qui ne suivent pas les règles que tout un chacun adopte par convention – voir tel film, se mettre en couple, détester tel personnage public -, bien sûr que cela ne sert à rien.

À rien d’autre que de se dire à soi-même : « tu vis ton aventure humaine parce que tu es libre et que ton cheminement, unique comme ton visage, vaut la peine d’être respecté ».

mardi, 08 novembre 2016

Hors-piste

À notre époque « médiatique », il est difficile de penser par soi-même. Le commentaire médiatique s’impose et impose les sujets du jour, reléguant au domaine de l’ineptie ou de l’inexistence tout ce qu’il ne prend pas en charge.

Aussi, parler d’une littérature non médiatisée, c’est comme ne pas parler de littérature du tout aux yeux de beaucoup de gens, pour lesquels ce qui existe est ce qui est prescrit.

Les contre-cultures, sous-cultures et autres paracultures suivent elles aussi ce jeu de la reconnaissance, même si la médiatisation reste confidentielle et leurs aficionados, un cercle restreint.

Un peuple d’individus fichés par l’Administration, surveillés par le commerce (pistage des comportements sur Internet), dont les goûts et les couleurs sont guidés par l’appareil médiatique, voilà ce que nous ne voulons pas devenir.

Comment reprendre le pouvoir de penser par soi-même, de se créer ses propres idées sur le monde, de se balader à travers les forêts vierges d’œuvres non médiatisées ?

Il faut pour cela accepter la solitude mentale, une solitude si dure à vivre…

Être réduit au silence et à la sous-existence sociales, pour penser et choisir en conscience.

Sur cette route délaissée, méprisée, les rencontres sont rares, mais elles sont inoubliables.

mercredi, 02 novembre 2016

Extrait d'une lettre trouvée dans une poubelle de ma rue

« Votre oncle jugeait chaque être humain sans aucune considération de nom, de diplôme, de statut, de style, de beauté, mais simplement comme un être immense, enfant unique et chéri de Dieu, qui accomplit son destin hors de toute sociologie. »

Cette lettre était déchirée, parmi tant d'autres lettres qui semblent dater de quelques dizaines d'allées, jetées là, dans un bac vert.