jeudi, 29 avril 2010
Hétérosapiens ? Amour, sexe, filiation et liberté
J’ai eu une discussion très vive hier avec plusieurs excellents amis qui sont venus me voir à l’hôpital. Nous parlâmes de ce nouveau mot étrange : homoparentalité.
Amour, Sexe, Filiation & Liberté
J’ai eu une discussion très vive hier avec plusieurs excellents amis qui sont venus me voir à l’hôpital. Nous parlâmes de ce nouveau mot étrange : homoparentalité.
Mes amis Sauveur et Tatiana défendent quant à eux les « droits des gays », bien qu’ils ne sont pas concernés par cette « communauté ».
Mon amie Esther est intersexuée (je ne sais pas à quel point) ; elle a cependant un point de vue très traditionaliste, catholique et conservateur – je rappelle qu’intersexué est le mot moderne pour hermaphrodite.
Mon amie Hélène est lesbienne mais déteste toute forme de communautarisme et souhaite une société libérale, sociale, universaliste.
Ils ont poursuivi la dispute jusque tard dans la nuit à l’hôtel Saint-Sylvestre où ils étaient descendus. N’ayant pu participer, j’ai poursuivi ma réflexion seul et je voudrais partager mes interrogations ici.
Un mot de fortune sans grande fortune
Selon l’Association des Parents et Futurs Parents Gays et Lesbiens, l’homoparentalité englobe tous les types de situations dans lesquelles un des parents se dit homosexuel. C’est donc un mot qui ne concerne pas le type de filiation, mais la vie amoureuse des parents.
Si deux parents homosexuels ont eu un enfant ensemble, c’est de l’homoparentalité, bien que la filiation soit hétérosexuelle. Ce type d’homoparentalité est loin d’être nouveau : ce n’est que depuis quelques siècles qu’on tente de marier la vie amoureuse et le mariage. Ce qui est nouveau en revanche, c’est d’imaginer une filiation sans hétérosexualité.
Deux choses m’étonnent. La première, c’est de considérer la parentalité du point de vue de la sexualité et de la vie amoureuse des parents.
La seconde, c’est de penser que le fait d’être un parent qui mène une vie privée homosexuelle tranche plus avec la tradition que, par exemple, les familles recomposées, ou encore la famille nucléaire.
L’hétéroparentalité n’a rien à voir avec l’homosexualité
L’homoparentalité, selon ses promoteurs, c’est le fait d’être homosexuel et parent, quel que soit le type de filiation. Selon cette définition, la vie amoureuse des parents prime pour définir la parentalité plutôt que sur le type de filiation. Or, en quoi la vie amoureuse des parents doit concerner la filiation ?
Et pourquoi ne s’en occuper que dans le cas de l’homoparentalité ? Si un parent couche avec deux partenaires à la fois, il est donc triosexuel. Doit on parler de trioparentalité ?
D’ailleurs, on parle depuis longtemps de monoparentalité : s’agit-il de la solitude du parent ou son asexualité ?
Que fait la sexualité dans la parentalité, quand elle ne fait plus les enfants ?
Je trouverais plus cohérent de parler d’homoparentalité quand la filiation est homoparentale (on escamote un parent biologique pour le remplacer par un parent du même sexe que le premier parent), et d’hétéroparentalité quand les parents sont un homme et une femme, même si ces deux parents vivent chacun en couple homosexuel. En effet, l’enfant a un père, une mère, l’arbre généalogique se fait de la même façon que pour ses ancêtres, dans la continuité. Qu’importent que les parents soient amoureux ou coparents ?
La famille recomposée et l’homofiliation : deux vraies ruptures.
Ce qu’on appelle la « famille recomposée » hétérosexuelle (le fait d’avoir des enfants avec plusieurs partenaires non simultanément) et l’escamotage paternel ou maternel (recours à une banque de sperme ou une mère porteuse) ont en commun de détruire la famille traditionnelle occidentale (un père, une mère et autant que possible des enfants tous de la mère fratrie, un arbre généalogique-type), tandis que l’homosexualité d’un ou des deux parents n’a aucune incidence sur la famille traditionnelle.
La famille recomposée brise beaucoup plus la filiation traditionnelle (fratrie unie, de même origine sociale, au même héritage) que le couple parental formel sans aucune vie amoureuse, où l’enfant est le centre, l’héritier (matériellement et moralement).
Consommation parentale et structure familiale
Si l’on définit la parentalité en fonction de la vie amoureuse parentale, on se base d’un point de vue du parent consommateur. Si l’on définit la parentalité du point de vue de la filiation, on se place du point de vue de la structure familiale, tournée vers l’enfant.
La structure familiale peut laisser libres les choix individuels. L’erreur n’est pas de privilégier une sexualité sur une autre, mais de mettre la vie amoureuse au centre du débat – au lieu de la structure familiale qui entoure l’enfant. Si l’on pouvait revenir à un mode de vie où le couple ne serait pas la structure fondamentale de la société, tant sur le plan économique que psychologique et social, l’homosexualité et tous les autres types de sexualité seraient possibles sans qu’ils interfèrent avec la construction d’une famille. En quoi un homosexuel peut se permettre d’escamoter une mère pour son enfant ? En quoi deux personnes sont obligées d’être amoureuses pour fonder une fratrie ?
Le couple tentaculaire
Ce n’est pas la vie amoureuse qui établissait traditionnellement la filiation, mais la reproduction hétérosexuelle monogame (deux humains de deux sexes différents avaient des enfants ensemble et si possible seulement ensemble).
On a heureusement détruit le modèle unique couple hétérosexuel. Mais pourquoi garder l’idée de couple ? Il semble que le couple s’est incrusté dans tous les cerveaux pour devenir la norme, qu’il soit hétérophile ou homophile. Le couple serait indispensable à une vie adulte heureuse, à l’éducation des enfants, au bon fonctionnement des entreprises. N’est-ce pas aberrant ? Qu’est-ce qu’un couple ? En quoi l’agglutinement financier, amoureux, sexuel et matériel de deux personnes en un foyer serait le fondement de notre société ?
Entériner tout ce qui se vit ?
L’Etat officialise. Que doit-il entériner ? La Vérité révélée ou la structure extérieure de la vie des gens ?
La deuxième solution, pour hypocrite et arbitraire qu’elle soit, est moins totalitaire…
Je reconnais que l’Etat commet une violence quand il refuse d’entériner une situation vécue (refus d’héritage entre homosexuels, par exemple). Mais selon moi il commet une violence aussi grosse quand il entérine toutes les situations vécues puisqu’il est alors omniprésent dans les moindres détails de la vie des gens.
Les mentions Féminin/Masculin, Célibataire/vie maritale/divorcé qu’on nous demande de cocher sur les papiers administratifs publics et privés sont des mentions totalitaires. La plupart du temps, elle ne servent à rien d’autre qu’à cerner le profil de l’individu pour mieux le surveiller.
Souffrance et quête d’acceptation sociale
Les couples homosexuels demandent une reconnaissance sociale, voire une approbation.
Mais si tout le monde la demandait ? Les célibataires ? Les traditionalistes catholiques, souvent tout autant malmenés que les homosexuels ?
Les SadoMasochistes ? Les monosexuels ? Les colocataires élevant ensemble un enfant d'un copain mort ? Les végétariens ? Les mangeurs de viande crue ?
Ne vaudrait-il pas mieux lutter ensemble pour la libéralisation psychologique, affective et sexuelle plutôt que pour un entérinement par l’Etat de toutes les situations vécues ? Ne vaut-il pas mieux diminuer le contrôle social plutôt que de le resserrer ?
Quant au rejet dont certaines communautés sont victimes, il faut le condamner en tant que rejet d’êtres humains libres, non en tant que rejet d’un groupe qui pourrait être représenté en tant que tel dans des instances politiques. Car alors l’individu seul perd de sa valeur et doit se fondre dans un groupe donné pour la retrouver.
La vie sera toujours un combat individuel contre la dictature collective. Si la violence est contrôlable dans une certaine mesure, elle est inéluctable. Vouloir éliminer le problème de la violence sociale, c’est vouloir l’étatiser. On sait ce que ça donne… Les hôpitaux psychiatriques et les prisons deviennent obèses.
Axel Randers, 2006
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lundi, 26 avril 2010
Solstices
"Que nul à la fête de saint Jean ne célèbre les solstices par des danses et des chants diaboliques".
Saint Eloi
VIIème siècle
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jeudi, 22 avril 2010
La nuit photolittéraire
J'ai peur du noir et d'Insomniapolis. Je relis Chant de poussière, d'Esther Mar, j'en pleure de reconnaître, dans ses mots, mes voyages nocturnes. Nous sommes ceux que le soleil ne prend pas. Nous sommes ceux que la nuit n'attend jamais. Nous sommes ceux qui attendent sans espoir, un chemin qui mènerait quelque part. J'ai à nouveau envie de photolittérature, mais je me retiens d'en prendre. Le Carême est fini, la cure photolittéraire continue, parce que la rêverie a des dangers qu'aucun remède n'aplanit.
J'ai peur du noir et à Insomniapolis la lumière des bougies brûle jusqu'à l'aube. Alors les cernes tombent sur le visage qui se détend au point du jour.
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Septième Chapitre
En ce moment, je lis Chant de Poussière, d'Esther Mar. Texte long, tortueux comme les marais où nous vécûmes il y a plus de vingt ans. Etais-je trop petite pour comprendre les maux qui te gardaient éveillée jusqu'à l'aube et qui t'empêcher de paraître dans le vestibule avant que sonne la cloche du déjeuner ? Quoi qu'il en soit, aujourd'hui que tu n'es plus de ce monde, je lis tes oeuvres et découvre combien on peut vivre aux côtés d'une personne sans la deviner.
Tu craignais les enfants, tu passais sans nous voir, tu ne me parlais pas. Je croyais que je t'étais indifférente, mais tu m'a rendue légataire de tes écrits, par ton testament. Je n'avais même pas l'âge de voter. Aujourd'hui les éditeurs me harcèlent. Je ne changerai rien. Qu'importe, que ta gloire attendent quelques dizaines d'années ? Tu ne mérites pas que tes mots soient hachés, effacés, changés, pour plaire à la foule consommatrice.
Les héritages sont souvent volés par les rapaces, qui accaparent les objets puisqu'ils n'ont su gagner les coeurs. Mais le miracle de la transmission a eu lieu entre nous, et la liasse autographe dort paisiblement, dans le tiroir gauche de mon bureau Napoléon III.
Paris, le mercredi vingt avril deux mille dix,
Edith de CL
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mercredi, 21 avril 2010
Extrait d'Esther
Il y a des gens qui se plaignent, montrent leurs plaies, quémandent et empochent. Il y en a d’autres qui se sacrifient, offrent, se tiennent hauts et droit et ne demandent rien pour leur peine. J’éprouve pitié et mépris pour les premiers ; compassion et respect pour les seconds.
Esther Mar, in Chant de Poussière
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mardi, 20 avril 2010
Les mains d'Elsa
Donne-moi tes mains dont j'ai tant rêvé
Dont j'ai tant rêvé dans ma solitude
Donne-moi tes mains que je sois sauvé
Lorsque je les prends à mon pauvre piège
De paume et de peur de hâte et d'émoi
Lorsque je les prends comme une eau de neige
Qui fond de partout dans mes mains à moi
Sauras-tu jamais ce qui me traverse
Qui me bouleverse et qui m'envahit
Sauras-tu jamais ce qui me transperce
Ce que j'ai trahi quand j'ai tressailli
Ce que dit ainsi le profond langage
Ce parler muet des sens animaux
Sans bouche et sans yeux miroir sans image
Ce frémir d'aimer qui n'a pas de mots
Sauras-tu jamais ce que les doigts pensent
D'une proie entre eux un instant tenue
Sauras-tu jamais ce que leur silence
Un éclair aura connu d'inconnu
Donne-moi tes mains que mon coeur s'y forme
S'y taise le monde au moins un moment
Donne-moi tes mains que mon âme y dorme
Que mon âme y dorme éternellement.
Louis Aragon
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lundi, 19 avril 2010
Ni oppresseurs, ni opprimés
Ainsi parlait Mustapha Kemal au banquet turco-soviétique :
« Il n’y a, dans le monde, ni oppresseurs, ni opprimés. Il y a ceux qui tolèrent qu’on les opprime et ceux qui ne le tolèrent pas. Les Turcs sont de ces derniers. Ils sont assez grands pour s’occuper de leurs propres affaires. Que les autres suivent leur exemple. Le monde ne s’en portera que mieux ».
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vendredi, 16 avril 2010
post psychiatrique
"Le monde de 2030 est un monde post psychiatrique, ce qui en fait tout son intérêt artistique et humain : il n'y a plus de psychiatrie, nous sommes tous jetés dans le monde sans mesure du mental".
Axel Randers
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jeudi, 15 avril 2010
in angustia temporum
"Il y a un mot de la sainte Ecriture dont nous devons, je crois, toujours nous souvenir, c’est que Jérusalem a été reconstruite « in angustia temporum » (Daniel). Il faut travailler toute notre vie in angustia temporum. Les difficultés ne sont pas un état passager à laisser passer comme une bourrasque pour nous mettre au travail quand le temps sera calme ; non, elles sont l’état normal, il fait compter être toute notre vie, pour les choses bonnes que nous voulons faire, in angustia temporum".
Charles de Foucauld
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Sur Schütz
Très bien écrite, Une histoire de la musique, de Rebatet, publiée aux éditions Bouquins-Laffont, comporte de vrais passages littéraires. En voici un sur Schütz, adoré par notre deltaplaniste Siobhan H (qui écrit dans la catégorie "vol libre" de ce romanblog).
« On est surpris de la faible part des italianismes chez ce disciple attentif, cet admirateur de Gabrieli et de Monteverdi. C’est que Schütz demandait aux Vénitiens de l’instruire dans des formes nouvelles, des agencements sonores, dans les secrets d’une dramaturgie musicale dont ils étaient les généreux initiateurs. Mais en même temps que sa lucide modestie de provincial n’ignorait ni ses lacunes ni son retard, il possédait une personnalité à chaux et à sable, la première personnalité de cette force qui se révélât dans la musique allemande, et qui se fondait sur le germanisme et le protestantisme ».
« Les trois Passions que Schütz composa à l’âge de 80 ans, nous paraissent moins attachantes, sans doute parce qu’elles relèvent davantage de la liturgie universelle du christianisme. Mais on y respecte le désir d’ascèse du vieil artiste qui s’interdit tout ornement, tout recours aux instruments. On y admire tout ce qu’il sait faire exprimer à la seule ligne monodique. Et, une fois encore, un an avant de mourir, le vieillard allait célébrer dans un monumental Magnificat Allemand, l’union de l’opulente polyphonie et de la loyale simplicité du chant luthérien ».
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mercredi, 14 avril 2010
du désert
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dimanche, 11 avril 2010
Cher Hanno
J’ai rencontré Hanno Buddenbrook : ma vie est entrain de changer. Il marche à mes côtés depuis quelques jours et j’ai confiance que cette fois, c’est quelqu’un qui ne me quittera pas. Il est plus jeune que moi : qu’importe. Nous nous sommes trouvés outre-monde, là où ni l’âge, ni rien de mesquin ne se manifeste. Il a peur de son père, qu’il aime, en dépit de son indifférence apparente. Je publie ci-dessous quelques phrases de son père, et pendant que vous lisez je rejoins Hanno, mon ami, mon frère.
"J’ai l’impression qu’autrefois rien de semblable n’aurait pu m’arriver. J’ai l’impression d’une chose qui m’échappe et que je ne peux pas retenir aussi fermement que jadis… Qu’est-ce que le succès ? Une force secrète, indéfinissable, faite de prudence, de la certitude d’être toujours d’attaque… la conscience de diriger, par le seul fait d’exister, les mouvements de la vie ambiante ; la foi en sa docilité à nous servir… Fortune et succès sont en nous. A nous de les retenir solidement, par leur racine. Dès qu’en nous quelque chose commence à céder, à se détendre, à trahir la fatigue, aussitôt tout s’affranchit autour de nous, tout résiste, se rebelle, se dérobe à notre influence… Puis une chose en appelle une autre, les défaillances se succèdent, et vous voilà fini. J’ai souvent pensé, ces derniers temps, à un proverbe turc qu’il me souvient d’avoir lu : « Une fois la maison finie, la mort s’approche ». Oh ! pour l’instant, la mort, c’est beaucoup dire. Mais le recul, la descente… le commencement de la fin… Vois-tu, Tony, poursuivit-il, passant son bras sous celui de sa sœur et assourdissant encore sa voix, lorsque nous avons baptisé Hanno, te rappelles-tu, tu m’as dit : « Il me semble qu’une ère toute nouvelle va s’ouvrir ! » C’est comme si je t’entendais encore, et les événements ont paru te donner raison, car aux élections au Sénat la fortune m’a souri, et, ici, la maison s’élevait à vue d’œil. Mais la dignité de sénateur et la maison ne sont qu’apparences, et je sais, moi, une chose laquelle tu n’as pas encore songé ; je la tiens de la vie et de l’histoire. Je sais que, souvent, au moment même où éclatent les signes extérieurs, visibles et tangibles, les symptômes du bonheur et de l’essor, tout déjà s’achemine en réalité vers son déclin. L’apparition de ces signes extérieurs demande du temps, comme la clarté d’une de ces étoiles dont nous ne savons pas si elle n’est pas déjà sur le point de s’éteindre, si elle n’est pas déjà éteinte, alors qu’elle rayonne avec le plus de splendeur. »
Ils se tut et ils marchèrent un moment sans mot dire, tandis que le jet d’eau clapotait dans le silence et qu’un chuchotement passait dans la ramure du noyer.
Thomas Mann, Les Buddenbrook, trad Geneviève Bianquis
Pauvre Hanno, dont le père, dans un reniement intérieur, rêve d'un autre enfant que toi :
« Quelque part grandit un enfant bien doué, accompli, capable de développer toutes ses facultés, un enfant qui a poussé droit, sans tristesse, pur, cruel et gai, un de ces humains dont le seul aspect augmente le bonheur des heureux et pousse au désespoir les malheureux”.
Photos de Sara
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samedi, 10 avril 2010
Rosachay, une chanson andine en quechua
Rosachay, une chanson andine en quechua.
Deux adolescents amoureux s’enfuient ensemble pour vivre leur amour.
Nous vous proposons de traduire cette chanson ensemble.
Le quechua est une langue magnifique et incroyablement différente des langues indo-européennes ! Comprendre une chanson en quechua, c’est ouvrir une fenêtre sur un univers imaginaire et intellectuel réellement autre et réellement beau.
C’est une chanson qui est connue dans une bonne partie des Andes quechuaphones (parlant le quechua) et elle raconte quelque chose de typiquement andin et de complètement universel.
Elle raconte une histoire bien connue dans les Andes. Deux jeunes sont amoureux mais leur relation n’est pas vraiment possible (elle n’arrange personne…). Alors ils s’en vont tous les deux. Ils partent ensemble, et quand ils reviendront un an plus tard – s’ils reviennent – ils auront gagné leur union aux yeux de tous.
Quelques indications.
1 Vous verrez que les emprunts à l’espagnol ne sont pas rares, puisque depuis 1625 (date du débarquement de Pizarro sur les côtes péruviennes), l’espagnol est parlé dans les Andes.
2 Le quechua est une langue agglutinante. De nombreux suffixes s’ajoutent à la racine des mots (s’agglutinent !) et tout le charme de la grammaire quechua réside dans le choix des suffixes. Ils permettent en effet de donner des variations de sens subtiles aux mots.
3 En quechua, on possède des suffixes qui donnent des indications sur la façon dont l’interlocuteur connaît ce qu’il dit. Ainsi, si je suis certaine de ce que je dis, que je l’ai appris d’une manière sûre, j’accolerai le suffixe assertif (mi-m) au mot principal de la phrase.
Je l’ai mangé. Mikhuni-m
C’est maintenant ! Kunan-mi !
Si je ne sais ce que je dis que par ouï dire, ou bien que… J’emploierai le suffixe citatif (si-s).
Sumaq-si… C’est beau (il paraît)…
Quand je raconte un rêve, j’emploie également ce suffixe. De même, quand je raconte des choses qui me sont arrivées alors que j’étais ivre. Ces états, l’ivresse et le rêve, ne permettent pas, en effet, de parler des événements avec l’assurance de l’assertion.
Si, enfin, je ne suis pas sûre du tout de mon affirmation, je le note par le ? chà. On peut aussi noter par ce biais un agacement ou une indifférence…
Ça doit être là-bas ! Haqay-chà !
Qu’il y aille ! Ripunchà !
Dans les chansons, on entend toujours le suffixe « si », de même que dans les contes. En effet, le statut de la fiction fait qu’on ne peut utiliser l’assertif « mi » comme si j’affirmais quelque chose de certain !
Il faut noter que ces suffixes, qui servent à indiquer la façon dont on connaît l’information qu’on donne, posent un problème lorsque les auteurs andins veulent créer une littérature moderne, semblable à notre littérature de fiction. Comment en effet se décider entre les suffixes ? Si l’on voulait écrire un roman comme en français, le narrateur devrait employer l’assertif, puisque le roman fait comme s’il s’agissait de la réalité (Emile Zola ne nous répète pas toutes les pages : « j’invente, c’est de la fiction, ce n’est pas quelque chose qui a eu lieu !)
Or, faire comme pour un roman français, n’est-ce pas entamer sérieusement l’existence de ces suffixes qui donne tant de sel au quechua ? Pourtant, mettre le citatif –si pendant un long roman coupe l’effet de la fiction en rappelant toujours qu’elle est fictionnelle… Voilà un problème passionnant qui montre à quel point l’adoption de larges pans d’une culture par une autre modifie profondément la pensée, les modes de communication et la culture, et à quel point ces modes de penser et de dire le monde peuvent être incompatibles.
Commençons !
Rosachay, Rosalinachay,
Clavelchay, clavelinachay,
Chiqachus sapayki kanki ?
Chiqachus solayki kanki ?
Rosachay, Rosalinachay
Clavelchay, clavelinachay
Rosa vient de l’espagnol Rosa (Rose).
-cha est un diminutif. Rosa-cha : petite rose.
-y est la marque du possessif de première personne.
Exemple : wasi = maison. Wasiy = ma maison
Clavel vient de l’espagnol clavel, œillet.
Nous avons donc : ma petite rose, ma petite rosette, mon petit œillet, mon petit œillet,
Chiqachus sapayki kanki ?
Chiqachus solayki kanki ?
Chiqa signifie vrai. -chu est la marque de l’interrogation. –s est le suffixe ? dont nous avons parlé plus haut.
Ainsi, chiqachus signifie : est-ce vrai ?
Sapa est un mot passionnant, qui veut dire seul, unique, chaque. Un mot « indivisualisant ».
Exemples :
Sapa p’unchaw = chaque jour (p’unchaw = jour)
Lorsqu’il s’emploit pour dire seul, on ajoute un possessif. Ainsi on dit : mon seul je suis.
Sapa-y kani = mon seul je suis.
Kay est un verbe qui correspond à nos deux verbes être et avoir.
Ainsi
Wasi-y kan, littéralement : ma maison elle est. Traduction : j’ai une maison.
Mais : sumaq kani = belle je suis. Traduction : je suis belle.
Dans le cas de notre strophe :
Sapayki kanki : ton seul tu es.
Arrêtons nous ici pour donner la conjugaison entière de kay au « présent ». (Il ne s’agit pas vraiment de présent, mais de temps non marqué. On ne marque le temps que quand c’est essentiel à la compréhension).
Kani Je suis
Kanki tu es
Kan il est/c’est
Kayku nous (exclusif) sommes
Kanchik nous (inclusif) sommes.
Kankichik vous êtes
Kanku ils sont
Nous inclusif = nous, nous tous
Nous exclusif = nous (et pas vous !)
Sola vient de l’espagnol Sola (seul). Comme il est « quechuisé », il est traité comme sapa, c'est-à-dire que l’on dit solay kani (seul-mon je suis).
La répétition n’est pas lourde en quechua. Elle participe au contraire à la beauté du rythme de la langue.
Cette première strophe pourrait se traduire ainsi. Ma petite rose, ma petite rosette, mon petit œillet, mon petit œillet, est-ce vrai que tu es seul ? Est-ce vrai que tu es seul ?
Entamons la deuxième strophe !
Ñuqapis sapaysi kani,
Ñuqapis solaysi kani,
Hakuchu compañakusun,
Hakuchu contratakusun.
Ñuqa signifie moi. –pis/pas s’accole à un mot et signifie aussi. Ainsi, ñuqapis veut dire moi aussi. Maintenant que nous savons cela, nous devrions être capable de traduire les deux phrases.
Ñuqapis sapaysi kani,
Ñuqa-pis sapa-y-si ka-ni
Moi-aussi seul-mon-suffixe citatif (on dit que…) je suis
Moi aussi, je suis seul. Moi aussi, je suis seul.
Hakuchu ! c’est une expression figée qu’on peut donner par « allons-y ! on y va ! »
Compaña vient de l’espagnol compaña compagne, et est traité en quechua comme un verbe (le quechua a verbalisé ce qui en espagnol est un nom). Il est donc conjugué : compañakusun.
Compaña-ku-sun
« être compagnon »-ku-sun
le suffixe ku est réflexif et affectif à la fois. Il a un sens réflexif (nous nous mettons ensemble ; je m’habille…).
-sun est un futur et impératif de première personne du pluriel.
Exemple du verbe mikhu au futur :
Mikhusaq
Mikhunki
Mikhunqa
Mikhusun
Mikhunchik
Mikhunkichik
Mikhunku
Contrata- vient de l’espagnol « contratar », et est pris pour « se marier ».
Traduction de la seconde strophe :
Moi aussi, je suis seule,
Moi aussi, je suis seul(e)
Allons-y, mettons-nous ensemble
Allons-y, épousons-nous
La troisième strophe, maintenant !
Sangararamantas kani,
Aqumayumantas kani,
Hakuchu urpi ñuqawan,
Hakuchu sunqu ñuqawan.
Sangarara : nom de lieu
-manta : de
Parisiens, vous pouvez dire : Parismanta kani ! Je suis de Paris.
(-manta s’emploie aussi ainsi : rumi-manta wasi, une maison en pierre (rumi = pierre ; franciasimimanta rimani francia-simi (en langue française) rimani (je parle)).
Aqumayu = nom de lieu (aqu = sable ; mayu = rivière)
Je suis de Sangarara, je suis d’AquMayu (rivière de sable)
Hakuchu ! nous l’avons vu précédemment, signifie allons-y
Urpi = colombe. (urpichay = ma petite colombe). En français on dirait mon amour…
-wan = avec. Nous avions déjà vu « ñuqapis » = moi aussi. Ñuqawan = avec moi.
Sunqu = cœur. Je pense qu’appeler quelqu’un cœur est une façon hispanisée de considérer le mot sunqu (cœur, force vitale), mais peut-être que non.
Traduisons donc :
Je suis de Sangarara,
Je suis d’Aqumayu
Allons ! colombe, (viens) avec moi
Allons ! cœur (viens) avec moi
La famille intervient à la quatrième strophe :
Mamanchik maskawaptinchik,
Taytanchik maskawaptinchik,
Ñachà karupiña kasun,
Ñachà Limapiña kasun.
Mamanchik maskawaptinchik
Mama = mère. Ce n’est pas un emprunt ! C’était déjà « mère » en quechua, avant l’arrivée des Espagnols…
Maska = chercher.
Courage, entrons dans le verbe émaskawaptinchik ». Maska est la racine « chercher. –wa- signigie me/nous et va avec le dernier suffixe du verbe –nchik-. –wa…nchik dans un verbe signifient la relation sujet objet : « ils nous ». (me chercher, nous chercher). –pti- indique que le sujet de ce verbe n’est pas le sujet du verbe principal de la phrase. Maskawaptinchik signifie donc : ils nous chercheront, ou nous cherchant, ou encore pendant/tandis qu’ils nous chercheront.
Deuxième vers : Taytanchik maskawaptinchik
tayta-nchik.
Tayta = père, monsieur. –nchik = notre, nos
Ñachà karupiña kasun
Ña = déjà
-cha = suffixe dont nous parlions en introduction. Ici on pourrait traduire par « Nous serons sans doute déjà loin »…
karu = loin
-pi = indication de lieu (wasiypi = dans ma maison. Franciapi = en France. Haqay=là-bas, haqay-pi = là-bas.)
Ñachà Limapiña kasun
Lima = la grande et mythique ville de Lima. La métropole de perdition. La ville lointaine, dont on entend parler, dont on rêve et que l’on ne voit jamais.
Traduction de cette strophe
Nos mères nous chercheront (ou quand nos mères nous chercherons, ou nos mères nous cherchant)
Nos pères nous chercheront, (idem)
Nous serons sans doute déjà loin,
Nous serons sans doute déjà à Lima !
Notes sur le genre et le pluriel
Les promoteurs du quechua actuels sont très influencés par l’espagnol. S’ils se battent pour la reconnaissance du quechua au même titre que l’espagnol, ils considèrent toujours la grammaire espagnole comme la norme, et sans même s’en rendre compte ils passent leur temps à dénaturer le quechua en le calquant sur l’espagnol.
Exemple : ils marquent systématiquement le pluriel, comme si c’était une faute de ne pas le marquer. Ils appliquent, d’une manière générale, les règles rabachées de grammaire espagnole à la langue quechua !
Merci d’avoir accompagné nos deux amants dans leur désir de fugue. Fermons les yeux, imaginons les hautes montagnes des Andes et pleurons en relisant la chanson… Ou bien imaginons-nous au marché, car sur les marchés des villages, des garçons et des filles chantent ce type de chansons accompagnés de musiciens. C’est ainsi que commença le chanteur Fredy Ortiz, du groupe Uchpa (cendres), déjà interviewé en quechua dans AlmaSoror. Il est aujourd’hui rocker connu au Pérou, et continue de chanter dans sa langue maternelle mais avec de la batterie et des guitares électriques.
Katharina Flunch-Barrows et Edith de Cornulier-Lucinière
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dimanche, 04 avril 2010
L'âme soeur et la soeur nourricière
AlmaSoror est née en 2006, grâce à une soeur humaine dont le prénom contient le mot "anges", en hommage à une soeur canine dont le prénom contient le mot "ange".
Maison de production indépendante, label de musique indépendant et blog, AlmaSoror s'attache à se détacher du temps administratif, du temps politique, de l'Empire psychologique et social pour entrer dans la Nuit sociétale. Là, émerge une zone imaginaire, où se tissent nos oeuvres.
Une des particularités d'AlmaSoror est d'être imparfait(e) : tout ce qu'AlmaSoror fait est imparfait. Alors, plutôt que de lutter contre les échecs et les ratages, activité qui nous paraissait équivalente à celle de dresser un barrage contre le pacifique, nous nous sommes dit(s) : chevauchons cette imperfection, puisque elle s'ébroue sans cesse entre nos mains et notre esprit. Chevauchons-là sans bride ni selle et voyons où elle nous mène.
Je crois qu'elle nous mènera au pays de Crin Blanc. Mais ce n'est qu'une supposition. Pour l'instant, nous chevauchons, la peau tendue, les yeux brûlés, les cheveux au vent glacé de l'hiver qui approche.
Peu à peu vous avancez vers nos zones d'action imaginaire
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