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vendredi, 06 juin 2014

Le groove dans l'écriture – le groove dans le blog

 

Au menu :

Qu'est-ce que le groove
Chemins de l'Ostinato
O ! Tempo rubato
Blog & groove
Nerfs et mollesse
Destins
Quelques questions infiniment liées à la question du groove

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C'est compliqué de trouver son style dans la vie comme dans l'écriture.
On peut tout au moins trouver le groove idéal, ou, s'il n'existe pas, un groove évolutif.

 

Qu'est-ce que le groove ?

C'est un mot de la langue anglaise d'Amérique. Groove, en nom commun, signifie sillon ; en verbe, s'amuser. Comme le fil d'un scénario nous aide à supporter le silence des images d'un film, le groove fait partie de notre vision moderne qui ne supporte pas ce qui ressemble à l'ennui (l'attente, la lenteur). Le groove est ce qui permet au public de ne pas s'ennuyer, de ressentir intérieurement le rythme propre à la musique et d'être porté par lui. Traditionnellement, lorsqu'on parlait du rythme (l'enchaînement des longueurs des notes), du tempo (l'allure) d'une musique, on parlait de la structure musicale du morceau ; tandis que le groove implique la sensation éprouvée tant par le musicien que par l'audience. Le groove d'une musique est lié au rythme qui unit, non pas les notes entre elles, mais les cœurs des participants à la musique, qu'elle soit « vivante » ou enregistrée. Le groove unit la musique à ceux qui l'écoutent.

(à cet instant, je fais une pause. Je me souviens d'une scène vécue dans une ville péruvienne ; je revis une traversée interminable du quartier Etienne Marcel à Paris ; j'entre en pensée dans ma jeunesse. Je revois des visages, des situations. Imaginez une histoire d'amour entre un chanteur agressif de métal et une fragile fleur de la chanson romantique. Il impressionne, voire, il fait peur, physiquement, par sa stature et son air patibulaire. Elle, fêle, ses grands yeux et sa toute petite bouche, elle inspire la tendresse protectrice à ceux qui la croisent dans la rue. Ils se connaissent. Ils se fréquentent. Ils s'aiment. Ils ne s'entendent pas. Elle le détruit avec dextérité et tout le monde la plaint. Forcément : les apparences lui donnent raison. Ou la fragilité n'a pas toujours le visage qu'on croît. Et tout cela, sous la forme d'un conte de Perrault, avec une morale finale. Mais cette parenthèse devrait être fermée depuis longtemps déjà).

Qu'est-ce qui restera dans les mémoires de ceux qui viennent après des musiques qu'on écoute sur les routes de la pluie, des musiques du doute, des musiques de l'oubli ? C'est ce que nous cherchons à découvrir. Le groove nous emporte, mais le groove n'est-il pas un piège ?

 

Chemins de l'Ostinato

Il faut savoir se perdre au tendre fil du tempo d'un autre âge, d'un autre pays. C'est le moyen le plus doux de connaître l'amour et de tromper l'ennui. Mais ce qui nous guette, qui est aussi ce par quoi nous désirerions être pris, c'est l'ostinato, la ritournelle lancinante, trop fascinante pour s'apparenter à l'un de ces virus auditifs qui hantent notre tête et l'agacent. Un ostinato hante et harcèle sans agacer, sans lasser, parce qu'il parle à quelque chose en nous que nous aimons et que nous voudrions mieux connaître.

 

O ! tempo rubato

Quand finalement l'ostinato s'en va, les mesures se suivent et ne se ressemblent plus. Le temps volé ne se fait plus répétitif, il altère la monotonie, il prend l'oreille par surprise, il varie les nuances et créée ce joli décalage entre la voix et la musique, entre l'instant qui passe et l'atmosphère du monde présent.

Le temps volé à la mesure confortable du monde, fait déraper le cœur prêt à se faire la belle, à la suivre dans une aventure à travers rues et jusqu'au dernier étage d'un miteux hôtel de la rue Saint-Denis – puisqu'il existe encore, rue Saint-Denis, des immeubles qui n'ont pas été rachetés par des entreprises ou des producteurs de cinéma.

 

Blog & Groove

Oui, peut-être que l'écriture d'un blog, peut-être que la tenue d'un zinc blogal, requiert quelque chose qui a trait au rythme, en cela il semble qu'on pourrait étendre la notion de groove, jusqu'ici purement réservé au domaine musical, à l'activité blogale (et à toutes celles qu'on voudra)

Le groove alors serait cette nervure qui relie le blog à ses visiteurs auteurs, qui parcourent la plateforme de maintenance éditoriale, et à ses visiteurs lecteurs, qui parcourent l'infime espace public que le blog occupe sur la grande toile.

Lorsqu'un blog a trouvé son groove, pourrait-on croire, il peut tenir la barre au long cours. Mais un groove se fatigue à force d'être répété. Et les blogs parfois meurent d'avoir tout donné.

 

Nerfs et mollesse

Engagement, respectabilité, récupération, sont trois notions qui gouvernent la création. L'engagement créatif du jeune artiste (quel que soit son âge, souvent, il est réellement d'âge tendre), la respectabilité qu'il arrache à force de combats à une société indifférente d'abord, puis méprisante, cruellement, puis flagorneuse et aplatie d'admiration. C'est alors que le groove ramollit. Ce peut-être l'artiste lui-même, qui perd la boule de nerfs à force de descendre dans des luxueux hôtels et d'écouter des louanges, telle Nan Goldin, photographe ravageuse et fulgurante des inframondes de la libération sexuelle new-yorkaise, qui, des décennies plus tard, pense que l'art photographique est mort, qu'il n'y a plus d'art et que les jeunes d'aujourd'hui font de la photo numérique industrielle sans intérêt. Pourtant, madame, lorsque vous fabriquiez vos diaporamas et que vous les diffusiez dans les salles arrières des bars faméliques, les vieux schnocks regardaient ces nouveautés et ne leur accordaient pas plus d'intérêt que vous n'en accordez à vos successeurs. Oh, l'étrange douleur anesthésique de la perte du groove. J'imagine qu'elle fait encore plus mal qu'une aiguille dans la chair, mais où donc se loge-t-elle, la douleur de n'être plus que l'héritier des droits d'auteur de son propre groove ? Dans d'autres circonstances, l'artiste fauché en plein vol meurt au milieu de son groove ; c'est la postérité qui se charge d'achever la respectabilité que l'artiste n'avait qu'entrevue, et de récupérer son œuvre pour la rendre officielle et par là, lui ôter de sa superbe révolutionnaire. C'est ainsi que le chanteur Victor Tsoï, rockeur magnifique du groupe russe Kino, figure sur les affiches électorales du président Poutine.

 

Destins

Nous choisissons quelques destins que nous vous présentons rapidement ici : Moondog ; Pascal Lamorisse ; Zénon. Oui, vous avez raison, nous avons perdu la raison. Nous mettons dans le même sac à groove deux humains du XX°siècle et un personnage romanesque ayant pris forme dans un roman de Yourcenar et ayant supposément vécu dans les années du règne de Charles Quint...

Mais aucune norme universitaire n'a cours ici, ou disons plutôt que c'est une norme universitaire parallèle qui régit les œuvres et les productions almasororiennes : celle de la FaTransLibDADat (Faculté Transatlantique Libre Dark Angel de Dallas et Tallin). J'en suis moi-même une brillante ancienne élève, comme l'indique la biographie impartiale et neutre que mon consacra, à l'époque où nous dansions ensemble le vendredi soir à Saint-Jean en Ville, la chère Katharina.

Donc, présentons Moondog en dévoilant les quelques miettes biographiques que nous avons pris la peine de recueillir : un homme, devenu aveugle à seize ans, portant les cheveux longs, adorant la musique classique et s'intéressant à toutes celles qui naissaient sous ses yeux. Un homme qui connut la rue, cette grande maison sans eau chaude ni électricité, démeublée, presque nue, au toit infini qui ne protège pas des intempéries. Des livres vous parleront de Moondog. Il est probable qu'il avait sa propre opinion sur ce mot qu'il avait dû entendre, groove.

Mais parlons de cet autre homme, Albert Lamorisse, cinéaste de l'enfance, pourrait-on dire, puisqu'il composa les films Crin Blanc et le ballon rouge, et le voyage en ballon, et ce qui frappe, c'est que Lamorisse voulut faire, enfin, un film pour les grandes personnes, mais il mourut avant de le terminer. C'était un film sur l'Iran, et on peut le voir, car un proche collaborateur l'acheva ; N'y a-t-il pas un mystère d'ordre grooveux dans cette interruption brutale d'une œuvre au moment d'un changement d'adresse ? Il s'adressait aux enfants, il tente de s'adresser aux adultes ; il faisait de la fiction, il se lance dans un documentaire... Et il meurt.

Révélons ensuite le groove qui berce la vie de Zénon. Dans l'Oeuvre au noir, Zénon de son enfance à sa mort par suicide pour éviter la peine qui l'attend (l'Inquisition vient de le livrer au bras séculier, autant dire : elle le condamne indirectement au bûcher), le long de cette vie solitaire traversée de rencontres amicales et intellectuelles, au cours de ses voyages comme de ses longues stations, Zénon, c'est son secret, suivait son groove intérieur. Et ceux qui l'entendaient sans en avoir trop peur le protégeait, tel un prince ici, une paysanne là, ou le doux prieur d'un couvent flamand.

 

Quelques questions infiniment liés à la question du groove :

Peut-on courir en prenant son temps ?

Que pourrait signifier l'expression : le tempo de la vie ?

Notre relation au monde n'est-elle qu'une question d'ajustement des rythmes, de travail sur les rythmiques ?

Une relation amoureuse peut-elle durer au long cours en suivant le lit d'un même fleuve, d'un même groove ?

Peut-on parler de groove mathématique ?

Passe-t-on d'un groove à un autre, ou bien n'y a-t-il que transformation du groove, qui est, ou n'est pas, mais ne peut se succéder ?

Ces questions ne doivent pas nous faire oublier le sens de notre quête. Nous débroussaillons parmi les ronces, les branches et les racines d'un monde obscur, qui nous appelle et que nous ne voyons pas. Par le blog ou par l'écriture hors blog, par le malaxage des jours et des idées, nous nous frayons un chemin vers ce qui viendra. Quelque chose, peut-être, qui tienne à la fois de la chanson, de l'écriture, du cinéma, et qui rappelle nos bons vieux rêves adolescents qu'en dépit de certaines apparences, nous n'avons pas abandonnés.

 

Le groove alors serait un versant de la grâce.

 

samedi, 25 juin 2011

Aime-moi (baise-moi ?), Matelot

 Le seul roman de gare entièrement lu devant une cour suprême très sérieuse.

Robert Close. Plusieurs personnes s’appelèrent Robert Close, parmi lesquelles un écrivain australien. J’ai découvert Close lorsque mon amie Laure T m’annonça qu’elle allait jeter des tas de livres sans intérêt qu’elle avait récupérés dans le grenier de ses grands-parents. Je lui ai interdit de le faire. Je lui ai proposé de prendre ses livres en dépôt tout le temps qu’elle voudrait.

Elle m’amena donc des livres très à la mode dans les années 20 et 30 (du vingtième siècle). Deux types de livres se dégagèrent : des histoires à l’eau de rose, tendance scabreuse, et des histoires édifiantes. Les premières furent sans doute achetées sur les quais de gare et dans les kiosques populaires ; les secondes furent données, comme prix, à des écoliers et étudiants disciplinés, ou encore achetées à la kermesse chrétienne du village. La plupart de ces livres sont nullissimes, d’un point de vue littéraire. Ils n’en demeurent pas moins passionnants, témoins d’une mentalité qui a disparu mais qui devait baigner toute la France de ce temps-là. Imaginez que, dans presque cent ans, quelqu’un retrouve et lise notre bibliothèque, ou celle de nos voisins.  L’ensemble des livres de fiction les plus vendus  dans les années 2000. Ce lecteur du futur aurait sans doute profondément pitié de l’indigence intellectuelle et artistique de nos contemporains ; il serait probablement fasciné par la morale ambiante, dans ses relents politiques, sociaux, affectifs…

Parmi, donc, ces livres que j’ai stoqués dans mes toilettes, l’un, en anglais, affichait une couverture amusante à force d’être sulfureuse. Le titre, « love me sailor », ne manque pas de piquant romantique. Je décidai de le lire, mais ne le fis pas. Pourtant, à force de voir cet objet sous mes yeux à chaque fois que j’avais trop bu, je finis, dans un moment d’ennui ou d’absence, par taper le titre et le nom de l’auteur sur Internet. C’est ainsi que je vis que Love me sailor fut lu, en entier, pendant de longues heures, devant une cour de justice. Le livre, et à travers lui son auteur, ou peut-être au contraire, l’auteur et à travers lui son livre, passaient en justice pour obscénité.

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En 1946, un an après sa sortie, le livre fit l’objet d’un retentissant procès qui se termina devant la cour suprême de la ville de Victoria. Robert Close, qui avait raconté l’histoire d’une femme-proie embarquée seule au milieu de marins déchaînés, sur une mer déchaînée, sur un bateau passif, fut condamné à trois mois de prison et une amende. Il fit finalement, grâce à un passage en appel, dix jours de prison et préféra après cette histoire venir vivre en France quelque temps.

Contempler des hommes en longues robes judiciaires, sans aucun humour, persuadés de sauver les jeunes gens en interdisant, au cours d’un procès retentissant, un livre qui les attirera évidemment d’autant plus ; entendre son livre (frappé ensuite d’interdiction en Australie) être lu, pendant plusieurs heures devant une cour suprême, voilà ce que n’aurait pas dénigré le Zénon de l’œuvre au noir, de Yourcenar, ou encore Giordano Bruno le Nolain, ou Voltaire, et tous ceux qui contemplent les juges moraux avec le recul des libres-penseurs.

 

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Voilà l’histoire de la censure, sans cesse recommencée, qui croit toujours qu’elle porte un autre nom que « censure » et qu’elle est l’urgence du Bien face à la prolifération du mal. Loi Gayssot, loi Taubira, loi 49 sur les publications destinées à la jeunesse, loi Evin, lois de censure vous ne serez jamais abolies, vous serez toujours renouvelées par les infatigables sauveurs du monde.

 

Edith de CL

lundi, 15 novembre 2010

Zénon en prison

 

 

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Hervé Guibert

 

 

Une phrase prononcée par le philosophe Zénon, dans sa prison où le vieux chanoine qui l'éduqua vient le visiter.

"- L'homme est une entreprise qui a contre elle le temps, la nécessité, la fortune, et l'imbécile et toujours croissante primauté du nombre, dit plus posément le philosophe. Les hommes tueront l'homme.

Il tomba dans un long silence".

Marguerite Yourcenar, l'Oeuvre au noir.