Aime-moi (baise-moi ?), Matelot (samedi, 25 juin 2011)

 Le seul roman de gare entièrement lu devant une cour suprême très sérieuse.

Robert Close. Plusieurs personnes s’appelèrent Robert Close, parmi lesquelles un écrivain australien. J’ai découvert Close lorsque mon amie Laure T m’annonça qu’elle allait jeter des tas de livres sans intérêt qu’elle avait récupérés dans le grenier de ses grands-parents. Je lui ai interdit de le faire. Je lui ai proposé de prendre ses livres en dépôt tout le temps qu’elle voudrait.

Elle m’amena donc des livres très à la mode dans les années 20 et 30 (du vingtième siècle). Deux types de livres se dégagèrent : des histoires à l’eau de rose, tendance scabreuse, et des histoires édifiantes. Les premières furent sans doute achetées sur les quais de gare et dans les kiosques populaires ; les secondes furent données, comme prix, à des écoliers et étudiants disciplinés, ou encore achetées à la kermesse chrétienne du village. La plupart de ces livres sont nullissimes, d’un point de vue littéraire. Ils n’en demeurent pas moins passionnants, témoins d’une mentalité qui a disparu mais qui devait baigner toute la France de ce temps-là. Imaginez que, dans presque cent ans, quelqu’un retrouve et lise notre bibliothèque, ou celle de nos voisins.  L’ensemble des livres de fiction les plus vendus  dans les années 2000. Ce lecteur du futur aurait sans doute profondément pitié de l’indigence intellectuelle et artistique de nos contemporains ; il serait probablement fasciné par la morale ambiante, dans ses relents politiques, sociaux, affectifs…

Parmi, donc, ces livres que j’ai stoqués dans mes toilettes, l’un, en anglais, affichait une couverture amusante à force d’être sulfureuse. Le titre, « love me sailor », ne manque pas de piquant romantique. Je décidai de le lire, mais ne le fis pas. Pourtant, à force de voir cet objet sous mes yeux à chaque fois que j’avais trop bu, je finis, dans un moment d’ennui ou d’absence, par taper le titre et le nom de l’auteur sur Internet. C’est ainsi que je vis que Love me sailor fut lu, en entier, pendant de longues heures, devant une cour de justice. Le livre, et à travers lui son auteur, ou peut-être au contraire, l’auteur et à travers lui son livre, passaient en justice pour obscénité.

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En 1946, un an après sa sortie, le livre fit l’objet d’un retentissant procès qui se termina devant la cour suprême de la ville de Victoria. Robert Close, qui avait raconté l’histoire d’une femme-proie embarquée seule au milieu de marins déchaînés, sur une mer déchaînée, sur un bateau passif, fut condamné à trois mois de prison et une amende. Il fit finalement, grâce à un passage en appel, dix jours de prison et préféra après cette histoire venir vivre en France quelque temps.

Contempler des hommes en longues robes judiciaires, sans aucun humour, persuadés de sauver les jeunes gens en interdisant, au cours d’un procès retentissant, un livre qui les attirera évidemment d’autant plus ; entendre son livre (frappé ensuite d’interdiction en Australie) être lu, pendant plusieurs heures devant une cour suprême, voilà ce que n’aurait pas dénigré le Zénon de l’œuvre au noir, de Yourcenar, ou encore Giordano Bruno le Nolain, ou Voltaire, et tous ceux qui contemplent les juges moraux avec le recul des libres-penseurs.

 

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Voilà l’histoire de la censure, sans cesse recommencée, qui croit toujours qu’elle porte un autre nom que « censure » et qu’elle est l’urgence du Bien face à la prolifération du mal. Loi Gayssot, loi Taubira, loi 49 sur les publications destinées à la jeunesse, loi Evin, lois de censure vous ne serez jamais abolies, vous serez toujours renouvelées par les infatigables sauveurs du monde.

 

Edith de CL

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