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dimanche, 06 octobre 2019

Ô filiation

J’étais donc seule, seule et seule, à ce dîner brillant, seule à penser qu’une loi qui modifie la filiation en autorisant la procréation médicalement assistée, en préparant le terrain pour la gestation pour autrui, j’étais donc seule à trouver que cette loi est inique.

J’osais à peine le dire et chacune de mes paroles, pourtant ô combien mesurée, faisait l’objet d’un sec rabrouement. Lorsque j’insistais, des rires ridiculisaient mon dire.

Alors je me suis tue. Puisqu’ils possédaient la liberté, l’égalité et la fraternité, puisqu’ils assimilaient toutes mes pensées profondes à une attitude rétrograde, liberticide, méchante et grotesque, j’ai gardé le silence.

J’ai gardé le silence comme un allié ; j’ai gardé le silence comme un trésor.

J’ai gardé le silence comme un frère.

Qu’as-tu fait de ton frère ?

Je l’ai gardé et il m’a protégée.

 

Sur AlmaSoror, il y a six ans : 

Les dictatures douces

mardi, 27 février 2018

Textos d'un dimanche après-midi

« Il y a des soirs si beaux, en cette saison, dans ce pays, qu'ils vous tordent le cœur comme une serpillière. Et l'on ne sait pas si c'est à cause de tout ce qu'ils offrent, ou bien de tout ce qui nous manque à travers eux. Nous n'avons pas la jeunesse, nous n'avons pas l'amour, nous n'avons pas la gloire, nous n'avons pas l'argent, la vie bat mille fois plus fort ailleurs, avec ses corps exposés, ses désirs satisfaits peut-être, ses grandes affaires, ses rires, sa nervosité, ses grandes idées. Ici nous traversons la campagne dans le silence parfait du soir, parmi l'été déjà sur son déclin. De grandes maisons coites, sur des crêtes offertes, boivent l'immensité du ciel et la lumière apaisée, de toutes leurs hautes fenêtres grandes ouvertes. Est-ce que c'est vivre ? Est-ce que c'est être mort ? La voiture glisse si légèrement qu'on pourrait s'envoler avec elle. Déchirantes déchirées, on croirait s'enfoncer dans les limbes.

À la radio, Michel Dalberto, pour tout arranger, joue merveilleusement deux des dernières sonates de Schubert. »

Renaud Camus, IN Derniers jours, Journal de l'année 1997

 

Il y a quelques jours, un dimanche, un échange de textos entre un homme au repos dans le quartier de l'Opéra et une femme lézardant au soleil d'un dernier étage plus au Nord :

Bénédicte : Aimes-tu la ville de Marseille ?

Alexis : Beaucoup. Je me vois y vivre assez facilement.

Bénédicte : Moi aussi, de plus en plus. Même si c'est assez sale, pour ne pas dire cradissime. Mais le soleil, la chaleur et le relief qui descend sur la mer...

Alexis : Voilà. Et puis la saleté c'est aussi la vie, en un sens. On peut même y voir une forme d'esthétique. Naples est un peu sale mais je ne l'imagine pas plus belle si elle était récurée de fond en comble.

Bénédicte : La saleté comme preuve de vie, je ne sais pas. Jean-Nathanaël me disait la semaine dernière que Belleville était le dernier quartier vivant de Paris avec la Goutte d'Or. Or ce sont surtout les derniers quartiers crades. Le silence, la pureté, la grâce, l'évanescence, la symétrie, l'harmonie, ne sont en rien selon moi des synonymes de mort. Au contraire, ils sont ce qui me fait aimer la vie. La nature sauvage n'est ni sale ni toujours bruyante ou bigarrée. La vie palpite aussi dans le calme.

Alexis : Ne confonds-tu pas la vie cérébrale et la vie humaine ? Je fais souvent cette erreur aussi. L'humain ne vit ni dans une forêt sauvage, ni dans une oeuvre d'art. Mais peut-être ne sommes-nous pas de très bons humains toi et moi.

Bénédicte : Non, mais je me sens justement un animal et je trouve que certains membres de notre espèce se laissent aller à la crasse comme des animaux de ferme qui macèrent dans leur foin. Je préfère les chiens bien léchés de canapés ou les chevaux sauvages. J'avoue que Barbès me paraît constituer une nullité civilisationnelle que je ne confonds ni avec la pauvreté (un village péruvien très pauvre, c'est propre) ni avec l'urbanisme (Copenhague est propre) mais avec un laisser-aller culturel, langagier, physique et moral qui me déplait.

Alexis : Je comprends. Ce Quartier où vit Fabrice est ma limite aussi. C'est vraiment too much.

Bénédicte : Et puis le cerveau est tout aussi naturel que des selles. Pourquoi une rue remplie de crachats serait-elle plus vivante qu'une salle du château de Chantilly ?

Alexis : Parce qu'elle l'est. Déjà c'est une rue de Paris, pas une salle de musée. Je suis certain que tu peux trouver meilleur parallèle à ton propos. Le caractère vivant, au sens de la concentration d'humains dans un lieu, n'est pas incompatible avec la propreté mais c'est souvent le fait d'un contrôle extrême : Disneyland par exemple. Entre la vie de la foule de Disneyland et celle de Barbès, je préfère tout de même Barbès. Moins de contrôle, plus de liberté et donc de licence de saleté, etc.
Mais je ne vivrais ni dans l'un ni dans l'autre, je suis trop comme toi. Mon quartier de l'Opéra est vivant par exemple et pas trop sale mais c'est une foule de touristes et d'acheteurs. C'est une vie étrange, moins imprévisible et poétique que celle de Belleville, de Marseille ou de Naples. Parfois j'ai l'impression que c'est une fausse vie. Scénarisée.

Bénédicte : J'ai l'impression que tu confonds la vie et la multitude. Mon parallèle n'était certes pas bon. Mais le monde est-il plus vivant aujourd'hui que lorsque'il ne comptait que 20 millions d'habitants sur la planète ? Une cage de souris surpeuplée est-elle plus vivante qu'un terrier de mulots dans un champ ?
Oui, remarque, quantitativement il y a plus de vivants. Mais la surpopulation réduit aussi beaucoup l'envergure d'une vie.
La vie scénarisée est pour moi la vraie vie. C'est pourquoi j'aime les rites antiques. Notre beauté animale à nous, tient dans les rites et notre nullité, dans l'agglutinement informe.

Alexis : Pour moi la vie c'est la concentration humaine en effet. Le reste c'est une idée intellectualisée de la vie, quand je regarde une forêt ou l'océan je sais bien qu'ils sont pleins de vie au sens biologique du terme mais je ne me sens pas partie de cela dans ma chair. Quand je suis au milieu de mes semblables, même s'ils sont très différents de moi culturellement ou sociologiquement, je me sens dans la vie. La vie humaine. La vie des foules qui dorment sur elles-mêmes, Tokyo, Calcutta, Paris, Manhattan, quand tu n'es qu'une forme parmi la fourmilière, que tu es à la fois très seul et plein des autres. Que leur vie déborde sur toi, qu'elle te choque et t'agrippe parfois à contre-courant. Je sens alors la vie des hommes et des femmes.
C'est intéressant ce que tu dis sur la vie scénarisée et le rite.

Bénédicte : Incroyable ! Moi je ne me sens pleinement en vie que seule et en silence face à la ligne bleue des Vosges ou à l'océan Atlantique. Ou dans une église romane perdue dans la campagne. Sinon j'ai l'impression d'être dans une queue chez Carrefour. Seul le rite esthétique me permet de supporter la promiscuité car je peux encore rêver d'éternité. Dans la foule, je me sens sans âme, sans identité. Mon corps n'est plus qu'un bout de viande avec un numéro de sécurité sociale.

Alexis : C'est ça. Et pourtant quand tu es seule face à l'océan, tu es juste seule. Comme on le sera au tombeau.

Bénédicte : Une poule en batterie n'est pas seule dans un tombeau.

Alexis : Par définition. Je ne mange que de la volaille de Bresse.

Bénédicte : En fait, peut-être que tout dépend de la manière dont on se sent en relation avec les autres et avec le monde.

Alexis : Exactement. C'était où je voulais en venir.

Bénédicte : Faudrait savoir d'où ça vient.

Alexis : Comme toujours, des névroses personnelles et des expériences. Je pense.

Bénédicte : Oui. Voire des premiers jours passés sur cette terre, des premiers bruits, des premières visions.

Alexis : Et de cette chose étrange qu'on appelle les traits de caractère qui font que deux personnes qui ont vécu les mêmes choses n'y réagissent pas pareil.

Bénédicte : C'est vrai. Les traits de caractère qui sont uniques, comme les traits du visage.

 

mercredi, 29 octobre 2014

Cargo-ville

Un soir, la Venexiane longe (à tort, elle le sait) la Seine sur une allée réservée aux vélos, elle contemple la nuit qui tombe sur Bercy, sur la Bibliothèque Nationale de France, sur les grues du ciel et les vélos des quais, sur les bateaux, sur les entrepôts, sur les silhouettes, sur les oiseaux. La ville s'est parée de mille feux et elle danse dignement, sans presque remuer, autour de l'eau du fleuve. à la musique incessante des voitures se mêlent les cris des pigeons, les derniers grincements des rues et le chant monotone du vent d'automne. Elle voudrait ne jamais arriver à la station de métro Quai de la gare, pour que se poursuive la beauté en impulsion.

Mais déjà le lendemain matin Venexiane a traversé la place de la République et le faubourg Saint-Martin, elle est allongée, rue Saint-Sauveur, sur un lit, nue sous un châle. Des mains massent lentement, profondément, son corps recouvert d'huile. Les yeux grand fermés, elle s'interroge sur le sens d'une vie pressée, d'une vie stressée, quand on peut passer deux heures allongée sous des pressions douces.

Et c'est la ritournelle des travaux dans les rues du quartier, des enfants qui vont à l'école, des cigarettes qui se fument, l'une après l'autre, le long du jour, au bord d'une baie vitrée.

Et c'est la suite symphonique du cargo-ville dans lequel toutes nos âmes sont noyées.

Venexiane, tu sais encore ton nom. Tu pourrais entrer dans l'église, rue Saint-Antoine, celle où l'on voit encore, sur un pilier, un graffiti écrit en 1870 : "République française ou la mort". Le taggeur est mort depuis des lustres, la République a acquis ses lettres de noblesse et seuls les bénéficiaires de ses privilèges innombrables et iniques la défendent encore. Tu pourrais entrer, Venexiane, dans l'église et dire ces prières d'un autre âge, les écouter résonner dans la basilique de ton for intérieur.

Tu pourrais...

Tu pourrais te cacher dans la cabane du chausseur de l'hôtel de Mongelas. Tu t'y dissimulerais si bien que les gardiens n'y verraient que du feu, du feu et de la poussière, et tu vivrais la nuit intime de l'homme perdu parmi les bêtes mortes.

Il est dix heures, peut-être, en ce matin d'automne. Loin, les champs, les arbres, les collines. Ici tout n'est que ville, sans soleil et sans neige, sans même la pluie du ciel, tout n'est que ville et jamais ne surgit assez de silence pour entendre si mon coeur bat.

samedi, 12 octobre 2013

J'allais plus loin, et je me disais...

«J'allais plus loin, et je me disais qu'il fallait aussi du temps pour la simple charité. Il y a de ces personnes pressées de faire du bien et qui taylorisent même les sourires. On ne peut pas venir tout de suite au bout de ce qu'on voudrait dire, et bien souvent, dans les conversations, je crois qu'il faut un peu imiter ces paysans qui parlent des semailles, du mauvais temps, de la foire, de la politique, puis qui longuement se taisent, puis qui reprennent un cours d'entretien indifférent jusqu'au moment où ils glissent le mot décisif et qui doit germer en silence.

Cela est plus vrai encore quand on se trouve en présence de ceux qui souffrent et qui ont des âmes délicates».

Apostolus,

IN Le fruit des heures perdues

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mardi, 03 avril 2012

Intemporalité

Édith de CL, hommes politiques, silence, intemporalité, actualité, indigestion, Ingmar Bergman, Virginia Woolf, Jules César, Edith Morning


"Aujourd'hui, la réalité est absurde, aussi horrible, aussi impénétrable que nos rêves. Et face à elle, nous sommes sans défense, comme dans nos cauchemars..."
Ingmar Bergman

« La vie est un rêve, c'est le réveil qui nous tue ».
Virginia Woolf

"Si j’avais su que les rêves sont réels et le monde illusion, j’aurais inversé ma vision de la liberté et celle de la prison. Mais les menteurs amers disent décriant les images qu’elles sont illusoires, et nous entraînent dans leur " réel " qui n’existe que dans leurs sombres couloirs".
Édith Morning

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 Détresse

Nous manquons souvent d'air, de ciel, d'espace, d'eau, de soleil, de vent. Nous qui vivons dans des villes belles et fascinantes mais si artificielles, nous qui vivons dans des campagnes poudrées de pesticides. Nos corps sont en manque.

Mais nos esprits ? Assaillis par les mots qui sonnent, les mots de la politique, de l'administration, de la mode, des techniques, assaillis même par les mots des fictions prévisibles aux scénarios bien ficelés, par les mots des chansons trop fades, des dialogues de romans et de films trop faciles, ils manquent eux aussi de ciel mental et de vent imaginal, de forêt littéraire et d'océan assez vides pour être contemplés sans perturbation.

Nos esprits sont en manque d'intemporalité.


Dévoration

L'actualité nous avale autant que nous l'avalons. L'homme informé et la connaissance s'entre-dévorent.

La place qu'ont prit les célébrités dans notre monde nous a démunis de nous-mêmes. Chaque fois que nous les écoutons parler d'un thème qui ne les concerne pas, nous leur donnons un pouvoir sur nous, nous nous rendons inférieurs à eux en leur laissant implicitement la primauté de la parole. Alors que dire de toutes ces exigences que nous avons envers eux ? Nous croyons affirmer nos droits en exigeant des politiques qu'il s'expriment, qu'ils décrètent, qu'ils montrent quel est leur camp, qu'ils tranchent ! Mais ce que nous affirmons, c'est que nous ne valons rien et qu'ils sont Ceux qui savent, Ceux qui dictent.

Une expression revient souvent : « nos gouvernants », « nos élites ». Est-ce qu'un citoyen se doit d'avoir des gouvernants et des élites ? Des représentants ne lui suffisent-ils pas ?

Il ne se passe pas un jour sans que des centaines de commentaires aient lieu sur les événements menus ou grands de ce monde.


Avalanches de condamnations

Les « condamnations ». Lorsqu'un crime est commis ou tout simplement lorsque une phrase de travers est prononcée, les politiques « condamnent ». Chacun à son tour prend la peine de faire une déclaration pour « condamner » ce qui vient d'avoir lieu. D'ailleurs, s'ils ne le font pas, nous faisons le siège afin qu'ils s'expriment, qu'ils condamnent enfin ! Or, si un crime est un crime c'est à la justice de le condamner. Si une phrase de travers n'est pas condamnable par le droit, en quel nom ces politiques la condamnent-ils ? Cette profusion de condamnations hebdomadaires condamne surtout la bonne marche du droit.


Avalanche de réactions

Les « réactions » sont mois critiquables que les condamnations puisqu'elle ne prennent pas la place d'une institution. Nous entendons presque tous les jours des réactions à des événements qui quelquefois n'ont aucun rapport avec la politique. Les personnes politiques réagissent perpétuellement à un nombre incalculable de faits. Ces réactions nous abrutissent et parviennent même à nous faire oublier que certains faits, non négligeables sont passablement passés sous silence ! On réagit très fort tout ensemble sur telle acte, tandis que quelque chose a lieu autre part, dans un silence bien étonnant. Les réactions quotidiennes aux événements incessants empêchent le silence de s'exprimer, de prendre sa place dans notre monde. L'individu a besoin de silence, de temps d'absence. La société est comme lui : elle étouffe si elle n'a pas des moments de flottement, sans mots. Des moments où elle vit sans commenter immédiatement ce qu'elle vit.

L'impossibilité de l'inspiration, lorsqu'on est toujours sur le pont des paroles, est évidente. Or, si nos phrases ne sont pas inspirées par autre chose que par le besoin de parler, elles n'ont aucune valeur, aucune force.

Exercices d'éternité

« Ce qui fait la noblesse d'une chose, c'est son éternité »
Léonard de Vinci

Quelques exercices permettent de se reconnecter à l'intemporalité du monde, à l'éternel.

S'exercer à parler d’événements et de sujets qui n'ont rien à voir avec l'actualité. Une grande conversation, par exemple, sur la bataille de Bouvines, ou sur les traditions de confitures à travers le temps et le monde, ou encore sur l'histoire des plages de France, ou enfin sur les différentes espèces de pins européens.

Puiser aux sources mêmes : ne plus lire des livres sur Jules César, mais goûter aux récits écrits par Jules César lui-même. Se plonger dans les textes-sources, même s'ils sont abrupts, même si on ne les comprend plus tels quels. Ne plus lire des livres d'histoire, mais acheter l'édition d'un journal d'un marchand du XVII°siècle et entrer dans la peau de ce personnage.

S'exercer à parler d'une façon telle que des gens d'il y a cinquante ans, des gens qui vivront dans cinquante ans, puissent comprendre et suivre notre syntaxe, notre vocabulaire. Essayer d'élargir à un siècle : parler en songeant à se faire comprendre des gens d'il y a cent ans, des gens qui viendront dans cent ans.

 

 

Édith de CL