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lundi, 02 décembre 2013

Quatre entrées en matière, quatre issues de secours

raoul vaneigem,génération identitaire,gaëlle-marie zimmermann

Quelques textes de tous bords (certains de la gauche radicale ou des mouvements identitaires), écrits à notre époque, (depuis une trentaine d'années), en français, et qui m'ont marquée.

Commençons pas celui que j'ai lu alors que je travaillais dans un ministère. Dans les moments de vide, quand il n'y avait rien de spécial à faire et que je savais que personne n'entrerait dans mon bureau, je lisais l'Adresse aux vivants sur la mort qui les gouverne et l'opportunité de s'en défaire, par l'anarchiste situationniste (si l'on veut vraiment classer les gens, et particulièrement quelqu'un qui exprima : "Le vivant est irréductible aux définitions") Raoul Vaneigem.

Voici un extrait de cette belle Adresse aux vivants :

La malformation dont les hommes dépérissent procède du sort réservé aux enfants : ils naissent avec une nature et grandissent avec un caractère. La gratuité de l'amour leur donne une vie, la société les en dépouille ; ainsi les poisons du chiffre d'affaires dépouillent-ils l'arbre de ses feuilles et la passion de ses attraits.

Enfance, richesse de l'être appauvrie par l'avoir, matin des désirs assombri par l'ennui des usines, histoire abrégée d'une civilisation qui substitue à l'art d'être humain l'efficience mercantile.

Raoul Vaneigem

A l'opposé, en quelque sorte, de Raoul Vaneigem, présentons ensuite le texte du mouvement intitulé Génération identitaire. Contrairement à beaucoup de soupe politique sans saveur, aux références usées comme un trop vieux jean, "Nous sommes la génération identitaire" fend le mur flasque des langues de bois pour proposer un combat sans ambages ni ambivalence. Qui a vécu de longs allers-retours dans des RER où il était le seul à se ressembler à lui-même, une certaine peur au ventre, et nierait toute percutance à cette révolte on ne peut moins bien-pensante ?

Ce court texte s'ouvre ainsi :

Nous sommes la génération de ceux qui meurent pour un regard de travers, une cigarette refusée ou un style qui dérange.

Nous sommes la génération de la fracture ethnique, de la faillite totale du vivre-ensemble, du métissage imposé.

Nous sommes la génération de la double-peine : condamnés à renflouer un système social trop généreux avec les autres pour continuer à l’être avec les nôtres.

Nous sommes la génération victime de celle de Mai 68. De celle qui prétendait vouloir nous émanciper du poids des traditions, du savoir, et de l’autorité à l’école mais qui s’est d’abord émancipée de ses propres responsabilités.

Nous avons fermé vos livres d’histoire pour retrouver notre mémoire.

Génération Identitaire

 

Nous sommes la génération de ceux qui meurent pour un regard de travers, une cigarette refusée ou un style qui dérange.

Nous sommes la génération de la fracture ethnique, de la faillite totale du vivre-ensemble, du métissage imposé.

Nous sommes la génération de la double-peine : condamnés à renflouer un système social trop généreux avec les autres pour continuer à l’être avec les nôtres.

Nous sommes la génération victime de celle de Mai 68. De celle qui prétendait vouloir nous émanciper du poids des traditions, du savoir, et de l’autorité à l’école mais qui s’est d’abord émancipée de ses propres responsabilités.

Nous avons fermé vos livres d’histoire pour retrouver notre mémoire.

- See more at: http://www.generation-identitaire.com/declaration-de-guerre/#sthash.WdJqs7hJ.dpuf

Nous sommes la génération de ceux qui meurent pour un regard de travers, une cigarette refusée ou un style qui dérange.

Nous sommes la génération de la fracture ethnique, de la faillite totale du vivre-ensemble, du métissage imposé.

Nous sommes la génération de la double-peine : condamnés à renflouer un système social trop généreux avec les autres pour continuer à l’être avec les nôtres.

Nous sommes la génération victime de celle de Mai 68. De celle qui prétendait vouloir nous émanciper du poids des traditions, du savoir, et de l’autorité à l’école mais qui s’est d’abord émancipée de ses propres responsabilités.

Nous avons fermé vos livres d’histoire pour retrouver notre mémoire.

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Pour nous extraire de ces flamboyants manifestes pour une libération totale, immédiate et sans pitié, issus de ces deux pôles antagonistes qui se rejoignent dans l'idée que la pitié enfonce plus qu'elle ne délivre, voyons un autre texte à visée libératoire, moins politique, plus sociétale. Il s'agit du Plaidoyer pour le mal-baiser, de Gaëlle-Marie Zimmerman.

Un passage qui résume son propos :

Il y a bien longtemps que le sexe n’est plus une affaire de plaisir. Le «bien baiser» est devenu une sorte de culture, voire l’objet de recherches (plus ou moins) scientifiques. Nous nous passionnons pour l’histoire et l’analyse de certaines pratiques (parfois plus que pour la pratique elle-même), et savons aussi lesquelles se répandent et dans quelles tranches d’âge.

Tout cela est bien fatiguant. Et sans lien réel avec la sexualité, la vraie, celle qui se pratique sur une couette chiffonnée, après une journée de boulot, avec tout que ça implique de flemme, d’inefficacité relative et de semi-ratages. Regardons les choses en face: le sexe au quotidien, ce n’est ni une démarche culturelle ni une compilation d’analyses et d’enquêtes. Pire encore, la plupart du temps le sexe n’est même pas esthétique.

Gaëlle-Marie Zimmermann

Last and least : Apostolus, dans une revue de spiritualité d'obédience catholique traditionnelle, parle du Fruit des heures perdues. Cela renoue avec l'ancienne version des 7 péchés capitaux, qui ne disait pas "paresse", mais "acédie". Or, l'acédie englobe tout autant l'inactivité excessive que l'activité incessante : l'acédie, c'était l'oubli de la prière et de la contemplation. Aussi croire qu'on n'est pas paresseux parce qu'on agit du matin au soir est une erreur - une grande erreur. Mais Apostolus, lui, propose d'utiliser nos faiblesses et nos incompétences comme une voie d'élévation.

Glanons un passage :

A qui d'entre mes lecteurs n'est‑il pas arrivé, à la fin d'un jour, de vouloir palper quelque résultat, de n'en point trouver et de se dire alors : Qu'ai‑je donc fait ? Que de vides dans cette pauvre journée, pourtant employée à tant de‑ tâches ! Que de paroles inutiles, que de conversations banales, que de temps dispersé ,dans les fonctions de la vie, comme si le tout de mon occupation avait été seulement de vivre ! Pourquoi tant de besognes et de distractions, et ces empêchements; continus, et la visite de ce fâcheux, et ce mal de tête qui m'a empêché d'être dispos, ces impuissances, et enfin ce sommeil qui est venu ensevelir une journée lasse et déjà bien pleine de rêves? Le jour s'achève. Je n'ai donné à Dieu que mes intentions de mieux faire. Demain, je sais bien que ce sera la même chose, et ainsi de suite jusqu'à la fin. Quel mystère que la vie humaine!

Apostolus


Sur AlmaSoror, on avait pu lire :

Militants radicaux des deux extrémités du centre

Beauté des affiches des deux bouts de la politique

Bâtir en terrain non-convoité

L'homme des mégalopoles

Comment s'effectue la traversée, dans la dignité et la liberté, d'une époque troublée ?

Les dictatures douces

L'absence de valeurs chrétiennes

 

mardi, 02 juillet 2013

Qui a peur des hamacs ?

Édith on the hamac.jpg
Photo Tieri Briet (Fontvieille, près d'Arles)

 

Voici l'avant-propos du Droit à la paresse (1880), de Paul Lafargue,

suivi d'une extrait de l'Adresse aux vivants (1990), de Raoul Vaneigem.

 

 

«M. Thiers, dans le sein de la Commission sur l'instruction primaire de 1849, disait: "Je veux rendre toute-puissante l'influence du clergé, parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l'homme qu'il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l'homme: "Jouis"." M. Thiers formulait la morale de la classe bourgeoise dont il incarna l'égoïsme féroce et l'intelligence étroite.

La bourgeoisie, alors qu'elle luttait contre la noblesse, soutenue par le clergé, arbora le libre examen et l'athéisme; mais, triomphante, elle changea de ton et d'allure; et, aujourd'hui, elle entend étayer de la religion sa suprématie économique et politique. Aux XVe et XVIe siècles, elle avait allègrement repris la tradition païenne et glorifiait la chair et ses passions, réprouvées par le christianisme ; de nos jours, gorgée de biens et de jouissances, elle renie les enseignements de ses penseurs, les Rabelais, les Diderot, et prêche l'abstinence aux salariés. La morale capitaliste, piteuse parodie de la morale chrétienne, frappe d'anathème la chair du travailleur; elle prend pour idéal de réduire le producteur au plus petit minimum de besoins, de supprimer ses joies et ses passions et de le condamner au rôle de machine délivrant du travail sans trêve ni merci.

Les socialistes révolutionnaires ont à recommencer le combat qu'ont combattu les philosophes et les pamphlétaires de la bourgeoisie; ils ont à monter à l'assaut de la morale et des théories sociales du capitalisme; ils ont à démolir, dans les têtes de la classe appelée à l'action, les préjugés semés par la classe régnante; ils ont à proclamer, à la face des cafards de toutes les morales, que la terre cessera d'être la vallée de larmes du travailleur; que, dans la société communiste de l'avenir que nous fonderons "pacifiquement si possible, sinon violemment", les passions des hommes auront la bride sur le cou: car "toutes sont bonnes de leur nature, nous n'avons rien à éviter que leur mauvais usage et leurs excès", et ils ne seront évités que par leur mutuel contre-balancement, que par le développement harmonique de l'organisme humain, car, dit le Dr Beddoe, "ce n'est que lorsqu'une race atteint son maximum de développement physique qu'elle atteint son plus haut point d'énergie et de vigueur morale". Telle était aussi l'opinion du grand naturaliste, Charles Darwin.

La réfutation du Droit au travail, que je réédite avec quelques notes additionnelles, parut dans "L'Égalité hebdomadaire" de 1880, deuxième série».

 

P. L.
Prison de Sainte-Pélagie, 1883.
In Le droit à la paresse

 

 

«En fait, je ne suis pas étranger au monde, mais tout m'est étranger d'un monde qui se vend au lieu de se donner - y compris le réflexe économique auquel mes gestes parfois se plient. C'est pourquoi j'ai parlé des hommes de l'économie avec le même sentiment de distance que Marx et Engels découvrent, dans la crasse et la misère londoniennes, une société d'extraterrestres avec «leur» Parlement, «leur» Westminster, «leur» Buckingam Palace, «leur» Newgate.

«Ils» me gênent aux entournures de mes plus humbles libertés avec leur argent, leur travail, leur autorité, leur devoir, leur culpabilité, leur intellectualité, leurs rôles, leurs fonctions, leur sens du pouvoir, leur loi des échanges, leur communauté grégaire où je suis et où je ne veux pas aller.

Par la grâce de leur propre devenir, «ils» s'en vont. Economisés à l'extrême par l'économie dont ils sont les esclaves, ils se condamnent à disparaître en entraînant dans leur mort programmée la fertilité de la terre, les espèces naturelles et la joie des passions. Je n'ai pas l'intention de les suivre sur le chemin d'une résignation où les font converger les dernières énergies de l'humain reconverti en rentabilité.

Pourtant, mon propos n'est pas de prétendre à l'épanouissement dans une société qui ne s'y prête guère, mais bien d'atteindre à la plénitude en la transformant selon les transformations radicales qui s'y dessinent. Je ne désavoue pas ce qu'il y a de puérile obstination à vouloir changer le monde parce qu'il ne me plaît pas et ne me plaira que si j'y puis vivre au gré de mes désirs. Cependant n'est-elle pas, cette obstination, la substance même de la volonté de vivre »

 

Raoul Vaneigem, In L'adresse aux vivants sur la mort qui les gouverne et l'opportunité de s'en défaire

 

 

lundi, 14 janvier 2013

Une Marche humaine (un texte de 2007)

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Les conditions d’existence des animaux sont très dégradées depuis que l’homme a pris les commandes de toute la surface terrestre. La manière de les traiter fait débat, et les tenants de tous les camps se battent à coup d’arguments biologiques, philosophiques, religieux. Pour chacun, il s’agit de prouver la véritable place de l’homme et les droits que cette place lui confère.

Faut-il alors se persuader, comme dans la Ferme des animaux de George Orwell, que « tous les animaux sont égaux, mais il y a des animaux plus égaux que d’autres » ? Ou penser, avec Marguerite Yourcenar, que « La protection de l’animal, c’est au fond le même combat que la protection de l’homme » ?

 

La procession des voix pour les sans voix

« Je continuerais à me nourrir de manière végétarienne même si le monde entier commençait à manger de la viande. Cela est mon opposition à l’ère atomique, la famine, la cruauté - nous devons lutter contre. Mon premier pas est le végétarisme et je pense que c’est un grand pas ». Isaac Bashevis Singer

Une procession aura lieu le 24 du mois de mars de l’année 2007. Elle partira à deux heures de l’après-midi de la place du Panthéon.

Des êtres humains se rassembleront pour demander à ce que leur dignité humaine soit respectée, et qu’on ne massacre plus en leur nom.

La cause animale est une très vieille cause, mais elle n’a jamais fait l’objet de grands débats publics dans nos sociétés, ou bien ces débats ont sombré dans l’oubli. Elle est parfois couverte de ridicule, comme si la cause animale était une passion enfantine. Pourtant, comme le disait Emile Zola, « la cause des animaux passe avant le souci de me ridiculiser ».

La nature animale ou les individus animaux

Il y a plusieurs façons de vouloir protéger les animaux. Deux grandes tendances se dégagent du paysage varié de la réflexion sur la condition animale en terre humaine.

La première est globale : les associations de défense de la nature représentent ce courant : on y défend les loups parce qu’ils font partie de la nature. Il s’agit de préserver la diversité des espaces et la capacité de la terre d’accueillir la vie sauvage.

La seconde est fondée sur le respect de l’être animal. Il représente un « humanisme élargi ». Ainsi, les fondations qui prônent cette vision ne défendront pas une politique visant à réintégrer des ours dans une région, parce que cette politique privilégie le groupe des ours au détriment des individus qui seront sacrifiés (transports, adaptation...) à la cause du groupe. Cette fraternité-là envers les animaux leur reconnaît une identité de « personne ».

Mais ces deux tendances, globale et individuelle, sont souvent appelées à soutenir les mêmes causes.

Une fraternité élargie

« Très jeune j’ai renoncé à manger de la viande et le temps viendra où les hommes regarderont les meurtriers d’animaux avec les mêmes yeux que les meurtriers d’êtres humains ».Léonard de Vinci

Une des premières réactions qui nuit à la défense des animaux consiste à penser que leur protection se ferait sur le dos d’êtres humains. Ce n’est pas le cas ; la plupart des associations se situent dans une ligne résolument humaniste. De grands philanthropes ont soutenu la cause des bêtes, tel le médecin Albert Schweitzer, l’astrophysicien Hubert Reeves, ou encore le Mahatma Gandhi, qui disait : "Je hais la vivisection de toute mon âme. Toutes les découvertes scientifiques entachées du sang des innocents sont pour moi sans valeur."

De façon moins soucieuse et plus cruelle, on reproche aux défenseurs des animaux de faire montre d’une sensiblerie niaise, faible. Mais l’aventurier Mark Twain, qui prit des risques de toutes sortes au cours de sa vie, prit aussi celui du « ridicule » : "Peu m’importe que la vivisection ait ou non permis d’obtenir des résultats utiles pour l’homme. La souffrance qu’elle inflige à des animaux non consentants est le fondement même et la justification pour moi suffisante de mon aversion, un point c’est tout."

Assimilation et opposition de l’animal et de l’homme

Quelle propagande nous a construit ces croyances auxquelles nous nous accrochons comme à une bouée de sauvetage ? Celle qui oppose à l’Art, la nécessité ; celle qui oppose à l’affection, l’instinct ; celle qui oppose à la pensée verbale, le néant ; et celle qui oppose à la souffrance humaine, l’insensibilité animale ?

Nous avons déjà bien montré que nous sommes capables des pires atrocités, sur nous-mêmes, les hommes, sur les bêtes et sur la nature. Il nous reste à témoigner de nos aspirations à la liberté, à la beauté de la nature, au pacifisme de l’Art et au respect de la vie.

S’il faut absolument s’extraire du monde animal, plutôt que par l’assassinat et l’exploitation massifs, optons pour l’attitude fraternelle de celui qui a les moyens de maîtriser ses propres besoins et peut tendre une main amie.

La fête sanglante

Mais pour cela, il faut d’abord contempler le monde tel qu’il est au risque de le voir plus horrible que ce que l’on voulait imaginer. Comme l’écrit Florence Burgat, « lever le silence qui entoure ce massacre trouble impardonnablement une fête qui en passe par le sacrifice animal. Mais notre luxe le plus profond tient surtout dans la douleur tonitruante d’animaux dont nous avons manqué la rencontre, et qui, au fond de leur cachot, attendent quelque chose que nous ne leur donnons pas ».

Déserte est la nuit de l’homme abstrait.
Raoul Vaneigem

Le 24 mars 2007, à Paris, des humains rassemblés défileront silencieusement par solidarité envers ceux qui n’ont point la parole.

Car de nos jours où tout est bétonné, enserré, mécanisé, qu’il soit homme ou bête, désert est le jour de l’animal concret.

 

Edith de CL

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vendredi, 02 décembre 2011

Trois esthètes du XX ème siècle : Romain Rolland, Jacques Benoist-Méchin, Raoul Vaneigem

Trois grands stylistes de la langue française, dont je n'ai pas entendu parler à l'école.

Raoul Vaneigem, Jacques Benoist-Méchin, Romain Rolland, Jean-Christophe, anarchie, situationnisme, collaboration, libération

Romain Rolland - pourquoi cet homme n'est plus lu en France aujourd'hui ? Il l'est, ailleurs. Disciple de Tolstoï, c'est lui qui a fait connaître Gandhi en France, c'est lui qui a donné à son ami Sigmund Freud l'idée du sentiment océanique.
Son roman Jean-Christophe est un chef d'oeuvre, un arc en ciel où se mêlent en un même scintillement les couleurs du style littéraire, de la structure et du scénario, de la philosophie et de la vision mystique. Un arc en ciel ancré dans l'histoire européenne de l'aube du XX° siècle.

"Le corps et l'âme s'écoulent comme un flot. Les ans s'inscrivent sur la chair de l'arbre qui vieillit. Le monde entier des formes s'use et se renouvelle. Toi seule ne passes pas, immortelle musique. Tu es la mer intérieure. Tu es l'âme profonde."
in
Jean-Christophe, 1912

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Jacques Benoist-Méchin, on sait pourquoi cet homme n'est lu que dans les arrières salles, les boudoirs, les bureaux cachés. C'est parce qu'il subit le sort de ceux qui se sont "trompés de camp" lors de la seconde guerre mondiale. Condamné à mort à la Libération, grâcié par le président Auriol et enfin embauché en sous main par les gouvernements français pour des missions dans les pays arabes qu'il adorait, il a toujours écrit, que sa vie se déroule dans les salons mondains et les ministères, en prison, en voyage... Plus qu'un historien, c'est un chroniqueur de son temps, qui rappelle Thucydide et Joinville, une des plus belles langues de notre langue du XXème siècle.

"Passe devant nous, semblable à une citadelle resplendissante de blancheur, l'Olympic Cloud, un pétrolier de 30 000 tonnes... Ce château de rêve glisse lentement devant nos yeux. Sa gloire immaculée domine de haut le désert, les dunes et le faîte des palmiers.
Ce palais majestueux a l'inconsistence d'un mirage. Il semble sur le point de se dissoudre dans la nuit."
In Un printemps arabe, 1959

Raoul Vaneigem, Jacques Benoist-Méchin, Romain Rolland, Jean-Christophe, anarchie, situationnisme, collaboration, libération

Raoul Vaneigem vit encore, lui, l'anarchiste, ex-ami de Debord et situationniste. Je ne sais trop qu'en dire, sinon que son écriture a du souffle et qu'elle m'a revivifiée lorsque j'étais salariée et travaillais dans un bureau.

"Ils croient mener une existence et l'existence les mène par les interminables travées d'une usine universelle. Qu'ils lisent, bricolent, dorment, voyagent, méditent ou baisent, ils obéissent le plus souvent au vieux réflexe qui les commande à longueur de jours ouvrables.

Pouvoir et crédit tirent les ficelles. Ont-ils les nerfs tendus à droite ? Ils se détendent à gauche et la machine repart. N'importe quoi les console de l'inconsolable. Ce n'est pas sans raison qu'ils ont, des siècles durant, adoré sous le nom de Dieu un marchand d'esclaves qui, n'octroyant au repos qu'un seul jour sur sept, exigeait encore qu'il fût consacré à chanter ses louanges.

Pourtant, le dimance, vers les quatre heures de l'après-midi, ils sentent, ils savent qu'ils sont perdus, qu'ils ont, comme en semaine, laissé à l'aube le meilleur d'eux-mêmes. Qu'ils n'ont pas arrêté de travailler".
In Adresse aux vivants sur la mort qui les gouverne et l'opportunité de s'en défaire, 1990

 

Raoul Vaneigem, Jacques Benoist-Méchin, Romain Rolland, Jean-Christophe, anarchie, situationnisme, collaboration, libération

 

J'ai des rêves, des quêtes. Je n'ai pas tout lu de ces trois hommes. Je voudrais entendre l'oeuvre musicale composée par Benoist-Méchin, Equateur.

J'ai des réserves. Je n'aime pas la passion de Benoist-Méchin pour les sociétés complètement mysogines, tels le nazisme ou l'islam ; je n'aime pas la passion de Vaneigem pour les sociétés complètement machistes, celles des nomades qu'il décrit en déployant son style avec fougue. Ces réserves ne sont pas d'ordre litttéraire. Elles n'ont donc aucune espèce d'importance puisque la littérature est libre et flotte bien plus haut que les idées ou les actions.

J'ai une admiration pour ces trois plumes, bien que Benoist-Méchin ait pu taper à la machine, et Vaneigem sur un ordinateur, au moins pour la partie récente de son oeuvre.

Dans ces trois styles, une sensorialité démultipliée, la sensualité de la vie transmuée dans la sensualité des mots, un grand amour des expériences concrètes et la capacité de s'élever très haut dans l'abstraction.

Ils sont je crois parmi les trois plus grands écrivains du XX°siècle, en langue française. Il y en a d'autres, mais ceux-cis sont bien peu cités.