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vendredi, 19 décembre 2014

INCIPIT C'est idiot de mourir

 

Voici l'incipit du roman de Mario Puzo (l'auteur du Parrain) C'est idiot de mourir (en anglais, Fools die), publié en 1978 et traduit en français l'année d'après par Jean Rosenthal.

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« ÉCOUTE-MOI. Je vais te dire la vérité sur la vie d'un homme. Je vais te dire la vérité sur son amour pour les femmes. Jamais il ne les déteste. Tu crois déjà que je m'égare. Mais reste avec moi. Je t'assure... Je suis un maître magicien.

Crois-tu qu'un homme puisse aimer vraiment une femme et sans cesse la trahir ? Peu importe sur le plan physique, mais la trahir dans son esprit, dans la poésie même de son âme. Ah ! ça n'est pas facile, mais les hommes le font tout le temps.

Veux-tu savoir comment les femmes peuvent aimer, te prodiguer délibérément cet amour pour empoisonner ton corps et ton esprit, pour tout bonnement te détruire ? Et par amour passionné, choisir de ne plus t'aimer ? Et en même temps t'étourdir avec des extases idiotes ? Impossible ? C'est facile à dire.

Mais ne t'en va pas. Ça n'est pas une histoire d'amour.

Je te ferai sentir la douloureuse beauté d'un enfant, le désir animal du jeune adolescent, les élans moraux et suicidaires de la jeune femelle. Et puis (ça, c'est difficile) je te montrerai comment le temps fait décrire à l'homme et à la femme un cercle complet, leur fait échanger leurs corps et leurs âmes.

Et puis, bien sûr, il y a le GRAND AMOUR. Ne t'en va pas ! Il existe ou sinon je le ferai exister. Je ne suis pas maître magicien pour rien. Vaut-il ce qu'il coûte ? Et la fidélité sexuelle ? Ça existe ? Est-ce de l'amour ? Est-ce même humain, cette passion perverse de n'être qu'avec une personne ? Et si on n'y arrive pas, a-t-on une prime pour avoir essayé ? Est-ce que ça peut marcher dans les deux sens ? Bien sûr que non, et pourtant...

La vie, c'est comique, et il n'y a rien de plus drôle que l'amour voyageant à travers le temps. Mais un vrai maître magicien peut tout à la fois faire rire et pleurer son public. La mort, c'est une autre histoire. Je ne plaisante jamais sur la mort. Ça dépasse mes pouvoirs.

Je suis toujours vigilant devant la mort. Elle ne me trompe pas. Je la repère tout de suite. Elle se plaît à venir sous son déguisement de péquenot ; une loupe un peu comique qui soudain grossit, grossit encore ; la verrue sombre et poilue qui plonge ses racines jusqu'à l'os même ; ou alors elle se dissimule derrière une petite rougeur fébrile. Mais tout d'un coup voilà que ce crâne grimaçant apparaît pour prendre la victime au dépourvu. Mais jamais moi. Je l'attends. Je prends mes précautions.

Comparé à la mort, l'amour est une affaire ennuyeuse et puérile, et pourtant les hommes croient plus à l'amour qu'à la mort. Les femmes, c'est une autre histoire. Elles ont un secret qui leur donne de la force : elles ne prennent jamais l'amour au sérieux, elles ne l'ont jamais fait.

Mais attends, ne t'en va pas. Écoute ; ce n'est pas une histoire d'amour. Oublie l'amour. Je vais te montrer tous les efforts du pouvoir. D'abord la vie d'un pauvre écrivain qui lutte. Sensible, talentueux. Peut-être même un peu de génie. Je te montrerai comment l'artiste en bave pour son art. Et pourquoi il le mérite si bien. Et puis je le montrerai en habile criminel en train de prendre du bon temps. Ah ! quelle joie éprouve le véritable artiste quand enfin il devient une canaille. Le fond de sa nature s'est alors découvert. Plus question de faire des histoires à propos de son honneur. Le salopard est un escroc. Un combinard. Un ennemi de la société qui se montre au grand jour au lieu de se cacher derrière sa connerie d'art. Quel soulagement ! Quel plaisir ! Quel ravissement pervers ! Et puis je te raconterai comment il redevient un honnête homme. C'est une tension terrible que d'être une canaille.

Mais ça t'aide à accepter la société et à pardonner à ton semblable. Quand on en est là, personne ne devrait être malhonnête à moins d'avoir vraiment besoin d'argent ».

Mario PUZO. C'est idiot de mourir (Fools die). Traduction de Jean Rosenthal

 

jeudi, 21 mars 2013

Dix allumettes s'éteignent un soir de tempête à Concarneau

Concarneau, Simenon, Maigret, douanier, polar, polar breton

Nous présentons l'ouverture du Chien jaune, un polar de Simenon, une des meilleures aventures du commissaire Maigret.

Il se passe à Concarneau, dans le vent, sous la pluie, au fin fond des tumultes enfouis des villes de province.

« Vendredi 7 novembre. Concarneau est désert. L'horloge lumineuse de la vieille ville, qu'on aperçoit au-dessus des remparts, marque onze heures moins cinq.

C'est le plein de la marée et une tempête du sud-ouest fait s'entrechoquer les barques dans le port. Le vent s'engouffre dans les rues, où l'on voit parfois des bouts de papier filer à toute allure au ras du sol.

Quai de l'Aiguillon, il n'y a pas une lumière. Tout est fermé. Tout le monde dort. Seules les trois fenêtres de l'hôtel de l'Amiral, à l'angle de la place et du quai, sont encore éclairées.
Elles n'ont pas de volets mais, à travers les vitraux verdâtres, c'est à peine si on devine des silhouettes. Et ces gens attardés au café, le douanier de garde les envie, blotti dans sa guérite, à moins de cent mètres.

En face de lui, dans le bassin, un caboteur qui, l'après-midi, est venu se mettre à l'abri. Personne sur le pont. Les poulies grincent et un foc mal cargué claque au vent. Puis il y a le vacarme continu du ressac, un déclic à l'horloge, qui va sonner onze heures.

La porte de l'hôtel de l'Amiral s'ouvre. Un homme paraît, qui continue à parler un instant par l'entrebâillement à des gens restés à l'intérieur. La tempête le happe, agite les pans de son manteau, soulève son chapeau melon qu'il rattrape à temps et qu'il maintient sur sa tête tout en marchant.

Même de loin, on sent qu'il est tout guilleret, mal assuré sur ses jambes et qu'il fredonne. Le douanier le suit des yeux, sourit quand l'homme se met en tête d'allumer un cigare. Car c'est une lutte comique qui commence entre l'ivrogne, son manteau que le vent veut lui arracher et son chapeau qui fuit le long du trottoir. Dix allumettes s'éteignent.

Et l'homme au chapeau melon avise un seuil de deux marches, s'y abrite, se penche. Une lueur tremble, très brève. Le fumeur vacille, se raccroche au bouton de la porte.

Est-ce que le douanier n'a pas perçu un bruit étranger à la tempête ?»

Simenon

 

Nous avions déjà présenté un très beau polar de Jean Bruce, Visa pour Caracas

Si vous avez des enfants, il trembleront en vous entendant leur lire une autre histoire, dans un autre port.

Et nous avions déjà parlé d'insomnies bretonnes, de célèbres souvenirs d'enfance bretons. Notre blog publia également un article en langue bretonne.