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dimanche, 22 mai 2011

L'intelligence contre le diplôme

 

Paul Valéry, en 1936, dans une conférence intitulée le bilan de l’intelligence, livre une critique belle et sévère du diplôme. Voici justement l'extrait qui concerne le diplôme.

 

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Phot. Sara pour VillaBar (on reconnaît Florian Guy)

Je n’hésite jamais à le déclarer, le diplôme est l’ennemi mortel de la culture. Plus les diplômes ont pris d’importance dans la vie (et cette importance n’a fait que croître à cause des circonstances économiques), plus le rendement de l’enseignement a été faible. Plus le contrôle s’est exercé, s’est multiplié, plus les résultats ont été mauvais.
Mauvais par ses effets sur l’esprit public et sur l’esprit tout court. Mauvais parce qu’il crée des espoirs, des illusions de droits acquis. Mauvais par tous les stratagèmes et subterfuges qu’il suggère ; les recommandations, les préparations stratégiques, et, en somme, l’emploi de tous expédients pour franchir le seuil redoutable. C’est là, il faut l’avouer, une étrange et détestable initiation à la vie intellectuelle et civique.
D’ailleurs, si je me fonde sur la seule expérience et si je regarde les effets du contrôle en général, je constate que le contrôle, en toute manière, aboutit à vicier l’action, à la pervertir… Je vous l’ai déjà dit : dès qu’une action est soumise à un contrôle, le but profond de celui qui agit n’est plus l’action même, mais il conçoit d’abord la prévision du contrôle, la mise en échec des moyens de contrôle. Le contrôle des études n’est qu’un cas particulier et une démonstration éclatante de cette observation très générale.

 

Le diplôme fondamental, chez nous, c’est le baccalauréat. Il a conduit à orienter les études sur un programme strictement défini et en considération d’épreuves qui, avant tout, représentent, pour les examinateurs, les professeurs et les patients, une perte totale, radicale et non compensée, de temps et de travail. Du jour où vous créez un diplôme, un contrôle bien défini, vous voyez aussitôt s’organiser en regard tout un dispositif non moins précis que votre programme, qui a pour but unique de conquérir ce diplôme par tous moyens. Le but de l’enseignement n’étant plus la formation de l’esprit, mais l’acquisition du diplôme, c’est le minimum exigible qui devient l’objet des études. Il ne s’agit plus d’apprendre le latin, ou le grec, ou la géométrie. Il s’agit d’emprunter, et non plus d’acquérir, d’emprunter ce qu’il faut pour passer le baccalauréat.

Ce n’est pas tout. Le diplôme donne à la société un fantôme de garantie, et aux diplômés des fantômes de droits. Le diplômé passe officiellement pour savoir : il garde toute sa vie ce brevet d’une science momentanée et purement expédiente. D’autre part, ce diplômé au nom de la loi est porté à croire qu’on lui doit quelque chose. Jamais convention plus néfaste à tout le monde, à l’Etat et aux individus (et, en particulier, à la culture), n’a été instituée. C’est en considération du diplôme, par exemple, que l’on a vu se substituer à la lecture des auteurs l’usage des résumés, des manuels, des comprimés de science extravagants, les recueils de questions et de réponses toutes faites, extraits et autres abominations. Il en résulte que plus rien dans cette culture adultérée ne peut aider ni convenir à la vie d’un esprit qui se développe.

 

Paul Valéry, in Le Bilan de l’intelligence, 1935

 

lundi, 05 octobre 2009

Anne

 

 

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Anne qui se mélange au drap pale et délaisse
Des cheveux endormis sur ses yeux mal ouverts
Mire ses bras lointains tournés avec mollesse
Sur la peau sans couleur du ventre découvert.
 

Elle vide, elle enfle d'ombre sa gorge lente,
Et comme un souvenir pressant ses propres chairs,
Une bouche brisée et pleine d'eau brûlante
Roule le goût immense et le reflet des mers.
 

Enfin désemparée et libre d'être fraîche,
La dormeuse déserte aux touffes de couleur
Flotte sur son lit blême, et d'une lèvre sèche,
Tête dans la ténebre un souffle amer de fleur.
 

Et sur le linge où l'aube insensible se plisse,
Tombe, d'un bras de glace effleuré de carmin,
Toute une main défaite et perdant le délice
A travers ses doigts nus dénoués de l'humain.
 

Au hasard! A jamais, dans le sommeil sans hommes
Pur des tristes éclairs de leurs embrassements,
Elle laisse rouler les grappes et les pommes
Puissantes, qui pendaient aux treilles d'ossements,
 

Qui riaient, dans leur ambre appelant les vendanges,
Et dont le nombre d'or de riches mouvements
Invoquait la vigueur et les gestes étranges
Que pour tuer l'amour inventent les amants...
 

Paul Valery