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dimanche, 21 janvier 2018

Ilyès

L’orgue et la mathématique, mes deux mains, les deux pôles de mon cerveau. Oui, et pourtant, depuis une semaine, que sont ces passe-temps devenus ? Je ne pense plus qu’à toi, Ilyès, à ce lit rempli de sang sur lequel tu gisais, mort déjà, quand Clarisse t’a trouvé. Et personne ne comprend. Une rupture récente, oui, un problème de travail, oui, des parents lointains, oui, mais rien d’original à tout cela et tant d’amis autour de toi ! Le grand écart entre l’islam de ton père et le catholicisme de ta mère, oui, mais il y avait les semaines de printemps à Taizé et les sourates que tu récitais à table. La langue turque, la langue arabe, la langue française, Balzac et Marceline Desbordes-Valmore, la musique baroque de Lully et celle, électronique, de ton ami Fazil, toute la beauté des couleurs de ton appartement petit mais charmant de la porte d’Orléans… Depuis ton affreux acte, je ne dors pas beaucoup, je ne monte plus les marches qui mènent à l’orgue de la cathédrale de Senlis, je n’ouvre plus le livre de Pierre Lochak, Mathématique et finitude. Je pense à moi, je pense à Clarisse, je pense à la mort. Ilyès, je pense à toi.

 

samedi, 06 septembre 2014

Nostalgie du soir

Il fait nuit. Les passereaux sont endormis dans les arbres. La lune est presque pleine. Ma mère lit un article sur les vieux croyants de l'église orthodoxe et je l'entends murmurer "C'est passionnant... Passionnant..." et plus loin : "Ils sont fous". Silence, puis : "ça maintient des grandes cultures, d'être aussi radical". Ce murmure dont je saisis l'essence, mais pas le sens, ajoute à la poésie du moment. Deux toutes petites lampes éclairent deux petites pièces. La douce musique de Guy de Lioncourt réveille en moi les crises mystiques d'une adolescence écartelée entre le drapeau blanc, le drapeau noir et le drapeau rouge. Désormais je laisse les drapeaux partir sur les bateaux. L'océan ce soir ressemblait à un lac. Les réverbères de la ville diffusaient leurs lumières bleues vers le port, jaune vers le Château d'Olonne, le remblai scintillait de mille feux et les immeubles paraissaient autant de diamants posés sur l'écrin de la baie. La lune presque pleine nous éclairait à peine, ma mère et moi étions seules dans l'océan. Elle pensait sûrement aux bains de minuit de sa jeunesse. Je pensais aux bains glacés de Sofia Tolstoï à Iasnaïa Poliana. On n'y voyait pas très loin, les silhouettes des bateaux au large avançaient majestueusement comme de gros escargots royaux. Il ne faut pas tout dire pour laisser planer du mystère sur les lieux, les événements et les êtres. Au fond, nous ne comprenons pas mieux que les autres animaux ce que nous sommes, d'où nous venons et où nous allons.

mercredi, 19 juin 2013

Évangélisation et assimilation

église Saint-François-Xavier , Missions Etrangères de Paris,Pape Alexandre VII,Evangélisation,assimilation, orgue

«Ne mettez aucun zèle, n'avancez aucun argument pour convaincre ces peuples de changer leurs rites, leurs coutumes et les moeurs, à moins qu'elles ne soient évidemment contraires à la religion et à la morale. Quoi de plus absurde que de transporter chez les Chinois la France, l'Espagne, l'Italie ou quelque autre pays d'Europe !

N'introduisez pas chez eux nos pays, mais la foi, cette foi qui ne repousse ni ne blesse les rites ni les usages d'aucun peuple, pourvu qu'ils ne soient pas détestables, mais bien au contraire veut qu'on les garde et les protège. Il est pour ainsi dire inscrit dans la nature de tous les hommes d'estimer, d'aimer, de mettre au-dessus de tout au monde les traditions de leur pays et le pays lui-même.

Ne mettez donc jamais en parallèle les usages de ces peuples avec ceux de l'Europe : bien au contraire, empressez-vous de vous y habituer».

Pape Alexandre VII, 1659, aux Missions Étrangères de Paris.

(Trouvé sur la feuille paroissiale de l'église Saint-François-Xavier dans laquelle, tout à l'heure, l'orgue tonnait sa puissante splendeur musicale sur les bancs déserts.
Photo de Sara, prise au Louvre en 2010).

 

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La langue mise à l'écrit

L'humanisme et les droits de l'homme au regard des langues quechua et tahitienne

lundi, 17 décembre 2012

Carte du Tendre

 
Comme tant d'entre nous je vis noyée dans un chagrin poussiéreux, parsemé de halos de lumière d'aube. Comme tant d'entre vous je suis seule au milieu des ruines de mes amours mortes.
Draps froissés, solitudes, mécompréhensions, dépits, tristesses, ratages, instants de bonheur, exaltations, désespoirs... Tels sont les sentiments que nous portons comme une croix sans honneur, sans grandeur, mais d'une lourdeur qui pèse sur le cœur. Je relate ici toutes les déceptions amoureuses auxquelles mes rencontres avec quelques hommes, femmes et hermaphrodites ont irrémédiablement abouti.
 
Je m'excuse auprès de mes ex-amants de les classer ici par ordre chronologique de leur arrivée dans ma vie.
N'ayant pas une claire conscience des frontières mystérieuses entre l'amour et l'amitié, j'indique entre parenthèse s'il s 'est agi d'amours charnelles, aux morsures brûlantes, ou platoniques (morsures glaciales). La surconsommation de substances, parmi lesquels le traitre alcool de salamandres, à certaines périodes de ma vie, rendant la mémoire défaillante et le souvenir tangent, j'indique "incertitude" lorsque j'ignore si la morsure fut brûlante ou glaciale, autrement dit si la rencontre amoureuse fut charnelle ou platonique.

(N.B. Au bas de ce billet, j'ajoute une description synthétique de mes amants, grâce à une question de Tieri).

Alix Durand-Boucher (amours charnelles)
Rencontrée en 2005
Création d'un groupe de musique beith. Passion, gloire et déchirements. Lendemains qui pituitent, comme l'a si bien dit Katharina. Alix me quitte brutalement pour convoler avec Gangs of the world. Je pouvais tout pardonner ; tout, sauf cela. Je tombe en dépression nerveuse.
 
Étienne Destranges (amours charnelles)
Au fond du gouffre, je rencontre Etienne, qui venait de quitter les Stonehengers et qui, sous la direction d'un professeur assassiné depuis, rédigeait une thèse sur l'apocalypse qui vient. Il me sauve. Je manque de le faire sombrer. Nous remontons la pense. Dégoûtée par la musique beith et son milieu, je me lance dans le dark rock. Etienne et moi nous nous séparons finalement, lassés par la tourmente innombrable des choses quotidiennes qui reviennent cogner nos cerveaux quand nous voudrions planer bien au-dessus du monde matériel et des mots banals.
 
Miles Yufitran (amours charnelles)
J'ai partagé la vie de Miles pendant trois ans. Qui mieux que moi peut savoir ce qu'il a souffert ? Souffrances  et mémoires de sa mère Aïda, prostituée, douleurs de la séparation d'avec sa sœur Joan. Un soir je suis rentrée chez moi - chez nous - et je l'ai retrouvé. J'ai appelé les policiers et je les ai attendus en pleurant, assise entre Miles et sa trompette veuve, désormais. Quand je pense à lui, je me souviens de ce texte qu'il avait écrit un soir de brume, une brume qui évoquait pour lui ses deux pays, l'Irlande et la Berbérie : « Ma trompette fait la gueule. Alors je la laisse tomber et je bois. C’est dur d’être un musicien. On est des poètes du sable, à la moindre vague notre œuvre est détruite, effacée à jamais. On balance du vent dans les oreilles des gens et ils nous remercient en ne comprenant pas le fond de notre âme. On zone, on boit, on crève jusqu’à l’aube, et on se réveille avec une mélodie qui pince le cœur. Alors on attrape la trompette, on souffle nos douleurs dedans et ya un voisin qui crie : «Ta gueule ! »
Mais on continue quand même.
La rue est belle, les poubelles aussi sont belles, tout peut être beau quand on a les yeux remplis de ciel. Ma musique, mon amour, tu m’entraînes loin des hommes, alors parfois je te hais. Puis je me souviens que si tu m’entraînes si loin des hommes, c’est pour m’emmener plus près des étoiles ».
Miles, ton absence est bleue comme une étrange note de jazz perdue dans une mélodie classique...
 
Siobhan Hollow (incertitude)
Siobhan, tu nies que nous sommes amoureuses à jeun. Mais lorsque tu as bu tes bras m'enserrent et je sais que tu m'aimes. Tu es furieuse que j'écrive cela. Peu importe. Je ne l'effacerai pas. Pas avant que tu m'aies dit quelque chose de gentil, à jeun.
 
Axel Randers (amours platoniques)
Axel, amants des après-midi d'hiver interminables, des longues soirées dans des bars mal chauffés à parler en fumant, ou plutôt, à fumer en parlant. Toi, à la bière, moi à la tisane. Esther avec nous, quelque fois. Puis la mort t'a ravi à nos amours platoniques. Le baiser de la mort n'est jamais platonique. La mort y va franco. La mort consomme. Que ce soir dans un lit ou dans une voiture, à n'importe quelle saison, à n'importe quel moment, la mort nous baisera tous.
 
Esther Mar (amours platoniques)
Tu vis dans une maison au bord de la Marne et j'ai le droit de venir te voir quelquefois. Tu ne veux jamais parler de ton hermaphrodisme. Je te promets que je t'aimerais toujours autant si tu te dévoilais. Je te le promets, tu souris et tu remets à plus tard. Encore plus tard. Toujours plus tard. Il faudra pourtant que s'accomplissent un jour, une nuit, nos noces faméliques.
 
Réponse à une question de Tieri
 
 
Tieri : Tu crois qu'on va mourir ?
A quoi ressemblent tes amoureux Édith ?
 
Édith :
"Mes amoureux ressemblent à des frères d'ailleurs. Ils ont des longues jambes, des longs bras, des voix graves et des visages qu'on ne distingue pas très bien. Seuls leurs yeux brillent. Ils ne mangent pas, ils ne dorment pas, ils marchent sous la pluie. Ils ne lisent plus rien car ils ont appris tous les livres par cœur, comme dans Fahrenheit. Ils m'entourent, marchent autour de moi, armée d'amants qui me protègent du monde réel et des coups bas. Ils n'ont pas de maisons, mais des vaisseaux spatiaux. Ils surfent dans le ciel. Ils aiment mes écritures et mes danses. Ils ressemblent à des Peter Pan d'un autre monde, d'un autre temps, un temps qui vient lentement, lentement, ils ont un temps d'avance.
Ils sont géographes, astrophysiciens et chevaliers. Ils viennent de nulle part, ou plutôt, de si loin que l'on ne sait plus le nom de leur pays d'origine et ils savent parler aux poissons. Ils aiment les sonorités du monde, les bulles d'eau, les ballons que les enfants envoient dans le ciel après la fête. Ils me donnent leurs desserts.
Ils sont plus fidèles que la fidélité, plus aventureux que l'aventure. Je soupçonnent certains d'entre eux d'être des femmes déguisées. Je m'en fiche".
 
(Edith avait déjà répondu à une question de Tieri à cet endroit...)